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27 février 2021 6 27 /02 /février /2021 09:10

   L'interprétation freudienne de la tragédie de SOPHOCLE a entre autres suscité de très nombreuses discussions chez tous les spécialistes de la mythologie grecque, notamment en France.

Dans un article de 1967, Oedipe sans complexe, Jean-Pierre VERNANT (1914-2007), à l'occasion d'une controverse avec Didier ANZIEU (1923-1999), s'est insurgé contre les interprétations sauvages et psychologisantes qu'il décelait à cette époque dans les textes psychanalytiques consacrés à Oedipe. Ces interprétations tendaient à transformer le personnage de SOPHOCLE en un névrosé moderne, habité par un complexe freudien. Si FREUD s'était appuyé sur SOPHOCLE, pour élaborer son complexe, les psychanalystes, et surtout les journalistes "spécialistes" de la psychanalyse, avaient fini par projeter leurs fantasmes oedipiens sur le mythe et la tragédie.

En cela, il dérogeait à la méthode de travail de FREUD lui-même, qui procède non pas à une interprétation psychanalytique du mythe, mais à une analogie et un rapprochement entre un mythe "universel" et un complexe tout aussi "universel", l'ancrage de ce mythe dans la psychologie humaine...

Contre cette psychologisation, VERNANT propose une nouvelle interprétation d'Oedipe plus conforme aux représentations de la mythologie grecque : "Son destin exceptionnel, écrit-il en 1980, l'exploit qui lui a donné la victoire sur le Sphinge l'ont placé au-dessus des autres citoyens, au-delà de la condition humaine : pareil et égal à un dieu ; ils l'ont aussi, à travers le parricide et l'inceste, qui ont consacré son accès au pouvoir, rejeté en deçà de la vie civilisée, exclu de la communauté des hommes, réduit à rien, égal au néant. Les deux crimes qu'il a commis sans le savoir ni le vouloir l'ont rendu, lui, l'adulte ferme sur ses deux pieds, semblable à son père, s'aidant de son bâton, vieillard à trois pied, dont il a pris la place aux côtés de Jocaste, semblable du même coup à ses petits enfants marchant à quatre pattes, et dont il est aussi bien le frère que le père. Sa faute inexpiable est de mêler en lui trois générations d'âge qui doivent se suivre sans jamais se confondre ni se chevaucher au sein d'une lignée familiale." (Oedipe, dans Dictionnaire des mythologies, Volume II, Flammarion)

Ce portrait du véritable Oedipe grec n'était pas éloigné en réalité de l'Oedipe freudien, puisque chez FREUD, le complexe est lié, dès le début, à la double question du désir d'inceste et de son nécessaire interdit afin que ne soit jamais transgressé l'enchaînement des générations.

En 1972, dans un livre d'inspiration reichienne, L'Anti-Oedipe, Gilles DELEUZE (1925-1995) et Félix GUATTARI ont critiqué l'oedipianisme freudien qui à leurs yeux réduisait la libido plurielle de la folie (et de la schizophréinie) à un enfermement familialiste de type bourgeois et patriarcal. (ROUDINESCO et PLON).

 

  Jean-Pierre VERNANT critique surtout l'anachronisme et les contre-sens de la lecture psychanalytique du mythe d'Oedipe, en particulier tel qu'il est retravaillé dans la tragédie grecque. Cette fiction exploratoire sonde les fondements sociaux, religieux et politiques de la société grecque (mais surtout de Thèbes) au moment de sa démocratisation à partir du VIe siècle av. J-C. Ce mythe ne constitue en aucun cas une illustration d'un drame psychologique individuel et familial, outre le fait que l'universalité du complexe d'Oedipe semble pour lui invalidée par des recherches (notamment ethnographiques). Il faut dire que les dérives que combat VERNANT proviennent aussi d'une assimilation un peu rapide des certains effets de ce complexe à des maladies. FREUD lui-même et ses continuateurs directs ont toujours mis l'accent sur la dynamique psychologique du complexe d'Oedipe, qui traverse tout être humain (occidental). C'est à partir de son vécu dans la trinité mère-enfant-père, difficile toujours, que l'homme (ou la femme) construit sa personnalité, influencé par les cultures de la mère et du père, lesquelles peuvent être très différentes d'une civilisation à une autre. (voir surtout l'ouvrage Oedipe sans complexe, dans Mythe et tragédie en Grèce ancienne, Paris, Maspéro, 1972, sous la direction de jean-Pierre VERNANT et Pierre VIDAL-NAQUET. Et aussi de manière générale : Avec ou sans complexe? Vernant, la psychanalyse et la psychologie, Collège de France, de Frédéric Fruteau de LACLOS dans le site internet books.openedition.org).

  Didier ANZIEU, notamment dans Moi-peau (Nouvelle revue de psychanalyse, 1974) et L'auto-analyse de Freud - et la découverte de la psychanalyse, (PUF, 1959, 1975, 1988), restitue le contenu des grandes découvertes freudiennes, notamment du complexe d'Oedipe. Ses travaux constituent une référence pour les chercheurs et les étudiants. Une certaine orthodoxie lui vaut un certain nombre de critiques, même s'il met bien en évidence l'inséparabilité de la théorie psychanalytique, constamment en évolution, avec l'histoire de la production de ses concepts et donc de ses auteurs. (Sophie de MIJOLLA-MELLOR, Dictionnaire international de la psychanalyse).

 

Élisabeth ROUDINESCO et Michel PLON, Dictionnaire de la psychanalyse, Le livre de poche, 2011.

 

PSYCHUS

  

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