Le Tour de France, chaque année depuis longtemps s'organise, se déroule, pour donner le résultat à la fois d'un spectacle et d'une compétition sportive. Malgré tous les conflits que cela suppose - et on ne pense pas d'abord à la compétition entre cyclistes - la coopération entre plusieurs types d'acteurs donne toujours ce beau résultat. Aux yeux des spectateurs et des visionneurs (par la télévision ou par Internet), ce n'est que défilé de vélos et de maillots. Pourtant l'histoire du Tour de France montre que bien des conflits s'expriment, mais ces spectateurs n'y voient que du feu, si bien intégrés qu'ils sont dans l'orchestration de cet événement aussi connu que le football en Europe et dans le monde. Après les Jeux Olympiques d'été et la Coupe du monde du football, le Tour de France est l'épreuve sportive la plus connue dans le monde entier.
La perception des conflits
On a déjà évoqué le sport en général comme résultante de bien des conflits - bien loin de cet "esprit sportif" tant vanté. Il est intéressant de détailler le cas de cette épreuve cycliste comme creuset de coopérations/conflits.
C'est pratiquement à front renversé que le grand public peut avoir conscience de ces conflits, à moins de s'y intéresser sur le fond. Si la compétition entre les cyclistes est si spectaculaire du départ à l'arrivée, sur la route plate (course contre la montre) et sur les cols tourmentés (endurance et esprit d'équipe dans le peloton), (pour prendre un exemple, la rivalité ANQUETIL-POULIDOR des années 1960), focalise l'attention ; c'est pourtant l'aspect le moins important du Tour de France.
Des enjeux idéologiques et économiques bien plus importants s'y jouent, sans compter l'existence d'une véritable lutte des classes à l'intérieur des pelotons, entre leaders et soutiens, sans compter également un véritable rapport de forces entre organisateurs de la course et participants directs, qui rejaillit sur le contenu même de la course.
On a là un faisceau de conflits, qui, des origines jusqu'à aujourd'hui, influe de manière opaque pour le grand public, sur le tracé, la longueur, la durée et sur nature même... des épreuves, bref sur tout ce qui fait le spectacle-Tour de France. En fait, le spectacle lui-même n'intéresse les organisateurs qu'à condition qu'il serve leurs intérêts et cela sur plusieurs plans : financiers, idéologiques, sociétaux...
Conflits économiques
- d'abord, aux origines, les aspects économiques qui déterminent la naissance des médias écrits en France. C'est dans un contexte de développement du sport cycliste sous l'impulsion des organes de presse spécialisés (du Petit journal au Vélo) qu'est créé en 1903 le Tour de France. Suivant plusieurs courses cyclistes plus restreinte, ce tour de France est organisé par le journal L'Auto, dirigé par Henri DESGRANGE, afin de relancer les ventes du quotidien et affaiblir son concurrent, Le Vélo. Dès sa première édition, l'épreuve connait un certain succès et se voit reconduire l'année suivant. Malgré des accusations de tricherie envers certains coureurs ou des modifications fréquentes du règlement vivement critiquées, comme la mise en place d'un classement par points à défaut d'un classement général au temps (à la guerre comme à la guerre, sur le terrain comme entre rivaux économiques) entre 1905 et 1912, le Tour de France devient peu à peu l'un des événements sportifs les plus populaires en France et dans le monde.
L'opposition entre Pierre GIFFARD et le comte de DION, sur fond de développement de l'industrie du cycle et de l'automobile, qui bataillent à travers leurs clubs et leurs journaux (entre autres Le Vélo et L'Auto-Vélo) se trouve au coeur de la naissance du Tour de France. Et jusqu'à 1914, celui-ci mobilise tout un petit monde qui le popularise, le prépare chaque année, le suit dans ses péripéties (surtout les accidents...), le vante dans ses performances, au rythme de la croissance des véhicules automobiles et des bicyclettes (et plus, des cycles à plus de deux roues...). La guerre interrompt net cette dynamique, non seulement en faisant des trous dans les pelotons - L'Auto continue de livrer à ce sujet des articles depuis le front - mais aussi de par des destructions multiples.
