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10 octobre 2011 1 10 /10 /octobre /2011 17:08

     Suivant le fondateur de la psychanalyse, le contre-investissement est d'abord un processus économique, support de nombreuses activités défensives du Moi. Il consiste en l'investissement par le Moi de représentations, systèmes de représentations, attitudes, etc., susceptibles de faire obstacle à l'accès des représentations et désirs inconscients à la conscience et à la motilité.

Le terme peut désigner aussi le résultat plus ou moins permanent d'un tel processus (LAPLANCHE et PONTALIS). Cette notion de contre-investissement est invoquée par Sigmund FREUD principalement dans le cadre de sa théorie économique du refoulement. C'est donc une notion clé dans le système freudien.

"Les représentations à refouler, dans la mesure où elles sont investies constamment par la pulsion et tendent sans cesse à faire irruption dans la conscience, ne peuvent être maintenues dans l'inconscient que si une force, également constante, s'exerce en sens contraire. En général, le refoulement suppose donc deux processus économiques qui s'impliquent mutuellement :

- Retrait par le système Préconscient de l'investissement jusqu'ici attaché à telle représentation déplaisante (désinvestissement) ;

- Contre-investissement, utilisant l'énergie rendue disponible par l'opération précédente."

Ce contre-investissement a pour résultat de maintenir une représentation dans le système d'où provient l'énergie pulsionnelle, cette représentation empêchant le surgissement de la représentation refoulée. L'élément contre-investi peut être de différentes natures : un simple rejeton de la représentation inconsciente (formation substitutive, animal phobique par exemple) ou un élément s'opposant directement à celle-ci (formation réactionnelle, par exemple : sollicitude exagérée d'une mère pour ses enfants recouvrant ses désirs agressifs ; souci de propreté venant lutter contre les tendances anales...). Cette notion de contre-investissement, toujours selon le dispositif freudien classique, n'est pas seulement utilisable en ce qui concerne la frontière des systèmes inconscient d'une part, et préconscient d'autre part (auquel cas la notion ne serait valable que dans la première topique), mais se retrouve aussi dans un grand nombre d'opérations défensives : isolation, annulation rétroactive, défense par la réalité, etc. Dans de telles opérations défensives ou encore dans le mécanisme de l'attention et de la pensée discriminative, le contre-investissement joue aussi à l'intérieur même du système préconscient-conscient. Sigmund FREUD fait également appel à la notion de contre-investissement dans le cadre de la relation de l'organisme avec l'entourage pour rendre compte des réactions de défense à une irruption d'énergie externe faisant effraction dans le pare-excitations (douleur, traumatisme). L'organisme mobilise alors de l'énergie interne aux dépens de ses activités qui se trouvent appauvries d'autant, afin de créer une sorte de barrière pour prévenir ou limiter l'afflux d'excitations externes. 

 

         Comme LAPLANCHE et PONTALIS, Paul DENIS présente le contre-investissement comme une modalité particulière de l'investissement utilisé dans un but défensif par le Moi, le contre-investissement permettant à la fois de désigner le rôle dynamique défensif de certains investissements et d'envisager la dimension économique du refoulement.

La formation de cette notion débute chez Sigmund FREUD dès L'interprétation des rêves (dans l'étude du refoulement) et est reprise dans Inhibition, symptôme et Angoisse (1926). Il y souligne que la pression constante des pulsions exige une contre-pression incessante. Dans L'inconscient (1915), il assigne au contre-investissement un rôle de maintien de cette contre-pression, mais aussi celui de l'organisation du point d'appel permanent condition du refoulement, le "refoulement originaire" : "Le contre-investissement est le mécanisme exclusif du refoulement originaire (...) Il est tout à fait possible que ce soit précisément l'investissement retiré à la représentation qui soit utilisé pour le contre-investissement". C'est donc une notion constante dans l'oeuvre du fondateur de la psychanalyse, étudiée spécialement ensuite par Julien ROUART (1967).

 

       Seul Serban IONESCU et ses collaborateurs discutent du contre-investissement de manière consistante. Ni Anna FREUD, ni le DSM-IV, ni encore J. Chistophe PERRY(Mécanismes de défense : principes et échelles d'évaluation) ou Henri CHABROL (Mécanismes de défense et coping) ne s'y attachent particulièrement, comme si cette notion était plutôt de l'ordre constitutif de la théorie, comme l'est celle des complexes. Il s'agit d'une notion principalement économique.

Les premiers auteurs définissent le Contre-investissement comme l'Énergie psychique du Moi qui s'oppose à la tendance à la décharge de la pulsion. Force inconsciente contraire et au moins égale à celle qui, en provenance du Ça, cherche à parvenir à la conscience. Le but du Contre-investissement est donc de maintenir le refoulement. Le rapport de complémentarité et d'opposition avec le refoulement pose le problème de savoir s'il appartient ou non aux mécanismes de défense. "Doit-il être considéré comme un corollaire du refoulement et se révéler alors comme le support de bon nombre d'opérations défensives où ce dernier mécanisme est dominant, ou bien doit-il être répertorié comme un mécanisme de défense au fonctionnement spécifique? On voit bien l'ambiguïté de cette question selon les diverses positions doctrinales actuelles. Dans le sillage de son père, Anna FREUD ne retient pas le contre-investissement. Par contre, BERGERET (1972/1986, Psychologie pathologique, Masson) en fera la première notion étudiée en tant que méthode de défense, décrite selon le modèle freudien à partir du refoulement."

On peut dire, écrivent les même auteurs, "que le mécanisme de contre-investissement sert de support à l'ensemble des mécanismes de défense. Ainsi l'on pourrait parler de "déplacement par contre-investissement", de "projection par contre-investissement". En leur conférant une charge énergétique non plus égale mais supplémentaire, ces contre-investissements renforcent du même coup la stratégie de protection, jusqu'à enfermer le sujet dans un activisme qui est une activité de sur-investissement. Tel peut être compris l'engouement pour les pratiques sportives qualifiables de "conduites à risque" ou la "recherche de sensations" supposée contribuer à "être bien dans sa peau". On voit combien, pour ceux qui s'adonnent à ces pratiques de façon effrénée ou exclusive (...) la primauté du sensoriel, en particulier à l'adolescence, sert à contre-investir le monde interne des émotions et des fantasmes vécus comme inconsciemment dangereux, de par la force pulsionnelle qui les accompagne. Le contre-investissement s'est ici conjugué au mécanisme de déplacement." D'une façon générale, tout contre-investissement est un déplacement d'investissement." Il existe une parenté entre le contre-investissement et le renversement en son contraire, lien étudié par LE GUEN et ses collaborateurs (Le refoulement (Les défenses), 45ème Congrès des psychanalystes de langue française des pays romans.).

Le modèle de la névrose obsessionnelle illustre sans doute le mieux la manière dont le Moi se cramponne à ses contre-investissements. Tout le cortège des symptômes obsessionnels peuvent apparaître comme des facteurs de disjonction et donc de contre-poids à la poussée pulsionnelle. D'une manière générale, le "choix" du contre-investissement symptomatique répond à une logique de l'inconscient propre à chaque sujet. Le but de la relation thérapeutique est de permettre le décryptage du sens caché des symbolisations présentes dans la névrose par exemple. ”

 

   Daniel LAGACHE, discutant de la théorie psychanalytique des affects systématisée par exemple par David RAPAPORT, qui donne une place importante à la constitution héréditaire de l'être humain et au fonctionnement primitif des émotions. "Le fonctionnement primitif des émotions est décrit par référence au stade théorique que domine le principe du plaisir, expose Daniel LAGACHE, ce qui veut dire, en style psychologique, précarité de la vie de relation, infirmité des perceptions extéroceptives et du proprioceptif, en bref du corporel. Ce qu'il faut souligner, c'est que, dans un tel régime, l'émergence d'un besoin  motive le sujet dans le sens de l'exigence d'une satisfaction "immédiate", aussi rapprochée que possible ; or, si protégé que soit l'enfant, il survient toujours des circonstances où un intervalle se fait sentir entre l'émergence du besoin et sa satisfaction ; dans de nombreux cas, l'intervalle est appréciable. Dans cette conjoncture, le sujet répond par une décharge affective massive, c'est-à-dire par une modification auto-plastique, toute modification active de l'entourage étant hors de question. Selon la conception analytique, la décharge affective fonctionne comme une soupape de sûreté de la pulsion, l'allégeant de la part de la pulsion qui est conceptualisée comme "charge affective". Comme l'idée, et sur le même plan que l'idée dont l'expérience montre qu'il peut avoir un sort différent (être réprimé alors que l'idée est exprimée, ou inversement), l'affect constitue dans cette perspective un représentant de la pulsion. La conception du développement à laquelle se réfère Rapaport permet de caractériser sa position comme "classique". Au principe de plaisir se superpose le principe de réalité, ce qui veut dire, en termes psychologiques, développement de la vie de relation, des perceptions et des actions extérofectives et, en termes psychanalytiques, différenciation de l'appareil psychique (Ça, Moi et SurMoi) et surtout développement du Moi. L'aspect du principe de réalité que Rapaport fait le plus intervenir est le développement de la "capacité d'ajournement" ; tout se centre sur les délais imposés par la réalité et l'intériorisation de ces délais, avec, pour conséquence, l'altération des seuils de décharge innés et le développement d'opérations et d'attitudes de défense. La compression relative des pulsions entraîne un usage plus fréquent et plus varié des voies de décharge affective et des charges affectives correspondant aux pulsions.

Un aspect particulier, très important, de ce développement est l'intervention plus fréquente de l'expérience mentale : l'absence de décharge y favorise l'expression affective. Quelles sont, pour les affects, les conséquences de tout cela? La décharge affective devient moins automatique et moins massive. Avec de nouvelles voies de décharge affective apparaissent des affects plus complexes et plus subtils. la charge affective devient elle-même objet du contre-investissement défensif. Surtout, c'est le développement de la fonction de signalisation des affects : des affects modérés servent dorénavant de signaux contre le danger extérieur et contre le danger intérieur de l'inondation affective : "Le Moi, écrit Rapaport, qui à l'origine subissait les affects passivement, parvient à les contrôler et à se libérer sous la forme modérée de signaux d'anticipations" (On the psychoanalytic theory of affects, in Psychoanalytic Psychiatry and Psychology, New York, international Universities Press, 1954).

 

Daniel LAGACHE, Intervention à la suite de la communication de Jacques LACAN : "La psychanalyse et son enseignement", 1957, dans Agressivité et structure de la personnalité et autres travaux, Oeuvre tome IV, 1956-1962, PUF, 1982. Paul DENIS, article contre-investissement, dans Dictionnaire international de la psychanalyse, sous la direction d'Alain de MIJOLA, Hachette Littératures, Grand Pluriel, 2002? Jean LAPLANCHE et Jean-Bertrand PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, 1976. Serban IONESCU, Marie-Madeleine JACQUET et Claude LHOTE, Les mécanismes de défense, Nathan Université, 2003.

 

PSYCHUS

 

Relu le 27 août 2020

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1 juin 2011 3 01 /06 /juin /2011 12:38

          L'existence (et la polémique que suscite toujours) du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, publié par l'Association Américaine de Psychiatrie, qui se veut le manuel de référence en psychiatrie américaine, puis dans le monde entier, doit être resitué dans le double conflit sur la définition de la maladie mentale et sur les autorités chargées de "soigner" celle-ci.

Si la médecine en général n'est plus l'objet d'intenses conflits comme elle l'a été pendant des siècles notamment en Occident entre les Temps féodaux et les Temps Modernes, la psychiatrie, la psychanalyse et la psychologie demeurent un enjeu important qui touche à la fois le citoyen comme individu physique et partie prenante de la société et la société tout entière dans la détermination du normal et du pathologique. Si aujourd'hui, les milieux psychiatriques aux États-Unis et en France clament que le climat s'est apaisé depuis peu, ce n'est sans doute qu'un répit. Les problèmes de définition de la maladie mentale restent entiers et sans doute se sont-ils compliqués (aggravés) par le poids très lourd de lobbies économiques (pharmaceutiques) directement liés de manière générale à l'exercice de la médecine et de la psychiatrie. De plus, l'histoire de la psychiatrie est très fortement liée depuis ses origines à tout l'appareil de contrôle social de l'État ou d'autres institutions, dans des sociétés où les inégalités économiques et sociales multiplient les différentes formes de violences. Du malaise de la civilisation au mal-vivre dans les villes d'aujourd'hui, des parcours de vie chaotiques aux effets des diverses nuisances environnementales (le bruit par exemple...), les sociétés capitalistes engendrent de multiples maux qui ne sont pas seulement sociaux mais individuels, qui touchent tous les équilibres internes de la personne.

 

             Le DSM est né du malaise croissant de la psychiatrie américaine, et globalement du système de santé mentale des États-Unis quant à sa fiabilité et sa validité dans le diagnostic et le traitement des maladies mentales. Si des affections aux symptômes très visibles qui touchent à la neurologie du cerveau entrent facilement dans des catégories (même s'il peut y avoir débat là-dessus encore), d'autres affections qui ont des conséquences sociales directes ne sont pas facilement classables, sauf si des objectifs sociaux de contrôle social sont programmés par des politique de contrôle social. Mais là aussi, même si l'on se place du point de vue de classes ou de groupes sociaux désireux d'opérer un contrôle social, les avis divergent sur l'efficacité à court, moyen et long terme des mesures à prendre...

  Alors que la valeur du diagnostic est rarement mise en question dans la plupart des branches médicales, elle fait l'objet en psychiatrie de controverses depuis des dizaines d'années, car ses implications thérapeutiques et pronostiques sont considérés comme faibles et les diagnostics eux-mêmes comme non-fiables. En dépit de cela, peu de psychiatres accordaient quelque intérêt à ce problème, estimant que c'était avant tout un sujet académique sans la moindre importance pratique. Quelques uns continuaient à soutenir que la nature de la maladie mentale et la qualité du diagnostic étaient d'une importance fondamentale et ne pouvaient être ignorés ou écartés.

Malgré l'insuffisance et le flou des définitions des troubles, la compréhension incertaine de l'étiologie, les multiples clés de classification et le fait que tous les concepts ont tendance à se réifier comme s'ils se référaient à des entités réelles, il n'y avait pas d'alternative raisonnable qui pût servir de base à un nouveau système de classification diagnostique (KENDELL, 1975). En fait, ce flou et cette insuffisance relevait de plusieurs facteurs dont le moindre n'était pas le conflit qui perdure entre psychanalyse, psychologie et psychiatrie depuis leurs fondations académiques, et qui se trouve vivifié par l'entrée en scène de nouvelles sciences cognitives liées aux progrès réalisés dans la neurologie. Mais avant même cette entrée en lice, fracassante d'ailleurs, ce conflit trouve ses origines profondes dans la contestation des pratiques psychiatriques proches de la criminologie du XIXe siècle, à l'ère industrielle et dans le gonflement démographique des villes.

Ces pratiques se situent dans l'épidémiologie de ce siècle, où l'on vit proliférer une variété de méthodes de comptages et de tri des personnes susceptibles de contracter l'un ou l'autre maladie.  Non seulement, les autorités constituées considéraient que les malades mentaux devaient être isolés de la population, mais elles se révélaient incapables de faire autre chose que protéger l'ensemble de la population de comportements a-sociaux et parfois violents, et elles le faisaient mal, car ces maux touchaient également dans des formes multiples les classes favorisées ou dominantes. C'est même cette incapacité qui permit à la psychanalyse de prospérer, car elle seule offrit un cadre cohérent à l'explication de la maladie mentale, même si par ailleurs se maintenaient les cadres de la psychiatrie officielle. Même dans un pays, comme les États-Unis, où la psychanalyse eut du mal à pénétrer, les pratiques psychiatriques furent mises en question et ce, tout au long du XXe siècle, allant jusqu'à susciter en son sein un vaste mouvement aux multiples influences, anti-psychiatrique ou plutôt  autre psychiatrie qui prend aux progrès conceptuels et pratiques de la psychanalyse et de la psychologie ses meilleurs éléments.

     C'est d'ailleurs aux États-Unis, où la profession psychiatrique a été énormément déconsidérée auprès du public pendant des années, que vient l'idée qu'une profession dont l'unique mission est de comprendre et de traiter une forme particulière de maladie, doit se doter d'une capacité d'identifier ses catégories.

Cette idée provient de demandes formulées par d'importantes forces sociales, plutôt que par les cliniciens praticiens eux-mêmes. En fait, les premiers systèmes de classification des troubles mentaux aux États-Unis ont été élaborés par le gouvernement fédéral vers le début du XIXe siècle, en vue des recensements (première forme de contrôle social depuis des temps immémoriaux... ), qui jouèrent un rôle prédominant dans la nosologie psychiatrique pendant près d'un siècle (GROB, 1991). Dans le recensement de 1840, il n'y avait qu'une seule catégorie, l'idiotie ; à partir de 1880, sept (manie, mélancolie, monomanie, parésie, démence, dipsomanie et épilepsie) ; en 1904 et 1910, les fous placés en institution furent dénombrés.

Mais aucun ne s'intéresse à la nosographie. Les classifications de ces recensements reflétaient d'ailleurs des craintes sociales envers certaines "races" et "ethnies", ceci d'ailleurs dans un mouvement de réflexe eugéniste particulièrement vif au début du siècle...

