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12 mars 2021 5 12 /03 /mars /2021 14:08

   Revue mensuelle sur papier et numérique, Le Carnet Psy aborde des questions très diverses en psychologie, en psychiatrie, et en psychopathologie. Journal indépendant qui s'adresse à un public d'universitaires (enseignants et étudiants) et de professionnels de terrain (psychologues, psychanalystes, cliniciens...), il est animé par une équipe, dirigé par Manuelle MISSONIER,  appuyée sur un comité scientifique et de rédaction où figurent les noms, entre autres, de Jacques ANDRÉ, Marie-Frédérique BACQUÉ, Gérard BAYLER, Bernard GOLSE, roland JOUVENT, un temps Serge LEBOVICI, Sylvain MISSONNIER, René ROUSSILLON, Daniel WIDLÖCHER, Édourd ZARIFIANT...

   Cette revue parait depuis nombre 1994 en version imprimée et depuis 2015 en version numérique. Le site web associé à la revue existe depuis juillet 1996. Autant dire que cette revue a laissé derrière elle autant les nombreux différents entre écoles psychanalytiques notamment françaises que les frontières entre les disciplines psy...

   Elle propose des informations sur des congrès, des conférences, des formations, des dossiers thématiques (autisme, psychothérapie, les "psy" et internet...), des dossiers sur des auteurs (André GREEN, Francis PASCHE...), des entretiens avec des psychanalystes emblématiques (Joyce McDOUGALL, Jean BERGERET, Michel de M'UZAN, Jean LAPLANCHE...). La revue a déjà abordé quantité de thème, le numéro 241 de mars 2021 proposant par exemple Quelques réflexions sur les dispositifs à distance en psychanalyse/psychothérapie de l'enfant et de l'adolescent et dans les entretiens familiaux.

   Au bout de dix ans d'existence du site web, ce sont par les témoignages sur sa vie, que le Carnet Psy se présente. Ainsi Bernard GOLSE écrit que "l'idée de mêler agenda des activités Psy, compte-rendus de colloques et textes de réflexion divers, le tout dans un format léger et de maniement aisé était certes séduisante, mais qui aurait pu dire que l'attrait allait durer? N'y allait-il pas y avoir un rapide effet d'essoufflement? A bien y regarder aujourd'hui il me semble que c'est le couple de Serge et de Manuelle qui, en filigrane persistant de cette unnovation, lui confère son pouvoir d'attraction durable, et son atmosphère de fraîcheur indéfiniment renouvelée. En effet, ce "couple" originaire étant fondé sur un indéniable écart d'âge, la revue se voir imprégnée d'une double dimension dialectique et dynamique d'information journalistique moderne et de transmission sage et profonde, à l'image combinée de ses deux fondateurs. Comme quoi, il en va de même pour les objets que pour les personnes : le présent dépend des origines tout autant que les origines s'éclairent de l'actualité. Qui dit carnet pense en effet "carnet de voyage". Et c'est bien à un double voyage que nous convie chaque mois le Carnet Psy : un voyage synchronique au sein des réunions et des activités psychiatriques, pédo-psychiatriques et psychanalytiques, mais aussi un voyage diachronique au fil des idées et des connaissances." 

Il s'agit d'un outil pour les psy, agréable à manipuler, qui transcende professions de foi et professions, comme l'écrit Marie-Frédérique BACQUÉ.

 

Le Carnet Psy, Éditions Cazaubon, 8 avenue Jean-Baptiste CLÉMENT,92100 Boulogne, Site : carnetpsy.com

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12 mars 2021 5 12 /03 /mars /2021 10:58

   Alors que souvent le clivage ou d'autres mécanismes de défense sont parfois présentés comme défenses statiques, et de symptôme en symptôme comme se figeant en traits de caractère (rejoignant plus ou moins la notion de cuirasse caractérielle de REICH), des auteurs comme Gérard BAYLE préfère présenter le psychisme comme dynamique, et prolongeant la définition classique du clivage, montrer celui-ci comme mécanisme de défense changeant ; voire passage entre d'un autre mécanisme de défense à un autre. Le psychisme d'un individu évolue constamment et si l'on retrouve tous ces mécanismes abondamment décrits de manière redondante chez beaucoup d'individus, ceux-ci restent d'une grande souplesse, surtout dans un environnement constamment en changement. C'est sans doute comme cela qu'il faut comprendre les travaux de Gérard BAYLE, qui, tout en approfondissant la description du clivage et de ses variantes, insiste surtout sur la dynamique d'un mécanisme de défense comme ce clivage.

Pour lui, l'essentiel est autant dans la formation des analystes que dans une théorie psychanalytique de toute façon mouvante. "Dans le passé, le modèle de la névrose servait d'axe de référence quasi exclusive pour (leur) formation. Le refoulement, écrit-il dans Clivages, Moi et défense, avait à juste titre, la meilleure place dans le cortège des défenses psychiques. Le déni et le clivage n'étaient pas délaissés, mais ils concernaient les psychoses et les perversions, et la métapsychologie en rendait fort peu compte ; ils apparaissaient comme des adjuvants du processus central de refoulement, comme des aides à la défense du moi. Alors, si les névroses de transfert tenaient l'essentiel du programme de formation, nolens volens les analystes devaient, en quelque sorte, s'y conformer. Les formateurs insistaient vivement pour que soient exposés de "bons cas de supervision", c'est-à-dire des patients ayant une névrose hystérique, phobique ou obsessionnelle. Cette attitude persiste encore à un faible degré, mais c'est à partir de structures moins nettes que se font actuellement les progrès les plus importants. Les cures particulièrement éprouvantes en raison d'attaques répétées du cadre poussent à dépasser une vision trop limitées de l'analyse et conduisent à la prise en compte de réactions contre-transférentielles sans lesquelles les processus aboutissant à des clivages resteraient inaccessibles. En bref, l'analyse vit alors en lui-même les difficultés du patient à ressentir et à symboliser. Le mal-être de l'analyste - ou parfois son excès de bien-être - et l'incompréhension doublée de surprenantes attaques du cadre analytique, d'où qu'elles viennent, poussent à la recherche bibliographique, théorique et clinique, au-delà de certitudes temporaires. Peu à peu, la notion de clivage s'impose."

Ensuite, Gérard BAYLE insiste sur un aphorisme (les psychanalystes en général adorent les aphorismes...) : "Pas de clivage sans collage..." "Veuille le lecteur y percevoir l'importance d'une forme de captation narcissique d'un sujet par un autre (forme banale, notons-nous, d'ailleurs d'une certaine tendance au mimétisme...) ; asservissement pervers des processus défensifs d'un sujet par un autre. On tient ici très fortement à cette vision allusive qui désigne les plus importantes dégradations psychiques. De celles-ci, l'auteur a tenté de rendre compte en termes de clivage structurel, selon une argumentation dont le résumé pourrait être : le clivage fonctionnel du moi des parents crée les conditions du clivage structurel du soit des enfants, avec la participation de ceux-ci." Gérard BAYLE retient la définition du soi proposé par Évelyne KESTEMBERG (La relation fétichique à l'objet, dans Revue française de psychanalyse, n°42, 2) : "Le moi émerge du soi sans pour autant jamais le perdre." "Le soi constitue la première configuration organisée de l'appareil psychique qui émane de l'unité mère-enfant. Il représente, au niveau du sujet - objet de la mère -, ce qui appartient en propre au sujet, de façon extrêmement précoce, avant que ne soit instaurée la distinction entre le sujet et l'objet. Du fait que l'enfant est objet pour la mère et que les fantasmes de celle-ci modulent les prémices de son organisation psychique, la relation objectale est incluse dans l'autoérotisme primaire et dans la continuité narcissique du sujet. Le soi ne peut être identifié au moi qui reste l'instance organisatrice et conciliatrice, mais il représente en son sein la source du sentiment du je. Cette configuration psychique, qui ne se confond ni avec le moi ni avec l'objet, persiste tout au long de l'existence ; elle conditionne la qualité du self selon Donald Woods Winnicott (voir plusieurs de ses écrits, notamment Objets transitionnels et phénomènes transitionnels. De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, 1989).

Ce qui appartient à un sujet, mais ne fut jamais subjectivé, peut se glisser dans ses pensées, ses actes, son sentiment d'identité, avoir toujours été là et faire partie de sa chair même. Ce jamais subjectivé, source d'une inquiétante familiarité, reste marqué par son origine : l'objet primaire. Certaines précautions excessives de l'entourage sont destinées à protéger la descendance de l'écho proche ou lointain de deuils non faits, d'horreurs sans nom, de blessures psychiques mal cicatrisées. Mais ce faisant, c'est l'entourage qui se protège lui-même. Il y a là, peu ou prou, qu'on le veuille ou non, une forme de perversion narcissique. Celle-ci enfante le moi, mais aussi et d'abord le soi sous la forme de clivages souvent ineffaçables pour peu que l'enfant en investisse le processus, y soit partie prenante, quelle que soit la précocité de cette adhésion. L'hallucination négative, le déni, l'idéalisation et la forclusion déploient alors leurs attaques de la symbolisation, de la subjectivation et de la structuration oedipienne. Ces processus agissent puissamment sur le contre-transfert de l'analyste dans les moments les plus difficiles des cures ; à lui d'en tirer parti pour le progrès de l'analyse en cours."

   La recherche sur les énergies mises en jeu dans tous les processus de défense explore les voies et les buts de la coexcitation, de soi par soi ou de soi par l'autre, dans des visées plus réparatrices qu'hédoniques. Dépenses énergétiques et jeux des clivages constituent deux éléments de la recherche de Gérard BAYLE. Investissements et contre-investissements narcissiques, processus dynamiques, sont aussi des objets de recherche qu'il étudie en prenant appui sur plusieurs angles. A savoir :

- la distinction entre le fétiche et l'objet prothétique ;

- la distinction entre les objets phobiques, fétichiques et transitionnels ;

- la distinction entre le rejet et le désaveu dans la constitution du déni ;

- l'articulation des défenses entre elles ;

- le leurre de la fonction synthétique du moi.

   Alors que nombre de recherches se concentraient sur les éléments du Moi, son affaiblissement et/ou son renforcement, comme élément topique majeur, Gérard BAYLE s'éloigne de la possibilité de constitution d'un moi synthétique pour bâtir plutôt une logique dynamique de différents mécanismes de défense. A l'image de l'humain qui de la naissance jusqu'à la mort ne cesse de rechercher une sorte d'équilibre interne sans jamais d'ailleurs réellement le trouver, il tente de rechercher surtout dans l'articulation toujours temporaire des défenses les clés des comportements. C'est notamment à travers l'économie et la dynamique de différents clivages qu'il pense approcher l'explication des perversions, des sublimations et partant, des croyances.

  En revisitant l'inconscient freudien, tel qu'il a été conçu par le fondateur de la psychanalyse, Gérard BAYLE et de nombreux autres psychanalystes, psychologues et cliniciens remettent à jour certaines notions utiles dans l'explication de ces différents clivages. Dans cette revisitation, qui inclue aussi l'examen des résistances actuelles à la psychanalyse et de leurs raisonnements, les mécanismes de défense connaissent un véritable regain d'intérêts.

 

Gérard BAYLE, Clivages, Moi et défenses, PUF, collection Le fil rouge, 2012. Sous la direction de Gérard BAYLE, L'inconscient freudien, Recherch, écoute, métapsychologie, Monographies et débats de psychanalyse, PUF, 2010.

 

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27 février 2021 6 27 /02 /février /2021 09:10

   L'interprétation freudienne de la tragédie de SOPHOCLE a entre autres suscité de très nombreuses discussions chez tous les spécialistes de la mythologie grecque, notamment en France.

Dans un article de 1967, Oedipe sans complexe, Jean-Pierre VERNANT (1914-2007), à l'occasion d'une controverse avec Didier ANZIEU (1923-1999), s'est insurgé contre les interprétations sauvages et psychologisantes qu'il décelait à cette époque dans les textes psychanalytiques consacrés à Oedipe. Ces interprétations tendaient à transformer le personnage de SOPHOCLE en un névrosé moderne, habité par un complexe freudien. Si FREUD s'était appuyé sur SOPHOCLE, pour élaborer son complexe, les psychanalystes, et surtout les journalistes "spécialistes" de la psychanalyse, avaient fini par projeter leurs fantasmes oedipiens sur le mythe et la tragédie.

