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13 septembre 2019 5 13 /09 /septembre /2019 09:32

   L'histoire depuis des millénaires est faite de conflits multiples entre populations fixées sur des territoires et populations nomades à déplacements plus ou moins étendus.

D'emblée, il ne faut pas amalgamer nomadisme et migration, étant donné que les migrations modernes sont le fait de populations soit très pauvres en recherche de territoires pour s'y établir, soit de groupes très riches qui passent leur temps en déplacement (jetset et compagnie) pour établir des pôles de développement industriel et financier et possédant une grande partie du capital dans le monde. On a là affaire à un tout autre phénomène, même si bien entendu, les populations nomades migrent plus ou moins constamment. Les uns et les autres (très pauvres et très riches), dans le monde moderne possèdent généralement un sens aigu de la propriété de territoires, contrairement aux véritables nomades qui ont des valeurs tout autres...

 

Civilisations et sédentarismes

     Les historiens s'accordent (à tort ou à raison) pour dire que toutes les grandes civilisations sont sédentaires et urbaines. Ils citent le foyer de Mésopotamie et du Nil, du fleuve Jaune, de l'Indus, des villes-oasis ou du monde méditerranéen. Toutes ont dû subir les chocs des invasions de nomades. Aujourd'hui partout vaincues, sédentarisées, contrôlées, les sociétés nomades de Haute-Asie ont été redoutées par toutes les civilisations antiques et médiévales.

En 512 av JC, ainsi que le relate HÉRODOTE, DARIUS; le monarque achéménide, ne parvient pas à frapper, malgré sa puissance militaire, les nomades scythes, ceux-ci pratiquant la stratégie de la terre brûlée et de la retraite sans autres biens saisissables que ce qu'ils emportent avec eux. Quant à Rome, bien avant ATTILA, elle fera connaissance avec le mode de combat des cavaliers-archers issus d'Asie centrale dans la rencontre désastreuse de CRASSUS avec les Parthes, rapportée par PLUTARQUE (bataille de Carrhes, en 53 av. JC).

Dès les IV-IIIe siècles avant JC, la Chine des "Royaumes Combattants" doit faire face aux raids des Hiong Nou (Turco-Mongols). C'est pour contenir leurs avancées que sont érigés les premiers tronçons complétés plus tard par les Mings, de la Grande Muraille. La Chine du Nord est envahie et occupée au IVe siècle après JC par des dynasties d'origine nomade ; puis du Xe au XIIIe siècles, jusqu'à la domination totale du pays par les Mongols aux XIIIe-XIVe siècles ; enfin par les Mandchous à partir de 1644. La part essentielle de la politique extérieure chinoise est centrée durant deux millénaires sur la menace des nomades. Elle connait des phases de contre-offensives sous les Hans, les Tangs, au début des Mings et avec les Mandchous une fois ceux-ci sinisés et... sédentarisés.

La dynastie Gupta en Inde, une des plus importantes dynasties indiennes, s'effondre au Ce siècle après JC sous les coups des Huns heptatiques (Huns blancs) qui, en passant, ravagent l'Iran. Au sultanat de Delhi, créé au XIe siècle par une dynastie d'origine turque, succède au XVIe siècle Babour, un Djagaï turcophone chassé d'Asie centrale par les Ouzbeks, et qui, de Kaboul, entreprend la conquête de l'Inde. Exemple classique des réactions en chaîne des poussées nomades où un groupe chasse un autre qui en bouscule un moins puissant.

La Chine, qui est toujours parvenue à siniser les conquérants barbares, l'Iran et l'Empire byzantin ont été, durant l'Antiquité et le moyen Age, les grands centres civilisateurs des nomades de Haute-Asie. Les vagues nomades qui y pénètrent s'y transforment, apprennent à gérer des États et finissent par être converties aux religions et manières de vivre des sédentaires : islam pour la majorité d'entre eux ou bouddhisme. La Chine a l'avantage - en plus de sa culture - d'une supériorité démographique qui lui permet d'assimiler ses vainqueurs, ce qui la rend invulnérable. L'Iran, malgré tant d'intrusions dévastatrices venues du nord-est, parvient, une fois adoptée l'islam imposé par la conquête arabe, à conserver sa spécificité et à irriguer, par la langue et la culture, tous les nomades qu'il a policés et convertis sur une aire qui va de l'Asie centrale à l'Inde du Nord.

L'Empire byzantin, qui survit mille ans à l'Empire romain d'Occident, a le mérite militaire d'avoir su résister aux Goths, aux Avars, aux Arabes, aux Bulgares, aux Russes, aux Petchénègues et aux Coumans. Une suite continue de pressions offensives venues du Sud, du Nord, de l'Est et de l'Ouest, jusqu'au coup final porté par les Ottomans, étrangle l'Empire, Constantinople n'ayant plus d'hinterland où s'approvisionner en hommes et en matériels. Il est cependant un modèle étatique pour les Ottomans.

L'Europe au sens large a connu du Ve au XIIIe siècle, les incursions et invasions des Huns, des Avars, des Bulgares, des Magyars, des Petchénègues, des Coumans et des Mongols. La domination de ces derniers sur la Russie a été d'un poids singulier. Quant à la poussée ottomane au XIVe siècle, de l'Asie Mineure vers les Balkans, elle est, avant même la chute de Constantinople en 1453, la ruée ultime de l'Asie centrale commencée par la fuite d'une tribu turcophone chassée par l'ituption mongole au début du XIIIe siècle.

L'Europe occidentale, à l'ouest d'une ligne Dantzig-Vienne-Trieste, a été la partie du monde médiéval la mieux protégée des déferlements nomades, au contraire des périodes précédentes, en pleine domination romaine. Sans doute, l'Europe occidentale, épargnée par les désordres causés par les invasions nomades, y doit-elle les préconditions de son exceptionnel destin économique et politique.

       Les nomades guerriers, durant deux millénaires, des IVe-IIIe siècles av. JC. aux xive-XVe siècles, vivent à la frange septentrionale du monde sédentaire. Ils échangent leurs chevaux contre les produits dont ils ont besoin : textile ou articles de luxe. Les empires, chinois ou byzantins, cherchent à les diviser, les contenter, les contenir : tributs payés (cadeaux), alliances nouées par mariage d'une princesse impériale avec un chef nomade. Et puis, à la faveur de l'affaiblissement ou du renforcement d'un des pratagonistes, c'est l'irruption des nomades, l'expédition punitive ou l'offensive générale des sédentaires... On ne saurait trop insister sur le fait que les nomades et les sédentaires ne sont pas tout le temps en guerre, ni en conflit ouvert, et qu'une certaine coopération a sans doute été la tendance générale, sans oublier que la conception d'une fameuse coupure entre temps de guerre et temps de paix, comme celle d'ailleurs entre populations armées et populations civiles n'a guère de sens pour ces époques...

Les nomades, toujours de manière générale, n'ont pas seulement un rôle déstabilisateur. Après avoir été policés par les sédentaires, ils peuvent concourir à une nouvelle stabilisation et sont alors à leur tour fondateurs de dynasties (la plus célèbre étant celle des Yuans chinois des Mongols de Koubilaï Khan).

D'autres nomades ont constitué des empires en Hante-Asie même, comme les Tou-Kiue, ces turcophones qui dominèrent l'aire qui va de la Caspienne à la Mongolie. Presque toujours ces empires se disloquent au bout d'une, deux ou trois générations, n'ayant pas les caractéristiques des empires sédentaires (contrôle consolidés des axes stratégiques, fiscalité, administration au nom de l'Empire des biens et des personnes, système de transmission des savoirs et des pouvoirs...). Ce qui maintient ces empires durant plus de trois ou quatre décennies, c'est surtout un art de la guerre qui se couple à un art de la terreur. Les Mongols par exemple, qui écument durablement l'Eurasie centrale et toute la périphérie, de la Chine à l'Asie du Sud-Est, atteignent des sommets dans l'art militaire. C'est le zénith des cavaliers-archers qui utilisent les mêmes modes de combat, la même conduite de la guerre : mobilité, harcèlement, capacité de manoeuvre, logistique impeccable, le tout dans une maitrise des techniques d'élevage et de contrôle des chevaux, de leur parcours (encore en liberté avant capture) comme de leur entrainement. L'essentiel est d'ailleurs le contrôle des voies d'approvisionnement en montures.

Le déclin des nomades et de leurs héritiers se précipite à partir du milieu du XVIe siècle avec la contre-offensive lancée par Ivan le Terrible. Cependant, le khanat de Crimée, soutenu par les Ottomans, reste menaçant tout au long du XVIIe siècle et n'est annexé qu'en 1783, après deux siècles où cosaques et colons russes leur disputent les quelque 1 200 kilomètres qui séparent la Moscou d'Ivan le Terrible de la Russie de Pierre le Grand et Catherine II. C'est encore au milieu du XVIIe siècle que les Mandchous imposent leur dynastie sur le trône impérial de Chine. Bien qu'à partir du XVIe siècle, l'histoire de la Haute-Asie ne soit plus que régionale, les nomades restent une force militaire redoutable jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, au moment où l'emploi du feu devient décisif. Au cours des XIXe et XXe siècles, les deux pays qui ont, dans le passé, le plus pâti des nomades, la Russie et la Chine, ont systématiquement mis fin à l'indépendance et au nomadisme des cavaliers-archers jadis tant redoutés. (BLIN et CHALIAND)

 

         Si ces nomades durent si longtemps, cela est dû également à une certaine instrumentalisation de leur présence par les puissances sédentaires montantes, qui jouent d'une stratégie du chaos dans certaines régions, avec parfois l'espoir d'intégrer certaine éléments militaires dans leurs propres armées (mais, à cause d'une certaine indiscipline de ces populations, ce fut un échec). N'ayant plus à utiliser de manière indirecte ces nomades à forte mobilité sur de longues distances, ces États - sans compter les assimilations de populations entières - qui maitrisent de plus en plus à la fois la puissance du feu et, précisément la mobilité des troupes et qui de plus n'ont plus rien à tirer de l'expertise d'armes des cavaliers-archers les innovations sur le plus de l'usage du cheval, entendent faire usage directement des territoires.  De plus, s'ajoute un aspect démographique décisif : une agriculture de plus en plus productive nourrit une population sédentaire de plus en plus importante tandis que l'élevage et le commerce aux pratiques inchangées depuis des siècles rivalisent difficilement avec cette première.