Le Comité des statistiques, créé en 1913 par l'ancêtre de l'Association Psychiatrique Américaine (l'Association médico-psychologique américaine) publia, en collaboration avec le Comité National pour l'Hygiène Mentale, la première nosographie psychiatrique standardisée en 1918 : le Manuel statistique à l'usage des institutions pour aliénés. Ses 22 catégories étaient somatiques ou biologiques qui convenaient bien à la grande majorité des psychiatres qui pratiquaient dans des hôpitaux pour soigner des patients atteints de très graves problèmes tant physiques et mentaux. Jusqu'en 1942, les différentes rééditions de ce Manuel ne signifiaient pas grand chose pour les psychiatres ou leurs patients, car les catégories mentionnées demeuraient très vagues et se limitaient parfois à quelques lignes.

 

          La multiplication des services destinés au système de recrutement et de santé des armées pendant la seconde guerre mondiale favorise l'élaboration de nouvelles classifications. En effet, beaucoup de psychiatres américains y furent impliqués et cela change de façon profonde les habitudes des institutions psychiatriques, et pas seulement aux États-Unis.  En 1949, l'Organisation Mondiale de la Santé publie sa sixième révision du Manuel de la Classification internationale des maladies (CIM), en incluant pour la première fois une section des troubles mentaux. L'expérience de guerre des psychiatres fut à l'origine du premier changement majeur dans la nosologie, qui donna naissance au Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.

Le DSM d'alors, appelé depuis DSM I, fut publié en 1952. La tradition somatique antérieure cédait la place aux perspectives psychodynamiques et psychanalytiques qui avaient assuré leur influence sur la profession au milieu du XXe siècle. Ces nouveaux points de vue soulignaient bien plus qu'avant le rôle de l'environnement et la diversité des formes moins sévères de perturbations qui pouvaient bénéficier de l'attention de la profession psychiatrique. Les cliniciens se mirent à travailler de plus en plus avec des populations hors institution et avec des gens souffrant de troubles relativement bénins, comme les névroses et les troubles de la personnalité, plutôt que des psychoses. 

 Le DSM II publié  en 1968 étendait encore plus le nombre de catégories de maladies et restait fidèle à la tradition psychodynamique du DSM I. Mais, en plus, il encourageait, au lieu de décourager, l'usage de diagnostics multiples pour un seul patient et abandonnait presque totalement le terme "réaction" du DSM I - comme dans "réaction schizophrène" -, héritage de l'influent psychiatre Adolf MEYER. Mais dans cette extension étaient stigmatisées et cataloguées des affections psycho-sociales et sexuelles ou prétendues telles. Les premières éditions du DSM II qualifiaient l'homosexualité de pathologique et d'intenses campagnes d'opinions, menées entre autres par des associations représentant les homosexuels, obligèrent les responsables à la retirer en 1973. En fait, de nombreuses attaques furent menées contre le DSM II, attaques qui portaient moins sur la façon dont la psychiatrie prodiguait ses services que sur la validité de son système de classification.

Comme l'élaboration des deux premiers DSM répondait davantage qu'autre chose à des intérêts administratifs extérieurs à la profession et à la recherche d'un consensus professionnel, force est de constater que cette validité était fortement soumise à caution. La validité du concept de maladie mentale est au premier plan. Cette validité peut-elle être définie de façon conceptionnellement cohérente et être distinguée de manière claire et nette? WAKERFIELD effectue un inventaire de l'imagination des théoriciens du diagnostic en la matière... Il existe réellement une grande difficulté pour ces théoriciens de distinguer cette validité de la fiabilité, qui est une tout autre notion. La recherche d'une identité de diagnostic portée par un nombre majoritaire ou très majoritaire de clinicien sur l'état d'un même patient focalise l'esprit de beaucoup de ces théoriciens, et cela dans une période où le nombre de psychiatres ou de personnels travaillant dans les services psychiatriques explose aux États-Unis. Le DSM II présentait une nosologie minimum, parfois avec de vagues descriptions générales des troubles spécifiques, et dans les milieux professionnels la demande était forte de plus grandes précisions, garantes d'un plus fort consensus autour de la signification des symptômes constatés chez les patients. Les équipes, en fait l'équipe, car la bataille fit rage dans la nomination des experts chargés, en sous-comités et en comités restreints, qui élaborèrent section après section le Manuel qui devait remplacer le DSM II, mirent l'accent sur cette fiabilité, écartant progressivement toute réflexion sur la validité des diagnostics.

Les problèmes de fiabilité présentent au moins un avantage ; ils permettent d'oublier ceux, délicats, posés par la validité. le souci de cohérence entre les diagnostics établis par plusieurs cliniciens sur les mêmes patients présente l'avantage d'éviter la question de la définition conceptuelle générale et de la signification des troubles. Les problèmes de fiabilité peuvent être ramenés à des questions techniques (prise de décision), alors que les problèmes de validité doivent, eux, répondre, à des questions philosophiques et théoriques complexes. La question de l'homosexualité a bien mis en évidence cela.

Stuart KIRK et Herb KUTCHINS, dans leur étude historique et d'enquêtes sur le DSM montrent combien cette manière d'élaborer le DSM III, oblitère toute prétention scientifique au Manuel de référence. De plus, il faut savoir que les attentes de deux types d'acteurs extérieurs à l'institution psychiatrique, où les cliniciens de base ne furent pas associés à son élaboration : les sociétés d'assurance avaient besoin d'une nomenclature très précise, notamment pour faire face à toutes les contestations judiciaires et les sociétés pharmaceutiques avaient besoin d'une gamme étendues de symptômes pour pouvoir proposer le maximum de produits thérapeutiques.

   Plusieurs psychiatres, liés par des allégeances personnelles et professionnelles croisées, travaillant sur des problèmes similaires, se citant généreusement mutuellement dans les revues scientifiques, constituèrent un réseau qui contrôla la fabrication du DSM III, et qui devint l'un des plus importants de la psychiatrie contemporaine (BLASHFIELD, 1982 ; GUZE, 1982 ; STRAUSS, 1992 ; KATZ, 1982 ; KENDELL, 1982).

Son credo de base de ces psychiatres, dénommés néo-kraepeliniens, a été décrit par KLERMAN en 1978 :

- La psychiatrie est une branche de la médecine.

- La psychiatrie devrait utiliser les méthodes scientifiques modernes et fonder sa pratique sur la connaissance scientifique.

- La psychiatrie soigne des gens malades qui requièrent un traitement pour maladie mentale.

- Il existe une limite entre le normal et le pathologique.

- il existe des maladies distinctes. Les maladies mentales ne sont pas des mythes. Il n'y a pas une seule maladie mentale mais plusieurs. La tâche de la psychiatrie scientifique, comme des autres spécialités médicales, est de rechercher les causes, le diagnostic et le traitement de ces maladies mentales.

- L'attention des médecins psychiatres devrait particulièrement se porter sur les aspects biologiques de la santé mentale.

- Il devrait y avoir un intérêt explicite et volontaire pour le diagnostic et la classification.

- Les critères diagnostiques devraient être codifiés et la validité de ces critères par différents  techniques devrait être considérée comme un domaine de recherche légitime et précieux. De plus, les départements de psychiatrie des écoles de médecine devraient enseigner ces critères, et non les déprécier comme cela a été le cas durant de nombreuses années.

- Les techniques statistiques devraient être utilisées dans les efforts de recherche visant à améliorer la fiabilité et la validité des diagnostics et de la classification.

  La mise en application pratique de ce credo aboutit, après bien des batailles en partie médiatiques, à la publication du DSM III en 1980. Le maître-d'oeuvre de ce tournant dans la présentation des maladies mentales et de leur traitement, Robert SPITZER, était déterminé à lui donner la forme qu'il connait maintenant (Christophe LANE). Il constituait une rupture radicale avec le DSM II. Se voulant complètement empirique, a-théorique, s'écartant des théories psychanalytiques, ce Manuel de référence revenait finalement à une présentation somatique des pathologies, considérées sous l'angle uniquement bio-médical. Sans aucune étiologie, les affections mentales "bénéficient" d'une toute nouvelle classification. Révisée en 1987 (DSM III-R), toujours sous la supervision de Robert SPITZER, cette présentation nouvelle se caractérise par la suppression de 6 catégories et par la mise à jour de toutes les autres : 292 diagnostics y sont détaillés.

 

       La quatrième édition de ce Manuel en 1994, baptisé pour la circonstance DSM IV, reconnait 410 troubles psychiatriques et la version actuellement utilisée, le DSM IV-TR, de 2000, ne constitue qu'une révision mineure, surtout pour se mettre en harmonie avec le CIM. De nos jours, même s'il est arboré fièrement par la très grande majorité des étudiants et des psychiatres, son utilisation est surtout le fait de très grands professionnels doté d'une expérience solide ou est destiné à la recherche.

       Ce DSM IV-TR, qui doit être révisé pour 2012 (il y a d'ailleurs des retards dans celle-ci...), est un système de classification multi-axial. Ses cinq axes sont :

- Axe 1 : Troubles majeurs cliniques. Les troubles communs à cet axe incluent la dépression, les troubles anxieux, les troubles bipolaires, le TDA, les troubles du spectre autistique, l'anorexie mentale, la boulimie et la schizophrénie.

- Axe 2 : Troubles de la personnalité et retard mental. Cet axe regroupe les troubles de la personnalité, de la personnalité chizoïde, de la personnalité schizotypique, de la personnalité borderline, de la personnalité antisociale (!), de la personnalité narcissique, de la personnalité histrionique, de la personnalité évitante, de la personnalité dépendante, la névrose obsessionnelle...

- Axe 3 : Aspects médicaux ponctuels et trouble physique. Cet axe inclue les lésions cérébrales et autres troubles médicaux/physiques qui peuvent aggraver les maladies existantes ou les symptômes présents similaires aux autres troubles.

- Axe 4 : Facteurs psychosociaux et environnementaux.

- Axe 5 : Échelle d'Évaluation du Fonctionnement.

     Le DSM IV veut promouvoir une approche globale et intégrative des patients et rend systématique l'approche axiale des patients porteurs de pathologies psychiatriques. Autant dire que sa lecture ne peut se faire que trouble après trouble et que parfois, même l'explication des mécanismes de défense peuvent manquer de clarté. A cause précisément de cette volonté d'intégration, qui, on s'en doute, peut faire varier le diagnostic suivant un certain nombre de composantes, très externes à la psychiatrie, et que des tests d'effectivité en clinique doivent permettre de réduire précisément les écarts d'interprétation...

Une très grande partie des difficultés rencontrées provient du fait qu'il demeure une grande variabilité des diagnostics encore aujourd'hui, suivant les cliniciens utilisateurs, pour un même patient. En dehors des effets d'annonces et d'un système d'informations autour du DSM particulièrement verrouillé, il demeure que l'admirable réussite en matière de fiabilité, que même les responsables actuels de la psychiatrie américaine - devant probablement l'explosion des procédures judiciaires (pas spécifique d'ailleurs à ce domaine..) à propos des contestations sur les remboursements effectués par les compagnies d'assurances, voire sur les utilisations médicales abusives à l'encontre des clients - mettent parfois en garde sur les modalités d'utilisation des DSM...

Ainsi, Lawrence HARTMANN, nouveau président de l'Association Psychiatrique Américaine déclarait en 1991 :

  "La psychiatrie reste une entreprise à risques en tant que science et en tant que spécialité médicale, en partie parce que sa complexité en fait un exemple majeur d'un problème général de l'accumulation des connaissances scientifiques : ce qui est le plus facile à mesurer tend à être mesuré, publié et appelé "réel" ou "important" ; ce qui est plus difficile à mesurer, même si c'est aussi ou plus important, fait l'objet de bien moins de mesures et de bien moins d'intérêt. Le DSM III, III-R et IV font partie du mouvement vers une catégorisation et une mesure fiables. Ils ont eu une contribution positive pour beaucoup d'aspects de la psychiatrie, mais ont fait du tort à d'autres, en partie en simplifiant à outrance. Ils ont promu la clarté et la fiabilité, mais beaucoup de cliniciens pensent qu'ils ont sacrifié la validité et l'intégrité de la personne." On ne peut faire plus alambiqué et la formulation est une grande invitation à lire entre les lignes...

 

 

Stuart KIRK et Herb KUTCHINS, Aimez-vous le DSM? Le triomphe de la psychiatrie américaine, Institut Synthélabo pour le progrès de la connaissance, Collection Les empêcheurs de penser en rond, 1998. Divers articles sur la question sont disponibles sur plusieurs sites Internet. Des informations officielles sont disponibles sur le site htpp://DSMIVTR.ORG et d'autres, très critiques, sur le site www.oedipe.org.

 

PSYCHUS

 

Relu le 9 juillet 2020

 

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5 avril 2011 2 05 /04 /avril /2011 16:18

               Le livre de Mélanie KLEIN (1882-1960), The psycho-analysis of children, aux éditions successives (et remaniées mais pas de manière radicale) de 1932, 1937 et 1949, est l'aboutissement de ses premiers travaux. Classique de l'analyse d'enfants, proposant quelques principes méthodologiques, ce livre est considéré comme la pierre angulaire de son oeuvre (selon le Comité de rédaction du Melanie Klein Trust).

Il étaye un conception originale du fonctionnement mental : le Moi constitue un monde intérieur d'images intériorisées qui, par les processus de projection et d'introjection, sont en interaction constante avec les êtres de la réalité extérieure. L'angoisse qu'éprouve le Moi provient du sadisme qu'il dirige sur ses objets ; sa tâche première et primordiale consiste à transformer graduellement, de pair avec le cours du développement, ses angoisses de caractère psychotique en anxiétés névrotiques. Dans cet ouvrage, l'auteur explicite pour la première fois les fondations de son oeuvre sur la base des instincts de vie et de mort (on excusera encore une fois la traduction, et la confusion pulsion-instinct. présente dans la plupart des textes présentés en psychanalyse...). C'est l'exposé le plus complet de ses premières découvertes et de ses premières conceptions, qui présente certaines contradictions qu'elle aborde par la suite. C'est surtout l'agressivité, beaucoup moins l'interaction des instincts de vie et de mort, qui est privilégiée, car c'est l'objet même de sa recherche.

 

          Après une préface variable suivant l'édition, le livre se partage entre une Introduction et deux grandes parties, suivies d'un appendice (Limites et portée de l'analyse des enfants). Douze chapitres (7 pour la première partie, 5 pour la seconde) pour d'abord exposer La technique de l'analyse des enfants et ensuite Les premières situations anxiogènes et leur retentissement sur le développement de l'enfant.

Mélanie KLEIN accorde autant d'importance aux filles qu'aux garçons dans son oeuvre et ici, elle développe ses conceptions propres au masochisme féminin, autant que les phobies, la culpabilité et les interdictions liées à la masturbation et à l'inceste, chez la fille comme chez le garçon. Dans l'introduction, elle s'oppose aux méthodes de sa rivale, Anna FREUD, dont les conceptions théoriques diffèrent des siennes sur des points fondamentaux. "Elle soutient qu'il ne s'installe pas chez l'enfant de névrose de transfert, qu'il manque de la sorte au traitement analytique une de ses conditions essentielles. Elle s'oppose à l'extension des méthodes employées chez l'adulte à l'enfant, en raison de la faiblesse de l'idéal du Moi infantile."

 

           La première partie, La technique de l'analyse des enfants; aborde successivement Les fondements psychologiques de l'analyse des enfants, La technique de l'analyse des jeunes enfants, Une névrose obsessionnelle chez une fillette de six ans, La technique de l'analyse des enfants au cours de la période de latence, puis à l'époque de la puberté, La névrose chez l'enfant et Les activités sexuelles des enfants.

    Le premier chapitre, Les fondements psychologiques de l'analyse des enfants est une version augmentée d'un article publié dès 1926. Ce fondement psychologique réside surtout dans le sentiment de culpabilité qui pèse déjà de tout son poids dès la toute jeune enfance. Cette angoisse ne se rapporte pas uniquement aux véritables parents, mais plus particulièrement aux parents introjectés, qui sont d'un extrême sévérité. Vu la fragilité des rapports que l'enfant entretient avec la réalité, il n'a apparemment pas de raison de se soumettre aux difficultés d'une analyse, puisqu'il ne se sent pas malade et de plus il est moins capable que l'adulte de fournir les associations verbales qui constituent, chez un sujet plus âgé, le principal instrument de l'analyse. En fait, l'enfant accueille parfois les interprétations qu'on lui propose avec facilité, voire plaisir. L'angoisse une fois dissipée et le plaisir du jeu retrouvé, le contact avec l'analyste est renforcé. Le plaisir accru que l'enfant prend au jeu nait de l'interprétation qui rend superflue la dépense d'énergie exigée par le refoulement. Il est vrai que l'action, plus primitive que la pensée ou la parole constitue la trame de son comportement, et Sigmund FREUD avait tiré de cela l'extrême difficulté d'effectuer une analyse avec l'enfant.

"Mais si nous tenons compte de ce qui distingue le psychisme infantile du psychisme adulte, c'est-à-dire un contact encore plus étroit entre l'inconscient et le conscient, ainsi que la coexistence des pulsions les plus primitives et de processus mentaux très complexes, et d'autre part nous appréhendons correctement le mode de pensée et d'expression de l'enfant, alors tous ces inconvénients et ces désavantages disparaissent, et nous pouvons prétendre à une investigation aussi profonde et aussi étendue chez l'enfant que chez l'adulte." Il s'agit de parvenir à élaborer en fin de compte une technique différente de celle-ci utilisée pour l'adulte. Il n'y a pas de différence de principe de l'investigation.

      Il s'agit donc de trouver une technique adaptée, objet du chapitre sur La technique de l'analyse des jeunes enfants. Il s'agit d'une technique d'analyse par le jeu ; par elle, le succès du traitement n'est réel que si l'enfant, "quel que soit son âge, a tiré parti de son analyse de toutes les ressources du langage dont il dispose."