En cela, il dérogeait à la méthode de travail de FREUD lui-même, qui procède non pas à une interprétation psychanalytique du mythe, mais à une analogie et un rapprochement entre un mythe "universel" et un complexe tout aussi "universel", l'ancrage de ce mythe dans la psychologie humaine...

Contre cette psychologisation, VERNANT propose une nouvelle interprétation d'Oedipe plus conforme aux représentations de la mythologie grecque : "Son destin exceptionnel, écrit-il en 1980, l'exploit qui lui a donné la victoire sur le Sphinge l'ont placé au-dessus des autres citoyens, au-delà de la condition humaine : pareil et égal à un dieu ; ils l'ont aussi, à travers le parricide et l'inceste, qui ont consacré son accès au pouvoir, rejeté en deçà de la vie civilisée, exclu de la communauté des hommes, réduit à rien, égal au néant. Les deux crimes qu'il a commis sans le savoir ni le vouloir l'ont rendu, lui, l'adulte ferme sur ses deux pieds, semblable à son père, s'aidant de son bâton, vieillard à trois pied, dont il a pris la place aux côtés de Jocaste, semblable du même coup à ses petits enfants marchant à quatre pattes, et dont il est aussi bien le frère que le père. Sa faute inexpiable est de mêler en lui trois générations d'âge qui doivent se suivre sans jamais se confondre ni se chevaucher au sein d'une lignée familiale." (Oedipe, dans Dictionnaire des mythologies, Volume II, Flammarion)

Ce portrait du véritable Oedipe grec n'était pas éloigné en réalité de l'Oedipe freudien, puisque chez FREUD, le complexe est lié, dès le début, à la double question du désir d'inceste et de son nécessaire interdit afin que ne soit jamais transgressé l'enchaînement des générations.

En 1972, dans un livre d'inspiration reichienne, L'Anti-Oedipe, Gilles DELEUZE (1925-1995) et Félix GUATTARI ont critiqué l'oedipianisme freudien qui à leurs yeux réduisait la libido plurielle de la folie (et de la schizophréinie) à un enfermement familialiste de type bourgeois et patriarcal. (ROUDINESCO et PLON).

 

  Jean-Pierre VERNANT critique surtout l'anachronisme et les contre-sens de la lecture psychanalytique du mythe d'Oedipe, en particulier tel qu'il est retravaillé dans la tragédie grecque. Cette fiction exploratoire sonde les fondements sociaux, religieux et politiques de la société grecque (mais surtout de Thèbes) au moment de sa démocratisation à partir du VIe siècle av. J-C. Ce mythe ne constitue en aucun cas une illustration d'un drame psychologique individuel et familial, outre le fait que l'universalité du complexe d'Oedipe semble pour lui invalidée par des recherches (notamment ethnographiques). Il faut dire que les dérives que combat VERNANT proviennent aussi d'une assimilation un peu rapide des certains effets de ce complexe à des maladies. FREUD lui-même et ses continuateurs directs ont toujours mis l'accent sur la dynamique psychologique du complexe d'Oedipe, qui traverse tout être humain (occidental). C'est à partir de son vécu dans la trinité mère-enfant-père, difficile toujours, que l'homme (ou la femme) construit sa personnalité, influencé par les cultures de la mère et du père, lesquelles peuvent être très différentes d'une civilisation à une autre. (voir surtout l'ouvrage Oedipe sans complexe, dans Mythe et tragédie en Grèce ancienne, Paris, Maspéro, 1972, sous la direction de jean-Pierre VERNANT et Pierre VIDAL-NAQUET. Et aussi de manière générale : Avec ou sans complexe? Vernant, la psychanalyse et la psychologie, Collège de France, de Frédéric Fruteau de LACLOS dans le site internet books.openedition.org).

  Didier ANZIEU, notamment dans Moi-peau (Nouvelle revue de psychanalyse, 1974) et L'auto-analyse de Freud - et la découverte de la psychanalyse, (PUF, 1959, 1975, 1988), restitue le contenu des grandes découvertes freudiennes, notamment du complexe d'Oedipe. Ses travaux constituent une référence pour les chercheurs et les étudiants. Une certaine orthodoxie lui vaut un certain nombre de critiques, même s'il met bien en évidence l'inséparabilité de la théorie psychanalytique, constamment en évolution, avec l'histoire de la production de ses concepts et donc de ses auteurs. (Sophie de MIJOLLA-MELLOR, Dictionnaire international de la psychanalyse).

 

Élisabeth ROUDINESCO et Michel PLON, Dictionnaire de la psychanalyse, Le livre de poche, 2011.

 

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21 août 2020 5 21 /08 /août /2020 09:03

   Sophie de MIJOLLA MELLOR développe dans Psychanalyse le travail du trait d'esprit et de l'humour.

  La production du trait d'esprit répond au même type de travail psychique que celui de l'élaboration onirique et FREUD pour mieux souligner qu'il s'agit d'un travail, même s'il est préconscient, parle de la "technique" du mot d'esprit. On trouve la meilleure élaboration du sens de ce travail-là dans son livre Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient, Gallimard, 1930.

Cette technique recouvre une grande diversité de moyens consistant par exemple à former des mots composites en en condensant plusieurs ou, avec l'emploi du même matériel verbal, à établir des interventions et des modifications ou encore à jouer sur le double sens des mots, équivoque, métaphore, etc. Mais, comme le dit FREUD : "La condensation demeure la catégorie à laquelle sont subordonnées toutes les autres. Une tendance à la compression ou mieux à l'épargne domine toutes ces techniques".

Le procédé majeur de l'élaboration du rêve, le déplacement, se retrouve aussi dans la technique du trait d'esprit. Notamment, lorsque l'histoire drôle consiste dans l'erreur de compréhension de l'un des personnages de l'histoire, celui-ci apparaît comme ayant déplacé le sens sur un élément de la phrase aux dépens de celui qui était vraiment significatif. Ce contretemps est un ressort très général de l'effet comique et consiste en une espèce de déplacement de l'accent psychique, tel qu'en produit, pour d'autres raisons, le rêve. De manière plus large, les fautes de raisonnement ou les raisonnements tendancieux spéciaux utilisent le déplacement et le contresens. On pourrait cependant arguer du fait que ce type d'erreur peut ne pas être du tout comique et, en effet, il convient de considérer que la technique du trait d'esprit, pas plus que celle du rêve ne sont des fins en soi mais des moyens pour exprimer et laisser libre court à des tendances qui seraient réprimées, si elles ne se présentaient sous ces travestissements. "L'esprit permet la satisfaction d'un instinct (le lubrique et l'hostile) en dépit d'un obstacle qui lui barre la route : il tourne cet obstacle et tire ainsi du plaisir de cette source de plaisir, source que l'obstacle lui avait rendue inaccessible" (FREUD).

   L'esprit élude donc les restrictions et restitue ainsi les sources du plaisir d'antan qui étaient devenues inaccessibles du fait du refoulement. Cependant l'esprit dispose aussi d'une technique spécifique pour poser l'inhibition consistant à conserver intact le jeu avec les mots ou avec le non-sens, tout en choisissant les cas où ce dernier se présente sous des dehors admissibles ou ingénieux. Le but du travail psychique s'avère donc, outre la satisfaction pulsionnelle, un gain de plaisir lié à la forme, gain de plaisir qui s'apparente à une satisfaction narcissique de se découvrir maître de jouer avec les mots ou avec le sens.

  Cette dimension érotique narcissique du travail de l'esprit se retrouve encore plus nettement dans l'humour. FREUD le définit comme un mécanisme de défense consistant à mettre à l'écart les exigences de la réalité au bénéfice de la suprématie assurée au principe du plaisir, ce en quoi il s'apparente à la névrose, à la folie, à l'ivresse et à l'extase. Mais l'humour, contrairement à la pathologie mentale, loin de constituer un abandon du Moi est une forme de triomphe.

  Le travail psychique qui peut mener à cette étonnante performance a un explication métapsychologique qui consiste à considérer que la personne de l'humoriste retire l'accent psychique de son Moi et la déplace sur son SurMoi. Grâce à ce déplacement, la personne peut faire une sorte de deuil des investissements qui la mettent en danger de souffrir par frustration et se place vis-à-vis de ceux-ci comme une instance parentale qui consolerait un enfant en ces termes : "Regarde, voilà donc le monde qui paraît si dangereux. Un jeu d'enfant, tout juste bon à faire l'objet d'une plaisanterie". (FREUD).

   Cette présentation classique de MIJOLLA-MELLOR est une sorte de socle sur lequel s'élaborent d'autres réflexions, dont celles d'Oliver DOUVILLE, Max KOHN et de bien d'autres qui se retrouvent dans le numéro 30 de la revue Che VUOI? consacré au Rire en psychanalyse (Éditions Lharmattan).

  Olivier DOUVILLE (sites.google.com/site/olivierdouvilleofficiel) se réfère plutôt à Jacques LACAN pour qui l'aptitude à l'humour est un des critères de distinction entre des sujets normaux et des malades mentaux. Le clinicien qui fréquente un peu les hôpitaux psychiatriques, dans le cadre de sa profession, est témoin et parfois acteur, de tours de force langagiers qui pourraient évoquer l'humour à l'état nu, sorte de "non-sens" accéléré où le signifiant des mots se détache de leur pesanteur de signe et fulgure. La réflexion d'Olivier DOUVILLE ouvre sur le social et le culturel : l'humour n'engage pas seulement son auteur par rapport à ses problématiques intérieures, il débouche sur les relations avec les autres et fait bouger en quelque sorte les lignes d'interdépendance, de domination et de subordination.... Du moment où ces mots d'esprit sont prononcés aux interprétations qu'en donnent les "psy" en général, l'humour intervient subtilement et fortement dans les relations sociales. Les adeptes et les militants de la désobéissance civile et de la non-violence savent très bien la force de l'humour dans les confrontations.

      Le psychanalyste membre d'Espace analytique et de la fondation européenne de la psychanalyne Max KOHN, discute dans Champ psy n°67, 2015/1, de la place de l'humour pour la psychanalyse. Reprenant lui aussi la conception de FREUD pour analyser certaines différences suivant les cultures. Il aborde notamment l'humour juif ainsi que la place du mot d'esprit yiddish qui pose le problème des liens entre la linguistique et la psychanalyse.

 

Sophie de MIJOLA-MELLOR, Le travail du trait d'esprit et de l'humour, dans Psychanalyse, PUF, 1999.

 

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4 décembre 2019 3 04 /12 /décembre /2019 08:41

      Avec le recul des années et l'établissement d'une historiographie qui dépasse les querelles entre écoles psychanalytiques peut s'éclairer bien des aspects de la notion de Refoulement.

 

Une histoire de l'idée du refoulement.

   Ainsi Élisabeth ROUDINESCO et Michel PLON reviennent sur l'histoire de cette notion.

"Freud n'est pas l'inventeur de l'idée de refoulement. Il le reconnaît lui-même très clairement dans ses considérations "Sur l'histoire du mouvement psychanalytique" publiées en 1914 : "Dans la théorie du refoulement, je fus à coup sûr indépendant ; je ne connais aucune influence qui aurait pu m'en rapprocher et tins moi-même, pendant longtemps, cette idée comme un idée originale, jusqu'au jour où Otto Rank nous montra le passage de Schopenhauer, dans Le Monde comme volonté et comme représentation, où le philosophe s'efforce de trouver une explication à la folie. Ce qui est dit dans ce passage sur notre répulsion à admettre un aspect pénible de la réalité recouvre si parfaitement le contenu de notre concept de refoulement qu'il se peit que j'aie une fois de plus la possibilité d'une découverte à l'insuffisance de mes lectures."