 

Des notions plus ambigües qu'elles n'ont l'air...

   La séparation franche entre populations sédentaires et populations nomades est une conception relativement récente, car depuis l'Antiquité et sa civilisation des villes, l'homme sédentaire - complètement, résidant en un lieu qui reste central toute sa vie, même s'il bouge d'un lieu fixe à un autre - n'émerge que lentement... Ainsi Pierre BONTÉ, dans l'exploration anthropologique des sociétés nomades et la recherche de leurs fondements matériels et symboliques (2006) estime que l'étiquette de "sociétés nomades" et plus généralement de "nomadisme" "soulèvent, quand il s'agit de les utiliser dans le domaine de l'anthropologie, des interrogations quant à leur pertinence pour distinguer des formes particulières de la vie sociale". Même si son propos sur l'existence de ces modes de vie nomade, et de leur destin dans le monde contemporain n'est pas de remettre en cause l'existence dans l'Histoire de "sociétés nomades", comme des sociétés qui basent leur vie sur la chasse et la collecte et l'élevage des animaux domestiques, il s'agit de comprendre qu'elles partagent beaucoup de choses avec les "sociétés sédentaires" basées sur l'agriculture et se concentrant sur les villes comme centres de commerce. Comme ces sociétés sédentaires, les sociétés nomades commercent, font fructifier un espace, et surtout partagent constamment avec les sociétés sédentaires. Les "sociétés sédentaires" en tant que telles ne se distinguent progressivement des "sociétés nomades" que par une vision particulière de l'occupation d'un espace et de la gestion du temps. L'opposition entre les deux restera longtemps relative. "Les grandes civilisations, écrit-il, d'éleveurs nomades, les Mongols, les Bédouins, etc, n'ont pu se constituer et avoir le rôle historique qu'elles ont joué que dans une relation de symbiose étroite avec les sociétés agricoles sédentaires voisines (la Chine, le Moyen-Orient) et elles ont toujours dépendu de leurs rapports avec celles-ci impliquant qu'elles se réfèrent aussi à la sédentarité, dans les oasis, dans les cités caravanières, etc. Les sociétés "primitives" (sociétés de la préhistoire de l'humanité), n'ont pu développer leurs cultures que sur la base de certaines permanences de leurs établissements qui ont contribué au développement de leur pensée et au progrès des techniques. (...)".   

     Pierre BONTÉ en vient à se demander du coup si les sociétés de la préhistoire étaient des sociétés nomades. Plutôt sans doute, très tôt, dès le Paléolithique, des lieux fixes ont constitué des endroits de transmission de savoirs et des mythes. La sédentarisation, au Néolithique, n'est pas un cheminent franc vers l'agriculture. "A côté des grandes civilisations agricoles qui émergent sur la base de systèmes hydrauliques dans les vallées du Proche et du Moyen-Orient, et voient l'émergence de l'État, de l'écriture et de technologies de plus en plus sophistiquées dans leurs effets sur l'organisation du territoire, se développent aussi autour de la Méditerranée des cultures néolithiques pastorales, dépendant en priorité des ressources animales et perpétuant, en fonction des nécessités de déplacements réguliers des animaux pour exploiter les pâturages naturels, de nouvelles formes de mobilité." 

    L'identité nomade se formerait alors autour du fait majeur d'absence d'habitats fixes permanents. Entre nomades et sédentaires s'effectuent des spécialisations et des complémentarités, que la question de la gestion de l'eau peut transformer en conflits. Non pas que les nomades soient des prédateurs en soi; car la vie pastorale est aussi une vie de reproduction des troupeaux et les déplacements ne se font pas exclusivement après épuisement des ressources, loin de là, car la vision de la Nature est aussi une vision de respect, sans compter que l'appropriation collective des ressources naturelles (à l'opposé des notions de propriétés de la sédentarité) dans les sociétés d'éleveurs nomades, exige une gestion attentive aux rythmes de la Nature.

    Par ailleurs, on a représenté les nomades comme des populations essentiellement guerrières, prisme déformé de la représentation des sédentaires en proie aux menées de tribus agressives. Or il s'agit peut-être d'une projection sur les nomades de ce que vivent les sédentaires entre eux. Deux éléments sont certainement à méditer dans ce sens.

- Si activités guerrières il y a dans le monde nomade, il s'agit surtout de sporadiques conflits armés entre tribus nomades, bien plus que de menées incessantes en territoires des sédentaire. Ces conflits-là sont sans doute une des raisons pour lesquelles ce n'est qu'à de rares occasions que des tribus nomades peuvent se fédérer pour s'attaquer aux emplacements des sédentaires. D'autant qu'une des caractéristiques des nomades est l'existence de tribus de petites tailles, à l'inverse des sédentaires qui tendent à s'agglomérer en vastes populations...

- La porosité entre les mode de vie sédentaires et nomades est telle, que suivant les circonstances (notamment l'accès rendus difficiles aux ressources ou leur raréfaction brusque), des populations entières de nomades peuvent décider de se fixer ou au contraire des populations de sédentaires peuvent (re)venir à la vie nomade.

 

Cours de Pierre BONTÉ, Anthropologie des sociétés nomades, Fondements matériels et symboliques, Second semestre 2006. On lira également avec profit le texte sur nadoulek.net, de Bernard NADOULEK, Nomades et sédentaires : l'invention de la guerre (2012). Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016.

 

STRATEGUS

 

 

 

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11 septembre 2019 3 11 /09 /septembre /2019 07:26

   A l'époque où les grandes compagnes contre la faim sont révolues en Occident (en France notamment par la baisse des dons et des aides publiques), le livre de NASSER, consultant auprès des agences et programmes des Nations Unies, notamment de la FAO et du FIDA, constitue, avec d'autres récents, un utile rappel. L'ensemble des violences structurelles à l'origine de la persistance de la faim dans le monde, qui touche encore de nos jours 821 millions de personnes (chiffres des agences citées), et l'ensemble des conflits qui résultent de cette situation ne sont pas choses passées. Pour l'auteur, "La faim du monde, telle qu'elle est fabriquée et représentée par les médias, ne rend pas toujours compte de ce qu'est effectivement la situation des plus démunis de la planète et des enjeux réels qui circonscrivent ce scandaleux fléau."

  Le praticien qu'est NASSER subdivise son livre en trois partie : La fin, La faim, La fin de la faim, avant de conclure dans Success Stories où il expose des faits-expériences sur le terrain qui montrent que la faim n'est pas une fatalité.

"Avant d'arriver à la fin de la faim, il faudrait savoir ce qu'il adviendrait si nous continuions d'exploiter les ressources naturelles au rythme et à la manière actuels. Un scénario catastrophe qui décrit combien, et comment, est mise à mal notre planète et sa capacité à se régénérer, illustre cette première partie, la fin." Il est utile de répéter encore et encore, qu'au rythme actuel, nous n'en avons pas encore pour longtemps (des experts parlent de 2050 comme échéance), à vivre sur les ressources.

Notons que l'étendue du gaspillage alimentaire et l'existence de stocks stratégiques, à cet égard, agissent comme un retardateur pour les consciences sur les problèmes que nous aurons à affronter si nous continuons sur cette lancée. L'auteur décrit par le menu (sic), l'agriculture meurtrie, l'eau souillée, la mer sans poissons, les océans de plastique, les sols contaminés... En n'oubliant pas de pointer les responsabilités majeures des pays riches et des entreprises agro-alimentaires multinationales.

"Puis est traité le drame de la faim que traversent pas moins de 821 millions de personnes qui dorment souvent le ventre vide et de plus de 150 million d'enfants qui accusent des retards de croissance." Dans cette deuxième partie, l'autre s'essaie à la compréhension, à l'étendue et aux conséquences de ce fléau indécent qui interpellent l'humanité entière. Dans cette partie intitulée La faim, NASSER, expose la question de la faim comme élément du problème de développement, exposant ses causes (naturelles et humaines), pointant le fait que plus d'énergie sont encore dépenses en traitements des situations d'urgence qu'au développement et que les ressorts mêmes de l'aide au développement dans les organisations internationales ont encore des  effets pervers sur les bénéficiaires (fuite des meilleurs éléments techniques et intellectuels vers l'extérieur par exemple).

Dénonçant comme d'ailleurs beaucoup d'autres, le libéralisme économique imposé par les plus puissants aux pays du Sud, NASSER pose la question encore non résolue de la souveraineté alimentaire de bien des pays, dans la troisième partie. "Enfin, après l'indignation, l'action : pour éviter le pire, et vivre en harmonie avec notre environnement, des éléments de solutions, à la fois d'ordre technique, politique et humaniste, sont exposés dans la dernière partie", la fin de la faim.

Dans sa conclusion "Success Stories", NASSER expose des expériences réalisées en Angola, en Égypte, au Liban, en Mauritanie et en République Démocratique du Congo, où "des hommes et des femmes luttent tous les jours pour améliorer leur existence en pratiquent une agriculture vivrière."

   On mesure à la lecture de ce livre, qui n'aborde pas le problème de la faim au sein même des sociétés des pays les plus riches, que l'auteur n'ignore pas, combien depuis les cris d'alarme de René DUMONT, entre autres, les problématiques agriculture d'exportation/agriculture vivrière restent pendante dans de nombreux pays du Sud. Même si la faim a reculé depuis, notamment en Inde et en Chine, il reste beaucoup à faire et nombre d'efforts risquent d'être ruinés à cause des changements climatiques. Ce petit livre très à la portée du grand public sert au moins de rappel sur de sinistres réalités.