     Le troisième chapitre aborde le cas précis d'une névrose obsessionnelle chez une fillette de six ans. La description de ce cas, avec toutes ses précisions, peut être celle d'un cas réel. Mais nous attirons l'attention sur cette méthode d'exposition commune à de nombreux textes de psychanalyse ; l'auteur non seulement est tenu à l'anonymat de ses patients, et même de le renforcer à empêcher, par recoupement, de parvenir à son identité, mais il amalgame souvent plusieurs cas similaires sur un seul nom afin de tirer des enseignements par corrélation et similitude de comportements. L'extrême sadisme d'Erna, puisque c'est le prénom choisi pour décrire son cas, s'exprime notamment par une manie de l'écriture et du calcul. Mélanie KLEIN insiste beaucoup sur le rendu conscient des critiques et des doutes que l'enfant nourrit dans son inconscient à l'égard de ses parents, et tout particulièrement à l'endroit de leur vie sexuelle. Ici, Erna, témoin des relations sexuelles de ses parents, élabore des fantasmes d'ordre sado-oral. La nature des fantasmes d'Erna et de ses rapports avec le réel est caractéristique des malades qui présentent des traits paranoïdes dominants ; bien plus, les mécanismes à l'origine des traits paranoïdes d'Erna et de l'homosexualité qui leur est liée se son révélés, selon l'auteur, fondamentaux dans l'étiologie de la paranoïa.

Dans le cours de ce chapitre, Mélanie KLEIN s'interroge sur le moment de la fin de l'analyse. "A la période de latence, d'excellents résultats, même s'ils donnent entière satisfaction à l'entourage, ne suffisent pas à prouver, selon moi, que l'analyse est vraiment achevée. Mon expérience m'a montré qu'il ne suffit pas d'obtenir, grâce à l'analyse, un développement satisfaisant au cours de la période de latence, quelque important qu'il soit ; le succès de l'évolution ultérieure du malade n'en est pas pour autant assurée. C'est le passage à la puberté, puis à l'âge adulte, qui permet de juger si l'analyse d'un enfant a été poussée assez loin."

      Les chapitres IV et V portent justement sur La technique de l'analyse des enfants au cours de la période de latence et ensuite à l'époque de la puberté. "L'analyse de l'enfant à la période de latence présente des difficultés d'une espèce particulière. A la différence du tout jeune enfant, dont la vive imagination et l'angoisse intense nous livrent plus aisément accès à l'inconscient, il n'a qu'une vie imaginative très restreinte en raison des fortes tendances au refoulement caractéristiques de cet âge. Par ailleurs, son Moi n'ayant pas encore atteint un développement comparable à celui de l'adulte, il n'a ni conscience d'être malade ni désir d'être guérit, de sorte qu'il lui manque à la fois un motif d'entreprendre l'analyse et le soutien nécessaire à sa poursuite. A ces difficultés s'ajoute l'attitude de réserve et de méfiance particulière à cet âge. Cette attitude résulte en grande partie des préoccupations énormes provoquées par la lutte contre la masturbation ; ainsi, l'enfant devient profondément hostile à tout ce qui touche de près ou de loin à une investigation sexuelle ou à des pulsions réprimées à grand-peine."  "La technique particulière employée dans l'analyse des enfants à l'époque de la puberté diffère, sur plusieurs points essentiels, de la technique utilisée durant la période de latence. L'adolescent a des pulsions plus fortes, une activité fantasmatique plus intense ; son Moi poursuit d'autres buts et entretient des rapports différents avec la réalité. Par ailleurs, ce genre d'analyse offre de grandes analogies avec l'analyse des tout jeunes enfants ; en effet, durant la puberté, l'imagination redevient beaucoup plus riche, les émotions et la vie de l'inconscient prennent à nouveau le pas. En outre, l'angoisse et les affects s'expriment avec une intensité infiniment plus grande et les affects s'expriment avec une intensité infiniment plus grande qu'à la période de latence, comme s'ils se produisaient une recrudescence de ces décharges d'angoisse caractéristiques de la petite enfance. L'adolescent, toutefois, s'acquitte beaucoup mieux que le jeune enfant de la tâche qui consiste à réprimer et à atténuer l'angoisse, et qui constitue dès l'origine une des fonctions majeures du Moi. Il a en effet largement développé ses intérêts et ses activités dans le but de maitriser cette angoisse, d'en tirer des surcompensations, de la dissimuler aux autres aussi bien qu'à lui-même. S'il y parvient, c'est en partie grâce à cette attitude de révolte et de défi si caractéristiques de l'adolescence, et c'est précisément là une des difficultés techniques essentielles de l'analyse à cet âge. Nous devons en effet aborder très tôt l'angoisse du malade et ses affects, qui se traduisent surtout par une attitude transférielle négative et provocante ; sinon l'analyse risque fort d'être brusquement interrompue. J'ai pu constater en traitant plusieurs garçons de cet âge que, durant les premières séances, tous s'attendent à une violente agression physique de ma part."

       Dans La névrose de l'enfant, Mélanie KLEIN examine les indications du traitement psychanalytique. Il s'agit d'une part de se poser la question de ce qui diffère des enfants normaux et des enfants névrotiques, comment distinguer un enfant méchant d'un enfant malade... étant entendu qu'on ne peut prendre comme critère la névrose adulte, et d'autre part... de ne pas trop attacher d'importance à cette question et de s'en tenir à quelques éléments clés qu'ils convient précisément de traiter. Des difficultés alimentaires, des manifestations d'angoisse, sous la forme de frayeurs nocturnes ou de phobies sont reconnues comme nettement névrotiques. Par ailleurs, l'angoisse ressentie par les enfants à l'égard de certaines personnes se généralise souvent en timidité, même par rapport aux cadeaux qu'ils reçoivent. Ce qui se ressent dans leur attitude face au jeu - surtout en collectivité - ou aux activités physiques. Le rôle joué par les facteurs psychologiques dans les diverses maladies organiques auxquelles sont exposés les enfants est très grand. Maintenant, le caractère névrotique des difficultés inhérentes au développement du jeune enfant est patent et la psychanalyse s'adresse surtout aux cas des enfants très affectés par celui-ci. On sait aussi que beaucoup d'enfants dissimulent leur intolérance primitive à la frustration sous une adaptation générale, exagérée, aux exigence de leur éducation. Ils paraissent très tôt "sages", "éveillés". Le caractère normal ou pathologique d'une névrose est encore, l'avoue Mélanie KLEIN, l'objet de recherches, et en contraste avec les descriptions crues que nous trouvons dans maints de ses ouvrages, son approche des enfants est extrêmement prudente, compte tenu d'une certaine ignorance "sur la structure psychique de l'individu normal". Ce n'est d'ailleurs que dans ses ouvrages ultérieurs que l'auteur affirme beaucoup plus ce qui relève de la normalité et du pathologique. Elle conclue ce chapitre : "C'est parce que les jeux et les sublimations des enfants découlent tous de fantasmes masturbatoires que nous pouvons prédire, d'après la nature et l'évolution de leurs fantasmes ludiques, ce que sera leur vie sexuelle ultérieure. Si, comme je le crois, leurs jeux sont un moyen d'exprimer leurs fantasmes masturbatoires et de leur fournir une issue, il s'ensuit que le style de leurs fantasmes ludiques annonce le caractère que prendra leur vie sexuelle adulte ; il s'ensuit également que l'analyse des enfants est à même non seulement de réaliser une stabilité et une capacité de sublimation plus grandes au cours de l'enfance, mais d'assurer, pour l'âge mûr, la santé mentale et des perspectives de bonheur".

       Le chapitre VII porte sur Les activités sexuelles des enfants, où l'auteur détaille les étapes de l'activité masturbatoire, en relation avec le complexe d'Oedipe. C'est au cour de la période de latence que les activités sexuelles de l'enfant sont le moins marquées, en raison de l'affaiblissement des pulsions instinctuelles qui accompagne le déclin du complexe d'Oedipe. C'est précisément à cette époque que la lutte de l'enfant contre la masturbation est à son paroxysme. Mélanie KLEIN reprend les conclusions de Sigmund FREUD exprimées dans Inhibition, symptôme et angoisse (1926) pour préciser que "l'extrême culpabilité que les activités masturbatoires suscitent chez les enfants vise en réalité les tendances destructrices qui s'expriment dans les fantasmes accompagnant la masturbation. C'est ce sentiment de culpabilité qui contraint les enfants à cesser complètement l'onanisme, et qui aboutit souvent, en cas de succès à une phobie du toucher."

Dans le courant de sa réflexion, l'auteur indique, que, dans le cas d'enfants frères et soeurs, les relations sexuelles sont de règle dans la petite enfance et qu'elles ne se poursuivent au cours de la période de latence et de la puberté que si l'enfant est en proie à une culpabilité excessive qu'il n'est pas parvenu à atténuer. Dans cette circonstance, il parait difficile d'empêcher ces relations sexuelles, sans causer d'autres dommages. Souvent, des enfants trop surveillés sur-développent cette angoisse. "En me référant à l'expérience que j'ai de nombreux cas, je puis affirmer que là où les facteurs positifs et libidinaux l'emportent, de tels rapports ont une influence favorable sur les relations objectales de l'enfant et sur sa capacité d'amour. Au contraire, là où dominent (...) coercition et tendances destructrices, de la part d'un partenaire au moins, tout le développement de l'enfant peut se trouver compromis de la façon la plus grave."

 

      Dans la seconde partie Les premières situations anxiogènes et leur traitement sur le développement de l'enfant, nettement théorique, écrite plus tard, Mélanie KLEIN développe ses idées sur les stades précoces du complexe d'Oedipe.

Ils se manifestent dans la phase de sadisme maximal où les pulsions agressives de l'enfant s'adressent à des objets parentaux partiels : sein de la mère, pénis du père, et notamment corps de la mère avec ses contenus. La fixation à ce type de fantasmes peut engendrer des angoisses hypocondriaques quant aux contenus du corps propre, ou bien des inhibitions diverses, de l'apprentissage surtout. La conception kleinienne des formes précoces du Surmoi résulte de l'introjection du sein et du pénis persécuteurs qui fonctionnent comme des persécuteurs internes. Dans cette partie, L'auteure s'oriente progressivement vers une théorisation du conflit psychique où l'agressivité joue le plus grand rôle. La toute-puissance destructrice des fantasmes agressifs découle de l'immaturité de l'enfant dans sa lutte contre la pulsion de mort. (Francisco Palacio ESPASA)

     D'emblée dans le chapitre VIII, les premiers stades du conflit oedipien et la formation du Surmoi, elle détaille, instruite selon elle par l'expérience très pratique, les origines et la structure du Surmoi. Elle situe cette formation, "grosso modo, du milieu de la première année jusqu'à la troisième année".

"Le plaisir que le nourrisson éprouve à téter fait normalement place au plaisir de mordre. Si les satisfactions lui font défaut au stade oral de succion, il les recherchera davantage au stade oral de morsure. (...) La manière dont le nourrisson réagit aux tensions causées par ses besoins physiques est, à mon avis, l'exemple le plus clair de conversion de la libido insatisfaite en angoisse. Pourtant, une telle réaction est faite sans aucun doute non seulement d'angoisse mais aussi de fureur. Il est difficile de préciser le moment où s'opère cette fusion entre les pulsions destructrices et libidinales. Il semble à peu près évident que cette fusion existe dès l'origine et que la tension provoquée par le besoin ne fait que renforcer les instincts sadiques du bébé. Nous savons cependant que l'instinct de destruction est dirigé contre l'organisme lui-même, et doit donc être considéré comme un danger par le Moi. A mon avis, c'est ce danger que l'individu ressent sous forme d'angoisse. Ainsi l'angoisse naîtrait de l'agressivité. Mais puisque les frustrations libidinales accroissent, comme nous le savons, les tendances sadiques, une libido insatisfaite provoquerait indirectement l'angoisse ou bien l'augmenterait. (...) L'angoisse que ressent l'enfant devant ses propres pulsions destructrices agit, selon moi, de deux manières. D'abord, cette angoisse lui inspire la peur d'être lui-même exterminé par ses propres pulsions destructrices, c'est-à-dire qu'elle se réfère à un danger instinctuel interne ; ensuite, elle fait converger toutes les craintes de l'enfant sur l'objet extérieur, considéré comme une source de danger, contre lequel sont dirigées ses tendances sadiques. Il semble que cette crainte d'un objet prenne son point de départ dans la réalité extérieure : en effet, au fur et à mesure que le Moi se développe, parallèlement à ses possibilités de confrontation avec la réalité, l'enfant apprend à voir en sa mère une personne qui lui accorde ou lui refuse des satisfactions ; il découvre ainsi le pouvoir de son objet sur l'assouvissement de ses besoins. Il déplace donc sur son objet tout le fardeau de la peur intolérable que lui inspirent les dangers instinctuels, échangeant ainsi les dangers internes contre ceux de l'extérieur. Le Moi, encore très faible, cherche alors à se protéger contre ces menaces du dehors par la destruction de l'objet. (...) Le sadisme oral croissant atteint son apogée pendant et après le sevrage, activant et développant au plus haut point les tendances sadiques issues d'origines variées. (...) C'est le sadisme urétral qui parait le plus étroitement lié au sadisme oral. L'observation a montré que les phantasmes de destruction où les enfants inondent, submergent, détrempent, brûlent et empoisonnent à l'aide d'énormes quantités d'urine, constituent une réaction sadique à la privation d'aliment liquide infligée par la mère, en sont finalement dirigées contre le sein maternel. (...) Tout autre moyen d'expression sadique employé par l'enfant, tel que le sadisme anal ou musculaire, a pour premier objet le sein frustrateur de la mère ; mais bientôt il s'attaque à l'intérieur de son corps, qui devient la cible d'assauts provenant de toutes les origines à la fois, et atteignant une intensité extraordinaire."

Mélanie KLEIN avance dans le temps et lorsque l'enfant découvre l'existence d'une autre personne dans la réalité, cette autre personne étant mal différenciée de la première, s'amorce un changement qualitatif. "A mon avis, le conflit oedipien s'amorce chez le garçon dès qu'il éprouve de la haine pour le pénis de son père et qu'il souhaite s'unir à sa mère de façon génitale pour détruire le pénis paternel qu'il suppose à l'intérieur du corps de la mère. J'estime que l'apparition de ces pulsions et de ces fantasmes de caractère génital, bien qu'elle ait lieu en pleine phase sadique, constitue chez les enfants des deux sexes les premiers stades du conflit oedipien car les critères communément adoptés se trouvent satisfaits. Même si les pulsions prégénitales prédominent encore, l'enfant, outre ses désirs d'origine orale, urétrale et anale, commence à éprouver des désirs de nature génitale à l'égard du parent de sexe opposé au sien, tandis qu'il ressent pour l'autre de la haine et de la jalousie qui entrent en conflit avec l'amour qu'il continue de lui vouer. Nous pouvons même aller jusqu'à dire que le conflit oedipien tire toute son acuité de cette situation primitive."

Elle estime que la succession entre les différentes phases n'est pas aussi nette que le disent Sigmund FREUD ou ses continuateurs directs. De même elle suppose, contrairement à une opinion généralement admise, mais en fait elle y cadre également, comme elle le fait remarquer, "que les tendances oedipiennes apparaissent à la phase d'exacerbation du sadisme" et on doit admettre "que ce sont surtout les pulsions hostiles qui provoquent le conflit oedipien et la formation du Surmoi, et qui en régissent les stades les plus précoces et les plus décisifs". Le processus de la formation du Moi est plus simple et plus direct que la description qui en est faite dans Le moi et le ça (1923) de Sigmund FREUD par exemple. "Le conflit oedipien et la formation du Surmoi s'amorcent, à mon avis, au moment où règnent les pulsions prégénitales et les objets introjectés au stade anal-oral ; ce sont donc les premiers investissements objectaux et les premières identifications qui constituent le Surmoi primitif. (...). La psychanalyste note, pour trancher un certain nombre de divergences avec ses prédécesseurs que de toute façon, "les premières identifications de l'enfant donnent des objets une image irréelle et déformée. (...) La libido, au fur et à mesure qu'elle se développe, surmonte graduellement le sadisme et l'angoisse. Mais c'est aussi l'excès même de l'angoisse qui incite l'individu à en triompher. L'angoisse contribue à renforcer les différentes zones érogènes et à les rendre à tour de rôle prééminentes. Ce sont d'abord les pulsions sado-orales et sado-urétrales, puis les pulsions sado-anales qui ont la suprématie ; dès lors, les mécanismes propres au premier stade anal agissent, quelle que soit leur puissance, au service des défenses érigées contre l'angoisse qui a surgi tout au début de la phase sadique. Ainsi, cette même angoisse, qui est avant tout un agent inhibiteur dans le développement de l'individu, devient un facteur d'une importance fondamentale pour l'épanouissement du Moi et de la vie sexuelle. A ce stade, les moyens de défense sont proportionnés à la pression exercée par l'angoisse et d'une extrême violence. Nous savons qu'au cours du premier stade sado-anal, ce que l'enfant expulse, c'est son objet, qu'il considère comme hostile à son endroit et qu'il assimile à ses excréments. A mon avis, c'est aussi le Surmoi terrifiant, introjecté au stade sado-oral, qu'il expulse à ce moment. Aussi, cette éjection est un moyen de défense que le Moi, sous l'emprise de la peur, utilise contre le Surmoi ; il expulse les objets intériorisés et les projette dans le monde extérieur. Les mécanismes de projection et d'expulsion sont étroitement liés au processus de formation du Surmoi. Le Moi qui essaie de se défendre contre le Surmoi en le détruisant par une expulsion violente tente également, sous la menace de ce Surmoi, de se débarrasser du Ça sadique, c'est-à-dire des pulsions destructrices, en l'expulsant par la force. (...) Nous savons déjà que ce n'est point par la structure même de son psychisme que l'homme normal diffère du névrosé, mais par les facteurs quantitatifs qui se trouvent en jeu", et en cela Mélanie KLEIN suit parfaitement Karl ABRAHAM qui note une différence de degré entre la névrose et la psychose.