Conflits idéologiques
- aux origines aussi, et avec toute la virulence de ce temps, depuis les dreyfusards et les anti-dreyfusards parmi lesquels se retrouvent les promoteurs du vélo à travers leurs journaux jusqu'à la rengaine nationaliste de tous ceux qui veulent la revanche sur la défaite de 1870. De la "préhistoire" du Tour, où la presse du cycle alimente les tensions pendant l'affaire Dreyfus, aux premières éditions où la lutte autour du règlement de la course et le parcours - qui s'étend de plus en plus - fait rage, jamais les préoccupations idéologiques ne l'ont quitté.
A partir de 1905, à l'initiative d'Alphonse STEINÈS, un collaborateur de DESGRANGE, le Tour se rapproche de ses frontières, jusqu'à former un "chemin de ronde", un "encerclement processionnel du pays qui manifeste ostentatoirement les valeurs de la France moderne et industrielle, le dynamisme et la santé éclatante de la jeunesse. Il devient un symbole de la vitesse et de la modernité et contribue à l'appropriation symbolique du territoire national pour la majorité des Français ruraux qui, confinés dans leurs régions, son "prisonniers de la lenteurs". Le Tour dessine la France et se veut "militant", une attention particulière étant portée à l'Alsace-Lorraine, annexée par l'Empire allemand en 1871. Les escales du Tour en terres allemandes, avec l'assentiment des autorités, sont l'occasion pour les populations locales d'exprimer leur sentiment nationaliste. Lorsque les relations franco-allemandes se dégradent, notamment à partir de 1911, GUILLAUME II empêche le Tour de France de déborder les frontières. La popularité du Tour s'accroît dans cette période, rapidement tant chez les sportifs (aristocrates et bourgeois mécanisés) que chez les passionnés présents au bord de la route. Le public populaire y trouve un prolongement des fêtes du 14 juillet et un bon mobile pour célébrer les valeurs républicaines, l'État soutenant l'organisation du tour (et ce jusqu'aux années 1950).
Lorsque le Tour reprend en 1919, il s'inscrit dans un mouvement de "cyclisme de commémoration", à l'image d'autres courses organisées en cette année suivant le conflit mondiale. Les constructeurs de cycle, n'étant pas en mesure de mettre sur pied des équipes compétitives face au manque de pneumatiques et d'accessoires, acceptent l'idée d'Alphonse BAUGÉ de se regrouper dans un consortium sous le nom de "La Sportive". Seuls onze concurrents terminent ce Tour rendu difficile par les routes endommagées ou peu entretenues pendant le conflit mondial. Les premières éditions d'après-guerre ne rencontrent pas le même succès que celles d'avant-guerre, les esprits étant plus préoccupés par le redressement du pays. Si avant la Grande Guerre, l'heure était à l'humeur cocardière et nationaliste, les dégâts de la guerre et l'ampleur des destructions morales et physiques font qu'elles ne sont plus de mise. Et d'ailleurs, d'autres enjeux, sociaux, commencent à pénétrer la réalité du Tour de France, même si c'est pas le biais de rivalités chez les organisateurs...
Conflits sociaux.
L'emprise d'Henri DESGRANGE sur la course n'est pas appréciée de tous, elle est même une cause de la dégradation de l'image du Tour de France à la fin des années 1920. En 1924, les frères Francis et Henri PÉLISSIER abandonnent pour protester contre un règlement jugé trop sévère. Ils se livrent au journaliste Albert LONDRES, qui couvre le Tour pour Le Petit Journal. Ils lui décrivent les difficultés et la souffrance des coureurs du Tours de France, accentuant le côté dramatique de l'épreuve. En titrant son article "Les Forçats de la route", Albert LONDRES rend cette expression qu'elle véhicule durablement populaire et fait découvrir au public une réalité peu connue. Henri PÉLISSIER élargit l'audience de sa protestation contre Henri DESGRANGE et son règlement trop strict en envoyant à différents journaux. L'Humanité s'en saisit et suit pour la première fois le Tour de France. Par quelles voies la lutte des classes ne se fait pas entendre?...