A la suite de cette mise au point, Freud évoque ses difficultés à lire les oeuvres de Friedrich Nietschze (1844-1900), auquel il emprunte, reconnait-il, le terme inhibition pour traiter d'un mécanisme qui coïncide avec sa conception du refoulement. Présente dans la philosophie allemande du XIXe siècle, l"idée de refoulement l'est également dans les travaux de psychologie de Johann Friedrich Herbart, puis ceux de Theodor Meynert, qui fut l'un des maitres de Freud. Après avoir reconnu sa dette, Freud ajoute : "la théorie du refoulement est à présent le pilier sur lequel repose l'édifice de la psychanalyse, autrement dit son élément le plus essentiel, qui n'est lui-même que l'expression théorique d'une expérience que l'on peut répéter aussi souvent qu'on veut lorsqu'on entreprend l'analyse d'un névrosé sans le secours de l'hypnose (...) je m'élèverais très violemment contre celui qui prétendrait ranger la théorie du refoulement et de la résistance parmi les présupposés de la psychanalyse et non parmi ses résultats (...) la théorie du refoulement est une acquisition du travail psychanalytique.""

Toujours pour Élisabeth ROUDINESCO et Michel PLON, qui inscrivent là l'opinion pratiquement unanime quand on discute psychanalyse, "l'idée du refoulement apparait très tôt dans l'élaboration de la théorie freudienne de l'appareil psychique, avant même la lettre à Wilhelm Fliess du 6 décembre 1896, dans laquelle il met en place la définition inaugurale de sa première topique : dans cette lettre, le refoulement en l'appellation clinique du "défaut de traduction" de certains matériaux qui n'accèdent pas à la conscience. La raison de cette carence "est toujours la production de déplaisir qui résulterait d'une traduction ; tout se passe comme si ce déplaisir perturbait la pensée en entravant le processus de traduction". Dans cette période, la notion de refoulement recoupe fréquemment celle de défense, même si elle ne lui est pas assimilée.

Dans les articles de 1894 et 1896 que Freud consacre aux psycho-névroses de défense, le refoulement est comme éclipsé par la notion de défense qui lui permet de pose une distinction étiologique entre l'hystérie, la névrose obsessionnelle et la paranoïa. Jean Laplanche et Jean-Bernard Pontalis se sont efforcés de clarifier ces relations complexes, et plusieurs fois modifiées, entre défense et refoulement. (...). Freud, en 1926, éprouvera encore le besoin de revenir sur ce points, dans son livre Inhibition, symptôme et angoisse, sans pour autant le clarifier de manière convaincante.

Constitutif de l'inconscient, le refoulement s'exerce sur des excitations internes, d'origine pulsionnelle, dont la persistance provoquerait un déplaisir excessif. Freud esquisse à ce propos un développement théorique déjà très élaboré dans une lettre à Fliess  du 14 novembre 1897. A cette époque, sa fascination pour la théorie "fliessienne" des périodes sous-tend son transfert et il pense être sur le point de commencer ce qu'il appelle son "auto-analyse". Il se surprend à prévoir des événements bien avant qu'ils se produisent (...). Freud expose alors à Fliess ses idées sur les zones érogènes infantiles qui ne sont plus, à l'âge adulte, source de décharge sexuelle : la région anale et, emprunt aux idées de Fliess, la région bucco-pharyngienne, régions qui ne doivent plus, normalement, être source d'excitation ou d'apport libidinal, sauf en cas de perversion. Mais ces zones sont susceptibles de produire une décharge sexuelle "par effet d'après-coup du souvenir". En fait, il s'agit, poursuit Freud, d'une décharge de déplaisir, "une sensation interne analogue au dégoût ressenti dans le cas d'un objet. Pour nous exprimer plus crûment, le souvenir dégage maintenant la même puanteur qu'un objet sexuel. De même que nous détournons avec dégoût notre organe sensoriel (tête et nez) devant les objets puants, de même le préconscient et notre compréhension consciente se détournent du souvenir. C'est là ce qu'on nomme refoulement."

Le refoulement ne traite pas les pulsions elles-mêmes mais leurs représentants, images ou idées, qui, pour être refoulés, demeurent cependant actifs dans l'inconscient sous forme de rejetons d'autant plus prompts à faire retour vers la conscience qu'ils sont localisés à la périphérie de l'inconscient. Le refoulement d'un représentant de pulsion n'est donc jamais définitif. Il demeure toujours actif, d'où une grande dépense énergétique.

Dans la 5e section du chapitre VII de L'interprétation du rêve, Freud décrit le refoulement comme un processus dynamique, lié au processus secondaire qui caractérise le préconscient (...). En 1915, dans le cadre de la métapsychologie, le refoulement fait l'objet d'un article où l'inconscient n'est plus totalement  assimilé au refoulement : "Tout ce qui est refoulé doit nécessairement rester inconscient, mais nous voulue d'entré de jeu poser comme tel que le refoulé ne recouvre pas tout ce qui est inconscient. L'inconscient a l'extension la plus large des deux : le refoulé est une partie de l'inconscient." Cette mise au point appelle une redéfinition du refoulement : elle se trouve au coeur de l'article consacré à ce processus. Freud commence par y redire que le refoulement constitue par la pulsion et ses représentants "un moyen terme entre la fuite (réponse appropriée aux excitations externes) et la condamnation (qui sera l'apanage du SurMoi)".  Puis il distingue trois temps constitutifs du refoulement : le refoulement proprement dit, ou refoulement après-coup ; le refoulement originaire ; le retour du refoulé dans les formations de l'inconscient. Si l'on veut saisir l'essence de cette construction freudienne, il faut l'aborder par la question du refoulement originaire.

Le refoulement en général porte sur les représentants des pulsions, eux-mêmes objet d'un retrait d'investissement, c'est-à-dire d'une cessation de prise en charge de la part du préconscient : dans ce cas, l'inconscient effectue immédiatement un investissement substitutif qui appelle en retour un "contre-investissement" de la part du préconscient, lequel se heurte alors à l'attraction constituée par des éléments de l'inconscient anciennement refoulés. Ce dernier point conduit Freud à postuler l'existence d'un refoulement antécédent, un refoulement originaire. ce refoulement est assimilé par Freud à une fixation résultant d'un refus de prise en charge d'un représentant d'une pulsion par le conscient. Le représentant ainsi refoulé subsiste de façon inaltérable et demeure lié à la pulsion. On notera que Freud n'est guère explicite quant à la véritable origine du processus ; d'où proviennent les éléments attractifs de l'inconscient responsables de cette première fixation? A défaut de réponse claire, il émet l'hypothèse, en 1926, d'une effraction primordiale résultant d'une force d'excitation particulièrement intense. Le retour du refoulé, troisième temps du refoulement, se manifeste sous la forme de symptômes - rêves, oublis et autres actes manqués - que Freud considère comme des formations de compromis.

Dans la seconde topique, le refoulement est rattaché à la partie inconsciente du Moi. En ce sens, Freud peut dire que le refoulé fusionne, comme cette partie du Moi, avec le Ça. "Le refoulé, écrit Freud dans Le Moi et le 9a, n'est nettement séparé du Moi que par les résistances du refoulement, tandis que par le Ça il peut communiquer avec lui."

     C'est surtout après Freud que la théorie psychanalytique peaufine cette présentation du refoulement, en tentant de répondre aux interrogations pendantes.

 

Le refoulement, pierre d'angle des mécanismes de défense

  Pivot historique et évolutif, le concept de refoulement a suscité et suscite encore de nombreuses propositions métapsychologiques confirmant ou distordant les perspectives freudiennes. Pour autant, Alain de MIJOLLA, Sophie de MIJOLLA MELLOR et leurs collaborateurs, dans leur somme Psychanalyse se limitent à suivre la démarche freudienne. Il est vrai que les multiples variations sur le refoulement appartiennent à des démarches propres à leurs auteurs et demeurent autant d'investigations sur le sens à lui donner.

   Le terme de refoulement, écrivent-ils, "est souvent pris dans une acceptation générale qui la rapproche (...) de celui de défense, tel que Freud l'envisageait au début de ses études sur les psychonévroses et particulièrement de ses études sur l'hystérie. Mais insistons sur le fait qu'avec le refoulement s'inaugure la découverte de l'Inconscient, qu'il est la condition et l'inspiration d'autres découvertes. (...)".

"Si le mécanisme, poursuivent-ils, de refoulement privilégie l'approche des hystériques, il joue aussi un rôle capital dans les autres affections mentales, ainsi d'ailleurs qu'en psychologie normale en tant que constituant majeur. Il se retrouve au moins comme un temps de nombreux processus défensifs complexes et prototype d'autres opérations défensives. On peut aussi avancer que son défaut d'accomplissement met en jeu d'autres défenses plus massives et que ce défaut est le signe de psychopathologies plus sévères que les psychonévroses classiques, entrant par exemple dans les modèles déficitaires de la perversion, des états-limites, des psychoses, des modèles psychosomatiques."

    La théorie du refoulement mise en avant par Freud et nombre de ses continuateurs se développe - étant donné que dans la grande majorité des études, c'est le Moi qui est l'instance refoulante, pour prendre la deuxième topique de Freud, la plus largement utilisée - dans la recherche du refoulement originaire, de la qualité du refoulé, des modalités des censures et des aspects qualitatifs et quantitatifs de la répression.

  

Le refoulement originaire

  Freud fait l'hypothèse d'un premier temps appelé refoulement originaire. C'est un processus hypothétique décrit comme premier temps de l'opération de refoulement, temps de formation d'un certain nombre de représentations inconscientes constitutives du "refoulé originaire". Ce premier temps ne porterait pas sur la pulsion en tant que telle mais sur les signes, ses représentants qui n'accèdent pas à la conscience et auxquels la pulsion reste fixée. Le mécanisme de ce refoulement originaire ne vient pas du Moi, il s'agit d'un contre-investissement primaire. C'est que la pulsion, très liée aux processus biologiques, reste et persiste dans son activité, quel que soit ses représentants.

Quant à savoir quelle est ce mécanisme primaire, Freud n'en dit pas grand chose, et reste prudent. Prudence que ne partage pas tous ses continuateurs, entre autres Mélanie KLEIN, qui recherche dès le plus jeune âge les dynamismes biologiques, mais aussi certains neurologues, notamment dans les débuts du développement de ce qu'on a appelé les neurosciences, dans leur tentative d'établir des ponts de plus en plus précis entre ces dynamismes biologiques et des manifestations psychanalytiques.

En tout cas, pour reprendre les cheminements de la pensée de Freud, les noyaux inconscients ainsi constitués collaborent ensuite au refoulement proprement dit par l'attraction qu'ils exercent sur les contenus à refouler, conjointement à la répulsion provenant des instances supérieures. Ce refoulement se distingue ainsi du refoulement proprement dit, appelé refoulement après coup.

Des relations étroites existent entre le refoulement originaire et la fixation, fixation de la pulsion à une représentation avec inscription de cette représentation dans l'Inconscient sans passage préalable dans le Conscient. C'est le contre-investissement primaire qui représente la défense permanente dans un refoulement originaire, mais, qui, aussi, garantit sa permanence. Le contre-investissement est le seul et unique mécanisme du refoulement originaire. Dans le refoulement proprement dit, s'y ajoute le retrait de l'investissement préconscient. Cette réflexion de Freud entraine des questionnements. peut-on parler d'une défense originaire? d'un mécanisme originaire de défense?

 

La quête du refoulé

   Cette recherche sur son contenu, sur ce que représentent les rejetons en quelque sorte du refoulé qui peuvent avoir subi des modifications des traces initiales, conduit Freud à ses grandes découvertes. La levée du refoulement serait la raison d'être de la psychanalyse.

Dans le cadre du processus analytique, l'analyse des résistances est bien le moyen de parvenir à une prise de conscience du refoulé et à une levée du refoulement. Anna Freud, en 1949, précise qu'il faut d'abord passer par la compréhension et l'analyse des défenses à l'origine des résistances à la psychanalyse, avant d'aborder l'analyse des contenus, d'en faire l'interprétation.

Le symptôme névrotique apparait comme un compromis entre le refoulement et le refoulé, un point de coïncidence entre le désir et l'interdit. Le refoulement s'avère ainsi défense contre et compromis du conflit névrotique, le refoulé entrant dans la constitution du symptôme.