 

NASSER, La faim du monde, Balland, 2019, 220 pages

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7 septembre 2019 6 07 /09 /septembre /2019 12:30

   Ce livre au titre qui sort de l'ordinaire se situe dans la déjà longue lignée littéraire (de fiction ou scientifique) qui analyse le déclin des États-Unis.

Au début interrogative, la formule devient affirmative avec l'arrivée au pouvoir à la présidence de cet immense pays de Donald TRUMP et de ses tristes errements tant sur le plan de la politique intérieure que sur le plan de la diplomatie mondiale. Mais l'arrivée de ce que beaucoup estime être un imbécile charismatique au sommet de l'État n'est que le dernier avatar d'une longue dérive des États-Unis, trainant avec lui un capitalisme sans projets, dans une pente déclinante sur presque tous les plans. Concurrencés désormais par la Chine, l'Inde et... l'Union Européenne (que d'aucuns aimeraient voir disparaitre, sous le coup de Brexit en série), repliés sur des valeurs individualistes et des raisonnements simplistes, dominés actuellement par une rhétorique raciste et machiste, privés de réels repères politiques globaux, singulièrement contre les diverses menaces qui frappent aujourd'hui l'humanité, les États-Unis abandonnent, d'eux-mêmes, tout ce qui avait fait d'eux une nation phare, un certain universalisme, une certain vision du monde dans son ensemble.

Ce que Ronan FARROW montre, c'est une déliquescence qui remonte plus loin que la décennie (depuis le début des années 2000 notamment), en plongeant ses regards dans les évolutions de l'administration américaine, se fondant sur une documentation jamais dévoilée, enrichie d'interview exclusives de grands dirigeants des postes les plus importants quant à la place des États-Unis dans le monde.

    Écrit dans un style journalistique, ce livre permet de comprendre quelques ressorts de ce déclin si clamé aujourd'hui, du fait même des agissements, ici décrits affaire après affaire (comme on dit dans le jargon américain) des responsables de l'administration, "aidé" il est vrai par une presse relativement médiocre de manière générale (bien plus que l'écho que nous avons, notre attention étant concentrée souvent sur les médias ouverts sur l'étranger, Washington Post et New York Times...).

    La fin du premier chapitre du livre (en Prologue, Le massacre de Mahogany Row, Amman, Jordanie, 2017), donne la mesure du propos de son auteur, journaliste d'investigation comme il en existe heureusement encore.

"Les types de pouvoir, écrit-il, exercés par les présidents Trump et Obama se révélèrent diamétralement opposés à certains égards. Alors que l'un se livrait à un micromanagement étroit sur les agences, l'autre les ignorait tout bonnement. "Dans les administrations précédentes, soutenait Susan Rice, le département d'État était à la peine dans les turbulences de la bureaucratie. Maintenant , on veut sa peau." Mais le résultat était identique : des diplomates restaient assis sur le banc de touche tandis que la politique se faisait ailleurs.

le Service extérieur a continué sa chute sous Obama comme sous Trump. En 2012, 28% des postes diplomatiques étaient vacants ou occupés par des employés de niveau inférieur travaillant au-dessus de leur degré d'expérience. En 2014, la plupart d'entre eux comptaient moins de dix ans d'ancienneté, un déclin amorcé depuis les années 90. Ils étaient encore moins nombreux à être montés en grade : en 1975, plus de la moitié avait accédé au statut de haut fonctionnaire, contre seulement un quart d'entre eux en 2013. Une profession qui, des décennies auparavant, avait attiré les esprits les plus brillants des universités américaines et du secteur privé se trouvait dans un état critique, sinon à l'agonie.

Tous les anciens secrétaires d'État encore en vie ont répondu à mes questions en acceptant que leurs propos soient reproduits ici. Beaucoup ont exprimé leur inquiétude sur l'avenir du Service. "Les États-Unis doivent mener une diplomatie mondiales", déclara George P. Shultz, âgé de 90 ans lors de notre entretien sous l'administration Trump. Le département d'État, fit-il valoir, était trop dilaté et trop vulnérable aux caprices des administrations successives. "Comble de l'ironie, dès que nous nous sommes tournés vers l'Asie, le Moyen-Orient a explosé et la Russie est entrée en Ukraine... Voilà pourquoi on doit conduire une diplomatie mondiale. Autrement dit, avoir un Service extérieur fort et des gens qui sont là à demeure."

Henry Kissinger déclarait que le cours de l'histoire avait émacié le Service extérieur, faisant pencher encore plus la balance vers le leadership des militaires. "Le problème, me dit-il d'un air songeur, est de savoir si le choix des principaux conseillers est trop marqué dans une seule direction. Les raisons sont nombreuses. D'une part, il y a moins de diplomates expérimentés. Et d'autre part, vous donnez une instruction au département de la Défense, il y a 80% de chances qu'elle soit exécuté ; vous en donnez une au département d'État, il y a 80% de chances qu'elle suscite une discussion." Ces déséquilibres s'intensifient, inévitablement, en période de conflit. "Quand le pays est en guerre, il bascule vers la Maison-Blanche et le Pentagone, me dit Condoleezza Rice. Et à mon avis, c'est normal." Elle exprimait une idée très courante dans de nombreux gouvernements : "Le contexte change rapidement. On n'a pas vraiment de temps à perdre en procédures administratives... Le rythme n'a pas la même uniformité qu'en temps normal".

Mais lorsque l'administration Trump commença à faire des coupes sombres au département d'État, le "temps normal" de la politique étrangère américaine était révolu depuis presque vingt ans. Les États-Unis devaient faire face à cette nouvelle réalité. le raisonnement de Condoleezza Rice - les bureaucraties vieillissantes élaborées après la Seconde Guerre mondiale réagissent avec trop de lenteur en période d'urgence - se vérifiait souvent. Mais un pouvoir centralisateur brutal, qui contourne des bureaucraties délabrées au lieu de les réformer afin qu'elles répondent à ce qu'on attend d'elles, crée un cercle vicieux. Avec un département d'État toujours moins utile dans un monde en perpétuel état d'urgence, un Pentagone dont le budget, le pouvoir et le prestige éclipsent n'importe quelle autre agence, et une Maison-Blanche elle-même peuplée d'anciens généraux, les États-Unis sont en passe d'abandonner les solutions diplomatiques même élaborées "en chambre".

"Je me rappelle Colin Powell disant un jour qu'il était normal que l'occupation du Japon n'ait pas été mise en oeuvre par un diplomate mais par un général, se souvenait Condoleezza Rice. Dans ce genre de circonstances, on est obligé de pencher davantage vers le Pentagone." Mais de même que l'occupation du Japon menée par un haut diplomate relevait de l'absurdité, la négociation de traités et la reconstruction d'économies conduites par des officiers en grand uniforme étaient une contradiction en soi, et aux antécédents discutables.

La question n'est pas de savoir si les vieilles institutions de la diplomatie traditionnelle peuvent résoudre les crises d'aujourd'hui. Elle est que nous assistons à la destruction de ces institutions sans chercher à façonner des pièces de rechange modernes. Les anciens secrétaires d'État avaient des opinions divergentes sur la façon de redresser l'entreprise en voie d'effondrement. Kissinger, faucon s'il en est, convenait du déclin du département, mais l'accueillait avec un haussement d'épaules.. (...) Or, au moment où je l'interrogeais, sous l'administration Trump, aucune nouvelle institution ne se mettait en place pour remplacer l'analyse de la politique étrangère, réfléchie, globale, libérée des contraintes militaires, que la diplomatie avait procurée à l'Amérique en d'autres temps.

Hilary Clinton, la voix fatiguée un an après avoir perdu sa campagne présidentielle de 2016, me confia qu'elle voyait venir ce basculement depuis des années. Elle évoqua le moment où elle avait pris ses fonctions de secrétaire d'État au début de l'administration Obama. "J'ai commencé à téléphoner aux dirigeants du monde entier que j'avais rencontrés dans mes vies antérieures de sénatrice et de First Lady. Ils étaient si nombreux à être consternés par ce qu'ils considéraient comme une militarisation de la vie politique étrangère datant de l'administration Bush, et par l'étroitesse de vue sur les problèmes majeurs du terrorisme, et bien sûr des guerres en Irak et en Afghanistan. Je pense qu'aujourd'hui la balance s'est encore plus infléchie vers la militarisation systématique de toutes les questions, me dit-elle. La diplomatie est sous pression" ajouta-t-elle, exprimant le sentiment commun des anciens secrétaires d'État, tant républicains que démocrates.

Il ne s'agit pas de problèmes de principe. Les changements décrits ici se produisent, en temps réel, des résultats qui rendent le monde moins sûr et moins prospère. Déjà, ils ont plongé plus avant les États-Unis dans des engagements militaires qui auraient pu être évités? Déjà, ils ont entraîné un coût élevé en vies américaines et compromis l'influence du pays partout sur la planète. Ce livre dresse le constat d'une crise. Il raconte l'histoire d'une discipline vitale réduite en lambeaux par la lâcheté politique. Il décrit mes propres années de diplomate en Afghanistan et ailleurs, pendant lesquelles j'ai assisté à son déclin, avec les conséquences catastrophiques qui se sont ensuivies pour l'Amérique et dans la vie des derniers grands défenseurs de la profession. Et il scrute les alliances des temps modernes forgées sur la Terre entière par des soldats et des espions, et le coût de ces relations.

En bref, il est l'histoire de la transformation du rôle des États-Unis parmi les nations de notre monde - et des serviteurs incomparables de l'État dont les institutions se fissurent de toutes parts et qui tentent, avec l'énergie du désespoir, de maintenir en vie une autre option."