Dans la foulée, DESGRANGE invente une nouvelle formule : lors des étapes de plaine, les équipes s'élancent séparément. Mais le spectateurs ne comprennent pas l'enjeu et le déroulement de cette course. En 1928, il met en oeuvre une nouvelle idée : chaque équipe est autorisée à faire appel à trois remplaçants après les Pyrénées afin de leur permettre de concurrencer l'équipe Alcyon qui domine la course. En d'autres occasions, DESGRANGE renonce à son idéal sportif pour maintenir l'intérêt de la course. Il paie par exemple des coureurs pour qu'ils accélèrent lorsqu'il estime que le peloton est trop lent.
Conflits nationaux
Afin de maintenir l'intérêt du public, Henri DESGRANGE décide de modifieer en profondeur son règlement et bouleverse le mode de participation au Tour de France. Les marques de cycles sont supprimées pour laisser place aux équipes nationales. En contrepartie, L'Auto prend à sa charge les frais d'hébergement, de nourriture, de matériel, de soins et de massages pour les coureurs. Désormais ces derniers contractent directement avec le Tour et sont tenus de signer une convention qui les lie à l'organisation de l'épreuve. Pour l'édition 1930, 5 équipes nationales regroupant 40 coureurs sont présentes : Allemagne, Belgique, Espagne, France et Italie. Les autres coureurs forment la catégorie des "touristes-routiers", qui courent tous à leurs frais et sont désormais sélectionnés... sous la direction d'Henri DESGRANGE, qui intervient ainsi directement dans la composition des pelotons. L'intention d'étendre à la dimension européenne le Tour va transformer peu à peu la tonalité du Tour, non dans l'esprit de la SDN, mais dans la participation du monde cycliste à la montée des nationalismes. L'adhésion du public, pas seulement français, à la formule des équipes nationales. Si en France, les victoires de l'équipe de France enthousiasment les spectateurs français et projettent l'image d'une France unie, les rivalités entre Français et Belges (ces derniers se retirant au cours de l'édition 1937), la propagande de l'Italie de MUSSOLINI, l'orchestration de polémiques (notamment à partir de 1936) par les catholiques et les communistes, la participation de Républicains espagnols (1937-1938), transforment le Tour en arène des conflits entre États et peuples.
Le Tour pris dans la Collaboration...
Henri DESGRANDE envisageait dans l'atmosphère de la "drôle de guerre", une édition 1940. Mais il y renonce en raison des zones militaires inaccessibles à la course qui en réduisent le parcours et de la mise au service de l'effort de guerre de l'industrie du cycle. Son successeur à la direction de L'Auto, en août, Jacques GODDET, fuit à Lyon dans l'exode, tandis que Albert LEJEUNE, collaborateur convaincu, une fois l'armistice signé, vent le journal à Gerhard HIBBELEN, un proche de l'ambassade allemande à Paris, déjà propriétaire de nombreux journaux parisiens.
Pendant l'Occupation, les Allemands souhaitent que le Tour de France soit de nouveau organisé, afin de "rallier tout le peuple français" et de "légitimer leur pouvoir en autorisant à nouveau une grande manifestation publique, ce que Jacques GODDET refuse. Ce projet est confié au journal collaborationniste La France socialiste et à son chef des sports, Jean LEULLIOT, ancien journaliste de L'Auto et directeur de l'équipe de France pendant le Tour 1937. Jacques GODDET étant parvenue à interdire l'usage du nom "Tour de France",une course soutenue par le gouvernement de Vichy et appelée "Circuit de France" est disputée en septembre-octobre 1942, en sept étapes. Les industriels, déjà réticents avant, n'apportent pas leur soutien à La France socialiste et le Circuit de France n'est plus organisé. Pendant ce temps, Jacques GODDET entretient le souvenir du Tour de France (il crée en 1943 le Grand Prix du Tour de France )
A la Libération, L'Auto cesse de paraître (août 1944). Jacues GODDET, indirectement mis en cause dans la raffle du Vel'd'Hiv car propriétaire de ce vélodrome, se voit reprocher d'avoir la parution de son journal, qui était retourné à Paris pour fonctionner sous contrôle allemand et de s'être montré passif à l'égard de l'occupant. On l'accuse également d'avoir inclus dans la rubrique "Savoir vite" de son quotidien des communiqués de propagande allemande.