"Ma propre expérience psychanalytique, acquise en travaillant avec les enfants (cette formule d'appui sur l'expérience revient très souvent dans le texte...), m'a amené aux constatations suivantes : d'une part, les psychoses ont leurs points de fixation aux stades du développement qui précèdent la seconde période anale ; d'autre part, les mêmes points de fixation se retrouvent, quoique moins accentués, chez les enfants névrosés et normaux."  Et "la violence excessive (des) premières situations anxiogènes est également (...) d'une importance fondamentale dans l'étiologie de la schizophrénie."  

A la fin du chapitre, nous pouvons lire : "l'interaction du Surmoi en formation et des relations objectales, basée sur celle de la projection et de l'introjection, imprime donc sa marque profonde sur le développement de l'enfant. Au cours des premiers stades, la projection dans le monde extérieur des images terrifiantes le transforme en un lien de danger, et les objets en ennemis ; l'introjection simultanée des objets réels, qui, en fait, sont bien disposés à l'égard de l'enfant, travaille en sens contraire et atténue la violence de la crainte inspirée par les imagos terrifiantes. Vues sous cet angle, la formation du Surmoi, les relations objectales et l'adaptation au réel sont le résultat d'une interaction entre deux processus : la projection des pulsions sadiques de l'individu et l'introjection de ses objets."

   Le chapitre suivant traite de Les rapports entre la névrose obsessionnelle et les premiers stades de la formation du Surmoi. Elle y détermine comment les contenus des premières situations anxiogènes et leurs répercussions sur son développement sont modifiées par l'action de la libido et par les rapports avec les objets réels.

"Avec la baisse des pulsions sadiques, les menaces du Surmoi perdent quelque peu de leur force et le Moi y répond autrement. Jusqu'ici, la peur que son Surmoi et ses objets inspiraient à l'enfant pendant les toutes premières phases de son existence, provoquait, de la part du Moi, des réactions d'une égale violence. On dirait que le Moi cherche à se défendre du Surmoi, d'abord, (...) en le scotomisant, puis en l'expulsant. A partir du moment où il tente de déjouer le Surmoi et de réduire la résistance que ce dernier oppose aux pulsions du Ça, on peut dire qu'il commence à tenir compte de la puissance du Surmoi. Avec l'avènement du second stade anal, le Moi reconnaît encore plus clairement ce pouvoir et s'efforce de trouver un terrain d'entente avec le Surmoi, reconnaissant du même coup l'obligation de lui obéir. A l'égard du Ça, le Moi change également d'attitude. A l'expulsion fait place, dans le second stade anal, la répression, ou plutôt le refoulement (...). En même temps, s'atténue sa haine de l'objet, car elle prend, dans une large mesure, sa source dans les sentiments autrefois dirigés contre le Ça et le Surmoi. L'accroissement des forces libidinales et la diminution parallèle des forces destructrices ont aussi pour effet de modérer les tendances sadiques primitives qui s'attachaient à l'objet. Le Moi semble alors redouter plus consciemment des représailles de la part de l'objet. En se soumettant à un Surmoi sévère et à ses interdictions, il reconnaît du même coup le pouvoir de l'objet. L'acceptation de la réalité extérieure dépend ainsi de l'acceptation de la réalité intrapsychique, d'autant que le Moi s'efforce de faire converger Surmoi et objet. Une telle convergence marque une étape dans l'évolution de l'angoisse, et, avec l'aide des mécanismes de projection et de déplacement, favorise le progrès des relations de l'individu avec la réalité. (...) Cette modification dans le comportement à l'égard de l'objet peut se manifester de deux manières : ou bien l'enfant se détourne de l'objet, parce qu'il en redoute les dangers et qu'il veut le protéger contre ses propres pulsions sadiques, ou bien, il se tourne vers l'objet avec encore plus de bienveillance. Ce type de relation objectale résulte d'un clivage de l'imago maternelle, qui se scinde en une bonne et une mauvaise imago. L'ambivalence de l'enfant envers son objet ne constitue pas seulement un progrès dans le développement de ses relations objectales ; c'est aussi un mécanisme qui joue un rôle de première importance dans la réduction de l'angoisse inspirée par la crainte du Surmoi. En effet, le Surmoi, une fois extériorisé, est réparti sur plusieurs objets ; certains d'entre eux représentent l'objet attaqué et par suite menaçant, tandis que d'autres, notamment la mère, tiennent lieu d'un personnage favorable et protecteur."

      Le processus de sublimation peut ensuite s'installer, car des tendances réparatrices à l'égard de l'objet constituent désormais un mobile fondamental à toutes les sublimations, même les plus précoces. Lorsque ce processus s'installe difficilement, se manifeste une névrose obsessionnelle, dont les pratiques, par leur répression même (par le monde extérieur) peuvent générer des angoisses répétées et de moins en moins maîtrisables. Une très grande partie de ce chapitre est consacrée à la manière dont les différentes pulsions agissent alors. 

      Au chapitre X, Mélanie KLEIN aborde Le rôle des premières situations anxiogènes dans la formation du Moi, tant chez la fille que chez le garçon. Elle précise encore davantage ce rôle dans les deux derniers chapitres Le retentissement des premières situations anxiogènes sur le développement sexuel de la fille (chapitre XI) et du garçon (chapitre XII). Elle évoque d'ailleurs d'abord le fait que jusqu'à elle, la psychologie de la femme n'a pas bénéficié dans la même mesure que celle de l'homme des recherches psychanalytiques. 

    Dans l'appendice, plaidoyer pro domo pour la psychanalyse des enfants, elle écrit à la fin de celui-ci : "Si on analysait, pendant qu'il est encore temps, tout enfant qui présente des troubles tant soit peu important, un grand nombre des malheureux qui peuplent les asiles et les prisons ou qui échouent lamentablement, échapperaient à ce destin et réussiraient à connaître une vie normale".

 

  Les compétences cliniques reconnues de Mélanie KLEIN furent beaucoup dans la manière de travailler des membres de la Société britannique de psychanalyse, et l'exposé de sa méthode et de sa conception du conflit psychique dans La psychanalyse des enfants y aida beaucoup. Les traits accusés qu'ont ses écrits ultérieurs, sans doute dans le combat avec sa rivale Anna FREUD au sein du monde psychanalytique, et qui ont fait récusé en partie ses conclusions et sa vision de l'enfant, puis de l'individu adulte, avant une troisième phase de prise en compte mesurée qui perdure encore, ne sont pas présents dans cet ouvrage. En cela, il aide beaucoup, par une lecture attentive, à comprendre le vrai sens de son travail. 

 

Mélanie KLEIN, La psychanalyse des enfants, PUF, collection Quadrige, 2001, 320 pages. Il s'agit de la traduction française de Die psychoanalyse des kindes, Vienne, Internationaler Psychoanalytisher Verlage, 1932, de The psycho-analysis of children (traduction par Alix STRACHEY), Londres, Hogarth Press and Institute of Psycho-Analysis, 1932, 1937, 1949. La traduction française vient de J-B. BOULANGER et date de 1959.

Francisco Palacio ESPASA, article La psychanalyse des enfants, dans Dictionnaires international de la psychanalyse, Hachette Littératures, Grand Pluriel, 2005.

 

Relu et corrigé le 27 mai 2020

 

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4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 14:35

             La revue Le Coq-Héron fut créée en 1969 par un petit groupe de travail du Centre Etienne Marcel à Paris, qui a fondé le premier Hôpital de jour pour adolescents, sur le Centre Médico-Psycho-Pédagogique de Paris (spécialisé dans les affections des enfants et adolescents) alors dirigé par Bernard THIS.

La revue est d'abord interne au Centre puis rapidement diffusée à l'extérieur. Dans une parution trimestrielle, elle regroupe des psychanalystes provenant de toutes écoles ou groupes analytiques. Le comité de rédaction s'est ouvert très tôt aux membres des quatre grandes formations analytiques : la Société Psychanalytique de Paris (SPP), l'Association Psychanalytique Française (APF), le Quatrième groupe et l'Ecole freudienne. Indépendante du Centre Etienne Marcel tout en y gardant des liens privilégiés. Cette revue lie de manière constante théorie et clinique.

      Nous trouvons dans cette revue,  en remontant depuis ses débuts, les signatures de Pierre BENOIT, Christophe DEJOURS, Françoise DOLTO, Jean-Luc DONNET, François GANTHERET, Georges-Arthur GOLDSMIDT, Jacques LACAN, Maud MANNONI, Pierre SABOURIN, Adler Didier WEILL... Une grande liberté de ton traverse généralement les articles de Le Coq-Héron, qui abordent outre la clinique psychanalytique et sa théorisation, et tout ce qui est en rapport, soit l'anthropologie, la philosophie, la psychologie, l'éducation, la médecine, la psychiatrie, la littérature. La revue, qui se veut Tribune libre, soutient des débats qui opposent des courants ou tâche de relever les convergences qui les rapprochent.

Judith DUPONT, la fondatrice de la revue attire l'attention sur plusieurs éléments qui donnent à la revue "son cachet original". Disposant d'un comité de rédaction polyglotte, elle s'est spécialisée dans la publication de traductions (depuis l'allemand, le hongrois - très représenté - l'anglais, le néerlandais...). Elle ne néglige pas les questions de soins en institution et l'articulation de la psychanalyse aux problèmes sociaux (pédagogie institutionnelle, "Maisons vertes", haptonomie, "science de l'affectivité créée par Frans VEDELMANN, dans le suivi de la grossesse et de l'accouchement, données nouvelles de l'adoption, causes et conséquences du racisme...). Elle est amenée à publier des oeuvres littéraires, lorsqu'elles paraissent entretenir un rapport particulier à la psychanalyse. Enfin, elle consacre une part importante de son activité à l'histoire de la psychanalyse (histoire de la psychanalyse hongroise, Oeuvre de Françoise DOLTO).

Un site web existe depuis 1997 (mais sa dernière actualisation date, semble t-il, de 2009, même si les éditions papier continuent...). La revue est éditée depuis 2002, après les éditions spéciales du Coq Héron (de 1969 à 2002), par les éditions érès (www.editions-eres.com).

 

      Parmi les numéros publiés, de 150 pages environ à chaque opus, (un dossier principal par numéro, outre des Actualités et des Lectures, sans grille figée d'ailleurs), nous pouvons relever Transmission et secret (2002), Identité et appartenance (2002), Expérience analytique en tant qu'expérience poétique (2007), Figures de l'autre en soi (2008), Psychanalyse et la Bible (2009), Philosophie/psychanalyse (2003), Eric Fromm : un psychanalyste hors normes (2005), Psychanalyse et création littéraire (2006), Secret, honte et violences (2006).

Dans le numéro sur Entre théorie et pratique (2004), nous pouvons lire un Dossier composé d'articles de Charlotte HERFRAY (De la pluralité des théories), de Alex RAFFY (Le choix de la théorie en psychanalyse), de Saverio TOMASELLA (Extension ou extinction des deux? De l'essaim au courant d'affects) et d'Anglique HIRSCH-PELLISSIER (La lumière au bout du tunnel). Après ce dossier suivent des rubriques Anthropologie clinique, Clinique dans le champ pédagogique, Psychanalyse à l'adolescence, Fiction, Actualités et Lectures.

Un numéro spécial, 200e et 40 ans, traite en 2010, de la singularité de la transmission en psychanalyse : "Par delà les références à des modèles théoriques différents de la cure et à la pluralité des dispositifs découlant de ces débats, peut-on réussir à dégager des invariants repérables d'une transmission intra et interpsychique dans le travail analytique? Que transmet la psychanalyse au sein de chaque cure dans la singularité d'une rencontre intime entre analyste et analysant? Quels effets de transmission se déploient entre ces deux protagonistes? Que transmet l'analyste de ses propres traversées analytiques et théoriques à ses patients? Que transmet l'analysant des nouages, enkystements, cryptes, symptômes et autres avatars de son histoire relationnelle à celui qui l'écoute? Le devenir responsable de la pratique psychanalytique n'est-il pas lié de façon éthique à la remarque winnicottienne selon laquelle il s'agit de faire de la psychanalyse quand cela se peut, mais quand cela n'est pas possible, de rester analyste en faisant alors ce qu'on peut?" .

Un des numéros (n°207, dernier numéro de 2011), présente l'oeuvre de Paul ROAZEN, professeur de sociologie et professeur de sciences politiques à l'Université de Toronto, qui s'est particulièrement intéressé à l'histoire de la psychanalyse. Un autre de juin 2020 (à paraitre) porte sur la sexualité féminine : "Depuis les propositions freudiennes concernant la féminité, des psychanalystes poursuivent leur réflexion : le complexe de castration, le refus du féminin, le masochismes, mais également la perversion, la frigidité, l'homosexualité féminines, constituent autant de questions parmi d'autres. Nous comptons dans ce numéro revenir sur des textes anciens, parfois inédits, mais aussi réfléchir sur la sexualité féminine telle qu'elle se présente actuellement dans nos cabinets, sur fond de différences culturelles, d'évolution des techniques de procréation, de discussion autour du genre, de développement des réseaux - où des formes auparavant marginales de sexualité peuvent révéler ou développer leurs codes, voire devenir une mode."

 

Autour de Eva BRABANT, directrice de la revue, s'activent une dizaine de membres d'un comité de rédaction composé de professionnels (entre autres Emmanuel DANJOY, Mireille FOGNINI, Fabio LANDA, Ariane MORRIS...).

 

Notons que les Editions Erès, créées en 1980, qui se spécialisent dans le domaine des sciences humaines, se veut fidèle à la diffusion des diverses approches cliniques et théoriques, à destination essentiellement de professionnels (psychiatres, psychanalystes, psychologues, soignants, éducateurs, travailleurs sociaux, juristes) et que pour Le Coq-Héron, comme d'autres revues, la lecture exige déjà tout de même un minimum de bagage intellectuel dans ce domaine et parfois une certaine expérience de la pratique...

 

Par ailleurs, au milieu des débats actuels qui agitent la psychanalyse (notamment à propos d'attaques répétées depuis le milieu des années 2000 contre elle en tant que corpus), un site (www.oedipe.org) s'efforce d'ouvrir le public à des problématiques produites dans une petite quarantaine de revues (dont certaines s'interrompent parfois un moment).

     Dans son texte de présentation du site, Laurent LE VAGUERÈSE, indique que "Rien ne va plus". "La psychanalyse est constamment prise dans des débats contradictoire. Elle est dénoncée par ceux qui en contestent le fondé sans toujours que leurs propos apparaissent instruits de façon suffisante et pertinente. Elle est aussi l'objet de multiples débats au sein de ce qu'il est convenu d'appeler peut-être improprement, la communauté analytique. Il en résulte des conflits où la question du pouvoir n'est pas absente, des scissions et des rivalités plus ou moins importantes. Chaque scission a entraîné la création de nouvelles associations et de nouvelles structures qui se séparent, se regroupent, se combattent, etc... Les clivages sont tels aujourd'hui qu'ils conduisent à se poser la question de l'existence de cette "communauté analytique" dont les contours semblent bien difficiles à tracer. Le plus souvent, il n'est même plus possible de renouer le dialogue. Les mots employés par les tribus voisines ont trouvé un sens différent et d'autres mots au contenu énigmatique sont venus au fil des ans s'ajouter à ceux de la langue commune au point que l'analyste quittant sa tribu d'éprouver parfois le sentiment étrange de se trouver en une terre étrangère et pourtant familière. Notre objectif n'est pourtant pas d'élaborer une plate-forme consensuelle entre tous les analystes, non plus qu'un illusoire "espéranto". Nous souhaitons par contre aider ceux qui nous rejoindront à procéder à une lecture raisonnée des sites qui fleurissent désormais un peu partout à l'enseigne de la psychanalyse, participant à notre manière à la circulation de la parole et à la réaffirmation de l'importance de la psychanalyse dans le monde d'aujourd'hui.(...)".

 

 

 

Le Coq-Heron, Rédaction : Judith DUPONT, 24 place Dauphine, 75001 PARIS. Site Internet : www.lecoqheron.asso.fr.

 

Actualisé le 6 Mai 2012. Actualisé le 28 mai 2020

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1 avril 2011 5 01 /04 /avril /2011 17:30

             Le psychanalyste  et écrivain français croise dans son oeuvre déjà riche de plus d'une trentaine de livres une tradition juive et une tradition psychanalytique très proche de la vie quotidienne et de la vie politique. Il fait partie de ces intellectuels malgré tout engagé dont (sans doute heureusement pour lui) il est difficile de faire le classement sur l'échiquier idéologique...

             Formé à l'école de LACAN, mais influencé également par Emmanuel LEVINAS, Jean-Toussaint DESANTI, Henri ATLAN et Michel de CERTEAU avec lesquels il réalise d'abord des études de philosophie, il entretient avec celui-ci une collaboration très personnelle (LACAN assiste plusieurs années au séminaire de Daniel SIBONY à Vincennes sur Topologie et interprétation des rêves, si l'on en croit son propre site Internet), qui lui permet "de n'être ni lacanien, ni anti-lacanien mais d'intégrer le meilleur du lacanisme, la lecture de Freud et de (s')éloigner du pire, le langage des sectes". Effectivement, ses interventions sont solitaires et éclectiques, en dehors d'une école psychanalytique précise et, parallèlement à son travail sur les enfants (Événements II) comme à son séminaire (depuis 1974) consacré aux "questions thérapeutiques et aux pratiques créatives et symboliques dans leurs rapports à l'inconscient", il mène une réflexion de fond très proche de l'actualité, qu'elle soit quotidienne ou politique. C'est une réflexion souvent médiatisée et dans le vif, provoquant la réflexion, parfois de manière volontairement irritante. 