 

Les censures

     La censure semble jouer un rôle important ; agissant à différents niveaux de l'appareil psychique, elle devient plurielle. Est-elle un mécanisme de défense? C'est une fonction qui tend à interdire aux désirs inconscients et aux formations qui en dérivent, l'accès au système préconscient/conscient. Selon Freud, la censure est une fonction permanente, elle constitue un barrage sélectif et se trouve donc aussi à l'origine du refoulement. Dans le cadre de la seconde topique, Freud est amené à englober la fonction de censure dans le champ plus large de la défense, d'une défense qui pourrait aussi être en rapport avec le SurMoi. La censure est ainsi "le censeur du Moi", une instance d'auto-observation. Mais la censure déformant, dénaturant la représentation refoulées, la falsifiant même, rend plus malaisé et plus complexe le processus de la cure, le retour du refoulé.

 

La répression

   Le terme répression est maintenant fréquemment employé en psychanalyse et par les psychosomaticiens, bien que son usage soit parfois mal codifié. Dans un sens large, il recouvre une opération psychique qui tend à faire disparaitre de la conscience un contenu déplaisant et inopportun : idées, affects, etc. Ce terme apparait chez Freud en 1905. Ce niveau élargi peut faire penser qu'il recouvre l'ensemble des mécanismes de défense, mais nombre de ceux-ci ne comportent pas l'exclusion d'un contenu hors du champ de la conscience. Par ailleurs, à l'inverse de la plupart des autres mécanismes de défense et notamment du refoulement, la répression semble être un mécanisme conscient, jouant au niveau de la seconde censure que Freud situe entre le conscient et le préconscient. Il s'agit donc d'une exclusion hors du champ de la conscience "actuel" et non du passage du système Préconscient/Conscient au système inconscient. Ces notions d'actuel et de non-passage par le Préconscient placent la répression en élément clé de l'approche théorique de certains psychosomaticiens (P. Marty, 1989). La répression signale le signe d'une insuffisance du fonctionnement préconscient, un raté de l'organisation névrotique, une sorte de "refoulement du pauvre". Ce mécanisme semble ici une des voies d'aboutissement possible de la "vie opératoire".

Ce terme, par ailleurs, est surtout employé lorsqu'il s'agit du "traitement" de l'affect.

 

Sous la direction de Alain de MIJOLA et Sophie de MIJOLLA-MELLOR, Psychanalyse, PUF, 1999. Élisabeth ROUDINESCO et Michel PLON, Dictionnaire de la psychanalyse, Le Livre de Poche, 2011.

 

PSYCHUS

    

 

 

 

 

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25 avril 2019 4 25 /04 /avril /2019 08:51

      Le terme "défense", indique Elsa SCHMID-KIDSIKIS, désigne "toutes les techniques dont se sert le Moi dans des conflits qui peuvent éventuellement mener à la névrose. Dans sa première acception freudienne, la qualité inconsciente des défenses est due au conflit entre la pulsion et le Moi et aux caractères inconciliables d'une perception ou d'une représentation (souvenir, fantasme, etc) avec les impératifs moraux. Les défenses ont ainsi pour fonction de maintenir et de prolonger un état de constance psychique en évitant l'angoisse et le déplaisir." La notion de défense, poursuit-elle, "acquiert une certaine extension à partir du moment où Freud attribuera de l'importance au principe de réalité et au pouvoir exercé par le Surmoi. Mélanie Klein, pour sa part, ira jusqu'à concevoir des défenses au niveau d'un Moi archaïque."  Dans la correspondance de FREUD à Wilhelm FLIESS en 1894, il considère que la notion de défense est en relation avec celle de conflit, et précisément "c'est contre la sexualité que se dresse la défense".

L'analyse de la défense qui met en scène le conflit entre la pulsion et le Moi, alors que ce dernier est conçu comme agent conscient du refoulement est approfondie par Sigmund FREUD dans ses "Nouvelles remarques sur les psychonévroses de défense" de 1896. Il y présente la défense comme "point nucléaire" dans le mécanisme  psychique des névroses. Il souligne de manière plus claire à propos des symptômes la qualité inconsciente du mécanisme psychique de la défense due au caractère inconciliable d'une représentation avec les impératifs moraux. Dans le texte intitulé "le refoulement", de 1915, il fait apparaître ce mécanisme comme une défense "qui ne peut se produire qu'une fois établie une distinction entre les activités conscientes et inconscientes, et qui, suivant sa nature même, son rôle est de rejeter hors du conscient, de maintenir éloigné de ce dernier tout ce qui doit être refoulé".

FREUD note beaucoup plus tard, qu'après avoir abandonné durant 30 ans, "le terme de processus de défense" et lui avoir substitué celui de refoulement (sans vraiment avoir précisé la relation pouvant exister entre ces deux concepts), il voir un avantage certain à revenir "au vieux concept de défense". Entretemps, les polémiques entre lui et ses disciples à ce propos ont peut-être introduit des confusions, qui mettent en musique des relations de plus en plus complexes entre les différentes instances du psychisme. FREUD écrit qu'il ne s'agissait là que d'un abandon partiel, puisqu'il traite du déni de castration à propos des théories sexuelles infantiles du "petit Hans" et plus explicitement à propos du fétichisme, concept qui occupe une place centrale dans son oeuvre avec celui de négation qu'il définit comme représentant une "sorte d'acceptation intellectuelle du refoulé tandis que persiste ce qui est essentiel dans le refoulement". Ainsi, un "contenu de représentation ou de pensée refoulé peut se frayer la voie jusqu'à la conscience à la condition de se faire nier". Il traite également de la sublimation, notion déjà présente dans "Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci" de 1910, et reprise en 1923 dans Le Moi et le ça à propos de l'énergie du Moi que FREUD définit comme une énergie "désexualisée" et "sublime". N'empêche que ce besoin de remettre au premier plan la notion de défense provient directement de la nécessité pour le fondateur de la psychanalyse de dresser une discipline cohérente face à toutes les polémiques et toutes les attaques dans les milieux de la psychologie et de la médecine...

On peut sans doute écrire toutefois comme le fait notre auteure que "c'est probablement grâce à ces distinctions, qui précèdent Inhibition, symptôme et angoisse (1926), que Freud pourra donner à ce "vieux concept de défense" une fonction plus large (tout en délimitant la notion de refoulement) dans la mesure où la défense désignerait "de façon générale toutes les techniques dont se sert le Moi dans ses conflits, qui peuvent éventuellement mener à la névrose, tandis que nous gardons le terme de refoulement pour l'une de ces méthodes de défense en particulier".

    Dans  la lignée des travaux de son père, Anna FREUD cherche à élaborer une théorie valorisant le fonctionnement des trois instances de la deuxième topique. Elle décrit en particulier le fonctionnement du Moi (Le Moi et les mécanismes de défense, 1936) qui, devenant "méfiant" face à l'offensive des pulsions, "se livre à une contre-offensive et envahit les territoires du ça. Il tend à paralyser définitivement les pulsions en adoptant des mesures de défense propres à sauver sa protection".

Pour bien comprendre ces théories, il faut constamment se placer du point de l'enfant qui fait face, jusqu'à l'âge adulte où il en garde la mémoire qui structure d'ailleurs son caractère, à de constants changements corporels et d'humeurs déstabilisants, poussées auxquels il tente d'opposer de véritables stratégies de défense, s'inspirant souvent des exemples autour de lui et des sentiments de la société dans son ensemble à l'égard précisément de ces changements...

    Dans la même lignée de pensée, René SPITZ, dont les travaux sur le développement précoce situent les premiers mécanismes de défense dès l'apparition du deuxième organisateur (l'angoisse dite du huitième mois ou encore dite de l'étranger), précise que ceux-ci sont à leurs débuts "au service de l'adaptation plutôt que de la défense au sens strict du terme". C'est avec l'établissement de l'objet et le commencement de l'idéation que leur fonction change. Dès l'intrication des pulsions agressives et libidinales, certains mécanismes de défense, l'identification en particulier, "acquièrent la fonction qu'ils remplissent à l'âge adulte". Ainsi, l'approche choisie par Anna FREUD pour rendre compte du fonctionnement psychique donne un certain pouvoir aux fonctions adaptatives du Moi. Ses travaux sont par la suite fréquemment cités en référence par le mouvement dit de la Psychologie du Moi qui se constitue dans les années 1950 aux États-Unis. Heintz HARTMANN (avec Ernst KRIS et Rudolph M. LOEWENSTEIN), parallèlement à ses travaux et à l'intérieur du mouvement de l'Ego-Psychology, développe sa théorie du Moi dans ses rapports avec le problème de l'adaptation ou en d'autres termes "la sphère du Moi libre de conflit" ou encore le développement autonome du Moi (La Psychologie du Moi et le problème de l'adaptation, 1936). le fonctionnement psychique dans son ensemble est vu sous l'angle de la défense dans sa recherche d'un équilibre.

    A l'époque où Anna FREUD publie ses premiers travaux psychanalytiques, Melanie KLEIN introduit une ligne de pensées qui, si elle bouscule l'orthodoxie freudienne par la précocité qu'elle attribue au fonctionnement des instances psychiques, redonne à l'angoisse et au conflit psychique leur importance fondamentale. Elle s'appuie sur la deuxième théorie freudienne des pulsions en attribuant une place centrale à la pulsion de mort et aux conflits entre l'amour et la haine. Elle développe ainsi ses idées sur les mécanismes de défense précoces déjà présents, selon elle, lors des premiers mois de la vie au cours de la position schizo-paranoïde.

Elsa SCHMID-KITSIKIS note que "le concept de défense dans son évolution et son utilisation depuis Freud a subi une certaine banalisation aussi bien en psychologie clinique qu'en psychanalyse. Il désigne alors soit un comportement relativement conscient de refus d'une réalité psychique (ce qui le rend plus proche du concept de résistance), soit un mouvement psychique qui cherche à échapper à l'angoisse et au déplaisir en vue d'une adaptation et d'un état d'équilibre. Il en résulte que la fonction de la défense en tant que mécanisme nécessaire à la croissance psychique est souvent négligé."

   Élisabeth ROUDINESCO et Michel PLON effectue dans leur Dictionnaire une semblable présentation, sauf qu'ils considèrent surtout les travaux de Sigmund FREUD, d'Anna FREUD et de Mélanie KLEIN, faisant également une place sur l'apport de Jacques LACAN. Ce dernier combat la conception qui mène à l'Ego-Psychology, notamment dans divers articles des années 1950-1960. L'auteur des Écrits la dénonce comme une trannsformation de la psychanalyse en une démarche adaptative, une forme d'orthopédie sociale contre laquelle il entreprend son "retour à Freud".

 

Élisabeth ROUDINESCO et Michel PLON, Dictionnaire de la psychanalyse, Le livre de poche, Fayard, 2011. Elsa SCHMID-KITSIKIS, Défense, dans Dictionnaire international de la psychanalyse, Sous la direction de Alain de Mijolla, Grand Pluriel, Hachette Littératures, 2005.

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19 janvier 2018 5 19 /01 /janvier /2018 14:10

    De tout temps, le soldat est soumis à fortes pressions psychologiques sur les champs de bataille et même lors des casernements. Qu'il soit appelé ou engagé, le soldat vit la guerre et en subit les dommages physiques et psychologiques les plus divers. Sans doute parce que les dommages psychiques sont bien moins visibles que les blessures et mutilations et aussi parce que la morale militaire assimile vite la lâcheté aux symptômes constatés, ils n'ont fait l'objet d'études systématiques que depuis peu.

 

Les troubles comportementaux de guerre...

C'est dans les sociétés "pacifiques" que l'on peut rencontrer ce stress dans la vie civile et sans doute est-il encore plus important que dans la guerre elle-même, bien plus que dans des sociétés à propension belliqueuse. On ne risque peut-être pas grand chose en estimant que dans la plupart des cas dans le passé, hormis ceux des officiers estimés, leur existence a souvent été niée.

Ce stress post-traumatique a été également constaté lors de graves accidents sur les survivants, que ce soit sur mer, sur terre ou dans l'air, et c'est lors des catastrophes aériennes, en ce qui concerne les civils, que l'on a pris très tôt conscience de l'existence de tels stress.  Qu'ils soient civils ou militaires, les personnes confrontées un jour ou l'autre à un événement traumatique qui met en question leur perception du monde ou même d'elles-mêmes, présentent des comportements physiologiques comme psychologiques qui persistent longtemps.