    Ce sur quoi Ronan FARROW veut alerter le grand public, à travers une exploration des coulisses du pouvoir, de la Maison-Blanche aux zones les plus isolées et dangereuses de la planète (Irak, Syrie, péninsule arabique, Corne de l'Afrique...), c'est sur l'extinction de toute une profession, qui du bas en hait de l'échelle de l'administration américaine, tentait de faire prévaloir des options pacifiques aux multiples crises dans le monde. Alors qu'elle obtenait des résultats bien moins couteux que l'option militaire, la prolifération des responsables militaires dans l'establishment, jointe à une présidence complètement branchée sur le court terme de la politique politicienne intérieure (un comble quand on connait la rhétorique anti-système d'une grande partie des soutien de Trump), tend vers l'adoption de solutions militaires brutales, y compris sur le plan intérieur. Bien entendu, le journaliste d'investigation qu'est l'auteur n'est pas exempt des luttes internes actuelles dans l'administration, mais suffisamment rares sont les voix qui mettent le doigt sur l'essentiel des évolutions pour qu'on lise attentivement ce livre.

 

Ronan FARROW (né en 1987), de son vrai nom Satchel Ronan O'Sullivan FARROW, se présente comme un militant des droits de l'homme, ancien conseiller du gouvernement américain. Avocat de formation, il est également journaliste (lauréat du prix Pulitzer en 2018 pour son enquête sont l'affaire Harvey Weinstein). Écrivant régulièrement pour le Los Angeles Times, l'International Herald Tribune ou The Wall Street Journal ou encore The New Yorker. Ses essais dénoncent soit (mais parfois ils s'agit des mêmes protagonistes) des turpitudes d'abus sexuels, soit des militarisations de la politique étrangère des États-Unis

 

Ronan FARROW, Paix en guerre, La fin de la diplomatie et le déclin de l'influence américaine, Calmann Lévy, 2019, 420 pages

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31 août 2019 6 31 /08 /août /2019 12:51

   Horatio NELSON est un amiral britannique, connu pour avoir défait la flotte française à Trafalgar, bataille à l'issue de laquelle il perd la vie.

 

Une carrière navale brillante

    Entré très jeune dans la marine, Horatio NELSON participe à de nombreux voyages. Déjà, lors d'une mission scientifique dans l'océan Arctique (1773), il échappe de justesse à la mort. En 1777, il réussit son examen d'officier et est promu capitaine deux ans plus tard, à l'âge de 20 ans. Il assume son premier commandement lors d'un affrontement contre les Espagnols au large des côtes du Nicaragua d'où il sort vainqueur sur le plan militaire mais où il voit sa flotte décimée par la fièvre jaune. De retour en Angleterre en 1783, il traverse une période difficile qui comprend cinq années d'inactivité.

En 1793, sa carrière reprend quand il devient le commandant de l'Agamemnon à bord duquel il participe à la défense de Toulon, où il affronte pour la première fois NAPOLÉON BONAPARTE. Un peu plus tard, il participe au siège de Calvi (1794), où il perd on oeil.

Sous les ordres de John JERVIS, qui commande la flotte anglaire et qui voit en lui un grand stratège maritime, NELSON établit sa réputation lors de la bataille du cap Saint-Vincent (février 1797), au cours de laquelle il résiste seul face à la flotte espagnole, après une erreur de JERVIS. Promu contre-amiral, il est commandant en chef lors de la bataille de Ténériffe (juillet 1797), mais il doit être amputé d'un bras en plein combat. C'est au cours de l'année suivante que NELSON donne la pleine mesure de son génie guerrier, lors de la bataille du Nil (Aboukir), sa plus grande victoire après celle de Trafalgar. A la tête d'une escadre en Méditerranée, NELSON est chargé de la surveillance de la flotte française qui fait ses préparatifs pour une expédition dont la destination est inconnue des Anglais. Par malchance, il est absent au moment où les navires français quittent les côtes françaises pour l'Égypte. Il part précipitamment sans ses frégates d'accompagnement qui ont été endommagées lors d'une tempête. Après une longue poursuite, il surprend l'escadre française dans le port d'Aboukir, à l'embouchure du Nil. Au cours d'une opération nocturne où il opère pat attaques successives, NELSON concentre ses efforts sur chacun des vaisseaux ennemis. Mal disposés par BRUEYS, les navires français sont incapables de répondre à cette offensive. En l'espace d'une nuit, NELSON anéantit l'escadre française et assure à l'Angleterre la maîtrise de la Méditerranée.

La nouvelle de cette victoire se propage rapidement dans toute l'Europe et il a droit à un accueil triomphal lorsqu'il jette l'ancre à Naples. Obligé de se replier sur la Sicile, il soutient le roi FERDINAND lorsque celui-ci entreprend sa reconquête de Naples (1799). Peu après, il tombe en disgrâce auprès des autorités britanniques qui sont néanmoins contraintes de faire appel à lui lors de la bataille de Copenhague (1801) au cours de laquelle il anéantit la flotte danoise après avoir commis un acte de désobéissance qui lui assure la victoire. Indiscipliné - et atypique des officiers de son temps, notamment sur le plan de la considération des marins à bord des navires comme de leur avenir une fois à terre -  et connu depuis longtemps pour cette caractéristique, Horatio NELSON subit d'ailleurs tout au long de sa carrière militaire une sorte d'évolution en dents de scies, faites de triomphes impossibles à nier par la hiérarchie et de disgrâces subies lorsqu'il semble qu'on ait plus besoin de lui, successions de périodes courtes, au cours desquelles d'ailleurs il affine sa stratégie.

Au cours du printemps de l'année 1803, après une période de calme, NELSON est placé à la tête de la flotte anglaise en Méditerranée, où NAPOLÉON, contrairement à une légende tenace, est loin de négliger les efforts pour remettre sur pied une flotte puissante. Avec la rupture de la paix d'Amiens et alors que NAPOLÉON prépare une nouvelle campagne militaire, il est chargé d'assurer le contrôle de cette mer et, surtout, d'empêcher les navires de Brest de rejoindre ceux de Toulon, puis ceux de la flotte espagnole, éventualité qui aurait peut-être fourni à l'Empereur des Français les moyens d'envahir l'Angleterre. Ayant placé John ORDE devant Cadix, NELSON suit les mouvements de l'escadre française commandée par LA TOUCHE-TRÉVILLE, puis, après la mort de celui-ci, par Pierre VILLENEUVE. lorsque VILLENEUVE parvient à s'extraire de Toulon, NAPOLÉON décide de réunir sa flotte aux Antilles, puis de l'envoyer dans le couloir de la Manche défendu par William CORNWALLIS. Cependant, le plan de NAPOLÉON ne fonctionne pas comme prévu, l'améral Honoré GANTEAUME ne parvenant pas à sortir de Brest aussi facilement que VILLENEUVE. Après une longue poursuite entre NELSON et VILLENEUVE, l'escadre française choisit de revenir vers la France ; NAPOLÉON se voit dans l'obligation de modifier sa stratégie et, surtout, de renoncer à envahir l'Angleterre. VILLENEUVE rejoint Cadix au mois de juillet (1805) alors que NELSON, de retour en Angleterre, élabore tranquillement son plan de bataille avant de repartir en mer le 15 septembre, à bord du Victory. (BLIN et CHALIAND)

 

La bataille de Trafalgar, un modèle de stratégie maritime

Le 9 octobre, NELSON écrit un Mémoradum, devenu célèbre, dans lequel il annonce sa stratégie. Disposant sa flotte sur deux lignes, à la tête desquelles figurent COLLINGWORTH et lui-même, il préconise une tactique audacieuse visant à diviser la flotte franco-espagnole tout en concentrant ses propres efforts sur chaque navire ennemi. l'objectif est l'anéantissement complet de la flotte adverse. Conscient qu'aucun plan préétablit ne peut prendre en compte les effets du hasard, il exhorte ses troupes à garder un moral de vainqueur tout au long des combats.

Le 20 octobre, VILLENEUVE quitte Cadix en direction de Gilbraltar, NELSON prenant soin de ne pas se montrer. Le lendemain matin, alors que, face au cap Trafalgar, il se trouve en légère infériorité numérique par rapport à la flotte franco-espagnole, NELSON parvient à couper la ligne ennemie et, grâce à la disposition de ses navires en deux colonnes, réussit à morceler une flotte en petits groupes isolés les uns par rapport aux autres. La manoeuvre risquée des Anglais - les navires de tête, dont le Victory, sont dans une position très vulnérable, à la merci d'un mauvais vent - réussit magistralement. Les vaisseaux français et espagnols ne forment plus qu'une longue ligne désordonnée et trop espacée. Les Anglais peuvent désormais détruire les navires ennemis les uns après les autres. NELSON, qui se trouve à la pointe du combat, est blessé mortellement alors que la moitié de la flotte adverse est déjà détruite. Sa victoire, éclipsé momentanément par la nouvelle de sa mort, délivre l'Angleterre de la menace d'invasion et lui confère une suprématie maritime qu'elle conserve pendant près d'un siècle et demi. (BLIN et CHALIAND)

 

La "Nelson Touch"

L'amiral NELSON est reconnu de son vivant pour ses talents de meneur d'hommes, au point que certains parlaient de Nelson Touch, distinction forte qui le distingue d'ailleurs de la caste militaire maritime quant à un certain mépris de la soldatesque et des marins. Il est respecté comme quasiment aucune autre figure militaire dans l'histoire britannique, hormis MALBOROUGH et WELLINGTON. La plupart des historiens pensent que la capacité à galvaniser ses officiers supérieurs comme ses marins et ses qualités de stratège et de tacticien, expliquent ses nombreuses victoires.

Son souci du bien-être de ses hommes est une caractéristique tout à fait inhabituelle pour les normes contemporaines. Il a appuyé énergiquement la The Marine Society, la première organisation de charité pour les marins, où il siégeait au conseil et qui avait formé et habillé environ 15% des hommes ayant combattu à Trafalgar. Cette Nelson Touch le rendait populaire bien au-delà du cercle de la Marine, de bonnes franges de l'opinion publique anglaise. D'ailleurs, cette popularité générale explique peut-être l'agacement et une certaine hargne de la hiérarchie maritime à son égard, qui le place en disgrâce tant qu'elle le peut, qui n'appréciait guère ni son indépendance d'esprit ni son indiscipline notoire.