Ceci raconté pour montrer que le sport - même de la part de ses dirigeants les moins en prise avec l'actualité des conflits, ne peut rester neutre. Si l'on magnifie le corps des coureurs et leurs performances, on ne saurait fermer les yeux sur ce qu'implique son fonctionnement dans la vie politique et idéologique du pays. A vouloir maintenir à tout prix un fonctionnement "normal" dans une période qui ne l'est pas, en regard du spectre collaboration-résistance, les membres des organisations sportives, ici le vélo, se prête à toutes les manoeuvres idéologiques.
Après la Libération
La collaboration de toute une presse à l'occupant nazi, fait que de nombreux titres ne sont autorisés à paraitre de nouveau que courant 1946, Les journaux sportifs sont de nouveau autorisés à paraitre, mais Jacques GODDET lance un nouveau journal, L'Équipe, qui se veut à l'écart de la politique - entendre alors des conséquences de la collaboration. Même si des efforts veulent se concentrer sur ce pour beaucoup doit être un sport pour le sport, l'organisation du Tour de France fait l'objet d'une lutte intense entre les organes de presse proches des résistants communistes et des gaullistes.
Chacun, Sports, Miroir Sprint, Ce soire, Le Parisien libéré, l'Équipe, à coup d'organisations de sa propre épreuve cycliste, seul ou en collaboration, entend représenter un nouvel esprit sportif, celui-là même que Jacques GODDET présente dans ses colonne, quand en juin 1947 le Tour renaît : "Alors que notre pays, brisé par tant de dures années, supportant les convulsions qui le secouent, le Tour de France, cette grand fête populaire reprend sa place (...). Son existence même évoque intensément l'idée de de paix."
Pendant les Trente Glorieuse (1950-1970), un effort constant pour maintenir le Tour de France dans une situation "irréprochable" et dépourvue d'aspects conflictuels... même si les conflits politiques, économiques, idéologiques... sont toujours là!
C'est pour contrer la concurrence d'autres courses (Course de la Paix d'Europe de l'Est notamment) que les organisateurs élargissent le territoire du Tour de France lors de l'édition 1954, où le Tour prend son départ d'Amsterdam. Avec le développement de la télévision qui arrive sur le Tour en 1948 et les transmissions en direct et retransmissions que ce dernier connait une popularisation durable. Cette diffusion du Tour à la télévision offre un nouveau support publicitaire (d'abord sur les maillots et les véhicules de la caravane) pour les produits dont la consommation se développe à cette époque. Le tour de France participe à l'évolution même des industries du cycle (qui décline), automobile et du cyclomoteur. Il constitue une sorte de résistance à l'invasion automobile, chose que les spectateurs du Tour ne perçoivent que peu.
La régularité des éditions, la multiplication des références culturelles au Tour, alors même que la situation financière des sociétés qui l'organise ou le supporte directement se dégrade, le Tour devient une vitrine mobile de cette société de consommation dans les années 1960. Pourtant, les loisirs faciles, les vacances, la société de consommation elle-même éloignent de plus en plus le public des courses cyclistes, pour lui de plus en plus synonymes d'un passé tourné vers l'effort. Le peloton français, qui subit la concurrence forte des autres équipes nationales qui se développent, est en difficulté. Des sponsors se retirent, au point qu'il ne reste plus que quatre équipes professionnels françaises en 1974 et que l'Union nationale des cyclistes professionnels crée un équipe de cyclistes ch^meurs afin que ceux-ci puissent continuer de courir.