On constate, dans le civil comme dans les armées, une très grande variabilité dans les atteintes psychiques. Au Canada, on estime que jusqu'à 10% des vétérans ayant été affectés dans une zone de guerre, y compris des membres des forces de maintien de la paix de l'ONU, seront atteints d'une affection chronique appelée état de stress post-traumatique (ESPT), alors que d'autres n'éprouveront que certains des symptômes associés à ce trouble.

     Cet état de stress post-traumatique, celui subi par le soldat, fait partie d'un ensemble de troubles comportementaux de guerre, troubles psychiques et relationnels, parfois associés à des troubles psychomoteurs, connu depuis l'Antiquité. Rappelons que les troubles les plus fréquents constatés, par ordre de gravité, sont :

- insomnie ;

- cauchemars ;

- paranoïa ;

- culpabilité ;

- hallucinations ;

- dissociations de la personnalité ;

- comportements suicidaires : alcoolisme, consommation de drogues...

Tous ces symptômes sont renforcés par une impossibilité, au retour dans la famille ou la vie civile, de dire ou partager la violence qui a été donnée, vécue et ressentie, ce qui peut conduire à une désociabilisation. L'ancien soldat se plaçant par exemple souvent dans une situation d'incompris qui renforce sa vie solitaire ou avec d'autres soldats. Comme ceci est favorisée souvent par l'attitude globale de la société qui ne veut pas ou qui ne veut plus entendre parler de la guerre, ou d'une guerre précise. De plus, de nombreux soldats sont en outre tenus à un devoir de réserve ou ont dû promettre de ne pas révéler ce qu'ils ont fait ou vu, éventuellement contre leur gré et sous la menace. L'institution militaire, non seulement ne prend pas en charge souvent cet état psychique, mais renforce le secret autour. 

Dès la Première Guerre Mondiale, la psychiatrie militaire a identifié divers syndromes, plus ou moins bien compris dits "Shell-Shock", "Battle Fatigue" et "Battle Stress". De nombreux soldats étaient accusés d'être des simulateurs, et beaucoup ont été fusillés ou enfermés pour désertion pour cette raison.

 

 Les troubles de stress post-traumatique....

      C'est bien avant les Guerres du Golfe que sont intervenues, sous l'influence notamment des mouvements pacifistes et féministes et d'une partie du mouvement des anciens combattants dans les années 1980, de très nombreuses études autour de ce qu'on a appelé l'état de stress post-traumatique (ESPT). L'état d'épuisement physique et moral constaté sur place au combat ou à l'exposition d'armes chimiques ou encore de munitions toxiques, voire à une alimentation avariée, se prolonge dans le temps en un ensemble de  troubles de comportements.

     Historiquement, même si l'appellation n'est pas encore fixée, les premières études remontent à la fin du XIXe siècle, avec par exemple les approches du neurologue allemand Hermann OPPENHEIM (1889), qui utilise le terme de "névrose traumatique" pour décrire la symptomatologie présentée par des accidentés de la construction du chemin de fer.

      A strictement parler, le TSPT désigne un type de trouble anxieux qui se manifeste à la suite d'une expérience vécue comme traumatisante, avec une confrontation à des idées de mort. Le trouble de stress post-traumatique est une réaction psychologique consécutive à une situation durant laquelle l'intégrité physique et/ou psychologique du patient et/ou de son entourage a été menacée et/ou effectivement atteinte (notamment accident grave, mort violente, viol, agression, maladie grave, guerre, attentat-. Les capacités d'adaptation du sujet sont débordées. la réaction immédiate à l'événement se traduit par une peur intense, par un sentiment d'impuissance ou par un sentiment d'horreur. 

En terme de classification, dans le DSM V, le trouble de stress post-traumatique (TSPT), moins fréquent que la réponse aigüe au stress, est un trouble anxieux. Les symptômes caractéristiques apparaissent après un événement traumatique. Dans ce cas, l'individu souffrant de TSPT évite systématiquement tout événement ou discussions menant à ses émotions. Malgré ces stratégies de défense, l'événement revient sans cesse dans les pensées de l'individu en flashback ou en cauchemar. Les symptômes caractéristiques sont considérés sévères moins de trois mois après l'événement déclencheur et chroniques si persistants au bout de trois moins et plus. Le TSPT est différent de la réaction aigüe au stress. Il peut entrainer une altération clinique dans des domaines importants du fonctionnement physiologique.

 

Des troubles bien difficiles à éradiquer...

      Les symptômes persistants peuvent être classés dans trois grandes catégories : l'intrusion, l'évitement et l'hypervigilance. Ceci sans évoquer encore les problèmes connexes : dépression,  usage de l'alcool et des drogues, "dysfonctionnement" dans la vie familiale et dans les relations professionnelles. Diverses thérapeutiques sont proposées, avec plus ou moins d'efficacité, notamment sur le plan alimentaire, sur la gestion du sommeil, avec l'usage ou non d'une pharmacopée, qui n'a que des effets immédiats (au mieux), si l'ensemble de l'entourage et la société globale n'aide pas le patient. On peut penser que le climat "anti-terroriste" entretenu par les médias ne favorise pas son rétablissement. 

    On peut lire déjà dans le DSM IV, qui distingue l'état de stress post-traumatique de l'état de stress aigu comme d'ailleurs de l'anxiété généralisée :

" A - Le sujet a été exposé à un événement traumatique dans lequel les deux éléments suivants étaient présents :

- le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté à un événement ou à des événement durant lesquels des individus ont pu mourir ou être très gravement blessés ou bien ont été menacés de mort ou de grave blessure ou bien durant lesquels son intégrité physique ou celle d'autrui a pu être menacée.

- la réaction du sujet à l'événement s'est traduite par une peur intense, un sentiment d'impuissance ou d'horreur.

   B - L'événement traumatique est constamment revécu (intrusion), de l'une (ou de plusieurs) des façons suivantes :

- souvenirs répétés ou envahissants de l'événement provoquant une sentiment de détresse et comprenant des images, des pensées ou des perceptions ;

- rêves répétitifs de l'événement provoquant un sentiment de détresse ;

- impression ou agissements soudains "comme si" l'événement traumatique allait se reproduire (incluant le sentiment de revivre l'événement, des illusions, des hallucinations, et des épisodes dissociation (flash-back), y compris ceux qui surviennent au réveil ou au cours d'une intoxication) ;

- sentiments de détresse psychique, lors de l'exposition à des indices internes ou externes évoquant ou ressemblant à un aspect de l'événement traumatique en cause ;

- réactivité physiologique lors de l'exposition à des indices internes ou externes pouvant évoquer ou ressembler à un aspect de l'événement traumatique en cause.

  C - Evitement persistant des stimulus associés au traumatisme et émoussement de la réactivité générale (ne préexistant pas au traumatisme), comme ne témoigne la présence d'au moins trois des manifestations suivantes :

- efforts pour éviter les pensées, les sentiments ou les conversations associées au traumatisme   ;

- efforts pour éviter les activités, les endroits ou les gens qui éveillent des souvenirs du traumatisme ;

- incapacité de se rappeler d'un aspect important du traumatisme ;

- réduction nette de l'intérêt pour des activités importantes ou bien réduction de la participation à ces mêmes activités ;

- sentiment de détachement d'autrui ou bien de devenir étranger par rapport aux autres ;

- restriction des affects ;

- sentiement d'avenir "bouché".

   D - Présence de symptômes persistants traduisant une activation neurovégétative (ne préexistant pas au traumatisme) comme en témoigne la présence d'au moins deux des manifestations suivantes :

- difficulté d'endormissement ou sommeil interrompu ;

- irritabilité ou accès de colère ;

- difficultés de concentration ;

- hypervigilance (par rapport à tout ce qui peut rappeler le traumatisme, peur d'avoir peur...) ;

- réaction de sursaut exagérée.

   E - La perturbation (symptôme des critères B, C, D) dure plus d'un mois.

  F - la perturbation entraine une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d'autres domaines importants."

Le manuel DSM IV précise aussi, ce qui contribue parfois à des brouillages de diagnostic, mais cela est général pour tout le DSM et cela empire avec les suivants..., de spécifier si cet état est aigu (durée des symptômes de moins de trois mois), chronique (si la durée des symptômes est de trois mois ou plus) ou différé (si le début des symptômes survient au moins six mois après le facteur du stress)...

  La littérature est si abondante de nos jours sur ce sujet qu'on peut facilement s'y perdre. La littérature psychiatrique est très abondante, et plus "popularisée" que les réflexions sociologiques ou politiques sur ce stress. 

 

Mini DSM IV-TR, Critères diagnostiques, Masson, 2005. Journal international de victimologie (articles en libre accès, revue financée par le conseil de recherches en sciences humaines du Canada, www. jidv.com). Claude BARROIS, Les névroses traumatiques : Le psychothérapeute face aux détresses des chocs psychiques, Dunod, 1998. 

PSYCHUS

 

     

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9 octobre 2017 1 09 /10 /octobre /2017 12:30

      Trickster est d'abord la dénomination anglaise du mythe du fripon tel qu'il a été étudié chez les Indiens d'Amérique du Nord. Personnage farceur et rusé, le trickster symbolise le renversement de l'ordre établi. Il possède nombreux équivalents : clown, pitre, bouffon... et est mis en scène dans des rites collectifs : saturnales, carnaval, liturgies parodiques, etc. Ses effets ont été décrits notamment par l'anthropologue Paul RADIN et le mythologue Karl KERENYI dont les travaux ont influencé JUNG? Le psychanalyste a proposé une interprétation psycho-dynamique de ce mythe, aussi bien sur le plan individuel que sur le plan collectif.

Il faut noter que sous une apparente gentillette, grotesque ou inoffensive, à la manifestation passagère, se trouve une véritable mise en cause de l'ordre tel qu'il est : si les moqueries et les plaisanteries sont prises au deuxième degré (la farce rigolote...) par la plupart des spectateurs ou acteurs, le fond même de ce qui est moqué est une remise en cause de façon la  plus radicale, même s'il n'y a pas chez le clown, le fripon ou le bouffon d'analyse longue des situations. Si le bouffon à la cour des Rois exprime ce que tout le monde pense sans oser le dire, et sur un ton souvent très ambigü, à cause précisément des menaces potentielles parfois graves qui pèsent contre tous ceux qui veulent émettre une critique en bonne et due forme avec une argumentation offensive, ses avis et humeurs sont souvent bien analysés par les conseillers royaux, sinon par le Roi lui même (qui guettent à travers lui des signes d'alarmes sur ce "qui ne va pas"). Le clown, s'il est vu de manière encore plus "rigolote" agit tout de même de façon parfois bruyante, abrupte et moqueuse même si sa façon habile de faire est de  retourner contre lui les rires. 

    Laura MAKARIUS se livre à une analyse du Trickster, d'abord par l'étude du phénomène rituel de la violation magique des interdits et de la situation dans laquelle le violateur vient à se trouver, ensuite par un examen de trois figures de héros "tricktiens" dans trois continents, notamment sur les traits qui les caractérisent qui sont ceux du violateur et enfin par la description de l'activité du "trickster", comme projection, sur le plan du mythe, du violateur rituel d'interdits, des contradictions formant la texture du personnage, à la lumière des contradictions et de l'ambivalence inhérentes à la violation.

   Paul RADIN, co-auteur avec Charles KERENSKI et Carl Gustav JUNG écrit dans Le Fripon divin. Un mythe indien (Goerg, 1958, traduction de The trickster : a study in American Indian Mythologie, Londres, Rutledge and Paul, 1956) qu'il "n'est guère de mythe aussi répandu dans le monde entier que celui connu sous le nom de "mythe de Fripon" dont nous nous occuperons ici. Il y a peu de mythe dont nous puissions affirmer avec autant d'assurance qu'ils appartiennent aux plus anciens modes d'expression de l'humanité ; peu d'autres mythes ont conservé leur contenu originel de façon aussi inchangée. (...) Il est manifeste que nous nous trouvons ici en présence d'une figure et d'un thème, ou de divers thèmes, doués d'un charme particulier et durable et qui exercent une force d'attraction peu ordinaire depuis les débuts de la civilisation". 