 

 

Horatio NELSON, The Trafalgar Memorandum, Londres, 1805, British Museum On peut lire ce texte dans l'Anthologie Mondiale de la stratégie, Robert Laffont, collection Bouquins, 1990. Une réédition en Anglais existe, broché chez Forgotten Books, de 2018.

Julian CORBETT, Campaign of Trafalgar, Londres, 1910. Christophe LLOYD, Nelson and Sea Power, Londres, 1973. Alfred Thayer MAHAN, The life of Nelson, the Embodiment of the Sea Power of Great Britan, Londres, 1897. Michèle BATTESTI, Trafalgar, les aléas de la stratégie navale de Napoléon, Economica, 2004. Roger KNIGHT, L'amiral Nelson, Presses Universitaires du Septentrion, 2015.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016.

 

 

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27 août 2019 2 27 /08 /août /2019 15:22

    Blaise de Lasseran de MASSENCOME, seigneur de Monluc, dit Blaise de MONTLUC, est un officier français, parvenu maréchal de France au bout de sa carrière en 1574 et un mémorialiste du XVIe siècle. Serviteur de 5 rois de France (François 1er, Henri II, François II, Charles IX et Henri III), il participe aux guerres d'Italie et aux guerres de religion. Principalement connu pour ses Commentaires qui couvrent une vaste période et publié en 1592, Blaise de MONLUC est considéré comme l'un des premiers théoriciens de la guerre de l'ère moderne.

  A l'image de Philippe de CLÈVES, qui le précède d'un demi-siècle, il met à profit une expérience du combat extrêmement variée pour formuler certains principes sur l'art de la guerre.

Blaise de MONLUC est typique des grands chefs de guerre de cette époque, peu regardant sur les conséquences des méthodes utilisées pour gagner une bataille, sans pitié pour les populations, notamment des villes qu'il assiège. Moins heureux dans les guerres de religion que dans les campagnes militaires en Italie, il sait tenir compte de l'accroissement du format des armées du XVIe siècle et adopte combinaisons tactiques qui tiennent compte de l'introduction nouvelle du feu dans les combats.

 

Une longue carrière militaire

      Placé à l'âge de 12 ans comme page chez le duc de LORRAINE, il se joint plus tard à une compagnie d'archers. Simple soldat à ses débuts, il franchit tous les échelons de la hiérarchie militaire. Sa carrière coïncide avec les guerres d'Italie, et il passe près de trente ans à guerroyer dans la péninsule italienne. Fait prisonnier à Pavie en 1525, il combat en Provence, en Artois et en Catalogne. Il se distingue à la bataille de Cerisole (1544)  alors qu'il est à la tête des arquebusiers gascons. Il obtient son premier commandement par l'intermédiaire du roi de France, Henri II, qui le charge de défendre la ville de Sienne assiégée par l'armée du marquis de Marignan. Malade, il fait montre d'un talent exceptionnel de commandement et réussit à tenir la ville, malgré la famine et les bombardements, pendant près d'un an (1544-1545). Lors du siège de Thionville en 1558, il mène l'assaut final et remporte la victoire.

Il se retire dans son château, près d'Agen en 1559, mais reprend les armes trois ans plus tard pendant les guerres de religion au cours desquelles il combat du côté catholique. Il se signale à Targon et à Vergt (1562), et s'empare du Mont-de-Marsan en 1569 et de Rabastens l'année suivante. En disgrâce à partir de 1570, il est réhabilité un peu plus tard et prend part au siège de La Rochelle (1573), avant d'être nommé Maréchal de France par le roi en 1574. C'est au cours de sa disgrâce qu'il rédige ses Commentaires qui sont publiés après sa mort en 1592. (BLIN et CHALIAND)

 

Une analyse de la guerre

    Son analyse de la guerre est fondée sur sa propre expérience, et il perçoit très rapidement les conséquences qu'auront les nouvelles armes - arquebuse, mousquet, artillerie - sur la conduite de la guerre. Il est d'ailleurs l'un des premiers théoriciens modernes à favoriser l'offensive et le mouvement. Cette approche préfigure la guerre de mouvement qui voit son apogée au XVIIIe siècle. La dimension psychologique de la guerre est l'un de ses thèmes favoris. L'épreuve qu'il subit au siège de Sienne le conforte dans l'idée qu'un chef de guerre doit exhorter ses troupes et se montrer exemplaire dans le courage, la ténacité et la résolution nécessaires à la victoire.

Le deux phases distinctes de sa carrière lui font apprécier les différences entre les guerres de type classique et les guerres civiles : "Ce n'est pas comme aux guerres étrangères, où on combat comme pour l'amour et l'honneur : mais aux civiles, il faut être maître ou valet, vu qu'on demeure sous le même toit ; et ainsi il faut en venir à la rigueur et à la cruauté : autrement la friandise du gain est telle qu'un désire plus la continuation de la guerre que la fin". Son traité est l'un des premiers textes militaires modernes à être étudié par les stratèges, alors qu'auparavant seuls les manuels de l'Antiquité avaient droit de cité. (BLIN et CHALIAND) 

Ses Commentaires constituent une référence jusqu'au règne de Louis XIV.

 

Commentaires, des Mémoires très étudiés au XVIIe siècle

Ses commentaires sont les Mémoires du chef des armées catholiques pour le sud-ouest de la France, depuis le début de sa carrière militaire dans les campagnes d'Italie jusqu'aux guerres de religion. Ils couvrent la période de l'année 1521 à l'année 1576. Le long titre complet (l'usage de l'époque est dans les titres à rallonges...) est : Commentaires de messire Blaise de Monluc, maréchal de France, où sont décrits tous les combats, rencontres, escarmouches, batailles, sièges, assauts, escalades, prises ou surprises de villes places fortes : défenses des assaillies assiégées... Le texte n'est publié qu'après sa mort, en 1592.

Le texte imprimé en 1592 est un texte très remanié par son éditeur et cette version est rééditée jusqu'au milieu du XIXe siècle, avant que ne paraisse en 1864-1867 l'édition plus scientifique due au baron de RUBLE. Le texte sorti dans la collection La Pléiade est une édition critique soignée et riche de notes, mise en oeuvre par Paul COURTEAULT (1867-1950) et préfacée par Jean GIONO.

Blaise de MONLUC associe récit et commentaires, ce qui fait des Commentaires, longtemps après qu'il ne soit plus une référence pour les stratèges, pour les historiens, un inégalable répertoire des techniques de combat et de l'armement du XVIe siècle. L'édition critique permet de resituer certains faits car l'auteur fait un certain nombre d'erreurs de chronologie.

Si Jean GIONO s'est intéressé à son texte, c'est qu'il se présente souvent comme chrétien, chef de guerre efficace, impitoyable par stratégie, mais pas par nature. On sent bien sa qualité de catholique  (il parle de ses péchés commis, que la guerre lui a fait commettre), et sa qualité de noble d'épée (défendant par endroits sa caste par rapport à la noblesse de robe et aux parlementaires, aux pouvoirs croissants dans le Royaume). Il y a dans son texte également des réflexions sur les relations entre pouvoir politique et pouvoir militaire : le bon roi  est celui qui s'implique très personnellement dans les actes de pouvoir en choisissant avec discernement des hommes qui ont fait leurs preuves et qui veille à ne pas créer des pouvoirs qui nuiraient au sien et pour cela il doit multiplier les délégations de pouvoir au lieu de les concentrer. Homme de guerre avant tout, il est également un homme de la Renaissance, de cette Renaissance, très fertile en événements guerriers, mais qui a de la guerre une opinion moins glorieuse que celles des grands chefs militaires qui le précèdent. Il n'est sans doute pas l'homme inculte décrit par CORVISIER dans son Dictionnaire d'art et d'histoire militaires.

 

 

Blaise de MONLUC, Commentaires, Pléiade, 1964. Disponible sur le site de Gallica.

Jean-Charles SOURNIA, Histoire de Monluc, soldat et écrivain, 1981.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016.

 

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20 août 2019 2 20 /08 /août /2019 13:06

    John Churchill MARLBOROUGH, est un général et homme politique anglais dont la carrière s'étend sous le règne de 5 monarques du XVIIe au XVIIIe siècle. Le duc de MARLBOROUGH est l'un des principaux architectes de l'armée anglaise moderne. Ses victoires militaires font de la Grande Bretagne une grande puissance européenne, lui assurant une prospérité croissante au cours du XVIIIe siècle.

 

Une ambition au service de la Grande Bretagne

   Formé sur le continent par les armées de Louis XIV qui doivent ensuite l'affronter à maintes reprises, il prend part à partir de 1672 à de nombreuses campagnes militaires dans toute l'Europe.

Sa carrière politique connait les hauts et les bas des aléas des rivalités entre plusieurs maisons royales en Angleterre. Disgracié en 1692 par le roi Guillaume III, il est rappelé à la tête des armées anglaises lorsque Anne Stuart accède au trône en 1702.

C'est à un âge avancé (50 ans à l'époque est souvent synonyme déjà de vieillesse), qu'il entre dans la phase décisive de sa carrière, celle qui fait sa renommée.

Avec la Quadruple Alliance de La Haye, il participe à la guerre de Succession d'Espagne (1701-1713). Au côté du prince Eugène de Savoie, il remporte ses plus belles victoires à Blenheim (1704) et Audemarde (1708). Il est également victorieux à Ramillies en 1706, mais il marque le pas à Malphaquet en 1709, face à VILLARS, dans une bataille indécise qui l'oblige à changer de stratégie pour s'attaquer aux places fortes de la "frontière de fer".

Au cours de sa carrière, il conduit une trentaine de sièges, dont celui de Lille en 1708. En 1711, il tombe à nouveau en disgrâce pour avoir participé du "mauvais côté" aux affaires politiques de son pays.