Malgré sa situation d'idiot utile (promouvoir la société de consommation aux dépens de ses propres valeurs...), le tour de France parvient tout de même à se relancer au milieu des années 1970. Alors que les industries subissent la crise pétrolière, celle du cycle connait un nouvel essor. En partie grâce à une nouvelle mode partie de Californie au milieu des années 1960 et à l'émergence du mouvement écologique dans le monde occidental. En s'éloignant des grands axes de circulation pour aller à la rencontre de la France paysanne, le monde urbain étant couvert par le biais de la radio et de la télévision, le Tour de France suscite l'intérêt du secteur agricole en 1974. Le Tour, spectacle gratuit (en apparence, car il faut bien payer la publicité, la caravane, les aménagements nécessaires et les frais de circulation) et fête populaire, attire de nouveau la foule, par son côté fédérateur face à la crise économique et au changement de société. A la recherche de recettes supplémentaire, les organisateurs font sponsoriser le maillot pour la première fois en 1969 par les sociétés Le coq sportif et Virlux. Toute une dynamique s'instaure alors : sponsorisation (qui s'élargit à d'autres sociétés), popularisation (le tour devient l'événement indépassable de chaque été), commercialisation et sponsorisation...où les médias tiennent le plus grand rôle actif. Jusqu'à susciter l'attention du monde politique : Le président de la République Valéry Giscard D'ESTAING remet son maillot jaune. Toute une bataille souterraine dans l'organisation du Tour devient la règle : le tracé du parcours, l'équilibre entre traversée montante et traversée descendante du pays, la détermination des étapes-vitrines (stations balnéaires)... Le tournant commercial pris par le Tour est critiqué, mais il prend de plus en plus d'ampleur.
Les années 1980 et 1990 : période d'internationalisation du Tour de France
La dynamique commerciale, certains diraient capitaliste, du Tour, au début des années 1980, amène à multiplier le nombre des coureurs (alors réduit à 7 équipes de l'Europe de l'Ouest) et celui des équipes nationales, pour faire participer les Américains, les Colombiens, les Européens de l'Est, malgré le regain de la guerre froide. Il faut attendre la chute du mur de Berlin, puis la fin du Pacte de Varsovie pour voir participer en nombre des coureurs de l'Europe de l'Est et durant les années 1990, des coureurs formés à l'Est qui brillent régulièrement dans le Tour. Parallèlement à la diversification significative des nationalités des coureurs, les nationalités des médias qui couvrent le Tour, l'internationalisent véritablement.
Cette période voit le Tour de France devenir une gigantesque machine économique. Son suivi médiatique, ses recettes et son budget croissent et sa place dans le cyclisme devient hégémonique. La stratégie des organisateurs, sous sa présentation de "modernisation" (très à la mode...) est de débarrasser le Tour de son image de "foire commerciale" et de s'appuyer sur un nombre restreint de sponsors plus importants, formant un "club de partenaires". Leur politique permet au Tour de tripler son budget entre 1983 et 2003, grâce à une forte augmentation des droits télévisés et des recettes publicitaires. La Société du Tour de France devient en 1993, une filiale d'Amaury Sport Organisation, société qui entend monopoliser une grande partie des médias. Un Tour de France féminin est créé en 1984 dans cette stratégie d'ensemble, un surf sur les "conquêtes féminismes", une récupération commerciale de la libération des femmes... Mais celui n'est pas suffisamment rentable ; il disparait en 1989, faute de sponsors et de couverture médiatique.
Le Tour de France devient si hégémonique, captant prestige et finances, faisant tomber toute concurrence de la part des Tour de Lombardie, d'Italie, d'Espagne. Tout ou presque - exit les valeurs sportives - est pensé, organisé en fonction du profit pour les organisateurs, l'État laissant bien entendu faire dans l'esprit libéral et néo-libéral. La grande masse des spectateurs et téléspectateurs ne s'y trompe pas : ce qui l'attire dans les transmissions et retransmissions, ce sont les paysages et les belles images. Ceux qui s'intéressent aux exploits des coureurs et au palmarès se réduisent peu à peu, aux imitateurs et aux suiveurs (sur la route) plus soucieux d'endurance que de performance et aux spectateurs sur le bord du parcours (si le beau temps est là...). Dans les années 2000, plusieurs affaires de dopage et plusieurs systèmes de triche mettent à jour la dérive du Tour de France, révèlent au grand public sa véritable nature.