      JUNG, l'étudie surtout à partir de 1943, dans Essai sur la symbolique de l'esprit, Le fripon divin et dans Réponse à Job. Le Trickster représente une structure archétype "provenant des temps les plus reculés" et liée à "une conscience indifférenciée qui a à peine quitté le plan animal" (le fripon divin). La nature double, animale et divine, l'inconscience, l'impulsivité, la mobilité, la versatile rapprochent le Trickster du Mercure des alchimistes (Essai sur la symbolique de l'esprit) et en font une figure de la transformation psychique. Son effet principal est le renversement.A ce titre, il incarne la dynamique de l'ombre dans une conscience trop unilatérale et dominée par le moi. Sa survenu dans les rêves, lapsus, actes manqués, voire dans des situations vécues comme chaotiques, signale la libération d'une énergie compensatrice. A une autre échelle, il est un symbole de l'ombre collective, rappelant au groupe social les états antérieurs archaïques, à la fois pour empêcher l'oubli et pour signaler leur aspect révolu (Le fripon divin). Agissant dans des registres variés allant du rire et de l'ironie au sarcasme et au non-sens, le symbole du Trickster ouvre la voie à un sens caché et porte en lui un sauveur potentiel. Certains le voient à l'oeuvre par exemple dans la résurgence actuelle des gourous.

A partir de 1943, les travaux de comparaison et d'amplification de jUNG s'étendent dans les  domaines de la mythologie, de l'alchimie et de la religion. Dans Réponse à Job, il voit en effet dans la puissance, le caractére imprévisible et capricieux du Trichster des traits attribués à Yahvé dans l'Ancien Testament.

Il se dégage des caractéristiques diverses et opposées du Trickster une dynamique du changement par énantiodromie (retour naturel du contraire) qui fait référence à la théorie d'Héraclite.

La richesse et la variété des données de ce mythe suscitent une interrogation méthodologique : peut-on interpréter de la même façon des contenus symboliques lorsqu'on passe de l'échelle collective à l'échelle du psychisme individuel? (Claire DORLY)

     Les travaux autour du fripon divin permettent à JUNG de développer le concept d'enfant intérieur (enfant divin), en apportant sa contribution à l'étude de la psychologie du fripon. 

    Claire DORLY discute de ce qu'elle appelle la dérangeante diversité des registres de l'ombre et c'est précisément dans ces registres que l'on pourrait situer le trickster. 

    La perspective de JUNG, à travers l'ouvrage Le fripon divers, envisage l'existence d'un processus qui renvoie à un archétype présent dans chaque être humain, quelle que soit sa culture. Ce universalité se retrouverait au travers du fripon divin. Lequel est la figure de la petite créature mythique des légendes mais bien plus il est aussi une composante de notre âme. Celle qui permet à l'enfant et plus tard à l'adulte d'avoir ce dialogue intérieur qui lui permet de se situer dans le monde et de grandir toujours, de se renouveler toujours. Ceci dans un rapport au monde fondamentalement ambigu : il a besoin du monde mais ne veut pas croire qu'il s'agit de ce monde-là qu'il a besoin ; il s'affirme dans le monde tout en le critiquant. Il n'y a pas de visée à transformer le monde, mais plutôt à se centrer sur soi, ce qui n'empêche pas dans l'expression de la critique de le remettre en cause parfois de façon absolue. L'adulte cherche à retrouver toujours cette forme de dialogue avec l'enfant qu'il était et qu'il lui semble, en fin de compte être toujours, face à l'univers si vaste et si rempli de dangers et d'espoirs. L'ombre dont il est question n'est pas seulement l'ombre du monde, mais également la sienne propre, c'est pourquoi le comportement intérieur (dans le dialogue intérieur) et le comportement à l'extérieur est fondamentalement ambigüe. Tout cela, ou quelque chose de très approchant, JUNG tente de l'imager dans l'évocation des rêves, des mythes, des contes et des récits folkloriques.

Ses ouvrages ne sont jamais didactiques et on pourrait d'ailleurs rapprocher son style de celui de NIETZSCHE... C'est d'ailleurs pourquoi des thérapeutiques en psychologie ou en psychanalyse utilisent ses notions avec souplesse, et singulièrement la figure du trickster s'y prête. Il y a toujours chez nous une partie d'espièglerie, de critique radicale et en même temps de besoin de se raccrocher au monde (besoin de soin et d'attention), même en se comportant en fin de compte, passé l'expression friponne, en véritable conformiste. Ce qui est essentiel pour JUNG, c'est que l'enfant divin tel qu'il le présente, et qui demeure en nous toujours, ne désigne pas une inconscience enfantine, mais une capacité de renaissance et de renouvellement.

 

Claire DORLY, Trichter, dans Le vocabulaire de Jung, Ellipses, 2005 ; la dérangeante diversité des registres de l'ombre, Cahiers jungiens de psychanalyse, 2007/3. Laura MAKARIUS, Le mythe du "Trickster", dans Revue de l'histoire des religions, tome 175, n°1, 1969, www.persee.fr. 

PSYCHUS

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14 février 2017 2 14 /02 /février /2017 14:35

      Il est vrai que nombre de sociologues, psychologues et stratèges ont cédé à une certaine époque (dans les années 1980...) à une certaine mode qui consistait à tout traduire en mathématiques ou en signes mathématiques. Un certain snobisme et une recherche un peu facile d'hermétisme (qui faisait d'un savoir peu élaboré un savoir quand même...) a pu régner dans certaines sphères de la vie intellectuelle, pour camoufler sans doute une baisse de qualité de la réflexion. Cette façon de tout mettre en algèbre ou en géométrie nous horripile d'ailleurs. Toutefois, on ne peut dédaigner chez certains la recherche d'une formalisation qui passe par des mathématiques, parfois très librement adaptées, et sans doute Jacques LACAN est de ceux-là. 

   Le terme mathème est inventé par le psychanalyste français en 1971 pour la formalisation algébrique des concepts de psychanalyse qu'il avait opéré, surtout dans l'optique de leur transmission. Il est employé pour la première fois en décembre 1971, à partir du mythème de Claude LÉVI-STRAUSS et du mot grec ancien qui signifie connaissance, et d'ailleurs le mathème n'appartient pas spécifiquement au champ des mathématiques. Il l'emploie à la suite d'une lecture de Ludwig WITTGENSTEIN et d'une analyse des structures de la psychose en même temps que le noeud borroméen en rapport avec les concepts de Réel, symbolique et imaginaire. Le mathème est un "modèle de langage articulé à une logique de l'ordre symbolique" et le noeud borroméen est "un modèle de structure fondé sur la topologie et opérant un déplacement radical du symbolique vers le réel", si l'on peut reprendre les définitions données par Elisabeth ROUDINESCO et Michel PLON dans leur Dictionnaire de la psychanalyse (Fayard, 1997, réédité en 2011). Jacques LACAN lui-même, qui l'emploi alternativement au singulier et au pluriel, en donne entre 1972 et 1973 plusieurs définitions mais il le relie à l'existence des quatre discours exposés dans son séminaire des années 1969-1970, L'Envers de la psychanalyse, à savoir le discours du maître, le discours universitaire, le discours hystérique et le discours psychanalytique. Où le "mathème" est "l'écriture de ce qu'on ne dit pas mais de ce qui peut se transmettre", dans un autre sens d'ailleurs que celui de WITTGESTEIN dont il s'inspire... 

Le mathème n'est pas une formalisation intégrale puisqu'il suppose toujours un reste qui lui échappe mais il s'appuie sur les matheuse, soit des formulations algébriques des concepts psychanalytiques opérées par LACAN : le signifiant, le stade du miroir, les graphes du désir, le sujet, le fantasme, l'Autre, l'objet a. Il veut montrer l'incompatibilité de la psychanalyse avec le discours universitaire, mais en définitive, comme Jacques-Alain MILLER, nous pensons qu'il s'agit d'une manière d'introduire la psychanalyse comme enseignement universitaire. Cela rejoint notre analyse du début de cet article : en très grande partie, il y a la recherche d'un certain degré de "scientificité" et de "notoriété intellectuelle", dans des combats qui sont autant de l'ordre de l'histoire des idées que de la nécessité de se "placer" dans un parcours professionnel reconnu...

Pour autant, nous nous permettons une petite comparaison entre le système des intégrales en mathématiques, avec des signes qui concentrent des opérations de toutes sortes, évitant de fastidieuses répétitions dans les calculs sur des phénomènes très complexes (dans la physique notamment) et un système de "mathèmes" qui veut reprendre de manière synthétique des résultats d'analyse psychanalytique afin d'aborder des phénomènes agrégés dans le temps et/ou dans l'espace qui régissent la vie psychique, pour leur donner une signification globale. 

   Les lettres, les mathèmes, sont des symboles dont use donc LACAN à des fins de formalisation et de transmission. d'une algèbre à venir, mais qui n'existe pas, et d'une "mathématisation" qui n'en a que le nom puisqu'elle exclut tout calcul et se réduit à quelques symboles indissociables du long discours qui les explicite. Pour l'essentiel, ils sont au nombre de quatre. Une paire de signifiants, S1 et S2, réduction de la chaîne signifiante à des éléments, le signifiant lunaire et le signifiant binaire. Ils suffisent à écrire et définir le sujet/S. Sujet barré par le signifiant, sujet divisé, sujet vidé de tout être et réduit à l'effet du signifiant auquel il s'identifie et en lequel il ne peut se saisir qu'à des représenter en un autre signifiant. Ces trois symboles écrivent la définition du sujet par le signifiant : "Le signifiant est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant". Sujet de l'inconscient et non individu concret.

A cette opération, il y a un reste, qui représente la perte du sujet. C'une un objet au statut particulier dit "objet petit a". Reste produit, déchet de l'opération signifiante, objet perdu, cause du désir, où se symbolisent aussi le réel irréductible et l'être évanescent du sujet aliéné dans le signifiant. A ces lettres, il faut ajouter o barré d'un trait vertical qui ressemble à un oeil, qui symbolise la fonction phallique et S(/A), le signifiant d'un manque dans l'Autre. L'Autre est barré, et ce n'est pas tout ; il lui manque un signifiant. Ce manque est produit par la structure et aussi inclus en elle.

Ces quatre symboles ainsi disposés : S1.S2 sur Sbarré.a à la manière d'une division, forment la structure du secours du maître. Ils occupent chacun une place qui, est, respectivement, celle de l'agent du discours (S1, le signifiant maître ici en place d'agent), celle de l'autre (S2, le savoir), celle du produit du discours (a, le plus à jouir) et celle de la vérité ici occupée par le sujet (S barré). Par rotation, de gauche à droite, des termes dans chacune des places, on obtient trois autres discours, qui sont, dans l'ordre, ceux de l'hystérique, de l'analyste  et de l'université. Chaque discours spécifie un lien social ; dans le discours de l'analyste, le réel est à la place de l'agent.

Parallèlement, LACAN utilise la topologie - le cross-cap et la bande de Moebius, qui lui permet de construire un espace symbolique. Dans les dernières années de son enseignement, il développe cette approche dans une référence à la théorie des noeuds où les ronds de ficelle deviennent des tores. 

Cette présentation de Patrick GUYOMARD tend à restreindre un peu la portée de la mathématisation opérée par LACAN, au rang d'une représentation de ce qui se passe, sans véritable opération algébrique... D'une manière toute analogique en quelque sorte...

  Ce n'est pas exactement ce qu'en pense Jean-Pierre CLÉRO qui défend l'idée d'une véritable mathématisation, en tout cas versant philosophie... Pour lui, au contraire, "les mathématiques sont au coeur de la pensée de Lacan, quand bien même il n'en est pas explicitement question. 