 

Un stratège militaire doublé d'un politique

     MARLBOROUGH sait s'entourer d'hommes compétents et dévoués. Par tempérament, il favorise l'offensive et le mouvement, mais sait aussi conduite un siège lorsque c'est nécessaire. Il recherche la bataille qui, selon lui, doit décider de l'issue d'un conflit armé. Son souci du détail le pousse à la réorganisation de ses armées, en particulier aux niveaux de l'intendance et de la logistique. Face aux Français, il sait exploiter les possibilités offertes par le feu. Brillant tacticien, il est aussi un grand stratège qui comprend mieux que personne l'influence des facteurs économiques, politiques et psychologiques de la guerre. Il ne s'engage jamais dans une entreprise militaire sans être sûr d'en avoir les moyens. (BLIN et CHALIAND).

 

   Comme il participe aux luttes politiques de son temps, le bilan de son action, politique surtout (il est déclaré traitres au moins deux grandes fois) ne fait pas du tout l'unanimité, les opinions se partageant du coup sur son action militaire. Toutefois, la grande majorité des biographes et analystes considèrent le poids de son activité militaire comme déterminant, comme Winston CHURCHILL qui répond d'ailleurs par ses volumes à The History of England de Thomas Babington MACAULEY.

Le duc de MALBOROUGH, premier du nom, est reconnu dans l'ensemble comme dévoré d'ambition, recherchant sans relâche la richesse, la puissance et l'ascension sociale, tout comme d'ailleurs presque tous les hommes d'État de son époque, qi cherchent à fonder des lignées et à amasser de l'argent aux dépens du public et parfois directement de la Couronne. Pour George TREVELYAN (England Under Queen Anne, longmans, Green and Co, 1930-1934, 3 volumes) , le comportement de MALBOROUGH pendant la révolution de 1688 témoigne de son "dévouement à la liberté de l'Angleterre et à la religion protestante". Mais sa correspondance continue avec SAINT-GERMAIN n'est pas en son honneur. Bien qu'il n'a jamais souhaité une restauration jacobite, son double jeu fait que ni Guillaume III, ni George 1er ne lui ont fait entièrement confiance. En fait, on peut se demander si, à rebours d'une certaine lecture de l'histoire, le duc n'a pas considéré ces monarques comme de simples pièces dans un empire propre à construire... En fin de compte, sa réputation repose plus sur ses hauts faits militaires et ses visions de la stratégie et de la tactique que sur des qualités de manoeuvrier politique ou de courtisan. Cependant, selon CHANDLER, il est des rares personnages anglais de son époque à comprendre le sens et les enjeux de la guerre de Succession d'Espagne ; le conflit en Europe entre Espagne et Angleterre (avec ses enjeux religieux sous-jacents) trouvant sa résolution à travers la question de la Flandre.

S'il ne laisse pas d'oeuvres élaborées écrites directes et si ce sont ses contemporains qui rapportent ses faits et gestes, ce sont ses correspondances (disséminés dans plusieurs Bibliothèques nationales et Bibliothèques royales), comme pour d'autres généraux de son époque, qui permettent de comprendre directement ses vues politiques et militaires.

  Pour les citoyens francophones surtout, le personnage est connu surtout à travers la chanson traditionnelle Malbrough s'en va-t-en guerre. La chanson, connue depuis 1791 (par BEAUMARCHAIS), a eu une vogue immense (et de nombreux dérivés). Son origine, recherchée au XIXe siècle par l'Académie des sciences morales et politiques, serait due à l'épopée du comte Galéran de MEULAN, appartenant à l'armée des Croisés lors du siège de Saint-Jean-d'Acre en 1190... et est perpétuellement "modernisée" au cours des temps (notamment pour le duc de Guise en 1563(www.france-pittoresque.com, 1er décembre 2015) Comme beaucoup de chansons populaires, à l'instar des romans (par exemple les contes de la Table Ronde), cette chanson fait partie des comptines populaires tendant à faire peur ou à rassurer...

 

 

David CHANDLER, Marlborough as Military Commander, Londres, 1973. Winston CHURCHILL, Marlborough, his life and Times, 6 volumes, Londres, 1933-1938.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016.

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17 août 2019 6 17 /08 /août /2019 12:53

    Face à la déferlante des fake-news, des manipulations des images fixes et mobiles, de la multiplication des moyens audio-visuels utilisés à tort et à travers par de multiples acteurs même bien intentionnés (ne parlons pas des adeptes de la publi-information...), il est grand temps, si l'on veut que la civilisation demeure vivante et porteuse de civisme et d'érudition (tant en quantité qu'en qualité d'informations et d'analyses), de réévaluer les relations entre écrit et audio-visuel. Il est temps de prendre en compte les données des sciences naturelles et des sciences humaines dans l'utilisation des techniques de communication des connaissances et des informations. On sait depuis belles lurettes que différentes parties de notre cerveau traitent différemment l'écriture et la visualisation, comme des sons d'ailleurs. On sait depuis longtemps que la vision des images et l'appareil auditif sont plus directement reliées aux traitements des émotions que le décryptage des écritures, qui doivent faire bien plus appel à un effort conscient. La multiplication des sources audio-visuelles dans nos sociétés s'apparente à un affaiblissement de l'utilisation de nos potentiels cognitifs. Une certaine paresse intellectuelle semble gagner tous les concitoyens. A quoi bon rechercher l'information écrite puisque l'information audio-visuelle se présente à nous "spontanément"?

    Fait de civilisation, l'invasion de notre environnement par l'image et le son artificiels, produits extérieurement, imposé toujours, et heureusement pas toujours accepté, n'est pas seulement la couche superficielle de nos existences, un plus par rapport à d'autres civilisations. Il en est une caractéristique-clé, un élément du rythme de nos vies. Le paysage publicitaire par exemple en vient à passer inaperçu tant il est omniprésent, à devenir "naturel" (on se demande comment on pourrait se passer de toutes ces couleurs...) et il le réussit d'autant mieux qu'il passe dans notre inconscient, exclu de toute réflexion sur le monde et nous lorsque nous en avons une. A chaque génération, cet environnement de son et d'image se fait plus prégnant et fait dangereusement consensus. Hier la télévision et la radio, aujourd'hui, encore plus près de nous (certains ne nous quittent jamais, et parfois restent la nuit...), le "smartphone", le "portable", un quasi pseudopode de notre corps, rendu de plus en plus indispensable dans la vie quotidienne comme dans la vie professionnelle. Celui qui ne se promène pas tous les jours n'importe où avec le portable dans sa poche, avec les écouteurs aux oreilles, avec le casque parfois si démesurément gros qu'il ressemble à un certain objet exhibé fièrement dans les civilisations dites "primitives" (devenez ce que c'est...), est regardé comme un animal curieux, surtout s'il s'aventure à lire du papier...

    Il ne s'agit pas seulement de constater cette omniprésence, il faut aussi comprendre comment cet environnement artificiel, qui se superpose jusqu'à l'effacer l'environnement naturel, agit sur notre inconscient et notre conscience, sur nos capacités sensorielles et cognitives. L'homme (et la femme, sans oublier l'enfant) d'aujourd'hui serait-il plus intelligent, plus fort, plus "cool" que celui d'autrefois, pauvre créature dépourvue de tous ces appareils si précieux? Bien des éléments permettent d'en douter... Outre le fait de confier à des machines une partie de notre mémoire, outre l'habitude de ne plus réellement compter mais de taper sur des touches (et demain de prononcer des additions, des soustractions, des multiplications et des divisions...), outre également le fait de confier des tâches de plus en plus compliquées à des robots (encore sans visage, mais ça va venir...)... et d'oublier comment on les réalise sans machines, des enquêtes mentionnent des pertes de capacité cognitives chez les enfants comme chez les adultes et d'autres enquêtes montrent comment les résultats scolaires peuvent être manipulés, camouflant des performances de moins en moins bonnes (à coup de directives ministérielles notamment...), même si elles ne sont pas confirmées pour l'instant, étant trop parcellaires....

A l'âge d'or de la télévision, au moment où les émissions rassemblaient non des centaines de milliers de personnes devant leur écran, mais des dizaines de millions, déjà des voix s'élevaient sur les risques encourus par les élèves d'y veiller trop tard ou d'y demeurer trop longtemps... Maintenant, le phénomène s'accroit avec la multiplication des écrans de toutes tailles, et il serait intéressant de recenser tous ces articles, toutes ces études, qui indiquent une tendance à la réduction des capacités d'attention des enfants en classe, mais également des adultes qui multiplient les gestes étourdis dans toutes les occasions de la vie quotidienne et professionnelle (le nombre d'accidents étant une donnée à rechercher)

  L'apparition de ces machines-mémoire et machines audio-visuelles constituent un fait de civilisation sans précédent, une révolution, qui sans doute, pour rechercher un équivalent dans le temps, est analogue à celle qui a vu l'apparition de l'écriture. Le passage d'une tradition orale, où les connaissances se transmettent de bouche à oreille, à une tradition écrite, où celles-ci passent de main en main, avec des procédés qui deviennent ensuite de plus en plus performants et plus complexes, a provoqué des bouleversements dans tous les domaines des relations sociales. Et nul ne doute, que la socialité change avec tous ces visiophones, smartphones et consorts... Ce passage de l'écrit à l'audio-visuel n'est pas encore terminé et rien ne dit qu'il ira jusqu'au bout de sa logique, car les supports de ce passage sont fragiles et dépendent, en dernier ressort, de la qualité de l'électricité qu'ils utilisent... Mais d'ores et déjà, ne faut-il pas réévaluer les apports de l'écrit et de l'audio-visuel dans la communication comme dans le transfert de connaissances?