Ses ouvrages abordent à peu près tous les sujets, qu'on en juge : le Nom et le corps (Seuil, 1974), L'autre incastrable : psychanalyste-écritures (Seuil, 1978), La Juive : une transmission d'inconscient (Grasset, 1983), Les trois Monothéismes : juifs, chrétiens, musulmans entre leurs sources et leurs destins (Seuil, 1982), Le Corps et sa danse (Seuil, 1995 ; Points-Essais, 1998), Le Jeu et la passe : identité et théâtre (Seuil, 1997), Don de soi ou partage de soi? : le drame Lévinas (Odile Jacob, 2000) : L'énigme anti-sémite (Seuil, 2004), Les Sens du rire et de l'humour (Odile Jacob, 2010). Dans un style faussement fluide - en fait une écriture très dense - ses livres se veulent une incitation à réfléchir sur de multiples aspects mettant en jeu bien entendu l'inconscient, la sexualité, mais aussi la violence ou la haine. Il le fait dans une analyse qui revient très souvent sur les relations de Soi à l'Autre, de Soi aux Autres.

Une grande partie de ses livres est consacré aux religions du Livre : outre les trois Monothéismes La Juive déjà cité, nous pouvons relever Psychanalyse et judaïsme (Flammarion, collection Champs, 2001), Nom de Dieu : par-delà les trois monothéismes (Seuil, 2002), Lectures bibliques (Odile Jacob, 2006).

N'oublions pas deux ouvrages intéressants sur la situation actuelle de la psychanalyse dont une certaine rumeur médiatique bien orientée raconte le déclin : Le Peuple "psy", situation actuelle de la psychanalyse (Balland, 1993) et Acte thérapeutique : au-delà du peuple "psy" (Seuil, 2007).

Dans notre préoccupation sur le conflit, certains de ses ouvrages plus que d'autres attirent notre attention : Le groupe inconscient : le lien et la peur, de 1980 ; La Haine du désir de 1978 revisité en 1994 ; Violence : traversées, de 1998 ; Perversions : dialogues sur des folies "actuelles" de 1987, revisité en 2000 (un intense questionnement sur le terrorisme). Sans oublier ses multiples petits textes rassemblés dans 3 volumes intitulés Événements (Psychopathologie du quotidien, I et II ; Psychopathologie de l'actuel, III).

 

           La haine du désir, de 1978, revisité en 1994, se compose de trois parties bien différentes par leur niveau d'accès pour le lecteur : l'affect "ratial", qui traite du racisme, l'entre-deux-femmes et la névrose obsessionnelle.

Comme l'auteur prévient en début d'ouvrage, le premier texte sert "d'appât" pour les deux autres, de difficulté croissante. Ces trois textes sont liés par la notion de haine du désir : "La haine du désir est encore un désir, peut-être encore plus excédé, jusqu'à l'absence, puisqu'il veut achever son objet, le prendre avec toutes ses racines, l'atteindre dans son être, juste avant qu'il ne s'y découpe ; l'atteindre et le fixer hors du temps et de la mort. Donc dans la mort ou le néant. Mais tout ce qui est, n'est que chute ou rechute d'un sciage de l'être ; et l'objet porteur de désir a ses racines dans l'inconscient, un moyen d'en faire "connaissance", il s'ensuit que ce qui reste dans l'inconscient, c'est ce à quoi on ne peut pas dire "non". L'obsessionnelle, explorée dans l'un des textes de ce recueil, révèle l'existence d'un non au désir, un non massif grâce auquel le sujet "doit" suppléer une faillite de son "nom". Il y a aussi le savoir préventif ; l'acceptation du désir, pourvu qu'on sache, qu'on soit prévenu que c'en est un. Comme si l'indécidable du désir et le manque-à-savoir qui s'y profile ne touchaient le prévenu que sur le mode persécutif. Mais le névrosé n'a pas vraiment une haine du désir : elle le traverse et s'incruste pour lui dans l'inconscient. Il peut donc multiplier les hommages au désir, hommages plaintifs, conjuratoires, défensifs, le désir reste en déroute. Même l'hystérique, qui de son manque supposé veut faire l'organe de tous les manques, et qui "pique" toute baudruche phallique pour s'assurer que ce n'est pas encore le phallus, pour mieux poursuivre sa quête, même elle peut être "habitée" par quelque chose comme la haine ou le refus du désir. Elle en fait un désir du refus, sans toujours éprouver cette "haine" ; qui pourtant est bien là, à l'oeuvre, venue on ne sait d'où. Cela fait sens d'être dans une haine qui n'est pas la vôtre et qui fonctionne à travers vous. C'est ce fonctionnement que j'éclaire ici. Et les textes de ce livre ont en commun d'explorer cette impasse du désir sous la pression d'une certaine haine, que le sujet ne voit même pas mais qui le porte et le déborde."

 

              Le groupe inconscient : le lien et la peur, de 1980, examine ce qui fait lien dans un groupe. Ce qui est présenté par l'auteur comme un "court texte" exige tout de même une attention soutenue et s'adresse surtout à l'étudiant (ou à un autre psychanalyste dans le cadre d'une recherche). Écrit dans un langage néanmoins très accessible, sans l'appareil compliqué et technique de nombre d'oeuvres de ce domaine, ce texte plonge dans les mouvements internes du sujet dans le groupe et dans les mouvements du groupe face au sujet, ou plus précisément dans les mouvements des sujets entre eux face au fait du groupe. L'auteur pointe le paradoxe des attentes et des soumissions au groupe.

"L'enjeu, on s'en doute radical, et le modèle solaire (freudien) où les membres comme rayons convergent vers le foyer idéal, le Père idéal..., semble insuffisant ; encore qu'il soit sans cesse authentifié par l'indignation contre "l'autorité mystifiante", et les pieux appels à être "plus libre" et à penser par "soi-même".... C'est donc une autre approche qui est ici tentée, du collectif comme figure même de l'inconscient, obstruée, bouchée par l'objet du désir à quoi le groupe "adhère". Or, si on se groupe pour se décharger de l'inconscient et pour s'assurer à bon compte d'en avoir un ; si le groupe ne s'appartient pas, mais "appartient" à l'objet qui le plaque ; si le groupe efface les différences pour être en fait le recueil des différences qu'il échoue à effacer ; si donc le groupe est le lieu commun d'un échec, qui n'est pas seulement échec sur le cadavre du père, ça tire à quelques conséquences tragi-comiques, que ce bref trajet égrène à travers des mythes presque aussi "fous" que la réalité, mais dont l'enjeu est clair : une transmission de l'inconscient sous forme de lien qui puisse ligaturer l'hémorragie du désir..." Nous retrouvons dans ce livre le thème récurrent de nombreux ouvrages de Daniel SIBONY : la transmission, que ce soit dans la vie quotidienne ou dans le cadre des grandes religions monothéistes.

 

           Dans Violence, Traversées, de 1998, le psychanalyste entend, après avoir étudié à travers l'effet de groupe, les religions, la haine identitaire et le théâtre... des montages violents, névrotiques ou pervers, étudier la violence comme telle, "dans sa genèse, son jaillissement ; dans l'espace qui est le sien et qui est repéré par deux axes, coordonné par deux types d'affrontements : accrochage entre deux symptômes et choc entre deux narcissismes."

"Bien sûr, ces deux axes ont un point commun, la question de l'origine, en tant qu'elle se transmet et qu'elle se symbolise ; en tant qu'elle comporte des noeuds d'angoisse et de peur. (...) La violence comme piétinement ou secousse "originaire" du symbolique - dont elle concerne la transmission et les impasses. Elle exprime ces impasses en se transmettant à elle-même, indéfiniment ; jusqu'à ce qu'un effet symbolique vienne l'arrêter. La violence dite des jeunes le montrera : quand le jeu de la transmission éclate - avec violence - chez les enfants : jeunes et immigrés." La "traversée" que Daniel SIBONY entreprend recoupe, mais ne "couvre" pas, à peu près toutes les violences : elle croise leurs formes essentielles.

L'auteur veut dégager les invariants de cette violence, où qu'elle s'exprime, et il le fait par ailleurs également dans Psychopathologie du quotidien, dont la lecture permet de se rendre compte que, même s'il centre ici ses analyses sur des processus inconscients, il n'évacue pas les caractères d'injustices présentes dans nombre de situations. Centré sur quatre axes de réflexion, d'abord bien entendu, la violence elle-même, l'exclusion, la peur et l'angoisse, l'ouvrage semble réellement vouloir se placer dans une très grande vue d'ensemble, mais n'examine pas le conflit, dont la violence n'est à notre avis, qu'une modalité d'expression. Il s'agit de la violence visible, celle que la société, comme l'écrit justement l'auteur, ne veut pas voir. 

   La violence est comprise comme accrochage entre deux symptômes et se développe dans l'entre-deux-symptômes, là où chacun tire dans son sens, perdant l'accès à l'autre sens, au renouvellement du sens.

"La violence signale cette perte de sens. Elle est rupture de sens et appel à d'autres sens". "Et pour donner sens - à tout prix - à certaines violences, on produit parfois un délire. Le délire est un effort pour donner sens à quelque chose qui n'en a pas, ou qui échappe ; le bon sens a éclaté. Le délire et le symptôme sont une façon de donner sens à des violences passées ; on n'a pas trouvé d'autres voies pour remanier cette violation. La violence, comme entre-deux-symptomatique, signale aussi des richesses, des gisements de sens inertes ; mais elle les pointe sur un mode qui en barre l'accès. Elle pointe le manque sur un mode qui empêche de le surmonter. Mais la mutation est possible pour chacun des deux symptômes ; l'un et l'autre peuvent ouvrir la question du lien."

Elle est comprise également comme choc entre deux narcissismes. "Cette violence narcissique pure - pour se sentir exister - est une attaque contre l'être et le temps pour "accrocher" un peu d'être et de temps vivants, pour forcer un don de vie qui ne s'est pas fait. Bien sûr, ça rate : on ne peut pas naître dans la haine." Après avoir exposé les caractéristiques de la violence telle qu'elle se montre, telle qu'elle se transfère, telle qu'elle s'interprète aussi, Daniel SIBONY, et c'est une approche remarquable, à cent lieues des exposés cliniques et théoriques lus maintes fois dans la littérature psychanalytique, tente de l'analyser, de manière psychanalytique toujours, en action : la violence-banlieue, la violence-jeune, l'activité de la machine sociale face à ces violences-là, les situations d'intégration-exclusion, la peur de l'autre. Il le fait en plaçant parfois des digressions - qui obligent à rester attentifs! - sur des épisodes tirés de l'Histoire ou de la Bible.

Il commence sa conclusion par le traitement que l'on fait souvent de la violence : "Souvent, pour mieux ignorer le mobile de la violence, son mouvement subtilement implacable, on exige "d'abord des remèdes". Ce "réalisme" témoigne d'une  violente ignorance. Même les médecins n'en sont plus là, pour la douleur ; ils ne veulent pas la supprimer à tout prix".

Nous sommes tenter de lui répliquer que "pas tous", loin de là s'écarte de la bonne vieille méthode du contrôle social médicalisé, mais là n'est pas l'important ici. L'important, c'est que "il faut savoir remonté le cours d'une violence, jusqu'à la source où l'énergie a pris cette voie plutôt qu'une autre". La violence est ancrée dans l'injustice, et toutes les modalités de traitement de cette violence ne peuvent l'effacer. Plus "il est clair que "le contraire" de la violence n'est pas la raison (il y a une terrible violence dans certaines postures "raisonnables"), mais la capacité d'avoir du jeu supplémentaire, de trouver du passage ou des passes dans tel jeu qui tourne en rond et dont l'impasse est signifiée par la violence, dans un appel à une violence tout autre qui, transmuant l'espace de jeu, aiderait la vie à reprendre sa route."

Ce contraire de la violence, Daniel SIBONY le voit dans "la liberté - reconquise sur le chaos par une perception plus aiguë de la "loi" comme processus, et protégée du chaos par une confiance plus aiguë dans le "processus" de la loi, en ce qu'il a d'infini. Processus symbolique et non pas règle édictée ou simple cadre réglementaire." Il dénonce le fait que jusqu'ici, l'État moderne "a joué la carte philosophique qui, à la violence, oppose la raison." 

 

Daniel SIBONY, Violence, Traversées, Seuil, collection La couleur des idées, 1998 ; Événements I et II, Psychopathologie du quotidien, Seuil, collection Essais, 1995 ; Événements III, Psychopathologie de l'actuel, Seuil, collection Essais, 1999 ; La haine du désir, Christian Bourgois, collection Choix essais, 1994 ; le groupe inconscient, le lien et la peur, Christian Bourgois, 1980.

Site Internet : www.Danielsibony.com

 

Relu le 29 mai 2020

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1 avril 2011 5 01 /04 /avril /2011 08:25

        Les critiques de la psychanalyse, depuis ses origines, se présentent sous deux formes, l'une, théorique, comme connaissance du psychisme, centrée sur le déterminisme psychique inconscient, et l'autre, pratique, en liaison directe avec la théorie comme thérapie ou clinique, ce dernier aspect souvent en lien avec une certaine institutionnalisation.

      La très longue liste des oeuvres critiques de la psychanalyse est poursuivie récemment par ces deux livres, Le livre noir de la psychanalyse, sous la direction de Catherine MEYER, livre à une quarantaine d'auteurs, de 2005, et Le crépuscule d'une idole, l'affabulation freudienne, du philosophe Michel ONFRAY, de 2010.

Alors que le premier se veut une réfutation de la théorie et de la pratique psychanalytique, le second se concentre plus sur son fondateur, Sigmund FREUD. Très dissemblables de par leurs motivations, ces deux ouvrages interviennent dans une période de relatif déclin de la psychanalyse en tant que telle, nonobstant tous les emprunts faits à celle-ci par de nombreuses disciplines connexes. 

Avant d'entamer une recension de ces deux livres, ayons en regard les diverses formes de critiques de la psychanalyse :

- soit sur le moment fondateur (contexte historique, épistémologique, scientifique, culturel) posant la question du statut des découvertes freudiennes (science, art, philosophie, élément de la socialité...), qui recouvre surtout le personnage même de Sigmund FREUD,

- soit sur les inflexions ultérieures de la psychanalyse (et là la critique peut être aussi bien interne qu'externe), sur le noyau conceptuel commun à l'ensemble des courants psychanalytiques et singulièrement sur deux éléments : l'importance primordiale de la sexualité et l'existence d'un inconscient moteur, sur les modes de formation des psychanalystes (valeur d'une analyse didactique, réglementation de la profession, institutions) ou

- soit encore sur la construction idéologique de la légende Freud, à partir d'écrits hagiographiques manipulant les sources et travestissant les résultats scientifiques.

   Toutes ces formes de critiques interviennent toujours dans un contexte socio-politique et économique précis et il faudrait faire une étude de différents conflits, dans le monde médical notamment, pour cerner les phases de leurs interventions (tant en quantité qu'en nature).

Vu que la psychanalyse ne se positionne pas seulement en technique de traitements des maladies mentales ou du mal-être de manière générale, mais qu'elle recouvre de manière ouverte des considération d'ordre philosophique, sociologique et politique, il est naturel qu'elle soit l'objet d'attaques de tous ordres.

 

Le livre noir de la psychanalyse

           Le livre noir de la psychanalyse constitue une attaque en règle contre la psychanalyse, lui déniant toute validité scientifique et toute pertinence clinique. Il est constitué d'une quarantaine de textes, relativement courts et assez surprenants parfois dans leur simplisme, provenant d'autant d'auteurs de dix nationalités. Il s'agit d'abord d'un projet éditorial de Catherine MEYER, appuyé par Mikkel BORCH-JACOBSEN, philosophe danois-français-américain, auteur déjà de sept livres traitant de psychanalyse et d'histoire sur la "mystification freudienne", Jean COTTRAUX, psychiatre des hôpitaux, qui dirige le service de traitement de l'anxiété au CHU de Lyon, Didier PLEUX, docteur en psychologie du développement et psychologue clinicien,  et Jacques Van RILLAER, professeur de psychologie à l'Université de Louvains-la-Neuve en Belgique, qui ont ensuite effectué un assemblage d'articles, parfois hétéroclite, sollicités un peu partout. 

Suivant les intentions des auteurs principaux, pas toujours suivis d'ailleurs par les autres auteurs qui se situent eux-mêmes parfois sur des plans très différents, il s'agit de combattre l'institution psychanalytique qui, selon eux, ne reste hégémonique qu'en France et en Argentine. Considérant que la critique de la psychanalyse est encore largement taboue en France (propos qui étonne, vu la longue liste des dissidences et des oeuvres critiques...), ils prétendent présenter une enquête vivante, riche en rebondissements historiques, scientifiques et théoriques, dans une emphase qui rappelle un peu trop un slogan publicitaire.

