Le roman de guerre, fiction inspirée du vécu de son auteur, Henri BARBUSSE (1873-1935), paru sous forme de feuilleton dans le quotidien L'Oeuvre à partir du 3 août 1916, puis intégralement à la fin de novembre 1916 aux éditions Flammarion, est un exemple type de littérature contre la guerre paru en pleine première guerre mondiale. Traduit en anglais dès 1917 (Under fire), il connait un succès chez un large public. Ce livre, pourtant critique par rapport à la guerre et autorisé par la censure malgré sa rupture avec la propagande, s'inscrit dans un contexte de lassitude (de l'arrière notamment car à l'avant c'est plutôt l'horreur) par rapport à la guerre qui s'exprime par ailleurs dans un rapport de forces mouvant où la classe politique apparait de plus en plus divisée, sans rompre avec l'union sacrée.
Henri BARBUSSE, écrivain reconnu très jeune dans le milieu littéraire en France, qui exerce professionnellement dans la presse, s'engage (en dépit de son engagement de pacifiste avant-guerre) malgré des problèmes pulmonaires en 1914, dans l'infanterie. Il participe aux combats en première ligne jusqu'en 1916. Il tire de son expérience son roman Le Feu, qui se présente comme un récit sur la Première Guerre Mondiale, dont le réalisme soulève les protestations du public de l'arrière autant que l'enthousiasme de ses camarades de combat. C'est que l'opinion publique ne perçoit la guerre qu'à travers ce que les autorités veulent bien lui en dire et jusque-là se posait surtout la question de savoir ce que faisais ces bidasses (qui aurait déjà dû gagner cette guerre qui traine) qu'elle ne voit qu'à l'occasion de ses permissions à l'arrière, notamment dans les villes. Cette opacité de la guerre, les bipasses en question la perçoivent eux aussi, dans un mélange d'agacement et de frustrations.
Le roman parait intégralement, après sa diffusion en feuilletons, à la fin de novembre 1916 aux éditions Flammarion, alors qu'Henri BARBUSSE est cofondateur et président de l'Association républicaine des anciens combattants (ARAC). Ce n'est qu'en 1918, alors appelé par Jean LONGUET pour assurer la direction littéraire du journal Le Populaire, qu'il renoue avec son engagement pacifique, étant alors l'un des porte-parole de la minorité pacifiste du Parti socialiste. Adhérent au Parti Communiste français en 1923, il se lie d'amitié avec LÉNINE et GORKI au cours de voyages en URSS. Il est appelé par Marcel CACHIN et Paul VAILLANT-COUTURIER pour lancer le journal L'Humanité. Admirateur de la Révolution russe, pris dans les conflits au sein de l'Internationale communiste, il est l'instigateur du mouvement pacifiste Amsterdam-Pleyel, dont il devient le président avec Romain ROLLAND, dès la prise du pouvoir par les nazis en Allemagne. Figure du Front Populaire, ses funérailles en 1935 sont l'occasion d'un hommage important de la population parisienne. Auteur prolifique, il doit à son roman Le Feu, prix Goncourt 1916, une notoriété qui ne le quitte pas, ce qui fait de ses écrits politiques de redoutables outils de combat pour la cause communiste.
Ce livre est longuement mûri et pensé durant les 22 mois dans les tranchées de décembre 1914 à 1916. Il tient un carnet de guerre où il note ses expériences diverses, les expressions des poilus, et dresse des listes diverses et variées. Ce carnet sert de base à la composition de son roman dont l'essentiel de l'écriture l'occupe pendant le premier semestre 1916 alors qu'il est convalescent à l'hôpital de Chartres puis à celui de Plombières.
Le roman, sous-titré Journal d'une escouade, est découpé en 24 chapitres dans lesquels Henri BARBUSSE est le narrateur et le personnage principal. Il se situe la plupart du temps en focalisation interne. A la fin de la guerre, il est accompagné par de nombreux camarades. Les dialogues campent des personnages très divers dans leurs origines et leur fonctionnement, qui se retrouvent rassemblés autour d'un désir de survie et partagent les mêmes préoccupations basiques, bien loin des stratégies des états-majors.
Dès sa publication, le public réagit fortement, et comme pour les romans tirés d'expériences personnelles, des controverses s'en emparent vite, sur le thème de la véracité et de la crédibilité des témoignages. Et ceci d'autant qu'il porte sur la guerre en cours. Une première controverse porte sur la véracité historique du roman, principalement en raison de la rupture profonde que marque le texte où la propagande est dénoncée. Les enjeux politiques du texte, en particulier l'engagement pacifiste, sont un autre sujet de contentieux au sujet du livre. Il est vraisemblable que les attaques sur la forme de l'écriture camouflent en partie des attaques sur le fond, soit l'opportunité de montrer ce qu'est réellement la guerre du moment.
Une autre controverse porte sur la réalité du vécu dans les tranchées telle qu'elle est rapportée, beaucoup de critiques regrettant l'absence d'un témoignage neutre, circonstancié et complet ne s'appuyant que sur des faits. Les témoignages cinématographiques, comme les enquêtes scientifiques, notamment ceux montrés aujourd'hui, indiquent qu'Henri BARBUSSE, se voulait bien réaliste...
Pour Marie-Aude BONNIEL, dans un article publié dans plus.lefigaro.fr en septembre 2014, le Feu fait partie de cette littérature du front qui triomphe auprès du public et surtout des jurys populaires. "De valeur documentaire, ils sont des témoignages précieux". Elle rapporte un article paru dans Le Figaro du 3 janvier 1917 où l'auteur situe le roman par rapport à Gaspard, de René BENJAMIN (1916) et de L'Appel du sol de Ardrien BERTRAND (1914), qui, tous les deux, comme STENDHAL pour la retraite de Russie, s'efforcent de se détacher - moralement et physiquement - du groupe de combat que forment ses compagnons de bataille. "Henri Barbusse met une sombre ardeur et une sorte de volupté farouche à s'y confondre et s'y abîmer. (...) et les hommes parmi lesquels il vit et qu'il observe sont, en effet, les plus simples, les plus modestes, et aussi les plus émouvants des guerriers. (...) Ils restent égaux et sur le même plan, à peine distincts, sous le casque uniforme, à quelques traits de physionomie qui semblent presque négligeables quand on voit en eux des effigies de ce type sublime, de cet être superbement représentatif sculpté dans un bloc de boue et qu'aime un idéal : le soldat de France."
Henri BARBUSSE dresse un tableau terrifiant de la misère quotidienne avec un réalisme minutieux et violent. A la lecture de son livre, on ressent d'abord l'attachement de ces hommes à la Patrie, au devoir, même si on voit bien l'expression à plusieurs reprises du pacifisme, chose bien perçue des lecteurs, qui découvrent le plus souvent l'horreur de la guerre décrite tout en ne contestant pas la nécessité de celle-ci, défensive et légitime... Ce roman est donc bien représentatif de l'état d'une opinion bien consciente de la censure militaire.
Henri BARBUSSE, Le Feu, Journal d'une escouade, 1916. On peut lire le texte sur Internet dans la série Les classiques du matérialisme dialectique, sur le site du Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste de France, octobre 2013 ou sur Wikisource. Rééditions (entre autres) dans Le Livre de Poche, 1988 ou aux Éditions Payot, collection Petite Bibliothèque Payot, 2012 ou encore Éditions Gallimard, 2013.
Marie-Aude BONNIEL, Le feu d'Henri Barbuse (1916), plus.lefigaro.fr, 16/9/2014.