    Alors que le livre permet les pauses, les retours en arrière, le surlignage, la prise des notes, de façon relativement faciles, cela est déjà plus compliqué avec les instruments mis à notre disposition. Qui n'a pas pesté contre les difficultés rencontrées à l'usage des liseuses électroniques? Par ailleurs, la fatigue oculaire entre la lecture des écrits et celle des pixels est sans commune mesure, ladite fatigue a une relation immédiate avec l'attention et l'intégration des données dans notre mémoire. L'écrit permet de fixer, figer, l'attention bien mieux que le pixel (qui est et reste une vibration, n'oublions pas). De plus, si le support papier a contre lui le gaspillage de la ressource en arbres (ce qui peut se solutionner par la rationalisation de l'usage de cette ressource, et la marge reste grande vu les grandes déperditions actuelles), la fabrication des objets électroniques est aussi facteur de pollution (utilisation des "terres rares") et reste à ce jour énergivore... En terme en fin de compte de civilisation, il est temps de réévaluer les rapports de l'écrit et de l'audio-visuel... Ces appareils électroniques constituent en fin de compte de véritables écrans médiateurs qui s'opposent à la relation directe de personne à personne.

Non que dans notre esprit, il faille renoncer à l'informatique et à Internet (que nous utilisons beaucoup du reste), mais il faut revoir la part dans le travail global entre l'écrit et la frappe du clavier, mais surtout entre la lecture de ce qui est écrit et le visionnage de ce mélange d'images et de lettres que l'on veut nous imposer tous les jours. Car, ce qui importe plus, ce n'est pas au niveau de la production de l'écrit, mais du mixage entre images et textes, mixage qui laisse la part la plus belle en fin de compte aux images, plus frappantes qu'un discours, mais moins propice à réflexion, et partant à critique et à contestation. Quoi qu'on fasse, notre physiologie fait que nous accordons plus de crédit à une image qu'à un texte, l'image de plus retentit directement sur notre affect.

Il n'est pas indifférent que, dans nos sociétés, nous mettons plus l'accent sur la réalisation de passions que sur l'effort pour parvenir à la Raison. C'est sans doute toute la tradition des Lumières qui est mise en cause par cette glorification de la passion, comme si l'individu ne pouvait se "réaliser" qu'en assouvissant ses passions. Les chemins culturels qui mêlent cette glorification des passions et l'exacerbation de l'esprit individuel, lequel est mis en concurrence perpétuellement à ses semblables, sont pleins de dangers pour l'humanité. Ce n'est pas pour rien que toute une tradition philosophique insiste pour que s'établisse le règne de la Raison, même si par ailleurs, d'autres courants ont insisté pour briser bien des désirs (on pense là aux puritanismes de toutes origines...). La recherche du plaisir des sens n'aboutit pas forcément à la découverte du bonheur. Et si nous suivons encore cette voie vers l'automatisation de bien des processus d'acquisition des connaissances, comme de communications, comme également à la réalisation de tous les désirs - une même technologie pouvant faire tout cela - nous risquons bien des déconvenues...

 

RAGUS

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17 août 2019 6 17 /08 /août /2019 08:07

       Publié en 1984, l'ouvrage d'Edgar MORIN, sociologue français des plus influents, auteur de nombreux livres autour de l'écologie, continue d'inspirer nombre d'auteurs soucieux, même s'ils partent d'un aspect particulier de la société dans leurs approches, d'une vision globale, du micro-social au macro-planétaire.

    Ce livre constitue une Somme sociologique, jusqu'à une sociologie de la sociologie. Organisé en cinq grande partie, De la réflexion sociologique, De la nature de la société, Sociologie du présent, Les cultures de notre culture, L'intelligence du changement, dénué de jargon et abordable par le plus grand nombre sans pour autant se lire comme un roman, le livre constitue à la fois une grande étape dans la réflexion de son auteur, et offre beaucoup d'angles de vue, tout en se voulant global, et en posant constamment la question du statut de l'observateur qu'est le sociologue.

  

 

De la réflexion sociologique

    Le monde des sociologues est depuis l'origine traversé par une question existentielle : le drame de la sociologie scientifique réside, écrit Edgar MORIN, dans l'impossibilité d'isoler expérimentalement un objet de recherche. On ne peut faire d'expérience dans le tissu social, toujours en mouvement et si complexe. C'est ce qui fait de la sociologie une science humaine et non une science de la nature, bien que nombre d'auteurs se soient essayer à s'en rapprocher. Plus, "est-il vraiment nécessaire à la vision scientifique d'éliminer tout ce qui est projet, finalité, acteur, sujet? Est-il scientifique de s'éliminer soi-même, auteur de cette scientificité?"  De fait l'observateur fait partie, de loin ou de près, de la société observée, et sans doute est-ce une condition nécessaire pour qu'il la comprenne réellement. L'observateur, qui est par ailleurs observé par son objet d'études (même lorsqu'il la questionne par le biais de questionnaire anonyme...), doit à la fois tenir compte de sa position sociale dans la société et ne peut se passer de projet, sinon sans doute il s'aveugle lui-même dans une sorte d'objectivité impossible et sans doute nuisible au pourquoi de son étude (absence de motivation, un fonctionnariat sociologue impossible!). Comme la société est traversée de conflit, il doit également concevoir cette conflictualité, faute de quoi la complexité sociale risque de lui échapper. Pour qu'elle ne se réduise pas à un rôle passif, la sociologie doit rester un champ conflictuel. Sinon à quoi peut-elle servir, sinon à consolider l'existant, qui pour le rester devrait donc être non étudié ? (le sociologue, agent perturbateur...).

"Nous ne pouvons échapper à cette situation : traitant un problème sociologique, nous ne traitons pas seulement un problème d'objets, nous traitons un problème de "sujets, nous sommes des sujets qui avons affaire à d'autres sujets."

Mais Edgar MORIN, même avec la revendication du droit à la réflexion du sociologue là où il se trouve, sent bien qu'il n'en a pas fini avec la question de la scientificité de la sociologie. S'il prend acte de l'absence de méta-système de référence, s'il prend acte également de l'effondrement de l'idée positiviste d'une connaissance reflet et de la théorie-miroir de la nature, il tente de repenser ce problème de scientificité en cernant  trois grandes carences, se tenant toujours en comparaison des sciences naturelles. Pour Edgar MORIN, ces 3 carences sont :

- le fait que la recherche de lois générales ne peut être que triviales dans les sciences sociales. Les lois générales en physique sont fondées sur la mesure, précision, l'exactitude,  la prédiction et elles prohibent un grand nombre de possibilités dans l'enchainement des faits. Au contraire, les lois générales en science sociale n'ont aucune de ces qualités ;

- l'impossibilité d'exorciser la complexité des inter-actions et rétroactions qui unissent l'objet que l'on étudie à ses adhérences et ses appartenances. Il est impossible et immoral d'ailleurs, de tenter d'extraire un groupe de son contexte pour expérimenter comme on le ferait d'un objet physique ou animal ou d'une plante...

- le déréglement du jeu rivalitaire-communautaire, par l'impossibilité du consensus dans la vérification ou dans la réfutation, vu justement cette complexité sociale, auquel s'ajoute l'auto-implication trop grande du sociologue dans la société et celle de la société dans la sociologie.

Vus ces trois carences, l'objectivité et l'universalité du point de vue du sociologue est problématique. D'où la tentative pour en sortir (mais Edgar MORIN nous fait bien comprendre que c'est une tâche presque impossible à accomplir) d'une sociologie de la sociologie, étant donné que la sociologie est à la fois une connaissance à prétention ou visée scientifique et une chose sociale particulière dans ses activités et institutions.

En remontant aux conditions d'émergence de la sociologie, notre auteur - sans même évoquer comme nous le faisons par ailleurs la liaison forte dans sa naissance entre sociologie et socialisme - estime qu'une fracture culturelle passe au milieu de la sociologie. Entre la culture humaniste et la culture scientifique existe une rupture sur la réflexion éthico-politique - aux éléments... complexes! - qui remonte à ce que l'on a appelé la Renaissance, du fait même que contrairement aux thèmes de l'humanisme, la sociologie a été pensée au départ en adoptant les principes de la physique classique. En fondant la scientificité dans ce modèle où tout s'ordonne de manière constante, on a voulu faire adopter par la sociologie une exactitude impossible à atteindre dans les faits, vu que précisément la société est conflictuelle par essence. Cette conflictualité est emblématisée d'ailleurs par les rapports sociaux entre sociologues.

Les conditions d'une sociologie de la sociologie, conclue-t-il, sont de sept ordres :

- Il faut que celui qui pratiquement la sociologie lui-même ait subi un faible imprinting, soit capable de s'autodistancier, soit relativement autonome, respecte la règle du jeu, si difficile soit-elle à respecter ;

- Le sociologue doit avoir conscience qu'il n'est qu'un fragment de la société, mais loin de n'être seulement qu'une partie de ce tout, le tout se trouve présent en lui d'une certaine façon ;

- Il doit être conscient que l'activité cognitive elle-même comporte toujours inévitablement sans doute des aspects mythologico-réificateurs ;

- Il faudrait qu'il ait une conscience anthropo-ethnographique, être capable de relativiser sa culture et sa société par rapport aux autres cultures et autres sociétés ;

- Il faut qu'il ait une conscience historique et qu'il se sache dans un hic et nunc qui n'est qu'un moment singulier de l'histoire ;

- Il faut qu'il fasse usage de la réflexion, qu'il ait foi en la réflexivité ;

- Il faut qu'il ait conscience de la complexité des problèmes de la pensée et de la complexité des problèmes de la société.

"Autrement dit, écrit-il, le développement d'une sociologie complexe permettra la sociologie de la sociologie et le développement d'une sociologie de la sociologie nécessitera la sociologie complexe."