"Penser, vivre et aller mieux sans la psychanalyse" est leur projet : "Il ne s'agit pas seulement de mots, d'idées, de débats en chambre. D'après plusieurs études internationales, les troubles psychiques sont en augmentation constante. Une personne sur deux est ou sera confrontée dans sa vie à la maladie psychique, et une sur cinq présentera une forme grave de trouble psychologique. Mieux connaître ces troubles, mieux les traiter est vital. Ceux qui souffrent ont besoin de savoir la pertinence et l'efficacité des thérapies proposées. A qui faire appel en cas de dépression ou de troubles anxieux? Quels traitements ont fait leurs preuves dans la schizophrénie? Comment faire face à l'anorexie? Nous sommes tous, à un titre ou à un autre, concernés par ces questions. Au-delà, notre espoir en publiant ce livre est également d'aider chaque lecteur à voir plus clair en lui. De quelle manière sommes-nous déterminés par notre passé? Quelle éducation donner à nos enfants? Comment affronter les blessures de la vie et les injustices de la condition humaine? Peut-on vivre, penser et aller mieux sans la psychanalyse? Quelle est la part de science, de philosophie et l'illusion qui préside à cette conception de l'homme? Sigmund Freud a influencé notre manière de vivre, c'est l'évidence. La psychanalyse fait partie de notre passé. Elle façonne notre présent. Il reste à savoir dans quelle mesure elle fera aussi partie de notre avenir." (Catherine MEYER). Vu le caractère vaste des critiques émises, le premier regret que nous pouvons formuler est la forme du livre, unilatérale, alors qu'il aurait été nettement plus intéressant, pour chaque aspect, de lire des articles de débats, voire des articles et des contre-articles portant sur les questions précises soulevées... 

              Le livre se divise en cinq grosses parties : La face cachée de l'histoire freudienne (Mythes et légendes de la psychanalyse, Les fausses guérisons, La fabrication des données psychanalytiques, L'éthique de la psychanalyse?), de loin la plus radicale et la plus cohérente ; Pourquoi la psychanalyse a-t-elle eu un tel succès (A la conquête du monde, Le pouvoir de séduction de la psychanalyse, L'exception française) ; La psychanalyse et ses impasses (une valeur scientifique?, une psychothérapie? Les clairvoyants, Les mécanismes de défense de la psychanalyse) ; Les victimes de la psychanalyse (Les victimes historiques, Parents et enfants, premières victimes, Le drame de l'autisme, Blessés par la psychanalyse, Un cas exemplaire : la toxicomanie) qui fait écho, car nous sommes dans la même période éditoriale, aux victimes recensées dans le Livre noir du communisme ; Il y a une vie après Freud (La révolution des neurosciences, Et les médicaments?, Les psychothérapies d'aujourd'hui).

La première partie s'attaque au fondateur de la psychanalyse, qualifié de falsificateur, de dissimulateur et décrit comme dénué de toute éthique. C'est cette partie qui a soulevé les plus vives critiques éditoriales, (dans un monde - le monde psychanalytique - où les blessures narcissiques et le narcissisme proprement dit d'ailleurs foisonnent déjà... ), de deux ordres, d'une part sur le fait qu'il ne s'agit pas réellement de révélations, car de nombreuses études historiques avaient déjà relevés le travestissements des cas types décrits par Sigmund FREUD dans son oeuvre et d'autre part sur la décontextualisation de cette critique, par ailleurs justifiée. Au temps de Sigmund FREUD, qu'avait à offrir la psychiatrie aux malades mentaux? Par ailleurs, un certain amalgame entre la critique scientifique des cas et des théories qui dérivent de leur description et une critique d'ordre moral (que l'on pourrait d'ailleurs étendre à d'autres sommités de l'époque du monde médical...) brouillent leur portée et donnent une sensation de règlement de comptes... 

Outre des éléments de la quatrième partie (sur l'autisme et la toxicomanie où des erreurs réelles ont été faites, dans tous les pays d'ailleurs), c'est finalement la dernière partie qui s'avère la plus intéressante et la plus révélatrice. Il s'agit d'un ensemble d'articles qui mettent en avant, à partir des découvertes biologiques (neurosciences notamment), et fait la promotion des thérapies cognitivo-comportementales très en vogue actuellement aux États-Unis. Ces thérapies prétendent partir d'une psychologie scientifique pour prescrire un certain nombre de traitements où les médicaments prennent une grande place. Gérard BAYLE, président de la SPP met à juste titre l'accent, surtout vu le contexte de cette édition proprement dite (polémique autour d'un rapport de l'INSERM sur l'évaluation des traitements des affections mentales), sur le développement de certaines conceptions thérapeutiques qui considèrent le malade avant tout comme un patient qu'il convient de traiter, dans un marché de la santé en pleine expansion. 

   Nous conseillons de lire ce livre, car toute démarche scientifique commande la critique, même si celle-ci parait outrancière et parfois malhonnête. Et de le faire, avec en contre-points d'autres écrits traitant de manière plus équilibrée de la validité et de la pertinence des idées psychanalytiques (par exemple d'Y. CARTUYVELS sur précisément le livre noir de la psychanalyse, La libre Belgique, septembre 2005), mais aussi sur les autres thérapies proposées (par exemple le livre de B. BRUSSET sur les psychothérapies, de 2005, aux PUF, collection Que sais-je?).

 

   L'éditeur présente ce livre de manière particulièrement racoleuse (première édition) : "La France est - avec l'Argentine - le pays le plus freudien du monde. Cette situation nous aveugle : à l'étranger, la psychanalyse est devenue marginale. Son histoire officielle est mise en cause par des découvertes gênantes. Son efficacité thérapeutique s'avère faible. Sa pertinence en tant que philosophie est contestée. Ses effectifs sont en chute libre. La psychanalyse a été vécue par la génération de Mai 1968 comme un vent de liberté. Mais les insurgés d'hier sont devenus des gardiens du temple, soucieux de leur position dominante à l'Université, à l'hôpital et dans les médias. Pourquoi refuser en France le bilan critique que tant d'autres nations sont dressé avant nous? Le livre noir de la psychanalyse propose une enquête à plusieurs voix, vivante et accessible à tous. Quarante auteurs parmi les meilleurs spécialistes du monde ouvrent un débat nécessaire. Ils sont historiens, philosophes, médecins, chercheurs et même patients. Freud a t-il menti? La psychanalyse guérit-elle? Est-elle la meilleure façon de comprendre ce que nous sommes? Comment éduquer nos enfants hors la peur de "mal faire"? Que penser des autres thérapies? Le livre noire de la psychanalyse dresse le bilan d'un siècle de freudisme. Un ouvrage international de référence pour tous ceux qui s'intéressent à l'humain et au psychisme."

     

    

Le crépuscule d'une idole

     Le crépuscule d'une idole, L'affabulation freudienne, de Michel ONFRAY  s'attache principalement au moment fondateur de la psychanalyse. Lui aussi reprend l'hagiographie freudienne et dénonce une certaine méthode de travail et d'exposition de son travail par Sigmund FREUD. Nous ne discuterons pas ici du style utilisé par l'autre, présent aussi dans ses autres livres dont nous aurons l'occasion de parler, et qui présente des avantages et des inconvénients bien précis, tout simplement parce que, tout compte fait, il est agréable à lire, malgré une présentation de la doctrine de Freud sous forme de cartes postales (à laquelle il répond par ces contre-cartes postales plus loin dans le livre) qui possède le très net aspect négatif de trop simplifier celle-ci et surtout de faire l'impasse sur les multiples réflexions contradictions que le fondateur de la psychanalyse a émises sur plusieurs versants de celle-ci (et encore plus sur le fait que la psychanalyse de Freud n'est pas celle de Lacan par exemple...).

Michel ONFRAY, très honnête intellectuellement à son habitude, propose "une histoire nietzschienne de Freud, du freudisme et de la psychanalyse : l'histoire du travestissement freudien de cet inconscient (le mot se trouve sous la plume de Nietzsche...) en doctrine ; la transformation des instincts, les besoins physiologiques d'un homme en doctrine ayant séduit une civilisation ; les mécanismes de l'affabulation ayant permis à Freud de présenter objectivement, scientifiquement, le contenu très subjectif de sa propre autobiographie - en quelques mots, je propose l'esquisse d'une exégèse du corps freudien..." Un critique a présenté ce livre avec un certain humour que là, l'auteur faisait sa propre psychanalyse en entendant faire la psychanalyse de Freud avec les méthodes psychanalytiques de Freud... Ce qui donne un résultat d'ailleurs tout à fait réjouissant et très incitatif intellectuellement ! 

Michel ONFRAY estime que Sigmund FREUD effectue une dénégation de la philosophie, mais élabore lui-même une philosophie (première partie), que la psychanalyse ne relève pas de la science, mais d'une autobiographie philosophique (nourrie entre autres de lectures d'oeuvres de  NIETSZCHE d'ailleurs...), que la psychanalyse n'est pas un continuum scientifique, mais un capharnaüm existentiel, que la technique psychanalytique relève de la pensée magique, et qu'enfin, et sans doute dans cette dernière partie y-a--t-il matière à très grands débats, que la psychanalyse n'est pas libérale, mais conservatrice. 

"De manière ironique, nous pourrons en appeler trois fois à Freud lui-même pour conclure cet ouvrage. Premièrement : dans L'Avenir d'une illusion, il explique en effet qu'il distingue l'illusion de l'erreur. Une erreur suppose une fausse causalité : par exemple, comme dans la génération spontanée, faire naître la vermine vivante d'un simple tas d'ordures mortes ou bien expliquer une affection neurologique par la débauche sexuelle. Une illusion, quand à elle, renvoie à un souhait intime : lorsque Christophe Colomb croit avoir trouvé une nouvelle voie par mer vers les Indes quand il découvre l'Amérique ; ou bien quand certains nationalistes allemands affirment que seuls les Indo-européens seraient capables de culture ; ou bien encore quand les alchimistes croyaient pouvoir transformer le plomb en or. Parce qu'elle s'enracine dans un souhait extrêmement puissant, l'illusion s'apparente à "l'idée délirante en psychiatrie". Parlant des religions, il poursuit : "Elles sont toutes des illusions, indémontrables, nul ne saurait être contraint de les tenir pour vraies, d'y croire. Quelques unes d'entre elles sont tellement vraisemblables, tellement en contradiction avec tout ce que notre expérience nous a péniblement appris de la réalité du monde, que l'on peut - tout en tenant compte des différences psychologiques - les comparer aux idées délirantes. On ne peut pas juger de la valeur de la réalité de la plupart d'entre elles. Tout comme elles sont indémontrables, elles sont irréfutables." Sourions un peu : ajoutons à cela, pour prévenir les critiques et les attaques qui ne manqueront pas de venir le jour venu (...) que Freud écrit aussi : "Lorsqu'il s'agit de questions de religion, les hommes se rendent coupables de toutes les malhonnêtetés, de toutes les inconvenances intellectuelles possibles". Ne pourrait-on reprendre le premier moment de cette analyse freudienne point par point, pour l'appliquer à la psychanalyse? Car de fait, le freudisme apparaît bien à celui qui aura fait l'effort d'aller voir dans le texte ce qu'il est, et qui ne se sera pas contenté de la vulgate et des catéchismes édités et diffusés par la corporation, comme une illusion indémontrable construite sur des invraisemblances en contradiction avec les conclusions obtenues par le simple usage d'une intelligence conduite selon l'ordre des raisons. Objet de foi  irréfléchi, d'adhésion vitale, d'assentiment viscéral, nécessité existentielle pour organiser sa vie ou sa survie mentale, la psychanalyse obéit aux mêmes lois que la religion : elle soulage, elle allège comme la croyance dans un arrière monde qu'animent nos désirs les plus insoucieux du réel. Le désir y prend toute la place et la réalité n'a pas droit de cité...(...). Une deuxième référence à Freud m'autorise, pour une fois, à terminer ce livre en lui donnant raison avec ce qu'il écrit en 1937 dans L'Analyse avec fin et l'analyse sans fin : "Est-il possible de liquider durablement et définitivement par thérapie un conflit de la pulsion avec le moi ou une revendication pulsionnelle pathogène à l'égard du moi? Il n'est probablement pas inutile, pour éviter tout malentendu, d'expliciter d'avantage ce que l'on entend par la formule : liquidation durable d'une revendication pulsionnelle. Sûrement pas l'amener à disparaître au point qu'elle ne refasse plus jamais parler d'elle. Car c'est en général impossible et ce ne serait pas non plus du tout souhaitable". Disons-le de manière plus courte et plus directe. Question : la psychanalyse peut-elle guérir? Réponse : non. Ajout : serait-ce même possible que ce ne serait pas souhaitable... Allez savoir pourquoi - bénéfice de la maladie? Probablement...

La lecture d'un troisième texte conclura ce livre. Après avoir proposé qu'on puisse penser, selon l'analyse freudienne même, la psychanalyse comme une illusion définie par le triomphe du souhait emballé par le désir malgré, sinon contre, la réalité enseignée par l'expérience ; après avoir souscrit à l'affirmation d'un Freud âgé de quatre-vingt-un an, quelques mois avant de mourir en exil, n'ayant plus à se soucier de réputation, de gloire et d'argent, de prix Nobel, de médailles ou de statues, de plaques commémoratives, mais tout simplement de vérité, reconnaissant que la psychanalyse ne guérit pas, car on n'en finit jamais avec une revendication pulsionnelle, il nous faut, toujours en méditant les réflexions ultimes du vieil homme sachant qu'il va très bientôt mourir, nous attarder sur une réflexion extraite de l'Abrégé de psychanalyse. Freud pose clairement les limites des effets de sa thérapie, il sait qu'elle ne peut pas tout, qu'elle ne guérit pas absolument, qu'elle ne saurait être présentée comme une panacée, qu'elle connaît des échecs, que les résistances à l'analyse sont grandes : "Avouons-le, notre victoire n'est pas certaine, mais nous savons du moins, en général, pourquoi nous n'avons pas gagné. Quiconque ne veut considérer nos recherches que sous l'angle de la thérapeutique nous méprisera peut-être après un tel aveu et se détournera de nous.  En ce qui nous concerne, la thérapeutique ne nous intéresse ici que dans la mesure où elle sert de méthodes psychologiques, et pour le moment elle n'en a pas d'autres. Il se peut que l'avenir nous apprenne à agir directement, à l'aide de certaines substances chimiques, sur les quantités d'énergie et leur répartition dans l'appareil psychique. Peut-être découvrirons-nous d'autres possibilités thérapeutiques encore insoupçonnées. Pour le moment néanmoins que de la technique psychanalytique, c'est pourquoi, en dépit de toutes ses limitations, il convient de ne point la mépriser." " Michel ONFRAY pense que "c'est à cet endroit même, au lieu exact des points de suspension qui matérialisent la phrase inachevée par la mort, qu'il faut penser son oeuvre. La mépriser - pour utiliser son mot? Sûrement pas. Mais la sortir de la légende pour l'inscrire dans l'histoire où elle a tenu une place un siècle durant, en attendant d'autres propositions qui ne manqueront pas de venir et qui, bien sûr, se trouveront un jour caduques. C'est le sens de cette psychobiographie nietzschéenne de Freud."

Laissons à Michel ONFRAY la responsabilité de cette interprétation. Il y en a beaucoup d'autres, mais celle-ci mérite d'être pensée. En tout cas, beaucoup de partagent pas ni cette lecture des trois textes en question, ni cette interprétation...

A l'inverse de Le livre noir de la psychanalyse, le lecteur peut à loisir choisir d'autres textes critiques dans l'abondante bibliographie sélective en fin d'ouvrage pour se faire une meilleure idée des débats autour des idées de la psychanalyse.

 

    L'éditeur (en fait l'auteur lui-même) présente ce livre (en quatrième de couverture) de la manière suivante, d'une manière finalement assez racoleuse elle aussi : "Le freudisme et la psychanalyse reposent sur une affabulation de haute volée appuyée sur une série de légendes. Freud méprisait la philosophie et les philosophes, mais il fut bel et bien l'un d'entre eux, auteur subjectif d'une psychologie littéraire... Freud se prétendait scientifique. Faux : il avançait tel un "Conquistador" sans foi ni loi, prenant ses désirs pour la réalité. Freud a extrait sa théorie de sa pratique clinique. Faux : son discours procède d'une autobiographie existentielle qui, sur le mode péremptoire, élargit son tropisme incestueux à la totalité du genre humain. Freud soignait par la psychanalyse. Faux : avec la cocaïne, l'électrothérapie, la balnéothérapie, l'hypnose, l'imposition des mains ou l'usage du monstrueux psychrophore en 1910, ses thérapies constituent une cour des miracles. Freud guérissait. Faux : il a sciemment falsifié des résultats pour dissimuler les échecs de son dispositif analytique, car le divan soigne dans la limite de l'effet placebo. Freud était un libérateur de la sexualité. Faux : son oeuvre légitime l'idéal ascétique, la phallocratie misogyne et l'homophobie. Freud était un libéral en politique. Faux : il se révèle un compagnon de route du césarisme fasciste de son temps. Chamane viennois, guérisseur extrêmement coûteux et sorcier post-moderne, il recourt à une pensée magique dans laquelle son verbe fait la loi. Ce livre se propose de penser la psychanalyse de la même façon que le Traité d'athéologie a considéré les trois monothéismes : comme auteur d'occasions d'hallucinations collectives. Voilà pourquoi il est dédié à Diogène de Sinope..."

 

 

Michel ONFRAY, le crépuscule d'une idole, l'affabulation freudienne, Editions Grasset & Fasquelle, 2010, 612 pages.

Sous la direction de Catherine MEYER,  Le livre noir de la psychanalyse, Editions des arènes, 2005, 832 pages. Réédition en 2010 : cette nouvelle édition comporte des ajouts : Le récit de la genèse du Livre noir et de sa sortie mouvementée, des révélations (selon l'éditeur...) sur la double vie de Freud, une analyse du statut de psychothérapeute et de la formation des psychothérapeutes, ainsi que sur le revirement (ce que nous demandons à voir, cela semble bien plus complexe que présenté...) à 180 degrés des psychanalystes sur l'autorité parentale.