Le discours de Lacan, explique-t-il, tend à l'expression mathématique, même en l'absence de l'algèbre et des figures de la topologie. De deux façons au moins. D'abord, en ce que le désir, l'inconscient et quelques autres notions de la psychanalyse s'énoncent mieux en caractère mathématiques que dans les termes réflexifs du langage ordinaire, qui est aussi le langage philosophique, parce que les signifiants sont la réalité même de leur expression. Si les signifiants du désir s'accommodent d'une traduction en symboles mathématiques, c'est parce que les uns et les autres n'ont pas besoin d'être liés à l'imagination qu'on en réalise le sens pour fonctionner : "Le signifiant se passe de toute cogitation, fût-ce des moins réflexives, pour exercer des regroupements non douteux dans les significations qui asservissent le sujet" (Ecrits). Ensuite, on ne voit pas comment les signifiants, qui relèvent d'un savoir aveugle et symbolique pourraient se doubler d'autres signifiants : il n'existe pas de signifiant qui permette de se signifier lui-même (Séminaire du 9 mai 1962 sur L'identification). Les signifiants du désir ne sont pas une expression au sens strict. Ils en sont la structure, le mode de fonctionnement. les mathématiques offrent le meilleur exemple de ce type de discours qui progresse sans penser, si ce n'est de façon symbolique. Ce sont les mathématiques qui disent le mieux le désir dans sa réalité ultime. Les signes du langage ordinaire le diraient moins bien, quoiqu'on ne puisse jamais "introduire les symboles, mathématiques ou autres, qu'avec du langage courant, puisqu'il fait bien expliquer ce qu'on va faire" (ibid). L'usage des symboles mathématiques a au moins l'avantage de casser les fantasmes identifications de l'interprète."

Notre auteur précise, dans ce plaidoyer, de quelles mathématiques il s'agit, car Lacan dit lui-même "son" algèbre. Il suit des "modèles topologiques quand il utilise la perspective classique, celle de Desargues, et moderne (celle que l'on pourrait trouver chez Carnap qui utilise un tore dans certains passages remarquables de l'Aufbau) ; la bande de Moebius (pour montrer combien est symboliquement cause, quoiqu'elle soit intuitivement claire, la distinction de l'intérieur et de l'extérieur), les noeuds bromées (pour représenter l'articulation du Symbolique, de l'Imaginaire et du Réel, de telle sorte qu'on ne puisse rompre l'un des anneaux sans libérer les deux autres). Toutefois la topologie n'est pas au sens strict une représentation ou une expression : "elle dit bêtement ce qui est". C'est ainsi que lacan l'utilise et pour cette propriété même. Là encore, il nous situe aux antipodes d'une attitude phénoménologique qui prétendait se saisir de l'essence du phénomène étudié. Les symboles mathématiques sont précisément utilisés parce qu'ils ne pensent pas ; ils ne sont ni individualisés ni personnalisés à la façon dont on imagine que le sont les affects, mais ils le sont à la façon des nombres, et parce qu'ils sont matériel, comme peuvent l'être les signifiants. En ce sens, Lacan a parfaitement eu raison de dire que, pas sa mathématisation, sa conception des phénomènes psychiques était matérialiste (Ecrits)."

Jean-Pierre CLÉRO, Lacan, dans Le Vocabulaire des Philosophes, tome 4, Ellipses, 2002. Patrick GUYOMARD, Lacan, dans Encyclopedia Universalis, 2014.

 

 

                                                           

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8 février 2017 3 08 /02 /février /2017 14:07

  Jacques LACAN aborde la question de l'agressivité dans son Rapport théorique présenté au XIème congrès des psychanalystes de langue française à Bruxelles en mai 1948. Il tente, au-delà de la clinique (notamment en criminologie) et de la thérapie, d'en former un concept "tel qu'il puisse prétendre à un usage scientifique, c'est-à-dire propre à objectiver des faits d'un ordre comparable dans la réalité, plus catégoriquement à établir une dimension de l'expérience dont les faits objectifs puissent être considérés comme des variables."

  Il insiste tout d'abord sur le fait "qu'à l'opposé du dogmatisme qu'on nous impute, nous savons que ce (celui de la psychanalyse) système (de concepts) reste ouvert non seulement dans son achèvement, mais dans plusieurs de ses jointures." Cette précaution provient du fait que pour le fondateur de la psychanalyse l'agressivité est très liée à ce qu'il nomme l'instinct de mort dans sa métapsychologie. A la signification parfois énigmatique, il s'agit pour Jacques LACAN d'une aporie de la théorie qu'il entend revisiter, critiquer et remplacer par plusieurs thèses qu'il pense plus correspondre à la réalité, en tout cas de ce qu'il peut constater dans l'évolution à son époque de l'évolution de la psychologie de laboratoire et de cure. Il a alors en tête les travaux des béhavioristes (dont les conclusions lui semblent bien minces en regard des moyens employés) et des praticiens de la cure psychodramatique, qu'elle s'adresse aux enfants ou aux adultes.

Il propose ainsi 5 thèses dont il développe la logique :

- L'agressivité se manifeste dans une expérience qui est subjective par sa constitution même.

- L'agressivité, dans l'expérience, nous est donnée comme intention d'agression et comme image de dislocation corporelle, et c'est sous de tels modes qu'elle se montre efficiente.

- Les ressorts d'agressivité décident des raisons qui motivent la technique de l'analyse.

- L'agressivité est la tendance corrélative d'un mode d'identification que nous appelons narcissique et qui détermine la structure formelle du moi de l'homme et du registre d'entités caractéristiques de son monde.

- Une telle notion de l'agressivité comme d'une des coordonnées intentionnelles du moi humain, et spécialement relative à la catégorie de l'espace, fait concevoir son rôle dans la névrose moderne et le malaise de la civilisation.

    Sur la subjectivité de l'expérience et du coup de l'agressivité elle-même, Jacques LACAN estime pour bien la percevoir qu'il faut revenir sur le phénomène de l'expérience psychanalytique. Chose qui est parfois omise pour "viser des données premières". L'action psychanalytique "se développer dans et par la communication verbale, c'est-à-dire dans une saisie dialectique du sens. Elle suppose donc un sujet qui se manifeste comme tel à l'intention de l'autre."

"Cette subjectivité, poursuit-il, ne peut nous être objectée comme devant être caduque, selon l'idéal auquel satisfait la physique, en l'éliminant par l'appareil enregistreur, sans pouvoir éviter pourtant la caution de l'erreur personnelle dans la lecture du résultat." A noter que même en physique, du fait même que l'appareil enregistreur est conçu pour enregistrer certains résultats et pas d'autres (tous les phénomènes ne peuvent être enregistrés par un seul dispositif ou même un ensemble de dispositifs), et qu'il y a donc toujours en sciences physiques et c'est encore plus vrai en sciences humaines une part de subjectivité dans la lecture des résultats. C'est d'ailleurs ce que la phénoménologie (et pas qu'elle...) veut indiquer depuis longtemps. Mais comme on peut le constater, ce n'est qu'à la condition de rechercher un résultat que celui-ci est opérationnel pour les observateurs. Dans l'analyse, il faut assumer, rappelle LACAN, les risques d'erreurs, sous peine de ne rien analyser du tout... Il s'agit de dominer ces risques par une technique rigoureuse.

Les résultats d'une analyse peuvent-ils fonder une science positive, se demande LACAN. "Oui, si l'expérience est contrôlable par tous. Or, constituée entre deux sujets dont l'un joue dans le dialogue un rôle d'idéale impersonnalité (point qui requerra plus loin note attention), l'expérience, une fois achevée et sous les seules conditions de capacité exigible pour toute recherche spéciale, peut être reprise par l'autre sujet avec un troisième. Cette voie apparemment initiatique n'est qu'une transmission par récurrence, dont il n'y a pas lieu de s'étonner puisqu'elle tient à la structure même, bipolaire, de toute subjectivité. Seule la vitesse de diffusion de l'expérience en est affectée et si sa restriction à l'aire d'une culture peut être discutée, outre qu'aucune saine anthropologie n'en peut tirer objection, tout indique que ses résultats peuvent être relativisés assez pour une généralisation qui satisfasse au postulat humanitaire, inséparable de l'esprit de la science."

  L'agressivité est donnée comme intention d'agression et comme image de dislocation corporelle.

"L'expérience analytique nous permet d'éprouver la pression intentionnelle. Nous la lisons dans le sens symbolique des symptômes, dès que je sujet dépouille les défenses par où il les déconnecte de leurs relations avec sa vie quotidienne et avec son histoire - dans la finalité implicite de ses conduites et de ses refus - dans les ratés de son action - dans l'aveu de ses fantasmes privilégiés, - dans les rébus de la vie onirique. Nous pouvons quasiment la mesurer dans la modulation revendicatrice qui soutient parfois tout le discours, dans ses suspensions, ses hésitations, ses inflexions et ses lapsus, dans les inexactitudes du récit, les irrégularités dans l'application de la règle, les retards aux séances, les absences calculées, souvent dans les récriminations, les reproches, les craintes fantasmatiques, les réactions émotionnelles de colère, les démonstrations à fin intimidante ; les violences proprement dites étant aussi rares que l'impliquent la conjoncture de recours au a mené au médecin le malade, et sa transformations, acceptée par ce dernier, en une convention de dialogue." Cette agressivité qui s'exprime dans des contraintes réelles ne doit pas masquer le fait que la voie de l'expressivité est aussi forte que la manifestation physique. Par exemple, un parent sévère intimide par sa seule présence et l'image du Punisseur a à peine besoin d'être brandie pour que l'enfance la forme.

Elle retentit, rappelle LACAN, "plus loin qu'aucun sévice". La psychanalyse révèle ces phénomènes mentaux qu'on appelle les images ; elles forment le sujet et la cure doit révéler leurs inflexions. Entre les divers imago, il en est "qui représentent les vecteurs électifs des intentions agressives, qu'elles pourvoient d'une efficacité qu'on pourrait dire magique. ce sont les images de castration, d'éviction, de mutilation, de démembrement, de dislocation, d'événement, de décoration, d'éclatement du corps, bref les imagos que personnellement j'ai groupées sous la rubrique qui parait bien structurale, d'imago du corps morcelé." L'expression des imagos regroupés ainsi vont des rites de tatouage au raffinement cruel des armes que l'homme fabrique.

Pour Jean-Pierre CLÉRO, la notion de corps morcelé "ouvre une perspective originale et constructive à la conjugaison de deux idées essentielles dans la philosophie classique et moderne. On trouve, en effet, chez Hume et chez Nietzsche, l'idée que l'esprit est divisé et qu'il ne réussit que fictivement à s'unifier ; on lit aussi, chez l'un et chez l'autre, qu'il n'y a pas lieu de distinguer l'esprit du corps. Or il semble que cette division n'ai jamais été pensée, dans cette veine, que comme étant celle de l'esprit. Lacan prend les choses par l'autre bout. Certes, il ne s'agit pas de contester l'éclatement de l'esprit, comme si on pouvait lui porter remède ; au contraire, une cure peut même consister, au moins durant l'un de ses moments, à désintégrer la rigide unité de l'ego. Est en jeu, à travers le concept du stade du miroir, la contradiction ressentie par le sujet entre l'éclatement vécu de son corps divisé et sans aucune coordination avec l'image unitaire et ordonnée que livre ce même corps dans le miroir. L'image est à la fois l'occasion de la prise de conscience de ce morcèlement et du désir mêlé de l'angoisse de lui mettre fin. L'angoisse est liée à l'impossibilité de la tâche et elle se saisit dans les rêve mêmes des analysants, à des moments privilégiés de leur travail, à travers les images" décrites ci-avant.

   Sur les ressorts d'agressivité qui décident des raisons qui motivent la technique de l'analyse, l'essentiel réside dans le dialogue.

Même si le dialogue semble en lui-même constituer une renonciation à l'agressivité, ce qui est au fondement de la recherche d'une voie rationnelle en philosophie, l'analyste pendant la cure doit pourtant "mettre en jeu l'agressivité du sujet à notre endroit, puisque ces intentions, on le sait, forment le transfert négatif qu'est le noeud inaugural du drame analytique." "Ce phénomène, explique Jacques LACAN, représente chez le patient le transfert imaginaire sur notre personne d'une des imagos plus ou moins archaïques, qui, par un effet de subduction symbolique, dégrade, dérive ou inhibe le cycle de telle conduite, qui, par un accident du refoulement, a exclu du contrôle du moi telle fonction ou tel segment corporel, qui par une action d'identification, a donné sa forme à telle instance de la personnalité.