Conflits économico-sportifs et... sociaux
Le dopage est apparu dans le cyclisme dès la fin du XIXe siècle, surtout lors des courses de six jours et autres compétitions sur piste très populaires à l'époque. Jusqu'aux années 1950, il n'est pas un sujet d'inquiétude majeur et est traité de façon cursive ou humoristique, sur le même plan que d'autres triches (drôlatique, comme des raccourcis ou des empêchements de poursuivre la course). Les autorités médicales, sportives commencent à donner de la voix sur le dopage - malgré bien des tentatives de censure, envers les coureurs entre autres - durant les années 1950, lorsque plusieurs incidents (malaises, chutes) révèlent la généralisation de pratiques dopantes. Il faut une loi votée en juin 1965 pour contraindre les autorités sportives - entendre les organisateurs du Tour pour réaliser des efforts de contrôle de l'usage des stimulants. Des contrôles systématiques sont mis en place à partir de 1968, ce qui entraine une véritable course entre usage de substances interdites et leur répression, tant les pressions économiques sont fortes. Au détriment souvent des coureurs eux-mêmes et de leur santé. Du coup, le Tour de France est régulièrement perturbé par un ou plusieurs cas de dopage, rendus visible par les contrôles, impliquant des substance interdites ou ne figurant pas sur la liste de l'Union cycliste international (alors qu'ils sont dans celle du Comité olympique international...), et des coureurs en tête du palmarès (le cas de Lance ARMSTRONG, remportant le Tour de 1999 à 2005 étant emblématique). Face au rythme de forçat imposé aux coureurs, dénoncé en d'autres temps, nombre de coureurs parlent, (notamment contre l'US Postal qui a mis en place un système de dopage sophistiqué permettant à ses coureurs de remporter les étapes, malgré les contrôles) mettant en relief nombre de conflits entre équipes, qui n'utilisent pas seulement l'entrainement sportif pour l'emporter.
La crédibilité du Tour de France est constamment menacée, provoquant un renforcement de la lutte contre le dopage, mais laissant encore dans l'ombre la véritable exploitation des coureurs par les directions des équipes, ce capitalisme spécifique que l'on rencontre aussi par ailleurs dans le monde sportif.
Dans sa lutte contre les différentes formes de dopage, le Tour de France met en place dès 2016 un dispositif contre le dopage mécanique, système adapté aux montées et aux descentes du parcours. Mais la sophistication mise en place contre la sophistication du dopage indique bien que des responsables, poussés par la dynamique de compétition économique plus que sportive, n'abandonnent pas des méthodes qui vont à l'encontre des principes des fondateurs du Tour, auxquels il restait tout de même cet esprit qui l'a quitté. Le conflit économique entre organisateurs du Tour de France est bien plus important que le conflit-compétition entre équipes, qu'elles soient nationales ou privées (marques).
Roland BARTHES, Mythologies, Seuil, 1957. Fabien WILLE, Le Tour de France : Un modèle médiatique, Villeneuve-d'Asq, Presses universitaires du Septentrion, 2003. Pierre LAGRUE, Le Tour de France : Reflet de l'histoire et de la société, L'Harmattan, 2004. Pierre CHANY et Thierry CAZENEUVE, La fabuleuse histoire du Tour de France, La Matinière, 2011. Jean-François MIGNOT, Histoire du Tour de France, La Découverte, 2014. Jean-Pierre de MONDENARD. Dopage : L'imposture des performances, Paris, Chiron, juin 2006. Albert LONDRES, Les forçats de la route et Tour de France, tour de souffrance, Paris, Le Serpent à plumes, réédition 1996.