 

Complété le 25 novembre 2012. Relu le 30 mai 2020

 

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24 mars 2011 4 24 /03 /mars /2011 16:10

           Défini comme l'Action de séparation, de division du Moi (clivage du Moi), ou de l'objet (clivage de l'objet) sous l'influence angoissante d'une menace, de façon à faire coexister les deux parties ainsi séparées qui se méconnaissent sans formation de compromis possible (Les mécanismes de défense), le clivage appartient à la tradition psychanalytique depuis le début et  constitue une explication d'une des modalités les plus courantes de la formation de l'appareil psychique. 

    Que ce soit au sein du Moi ou par rapport à l'objet, nous expliquent Serban IONESCU, Marie-Madeleine JACQUET et Claude LHOTE, le mécanisme de clivage répond au besoin de maîtriser l'angoisse par deux réactions simultanées et opposées, l'une cherchant la satisfaction, l'autre tenant compte de la réalité frustrante.

Ce procédé, qui sert d'issue en cas d'ambivalence conflictuelle, est généralement réversible et temporaire et normalement présent dès les débuts de la vie psychique. Il joue un rôle organisateur important mais, poussé à l'extrême, il peut présenter un caractère déstructurant et dangereux. Grâce à la capacité de discrimination et d'attention qu'il établit, le clivage permet l'organisation des émotions, des sensations et des pensées ou encore des objets, condition préalable à tout processus d'intégration et de socialisation. C'est un mécanisme "déconfusionnant" puisqu'il instaure une première séparation et à sa place tout au long de la vie. Plus que d'autres mécanismes de défense, son rôle est éminemment positif dans la structuration de la psyché comme dans l'instauration des modes relationnels. Le clivage, dont les manifestations sont souvent repérées très tôt par les psychanalystes, processus de séparation, inaugure la démarcation d'un appareil psychique différencié et les premières relations objectales marquées par l'ambivalence.

  Si l'on suit par ailleurs LAPLANCHE et PONTALIS, le clivage n'est pas à proprement parler un mécanisme de défense, mais plutôt une manière de faire coexister deux procédés de défense. Selon les circonstances, il est à supposer que c'est la prévalence du rôle structurant ou défensif qui fera de ce clivage "réussit", un moteur de développement ou un obstacle à la croissance psychique.

 

                Les deux auteurs du vocabulaire de la psychanalyse présentent dans deux articles différents le clivage de l'objet et le clivage du Moi, apparus dans la littérature de la psychanalyse dans des moments différents.

  Le clivage du moi est le terme employé par Sigmund FREUD pour désigner un phénomène bien particulier qu'il voit à l'oeuvre surtout dans le fétichisme et les psychoses : la coexistence au sein du Moi, de deux attitudes psychiques à l'endroit de la réalité extérieure en tant que celle-ci vient contrarier une exigence pulsionnelle : l'une tient compte de la réalité, l'autre dénie la réalité en cause et met à sa place une production de désir. Ces deux attitudes persistent côte à côte sans s'influencer réciproquement. Les études de JANET, de FREUD et de BREUER sur l'hystérie les font envisager très tôt  (1894 par FREUD) un "clivage de la conscience". Les opinions qu'ils en ont divergent, FREUD discutant de la notion d'inconscient comme séparé de la conscience, JANET analysant ce qu'il appelle "la faiblesse de la synthèse psychologique" et BREUER décrivant "l'état hypnoïde" et l'"hystérie hypnoïde". Pour Sigmund FREUD, le clivage est le résultat du conflit et cela pose la question : pourquoi, comment le sujet conscient s'est-il séparé d'une partie de ses représentations? Nous trouvons principalement dans les articles Fétichisme de 1927, Le clivage du moi dans le processus de défense de 1938 et dans l'Abrégé de psychanalyse de 1938, l'essentiel de ses conceptions à ce sujet. 

   Le clivage de l'objet est le mécanisme décrit par Mélanie KLEIN et considéré par elle comme la défense la plus primitive contre l'angoisse : l'objet, visé par les pulsions érotiques et destructives est scindé en un "bon" et un "mauvais" objet qui auront alors des destins relativement indépendants dans le jeu des introjections et des projections. Le clivage de l'objet est particulièrement à l'oeuvre dans la position paranoïde-schizoïde où il porte alors sur l'objet total. Le clivage des objets s'accompagne d'un clivage corrélatif du Moi en "bon" Moi et "mauvais" Moi, le Moi étant pour l'école kleinienne essentiellement constitué par l'introjection des objets. Si les conceptions de Mélanie KLEIN se réclament de certaines indications de Sigmund FREUD concernant les origines de la relation sujet-objet (Moi-plaisir, Moi-réalité), elles constituent un apport très original dans la psychanalyse et se déploient dans la description des bons et mauvais objets et des positions paranoïde et dépressive.

 

             Sophie de MIJOLLA-MELLOR s'attache aux différents emplois de la notion de clivage en psychanalyse et en psychiatrie. Le dictionnaire international de la psychanalyse distingue nettement, comme LAPLANCHE et PONTALIS, le clivage du Moi et le clivage de l'objet, le premier étant tout simplement introduit dans l'étude du Moi de manière globale. De plus, il aborde les notions de clivage vertical et horizontal.

  Sophie de MIJOLLA-MELLOR montre bien la genèse de la notion de clivage chez Sigmund FREUD. Dans un texte de 1894, Les psychonévroses de défense, celui-ci écrit : "Les patients que j'ai analysés, en effet, se trouvaient en état de bonne santé psychique, jusqu'au moment où se produisit dans le vie représentative un cas d'inconciliabilité, c'est-à-dire jusqu'au moment où un événement, une représentation, une sensation se présenta à leur Moi, éveillant un affect si pénible que la personne décida d'oublier la chose, ne se sentant pas la force de résoudre par le travail de pensée la contradiction entre cette représentation inconciliable et son Moi".  Dans le texte Le clivage du Moi dans les processus de défense de 1938, il qualifie de ruse la réaction de l'enfant face à un danger, pour arriver à satisfaire la pulsion et respecter la réalité en même temps. Ce dernier texte ouvre la voie à une conception du clivage qui concerne non seulement le fétichisme, les psychoses et les névroses, mais l'ensemble de la vie psychique, ce qui est achevé dans L'Abrégé de psychanalyse de 1938.

Jacques LACAN développe par la suite l'espèce de clivage énergétique qui caractérise la psychose, traduite par forclusion. Mais c'est surtout Mélanie KLEIN qui donne une connotation dramatique au clivage (clivage de l'objet), dans une phase schizo-paranoïde qui se déroule selon elle chez tous les très jeunes enfants. Bon et mauvais objets s'établissent. L'appui du Moi sur le bon objet et la démarche de réparation de l'objet détruit permettent ultérieurement de dépasser en partie ce clivage. Cependant, le clivage de l'objet est indissociable d'un clivage du Moi en un bon et un mauvais Moi, selon l'introjection des objets clivés correspondants. Le clivage peut se montrer difficile à dépasser lorsqu'il s'établit entre un très mauvais objet et un objet idéalisé. Toute la pathologie de l'idéalisation s'ouvre ici avec ses multiples facettes cliniques. Les successeurs de Mélanie KLEIN, Wilfred BION et Donald WINNICOTT, complètent et approfondissent cette notion du clivage.

   D'autres psychanalystes mettent en doute la validité d'une telle conception dès les tout premiers stades du développement antérieurs à l'acquisition du langage (Sigmund FREUD et Edward GLOVER entre autres). Mais Mélanie KLEIN estime ne pas faire autre chose que ce que font les autres psychanalystes en extrapolant à la petite enfance des découvertes faites à partir de l'analyse d'enfants plus âgés. (Robert HINSHELWOOD)

   Arnold GOLDBERG part du fait que la psyché est souvent illustrée de façon imagée et le clivage est l'une des façons de la représenter. "Si le clivage est horizontal, on s'en sert pour mettre en évidence une division entre le haut et le bas. S'il est vertical, il doit montrer une séparation côte à côte. Le premier clivage, horizontal, représente de refoulement. Le second, vertical, peut être considéré comme une représentation du déni. Un clivage horizontal, la barrière du refoulement, sépare les matériaux inconscients des contenus préconscients, tandis que le clivage vertical divise pour l'essentiel un matériau plus ou moins accessible à la conscience". L'auteur reprend donc la première topique de Sigmund FREUD et explique que si les idées freudiennes sur le refoulement et les forces qui l'entretiennent sont familières, l'idée d'un clivage vertical est un peu moins connue. Selon Heinz KOHUT (1913-1981) (1971, Le Soi  : la psychanalyse des transferts narcissiques), l'introducteur en psychothérapie du terme empathie,  ce dernier clivage se caractérise par l'existence côte à côte d'attitudes disparates en profondeur. Généralement, un versant de cette existence parallèle est jugé plus en accord avec la réalité, tandis que l'autre peut être jugé infantile ou tourné vers une gratification immédiate. "L'une des façons de considérer ces attitudes parallèles de la personnalité consiste à dire que la réaliste est mieux structurée et/ou est plus neutralisée tandis que l'autre est relativement peu structurée et/ou non neutralisée. Ce secteur moins structuré est parfois impliqué dans un fantasme, mais avec encore moins de structure il peut déboucher sur une action manifeste (L'auteur pense t-il à quelque chose qui ressemble aux conditions du passage à l'acte?). Tel est le cas dans des troubles de comportement comme les addictions (dépendances - à la drogue par exemple ou encore au jeu), la délinquance et les perversions. Avec un clivage horizontal, le matériau infantile et non structuré est tenu en respect. Avec un clivage vertical, il parvient à s'exprimer. Le comportement pathologique est la manifestation de ce secteur clivé."

 

      Élisabeth ROUDINESCO et Michel PLON rappelle que si le terme Clivage a été introduit par Sigmund FREUD en 1927 pour désigner un phénomène propre au fétichisme, à la psychose puis à la perversion en général, les notions de Spaltung (clivage), de dissociation et de discordance furent d'abord développés à la fin du XIXe siècle par toutes les doctrines qui étudiaient l'automatisme mental, l'hypnose et les personnalités multiples. "De Pierre Janet à Josef Breuer, tous les cliniciens de la double conscience (y compris le jeune Freud) voyaient dans ce phénomène de coexistence de deux domaines ou de deux personnalités s'ignorant mutuellement une rupture de l'unité psychique qi entrainait un trouble de la pensée et de l'activité associative et conduisait le sujet à l'aliénéation mentale et donc à la psychose. C'est dans ce cadre qu'Eugen Bleuler fit de la Spaltung le trouble majeur et primaire de la schizophrénie (du grec skhizein : fendre), c'est-à-dire de cette forme de folie caractérisée par une rupture de tout contact entre le malade et le monde extérieur. Un an plus tard, le psychiatre français Philippe Chaslin (1857-1923) appela "discordance" un phénomène identique auquel il donna le nom de folie discordante."

 C'est en partant de cette terminologie que FREUD est conduit à introduire la dissociation dans le Moi. Dans le cadre de sa deuxième topique et d'une réflexion sur le déni et le fétichisme, il forge donc le terme de clivage du Moi (Ichspaltung). Par là, il ramène la discordance au coeur du Moi, alors que la psychiatrie dynamique la situait entre les deux instances et la caractérisait comme un état d'incohérence plutôt que comme un phénomène structural. Plus tard, Mélanie KLEIN reprend la notion freudienne pour déplacer le clivage vers l'objet et élaborer ainsi sa théorie des bons et mauvais objets, tandis que Jacques LACAN, marqué par la tradition psychiatrique française, emploie d'abord en 1923 le terme de discordance pour définir une différence (de la folie) par rapport à une norme. 20 ans plus tard, il forge une collection de mots pour désigner les différentes modalités d'un clivage non seulement du Moi mais du sujet. Dans le cadre de sa théorie du signifiant, il montre que le sujet humain est divisé deux fois - une première instance séparant le Moi imaginaire du sujet de l'inconscient, et une deuxième s'inscrivant à l'intérieur même du sujet de l'inconscient pour représenter sa division originelle. Cette deuxième division, il l'appelle "refente" d'après l'anglais fading (to fade : perdre sa luminosité), afin de rendre l'idée d'évanouissement (du sujet et de son désir), proche de ce qu'Ernest JONES appelle aphanisis. Comme Mélanie KLEIN, LACAN étend la notion de clivage à la structure même de l'individu dans sa relation à autrui, alors que FREUD, tout en ouvrant la voie à ce type de généralisation, l'a essentiellement utilisée dans la clinique de la psychose et de la perversion.

 

      Alain FINE, de son côté, lie le clivage du Moi au déni. Rappelant que le clivage est un terme employé par FREUD pour désigner un phénomène bien particulier qu'il voit à l'oeuvre surtout dans le fétichisme et les psychoses : la coexistence au sein du Moi de deux attitudes psychiques à l'endroit de la réalité extérieure en tant que celle-ci vient contrarier une exigence pulsionnelle ; l'une tient compte de la réalité, l'autre dénie la réalité en cause et met à sa place une production du désir. Ces deux attitudes persistent côte à côte sans s'influencer réciproquement.

Si le terme de spaltung était déjà employé en psychiatrie dans le sens large de "division" (de conscience, de la personnalité, par exemple), il devient pour FREUD, le résultat d'un conflit, d'un conflit intrapsychique. En introduisant ce terme de clivage, il s'est d'ailleurs demandé (1938) si ce qu'il apportait là était "depuis longtemps connu et allait de soi ou bien tout à fait nouveau et surprenant".

Lorsqu'il analyse dans la clinique les psychoses et le fétichisme, FREUD dégage l'existence d'un mécanisme spécifique, le déni (Verleugnung), dont le prototype est le déni de castration. Il s'agit bien d'un déni de réalité, mais pas de toute la réalité, même dans les psychoses graves, il existe donc aussi un clivage. Existent deux attitudes psychiques : "... l'une qui tient compte de la réalité, l'attitude normale, l'autre qui, sous l'influence des pulsions, détache le Moi de la réalité". C'est cette seconde attitude qui se traduit dans les productions néo-délirantes. Les fétichistes, eux, d'une part dénient le fait de leur perception qui leur a montré le défaut de pénis dans l'organe génital féminin et se défendent de cette "angoisse de castration" par la création d'un fétiche, substitut du pénis de la femme, mais surtout de la mère ; mais d'autre part, ils reconnaissent le manque de pénis chez la femme dont ils tirent les conséquences correctes.

"Après FREUD, écrit encore Alain FINE, il a fallu encore du temps pour détacher le déni de la négation, du temps pour mieux comprendre le mécanisme de la projection (qui devait faire partie d'un chapitre spécial de la Métapsychologie), du temps aussi pour complexifier l'approche freudienne de la Verleugnung, à l'éclairage des données contemporaines du déni, du désaveu ou de la forclusion et selon des hypothèses entrant dans des cadres théoriques différents (par exemple la forclusion lacanienne).

Notre auteur signale que dans son livre Le travail du négatif, A. GREEN (1993) rassemble sous la dénomination de "défenses primaires" (différentes de celle de mécanismes primaires) ces procédés qui, à la différence des autres, "auraient tous un objet commun : le traitement par oui ou par non de l'activité psychique tombant sous sa juridiction (du Moi) (...), au coeur du travail du négatif mais aussi travaillant au-delà de la sphère du Moi. Peut-être sont-ils au service de la défense, vue sous un angle très large, mais il se mettent aussi au service de la désorganisation".

Nulle part, signale enfin Alain FINE, FREUD n'associe, par exemple, le déni avec la notion de défense, bien qu'il soit un processus actif de méconnaissance visant à préserver un certain agencement du psychisme alors qu'il pose ce concept comme premier temps de la psychose. Il rappelle aussi que FREUD généralise la portée de sa Spaltung qui, partie du clivage limité dans le fétichisme, est étendue jusqu'aux formes poussées qu'il prend dans les psychoses. Dans le long chapitre du livre cité de 1993, A. GREEN traite du clivage allant du désaveu au désengagement.

 

Arnold GOLDBERG, article Clivage vertical et horizontal ; Robert D HINSHELWOOD, article Clivage de l'objet et Sophie de MIJOLA-MELLOR, article Clivage, dans Dictionnaires international de la psychanalyse, Hachette Littératures, 2002. Jean LAPLANCHE et Jean-Bertrand PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, 1976. Serban IONESCU, Marie-Madeleine JACQUET et Claude LHOTE, Les mécanismes de défense, Nathan Université, 2003. Alain FINE, Expression et aménagement du pulsionnel, dans Psychanalyse, Sous la direction de Alain de MIJOLLA et de Sophie de MIJOLLA MELLOR, PUF fondamental, 1996. Élisabeth ROUDINESCO et Michel PLON, Dictionnaire de psychanalyse, Le livre de poche, Fayard, 2011.

 

  PYCHUS

 

Relu et complété le 27 avril 2020

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22 mars 2011 2 22 /03 /mars /2011 12:20

             Dénier des faits constitue une double négation et se rapproche de désaveu ou de démenti des faits, et en allemand va jusqu'à évoquer Verleugneug, "ce qui n'est pas arrivé, non advenu". Le déni est l'action de refuser la réalité d'une perception perçue comme dangereuse ou douloureuse pour le Moi. (Les mécanismes de défense).

Le déni protège le Moi en mettant en question le monde extérieur, par opposition au refoulement qui effectue un travail similaire, mais en faisant basculer à l'intérieur cette même réalité intolérable qui se trouve alors intégrée. Le déni engendre, lui, une absence de conflictualité, puisqu'il fait coexister au sein du Moi deux affirmations incompatibles, qui se juxtaposent sans s'influencer. En prenant appui sur le clivage, il donne au Moi la possibilité de vivre sur deux registres différents, mettant côte à côte, d'une part, un "savoir" et de l'autre, un "savoir-faire" infirmant ce savoir, sans lien entre les deux. On se trouve ainsi dans une sorte d'en-deçà du conflit, une suspension de tout jugement généralement effectuée face à la perception d'un manque, d'une absence, d'une perte pourtant évidents aux yeux du monde environnant.