On peut voir que le plus hasardeux prétexte suffit à provoquer l'intention agressive, qui réactualise l'imago, demeurée permanente dans le plan de surdétermination symbolique que nous appelons l'inconscient du sujet, avec sa corrélation intentionnelle." Si dans l'hystérie, un tel mécanisme s'avère extrêmement simple, dans la névrose obsessionnelle, cela apparait bien plus difficile, le tout dans un rôle important de la phobie. Jacques précise que ce qu'il entend par le moi : non pas l'instance du système perception-conscience, dans la métapsychologie de FREUD, mais l'essence phénoménologique qu'il a reconnue pour être le plus constamment la sienne dans l'expérience. Le moi est "ce noyau donné à la conscience, mais opaque à la réflexion, marqué de toutes les ambiguïtés que, de la complaisance à la mauvaise foi, structurent dans le sujet le vécu passionnel ; ce "je" qui, pour avoir avouer sa facilité à la critique existentielle, oppose son irréductible inertie de prétentions et de méconnaissance à la problématique concrète de la réalisation du sujet."

Lors de la cure, "la maïeutique analytique adopte un détour qui revient en somme à induire dans le sujet une paranoïa dirigée. C'est bien en effet l'un des aspects de l'action analytique que d'opérer la projection de ce que Mélanie Klein appelle les mauvais objets internes, mécanisme paranoïaque certes, mais ici bien systématisé, filtré en quelque sorte et étanché à mesure." Le psychanalyste français conçoit le déploiement de ces imagos dans l'espace (imaginaire où se développe cette dimension des symptômes) espace plus ou moins délimité et dans le temps, où s'exprime l'angoisse et son incidente, "soit patente dans le phénomène de la fuite ou de l'inhibition, soit latente quand elle n'apparait qu'avec l'imago motivante." L'apparition de cette imago pendant la cure, car c'est dans ce cadre que Jacques LACAN raisonne, dépend de l'attitude de l'analyste : elle peut provoquer un excès de tension agressive qui peut faire obstacle à la manifestation du transfert tel que son effet utile ne pourrait se produire qu'avec lenteur.

   L'agressivité est la tendance corrélative d'un mode d'identification que LACAN appelle narcissique et qui détermine la structure formelle du moi de l'homme et du registre d'entités caractéristique de son monde. 

"Passer maintenant de la subjectivité de l'intention à la notion d'une tendance à l'agression, écrit-il, c'est faire le saut de la phénoménologie de notre expérience à la métapsychologie." Cette tendance à l'agression "se révèle fondamentalement dans une série d'états significatifs de la personnalité, qui sont les psychoses paranoïdes et paranoïaques." Faute de les sérier en variation quantitative, on peut effectuer une sériation qualitative : ainsi on va depuis l'explosion brutale autant qu'immotivée de l'acte à travers toute la gamme des formes de belligérances jusqu'à la guerre froide des démonstrations interprétatives, parallèlement aux imputations de nocivité qui, sans parler du kakon obscur à quoi le paranoïde réfère sa discordance de tout contact vital, s'étagent depuis la motivation, empruntée au registre d'un organicisme très primitif, du poison, à celle, magique, du maléfice, télépathique, de l'influence, lésionnelle, de l'intrusion physique, abusive, du détournement de l'intention, dépressive, du vol du secret, profanation, du viol de l'intimité, juridique, du préjudice, persécution, de l'espionnage et de l'intimidation prestigieuse, de la diffamation et de l'atteinte à l'honneur, revendicative, du dommage et de l'exploitation. Cette série où nous retrouvons toutes les enveloppes successives du statut biologique et social de la personne, j'ai montré qu'elle tenait dans chaque cas à une organisation originale des formes du moi et de l'objet qui en sont également affectés dans leur structure, et jusque dans les catégories spatiales et temporelles où ils se constituent, vécus comme événements dans une perspective de mirages, comme affections avec un accent de stéréotypie qui en suspend la dialectique."

Il fait référence aux travaux de JANET sur la signification des sentiments de persécution, à ceux de Charlotte BÜHLER, d'Elsa KÖLLER et de l'Ecole de Chicago sur les étapes du développement de l'enfant et également à ceux de Mélanie KLEIN sur l'enfant, pour expliciter sa conception de l'imago et de ses transformations, qui influent, provoquent, induisent, sont à leur tour influencées dans les expressions de l'agressivité. Elle est chez le jeune enfant, dans les retraitions de tapes et de coups, non seulement une manifestation ludique mais également comme un ordre de coordination plus ample, qui subordonnera les fonctions de postures toniques et de tension végétative à une relativité sociale (WALLON en a souligné les implications). Le stade du miroir tel qu'il le conçoit, "a l'intérêt de manifester le dynamisme affectif par où le sujet s'identifie primordialement à la Gestalt visuelle de son propre corps ; elle est, par rapport à l'incoordination encore très profonde de sa propre motricité, unité idéale, imago salutaire ; elle est valorisée de toute la détresse originelle, liée à la discordance intra-organique et relationnelle du petit d'homme, durant les six premiers mois, où il porte les signes, neurologiques et humoraux, d'une prématuration natale physiologique.

C'est cette captation par l'imago de la forme humaine plus qu'une Einfühlung dont tout démontre l'absence dans la prime enfance, qui entre six mois et deux ans et demi domine toute la dialectique du comportement de l'enfant en présence de son semblable. Durant toute cette période on enregistrera les réactions émotionnelles et les témoignages articulés d'un transitivisme normal. L'enfant qui bat dit avoir été battu, celui qui voit tomber pleure. De même c'est dans une identification à l'autre qu'il vit toute la gamme des réactions de prestance et de parade, dont ses conduites révèlent avec évidence l'ambivalence structurale, esclave identifié au despote, acteur au spectateur, séduit au séducteur. Il y a là une sorte de carrefour structural, où nous devons accommoder notre pensée pour comprendre la nature de l'agressivité chez l'homme et sa relation avec le formalisme de son moi et de ses objets. Ce rapport érotique où l'individu humain se fixe à une image qui l'aliène à lui-même, c'est là l'énergie et c'est là la forme d'où prend origine cette organisation passionnelle qu'il appellera son moi. Cette forme se cristallisera en effet dans la tension conflictuelle interne au sujet, qui détermine l'éveil de son désir pour l'objet du désir de l'autre : ici le concours primordial se précipite en concurrence agressive, et c'est d'elle que naît la triade de l'autrui, du moi et de l'objet, qui, en étoilant l'espace de la communion spectaculaire, s'y inscrit selon un formalisme qui lui est propre, et qui domine telle l'Einfühlung affective que l'enfant à cet âge peut méconnaitre l'identité des personnes à lui les plus familières, si elles apparaissent dans un entourage entièrement renouvelé. Mais si déjà le moi apparait dès l'origine marqué par cette relativité agressive, où les esprits en mal d'objectivité pourrait reconnaitre les érections émotionnelles provoquées chez l'animal qu'un désir vient solliciter latéralement dans l'exercice de son conditionnement expérimental, comment ne pas concevoir que chaque grande métamorphose instinctuelle, scandant la vie de l'individu, remettra en cause sa délimitation, faite de la conjonction de l'histoire du sujet avec l'impensable innéité de son désir?

C'est pourquoi jamais, sinon à une limite que les génies les plus grands n'ont jamais pu approcher, le moi de l'homme n'est réductible à son identité vécue; et dans les disruptions dépressives des revers vécus de l'infériorité, engendre-t-il essentiellement les négations mortelles qui le figent dans son formalisme. (...) Aussi bien les deux moments se confondent-ils où le sujet se nie lui-même et où il charge l'autre, et l'on y découvre cette structure paranoïaque du moi qui trouve son analogue dans les négations fondamentales, mises en valeur par Freud dans les trois délires de jalousie, d'érotomanie et d'interprétation. C'est le délire même de la belle âme misanthrope, rejetant sur le monde le désordre qui fait son être. L'expérience subjective doit être habilitée de plein droit à reconnaitre le noeud central de l'agressivité ambivalente, que notre moment culturel nous donne sous l'espèce dominante du ressentiment, jusque dans ses plus archaïques aspects chez l'enfant.

Ainsi, pour avoir vécu à un moment semblable et n'avoir par eu à souffrir de cette résistance béhavioriste au sens qui nous est propre, saint Augustin devance-t-il la psychanalyse en nous donnant une image exemplaire d'un tel comportement (...) : "J'ai vu de mes yeux et j'ai bien connu un tout petit en proie à la jalousie. Il ne parlait pas encore, et déjà il contemplait, tout pâle et d'un regard empoisonné, son frère de lait". Ainsi noue-t-il impérialement, avec l'étape infants (d'avant la parole) du premier âge, la situation d'absorption spectaculaire : il contemplait, la réaction émotionnelle : tout pâle, et cette réactivation des images de la frustration primordiale : et d'un regard empoisonné, qui sont les coordonnées psychiques et somatiques de l'agressivité originelle." LACAN  écrit, plus loin, dans la foulée des conceptions de Mélanie KLEIN, que "la notion d'une agressivité comme tension corrélative de la structure narcissique dans le devenir du sujet permet de comprendre dans une fonction très simplement formulée toutes sortes d'accidents et d'atypies de ce devenir". Le développement autour du complexe d'Oedipe qui suit montre le déploiement de cette agressivité, d'une libido indifférenciée à une libido génitale. 

   Cette notion de l'agressivité comme d'une des coordonnées intentionnelles du moi humain fait concevoir son rôle dans la névrose moderne et le malaise de la civilisation.

Ne voulant ouvrir qu'une perspective sur les verdicts que dans l'ordre social lui permet son expérience, Jacques LACAN écrit que "la prédominance de l'agressivité dans notre civilisation serait déjà suffisamment démontrée par le fait qu'elle est habituellement confondre dans la morale moyenne avec la vertu de la force. Très justement comprise comme significative d'un développement du moi, elle est tenue pour d'un usage social indispensable et si communément reçue dans les moeurs qu'il faut, pour en mesurer la particularité culturelle, se pénétrer du sens et des vertus efficaces d'une pratique comme celle du jang dans la morale publique et privée des Chinois." Jusqu'aux succès dans la littérature scientifique d'un DARWIN, qui projette en quelque sorte  les prédations de l'époque victorienne à la dynamique des espèces...

Revenant de ces considérations qui engagent le devenir de l'espèce humaine, le psychanalyste français incite sur quelques "vérités psychologiques" : "à savoir combien le prétendu "instinct de conservation" du moi fléchit volontiers dans le vertige de la domination de l'espace, et surtout combien la criante de la mort, du "Maitre absolu", supposé dans la conscience par toute une tradition philosophique depuis Hegel, est psychologiquement subordonnée à la crainte narcissique de la lésion du corps propre. Nous ne croyons pas vain d'avoir souligné le rapport que soutien avec la dimension de l'espace une tension subjective, qui dans le malaise de la civilisation vient recouper celle de l'angoisse, si humainement abordée par Freud et qui se développe dans la dimension temporelle. Celle-ci aussi nous l'éclairions volontiers des significations contemporaines de deux philosophies qui répondraient à celles que nous venons d'évoquer : celle de Bergson pour son insuffisance naturaliste et celle de Kierkegaard pour sa signification dialectique. 

A la croisée seulement de ces deux tensions, devrait être envisagée cette assomption par l'homme de son déchirement originel, par quoi l'on peut dire qu'à chaque instant il constitue son monde par son suicide, et dont Freud eut l'audace de formuler l'expérience psychologique si paradoxale qu'en soit l'expression en termes biologiques, soit comme "instinct de mort".

Chez l'homme "affranchi" de la société moderne, voici ce que le déchirement révèle jusqu'au fond de l'être sa formidable lézarde. C'est la névrose d'auto-punition, avec les symptômes hystérico-hypocondriaques de ses inhibitions fonctionnelles, avec les formes psychasthéniques de ses déréalisations de l'autrui et du monde, avec ses séquences sociales d'échec et de crime. C'est cette victime émouvante, évadée d'ailleurs irresponsable en rupture de ban qui voue l'homme moderne à la plus formidable galère sociale, que nous recueillons quand elle vient à nous, c'est à cet être de néant que notre tâche quotidienne est d'ouvrir à nouveau la voie de son sens dans une fraternité discrète à la mesure de laquelle nous sommes toujours inégaux."

 

Jacques LACAN, Ecrits I, Editions du Seuil, 1999. Jean-Pierre CLÉO, Lacan, dans Le Vocabulaire des Pjilosophes, Ellipses, 2002.

 

PSYCHUS

 

 

 

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