 

         Le déni de la réalité est le terme employé à partir de 1924 par Sigmund FREUD dans un sens spécifique : mode de défense consistant en un refus par le sujet de reconnaître la réalité d'une perception traumatisante, essentiellement celle de l'absence de pénis chez la femme.

Ce mécanisme est particulièrement invoqué par le père de la psychanalyse pour rendre compte du fétichisme et des psychoses (LAPLANCHE et PONTALIS). On trouve dans l'Abrégé de psychanalyse, de 1938, l'exposé le plus complet de cette conception. Ce sens précis, d'abord rattaché au complexe de castration, évolue peu à peu dans son oeuvre, pour se rapprocher du clivage du Moi (le clivage du Moi dans le processus de défense, 1938). Les deux attitudes du fétichiste - dénier la perception du manque de pénis chez la femmes, reconnaître ce manque et en tirer les conséquences (angoisse) "persistent tout au long de la vie l'une à côté de l'autre sans s'influencer réciproquement. Ce qu'on peut nommer un clivage du Moi." Ce clivage est à distinguer de la division qu'institue dans la personne tout refoulement névrotique. 

Les deux auteurs écrivent à la fin de leur article consacré au Déni (- de la réalité) : " (...) Si le déni de la castration est le prototype, et peut-être même l'origine, des autres dénis de la réalité, il convient de s'interroger sur ce que Freud entend par "réalité" de la castration ou perception de celle-ci. Si c'est le "manque de pénis" de la femme qui est dénié, il est difficile de parler de perception ou de réalité, car une absence n'est pas perçue comme telle, elle ne devient réalité que dans la mesure où elle est mise en relation avec une présence possible. Si c'est la castration elle-même qui est rejetée, le déni porterait non sur une perception (la castration n'étant jamais perçue comme telle) mais sur une théorie explicative des faits (une "théorie sexuelle infantile"). On se rappellera, à ce propos, que Freud a constamment rapporté le complexe ou l'angoisse de castration, non à la perception d'une pure et simple réalité, mais à la conjonction de deux données : constatation de la différence anatomique des sexes et menace de castration par le père. (...)"  Cette notion est très distincte de la dénégation, qui, elle, est le procédé par lequel le sujet, tout en formulant un de ses désirs, pensées, sentiments jusqu'ici refoulé, continue à s'en défendre en niant qu'il lui appartienne.

Serban INOESCU, Marie-Madeleine JACQUET et Claude LHOTE, en accord avec ce qui précède, indiquent que Sigmund FREUD n'intègre pas, dans ses derniers écrits, ce processus de déni dans les "défenses du moi" telles que le refoulement et l'isolation. Par contre, nombre de ses successeurs n'hésitent pas à le faire.

 

       Ainsi Anna FREUD (Le Moi et les mécanismes de défense) le range dans les mécanismes de défense, non sans selon eux une certaine confusion (imputables en partie à des erreurs de traduction) qui perdure. Elle décrit deux mécanismes relevant du déni et pourtant traduit par "Négation par le fantasme" et "Négation par actes et paroles". Seule la négation par actes relèverait du déni, la négation en paroles correspondant plutôt à la dénégation... 

Mélanie KLEIN (1952) met l'accent non sur le déni de la réalité extérieure, mais sur le déni de la réalité psychique, dans sa description de la défense maniaque. Les défenses maniaques reposent sur un  déni de trois sentiments : l'omnipotence déniant la dépendance, le triomphe comme déni des vécus dépressifs et le mépris de l'objet comme déni de la valeur de cet objet.

Jacques LACAN (1957)  construit le modèle de la forclusion sur le déni, celle-ci étant définie comme le "défaut qui donne à la psychose sa condition essentielle, avec la structure qui la sépare de la névrose".

J. SANDLER (notamment dans L'analyse des défenses. Entretien avec Anna FREUD, PUF, 1985) travaille beaucoup la différence entre déni et refoulement.

 

       Bernard PRENOT fait le compte de toutes les illustrations cliniques de déni fournies par Sigmund FREUD dans toute son oeuvre et montre qu'elles se ramènent à deux cas de figures : le déni de l'absence de pénis chez la femme et le déni de la mort du père. "Le déni est toujours déni d'absence, d'où son incidence majeure sur le processus de symbolisation. Freud pose en effet comme condition de celui-ci la capacité de se représenter l'objet comme pouvant manquer. (...) Le déni (d'absence) constitue donc une entrave foncière au processus même de constitution de la réalité psychique, à l'inverse de la négation qui opère comme temps premier de la reconnaissance mentale (préconsciente) de quelque chose. C'est ainsi que déni et négation diffèrent radicalement en tant qu'opérations logiques". "Dans la cure de patients marqués par un déni durable, tout se passe comme s'ils se laissaient à l'"autre" de la relation thérapeutique la tâche de penser pour eux l'impensable, d'articuler l'incompatible. Cela s'effectue notamment au travers du mécanisme d'identification projective qui nécessite de la part de cet autre une dépense psychique considérable, dans un vécu souvent pénible. Un tel détour par l'économie psychique du thérapeute apparaît comme une condition nécessaire, quoique non suffisante, pour que le sujet parvienne à intégrer ces données dans un jeu symbolique où le principe de plaisir retrouverait sa suprématie."

 

       Élisabeth ROUDINESCO et Michel PLON rappellent que c'est dans un article de 1923 sur l'organisation génitale infantile que FREUD avance pour la première fois la notion de déni. il en fait ensuite un mécanisme propre à la reconnaissance d'une réalité manquante dans le cadre de la différence des sexes, et il l'apparente enfin au processus de la psychose par opposition au refoulement, caractéristique de la névrose. Si le névrosé refoule les exigence du Ça, le psychotique nie la réalité extérieure pour reconstruire une réalité hallucinatoire. En 1927, dans son article sur le fétichisme, et à la suite d'une discussion épistolaire avec René LAFORGUE sur la scotomisation, FREUD définit le déni comme un mécanisme pervers par lequel le sujet fait coexister deux réalités contradictoires : le refus et la reconnaissance de l'absence du pénis chez la femme. D'où le fait que le clivage du Moi ne caractérise plus seulement la psychose mais également la perversion.

En 1967, le psychanalyste français Guy ROSOLATO propose de traduire Verleugnung par désaveu (au lieu de déni) pour bien marquer la double opération de la reconnaissance et de son refus, et distinguer la réalité que recouvre ce mot de la dénégation.

 

Bernard PRENOT, Article Déni dans Dictionnaire international de la psychanalyse, Hachette Littérature, 2002. Serban IONESCU, Marie-Madeleine JACQUET et Claude LHOTE, Les mécanismes de défense, Nathan Université, 2003. Jean LAPLANCHE et Jean-Bertrand PONTALIS, PUF, 1976. Élisabeth ROUDINESCO et Michel PLON, Dictionnaires de la psychanalyse, Le Livre de poche, Fayard, 2011.

 

               PSYCHUS

 

Relu et Complété le 29 avril 2020

 

 

 

 

 

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21 mars 2011 1 21 /03 /mars /2011 08:52

         L'altruisme tel qu'il est défini en psychiatrie ou en psychanalyse n'est pas sans relation avec son sens ordinaire, mais - sans entrer ici dans une discussion philosophique sur le fait qu'Égoïsme ne semble pas devoir, à l'inverse, trop attirer le regard de l'institution psychiatrique - ne recouvre pas toutes ses significations. C'est plutôt l'excès d'altruisme et une certaine forme d'altruisme qui attire d'abord l'attention, et lorsque le dévouement à autrui permet surtout au sujet d'échapper à un conflit. Se dévouer, se sacrifier pour un être aimé n'a rien à voir avec cette défense. 

    Pour Serban IONESCU, Marie-Madeleine JACQUET et Claude LHOTE, le véritable altruisme-défense repose sur quatre fondements, liés chacun à la résolution d'un conflit. Cela peut être :

- un mode particulier de la formation réactionnelle. La culpabilité qui s'attache à l'agressivité ou à l'hostilité refoulée est ici évitée ;

- un exutoire à l'agressivité, source de conflit, comme dans le cas précédent, mais la solution est différente : au lieu d'être refoulée, l'agressivité est déplacée vers des buts "nobles" ;

- une jouissance par procuration où le conflit s'attache alors à un plaisir qu'on se refuse à soi-même, mais qu'on aide les autres à obtenir. Le sujet altruiste en retire une satisfaction, grâce à son identification à la personne comblée ;

- une manifestation du masochisme, le conflit étant lié à toute satisfaction que s'accorde la personne. Ce sont, dans ce cas, les sacrifices liés à l'altruisme qui sont recherchés.

 

     De plus Sigmund FREUD évoque un cinquième fondement possible : le fait d'avoir perdu un être aimé provoquerait une "passion de venir en aide". Alfred ADLER, reprenant cette hypothèse, la modifie : l'expérience de la mort serait en cause, non de l'altruisme en général, mais de la vocation médicale. L'hypothèse est repris par HANUS (1994). Sigmund FREUD, comme NIETZSCHE (comme cette considération est réellement de nature philosophique!) récuse l'équivalence altruisme-désintéressement. Le culte de l'altruisme pour le philosophe, est une forme spécifique de l'égoïsme. 

Anna FREUD considère l'altruisme comme un mécanisme de défense à part entière, alors qu'après elle, ce terme disparaît des vocabulaires et des dictionnaires de psychanalyse (On ne le retrouve même pas dans le Vocabulaire de la psychanalyse de PONTALIS et LAPLANCHE). Elle l'appelle aussi "cession altruiste" (Le Moi et les mécanismes de défense, 1946). Lorsqu'elle donne l'exemple de deux types de défense (l'identification à l'agresseur et "une forme d'altruisme"), c'est en lien avec le mécanisme de la projection : "le mécanisme de la projection ne fait pas que troubler (ainsi) nos rapports humains quand nous projetons sur autrui notre propre jalousie et que nous attribuons à d'autres notre propre agressivité. Ce même procédé sert aussi à établir d'importants liens positifs en consolidant par là les relations humaines. Appelons "cession altruiste" des pulsions à autrui, cette forme normale et moins voyante de projection." Pour Anna FREUD, l'altruisme peut concerner aussi bien les pulsions libidinales que les pulsions destructrices, et par ailleurs, il peut porter soit sur la réalisation des désirs, soit sur le renoncement à ceux-ci. (Bernard GOLSE).

 

        Après Anna FREUD, ce sont surtout les sociobiologistes qui étudient de près les comportements altruistes. En contradiction apparente avec les lois de l'évolution (puisque le fait de se sacrifier pour les autres fait courir des risques à l'individu), ces comportements favorisent la propagation de gènes communs chez les espèces animales ou chez les humains. L'altruisme de parenté serait génétiquement programmé pour que les espèces favorisent leur descendance. Georges GUILLE-ESCURET estime que cette utilisation de la notion d'altruisme repose sur un sophisme. La théorie darwinienne, qui n'est pas sociobiologique, mais écologique permet de comprendre, sans faire appel à une contradiction, le rôle de l'altruisme dans l'évolution.

 

       L'altruisme en tant que mécanisme de défense réapparaît dans les listes de VALENSTEIN et de VAILLANT, de même que dans le DSM-IV, dans la rubrique des défenses les mieux adaptées, avec une définition très positive, très loin de la lecture freudienne : La personne gère son conflit en se dévouant à satisfaire les besoins d'autrui. Contrairement au sacrifice de soi-même qui caractérise parfois la formation réactionnelle, la personne reçoit, soit une satisfaction vicariante, soit une satisfaction tirée des réactions d'autrui.

 

           Pour revenir à Sigmund FREUD, il évoque une dizaine de fois dans son oeuvre le concept d'altruisme, surtout d'un point de vue social et culturel. Dans les Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort, de 1915, il écrit : "La culture accentue les tendances altruistes et sociales qui au début ont été acquises sous la contrainte externe. Cette tendance à transformer les pulsions égoïstes en pulsions sociales par des additions érotiques est devenue une disposition en partie héréditaire, mais la vie pulsionnelle étant restée primitive, il ne fait pas surestimer l'aptitude humaine à la vie sociale." Plus tard dans Malaise dans la civilisation de 1930, il y revient : En employant des désignations assez superficielles, on peut dire que l'individu connaît une tendance au bonheur, à l'égoïsme, et une tendance altruiste ; la première domine et la seconde qui a une valeur civilisatrice (...) se contente en règle générale d'un rôle restrictif". Le concept d'altruisme n'accède pas vraiment au statut métapsychologique et il ne s'y attarde pas.(Bernard GOLSE).

 

Bernard GOLSE, article Altruisme, dans Dictionnaire international de la psychanalyse, Hachette Littératures, Grand Pluriel, 2005. George GUILLE-ESCURET, article Altruisme dans Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution, PUF, 1996. Serban IONESCU, Marie-Madeleine JACQUET, Claude LHOTE, Les mécanismes de défense, Nathan Université, 2003.

 

                            PSYCHUS

 

Relu le 1er mai 2020

 

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20 mars 2011 7 20 /03 /mars /2011 09:14

        L'affiliation, dans les domaines qui nous intéressent ici n'a pas le sens commun. Dans le dictionnaire de la psychiatrie, elle est définie comme l'ensemble d'actes du thérapeute ayant directement comme but de le relier aux membres de la famille ou au système familial.

Les trois techniques de l'affiliation sont alors l'accommodation, le tracking ou suivi à la trace, et le mimétisme. L'accomodation permet au thérapeute de s'affilier à la famille en devenant congruant à ses modes relationnels habituels. Dans le tracking, le thérapeute suit le contenu des communications des membres de la famille et de leur comportement. Avec le mimétisme, il essaye de ressembler le plus possible aux personnes du groupe familial. Mais ce n'est pas non plus ce sens-là qu'a ce terme entendu comme mécanisme de défense. Il s'agit de la recherche de l'aide et du soutien d'autrui quand on vit une situation qui engendre de l'angoisse (Les mécanismes de défense).

 

     Cette affiliation-défense est une notion très distincte donc de la sociabilité, laquelle n'a rien à voir avec le conflit (encore que..). Ce n'est pas non plus d'un besoin excessif des autres dont il est question ici, caractéristique des personnalités hystériques. Dans la discussion sur la définition de ce mécanisme de défense, Serban IONESCU, Marie-Madeleine JACQUET et Claude LHOTE consacrent leurs lignes à présenter les aspects positifs de ce mécanisme de défense très courant.

     Sigmund et Anna FREUD n'ont pas répertorié l'affiliation parmi les mécanismes de défense. En revanche, de nombreuses études (BRUSSET, 1988 ; BRUCHON-SWEITZER et DANTZER, 1994 ; MOSER, 1994 ; AMIEL-LEBRIGE et GOGNALONS-NICOLET, 1993 ; BERKMAN et SYME, 1979...) sont menées sur l'impact du soutien social sur la santé physique et mentale. Elle ne figure pas dans le DSM III-R (1987-1989), pour une raison précise : les défenses habituellement adaptées ne sont pas citées dans le chapitre sur les mécanismes de défense. Le DSM-IV (1994-1996) prend une une autre option : il ouvre une rubrique spéciale pour les défenses de haut niveau, dont fait partie l'affiliation. 

        Si l'affiliation est différente de l'altruisme (aller vers les autres pour leur demander un réconfort diffère de leur apporter une aide) - et le DSM-IV prend soin de faire cette distinction entre les deux mécanismes de défense - cette distinction semble moins nette qu'il y parait. S. MOSCOVICI (Psychologie sociale des relations à autrui, Nathan-Université, 1994) remarque que l'altruisme participatif (dévouement à la communauté dans laquelle on vit) permet à chacun de renouveler son appartenance à la communauté. Rompre le lieu qui rattache à un groupe serait, d'une certaine façon cesser d'exister, car on n'a "ni nation ni parents de rechange". C'est donc pour se protéger soi-même que se dévouer à sa communauté, c'est sauvegarder le "lien d'attachement" qui vous unit à autrui et qui permet l'affiliation en cas de difficulté. Il y a un autre domaine dans lequel l'affiliation et l'altruisme sont étroitement liés : celui du militantisme.

Un autre rapprochement - paradoxal - peut être établi entre l'affiliation et le refuge dans la rêverie. Il est défini par le DSM-IV comme une défense qui se substitue aux relations humaines.

 

       En définitive, bien que l'affiliation soit classée dans le DSM-IV comme un mécanisme de défense, l'affiliation peut être rapprochée plutôt des stratégies de coping et constituerait dans ce cas une stratégie consciente (PAULHAN et ses collaborateurs, 1994) aux résultats positifs dans la très majeure partie des cas.

Par ailleurs, quelques recherches montrent que l'affiliation peut, dans certaines circonstances, avoir des conséquences nuisibles (MECHANIC, 1962 ; BRUCHOT et DANTZER, 1994). La fuite de l'affiliation peut protéger des effets de contagion d'un groupe anxieux. L'individu qui s'isole peut se protéger du stress de ses proches ou de ses camarades et parer à un aspect "moutonnier" souvent négatif d'un groupe, surtout s'il est composé de nombreuses personnes. Notons enfin, pour notre part, que l'affiliation n'est pas sans relation avec l'empathie.

 

Jacques POSTEL, Dictionnaire de la psychiatrie, Larousse, 2003. Serban IONESCU, Marie-Madeleine JACQUET et Claude LHOTE, Les mécanismes de défense, Nathan Université, 2003.

 

Relu le 2 mai 2020

 

 

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