   Ce qui peut paraitre une formule élégante et rien de plus est en fait le prologue de longues pages où l'auteur entre dans le vif du sujet. Ce qu'il entend par droit à la réflexion est précédé d'une réflexion sur la transformation des colloques de sociologie, et à cet égard, il est plutôt pessimiste : il estime que son époque est celle de la paupérisation des idées générales en milieu spécialisé. Entendre le développement de départements distincts et parfois compartimentés de la sociologie en autant de thèmes de sociologie : l'école, le travail, les différentes institutions religieuses politiques et sociales font l'objet d'études spécialisées non raccordées en elles et soumises souvent à des logiques de rivalités professionnelles entre sociologues...

Pour éviter de tomber dans cette parcellisation et réduire de fait la sociologie dans son effort global de compréhension de la société, il faut repenser la nature de la société.

 

De la nature de la société

    Ce qui pousse Edgar MORIN à repenser la nature de la société, il ne le dit pas, mais c'est une certaine hégémonie de l'individualisme méthodologique qui s'installe. Mais aussi une remise en cause rampante et de plus en plus affirmée des pertes de puissance et d'influence des conceptions de la nation et de l'État et même de société civile, déjà sensible lorsqu'il écrit ce livre et aujourd'hui éclatantes, comme en témoignent les hésitations dans la lutte contre le réchauffement climatique et contre toutes les pollutions sur terre, dans l'air et en mer. Il va jusqu'à distinguer trois étapes dans l'appréhension de l'idée de société :

- une étape pré-sociologique où l'on parle des choses de la société sans qu'en émerge encore le terme ;

- une étape sociologique où il y a hypostase du terme devenu abstrait, amputé de ses dimensions historiques, anthropologiques, mythologiques ;

- une étape anthropo-sociologique qui ne nierait pas l'idée de société mais l'enrichirait.

  Il plaide pour la venue de cette dernière étape, vu la nécessité pour approcher la réalité, de la complexification de la notion de société, ce qui est sans doute une riche manière de contrer l'émiettement que constitue la façon de considérer la société simplement comme la rencontre ou l'amalgame des individus. Il est vrai qu'avec ce qu'on appelle rapidement mondialisation, la rencontre de multiples manières culturelles de voir la vie, on peut se perdre facilement dans un réductionnisme. A contre-pied, il s'agit de penser une complexité qui est là et qui va sans doute en s'accroissant.

   Au centre de sa conception de la société comme système auto-éco-organisateur, réside un principe anti-organisationnel d'organisation ou pour dire les choses différemment de lui, des tendances centrifuges et centripètes qui constamment rivalisent dans les activités des hommes. Et si les forces de désintégration sociale ne l'emportent que rarement, c'est parce qu'au sein de la nature humaine résident des forces qui tendent à recherche la coopération et l'ordre. Pour ne pas céder précisément à une vision organiciste de la société, où tous les organes finalement coopèrent, vision biologique qui a dominé longtemps des pans entiers de la sociologie, avec les conséquences dommageables que l'on sait (on pense aux méfaits des idéologies raciales), il faut redéfinir le phénomène social par rapport à la nature. Par une réflexion sur les sociétés humaines et les sociétés animales, par également la considération des phénomènes qui se déroulent au sein même du cerveau humain, Edgar MORIN établit ce qui doit être selon lui l'écologie sociale. Ce qui passe, comme il l'écrit dans les chapitres suivants, par une théorie de la nation et une théorie de la crise. Dans une conclusion suite de sa réflexion des sociétés de la nature à la nature de la société, il écrit :

"Non seulement la sociologie actuelle demeure insuffisante pour comprendre et concevoir l'être des sociétés modernes, mais tout ce que nous avons avancé jusqu'à présent, qui nous semble nécessaire, demeure lui aussi insuffisant.

Toutefois notre vise portait, non sur la partie émergée de l'iceberg de la société moderne, mais sur l'énorme partie immergée. Nous avons voulu indiquer que dans les fonds de notre société non seulement subsiste un "héritage" de la société archaïque, et, en deçà, des sociétés hominiennes, primatiques, mammifères, mais persistent aussi des activités et des virulences organisationnelles,, propres à ces sociétés, et qui se conjuguent, en des formes nouvelles, aux phénomènes organisationnels des sociétés historiques y compris des nations modernes. Nous avons voulu surtout, et de façon plus centrale, suggérer que la théorie sociologique, y compris de notre société, doit être une théorie de l'auto-éco-ré-organisation. Une telle théorie permet de concevoir la société non seulement dans sa réalité biophysique, mais aussi dans sa complexité organisationnelle. Dès le départ "naturel", notre théorie met au centre l'individu, lequel demeure exclu de la sociologie, alors que jamais l'individualisme ne s'est autant déployé que dans les sociétés modernes. Dès le départ, notre théorie conçoit l'organisation sociale comme phénomène neurocérébral, alors que les théories sociologiques ne conçoivent que des mécaniques, des dépenses énergétiques pré-thermodynamiques, des équilibres de systèmes clos, des dynamismes métaphysiquement vitalistes, des fonctionnalismes honteusement organicistes, des structures figées entre ciel et terre. Dès le départ, nous avons pu concevoir à la fois l'invariance et la possibilité évolutive alors que les théories se partagent entre un immobilisme structural et un dynamisme sans structure. Mais, répétons-le, il ne s'agit ici que d'un départ. Ce la peut chagriner beaucoup de reconnaitre que s'il existe des sociologies, la sociologie n'existe pas encore. Mais d'autres, dont moi-même, puisent de l'ardeur à l'idée que la sociologie doit naître."

On remarquera bien sûr que subsiste dans l'esprit de beaucoup l'idée de sociétés homogènes et que les expliquer, c'est les comprendre comme un tout, même si l'on fait appel à des dynamismes qui partent exclusivement des individus. Sans doute, la domination de l'individualisme méthodologique permet en tout cas de concevoir que même au sein des sociétés qui paraissent les mieux unifiées, traversées par autant de liens d'échanges et de communications comme le sont les sociétés modernes, il se peut qu'en fin de compte, nous ayons plutôt affaire à des sociétés qui existent les unes à côtés des autres, aux liens bien plus lâches que le laissent entendre des médiations multiples, et que si les coopérations apparaissent majeures pour la vie économique et sociale de celles-ci, il se pourrait qu'existent des représentations conflictuelles bien plus prégnantes, et cela dans bien des types de société...

 

Écologie sociale, théorie de nation, théorie de la crise...

    En tout cas, cela amène Edgar MORIN à constituer une écologie sociale, une théorie de la nation et une théorie de la crise.

Le milieu social se conçoit comme éco-système, l'ensemble des phénomènes dans une niche écologique donnée, et tout organisme (système ouvert) est intimement lié à l'éco-système dans une relation de dépendance/indépendance où l'indépendance s'accroît en même temps que la dépendance. Edgar MORIN milite (c'est son terme) pour une sociologie qui tienne à la fois compte des tendances à la dépendance envers l'environnement, qu'il soit naturel ou social, et des tendances à l'autonomie.

Réfléchissant à la formation et aux composantes du sentiment national, le sociologue français met l'accent sur différentes facettes d'un phénomène qui fait autant appel à l'affect, à la psychologie qu'aux véritables relations (d'appartenance, d'obéissance..) qui lient les individus ; manière de voir qui permet de comprendre comment ce sentiment national évolue dans le temps.

Prenant le mot "crise" très à la mode au moment où il écrit son livre, Edgar MORIN se livre à une analyse des périodes de stabilité et d'instabilité sociales. Il appelle - mais ce sera sans doute sans lendemains, à la formation d'une crisologie, autre manière selon nous d"étudier l'ensemble des coopérations et des conflictualités qui, au gré du temps et suivant l'espace considéré, traverse les sociétés, en font des entités bien concrètes et bien réelle et en font aussi des ensembles fragiles susceptibles de se fractionner et même de se détruire. 

 

Sociologie du présent

  La plus grosse partie de son livre est une sorte d'application de sa méthode "in vivo" à travers à la fois l'inventaire des procédés dont disposent les sociologues pour étudier un pan de la société ou encore l'ensemble de la société, et d'objets d'études bien précis qui ouvrent également la voie vers une compréhension global : l'interview dans les sciences sociales et à la radio-télévision, la télé-tragédie planétaire de l'assassinat du Président Kennedy en 1964, la modernisation d'une commune française (1966), l'événement mai 68, le développement de l'astrologie (1971), l'émergence des idées écologiques (an 1 : 1972), la ville lumière moderne, la culturanalyse, divers problématiques de la culture (crise de la culture cultivée, culture de masse...). Également dans ses préoccupations, la sociologie du cinéma, la publicité, la vedettisation en politique. Il s'agit comme il l'explique à la partie suivante, de comprendre le changement, d'en avoir l'intelligence, ce qui passe par l'analyse de l'hypercomplexité sociale

 

Vers la compréhension de la complexité sociale, la nécessité d'une sociologie complexe.

   Edgar MORIN n'a de cesse d'examiner la société dans sa complexité, dans le refus d'analyses qui privilégient par trop seulement un ou deux aspects de la réalité, économique le plus souvent. Dans ses ouvrages, que ce soit Arguments pour une Méthode (1990), La complexité humaine (1994) ou L'intelligence de la complexité (avec Jean-Louis LE MOIGNE) (200), il ne quitte pas de yeux cette nécessité. Dans une démarche pluridisciplinaire qui lui fait emprunter des éléments de vocabulaires aux sciences naturelles par exemple, il entend développer le paradigme de la complexité - mot employé récemment mais qui recouvre des réalités également dans le passé.

     Ali Ait ABDELMALEK indique bien, lui qui s'en inspire, un certain nombre de présupposés dont les plus importants sont les suivants, présupposés que n'admettent pas, loin s'en faut, tous les sociologues de nos jours (à tort selon nous...) :

- il existe des lois générales communes, transdisciplinaires, régissant les systèmes complexes et fortement interactifs, qu'ils soient physico-chimiques, biologiques, écologiques, économiques, sociaux, cognitifs, naturels...

- Ces lois sont essentiellement de nature relationnelle (ou cybernétique : interactions internes ou externes).

- Certains propriétés sont de caractère "holistique", dans le sens qu'elles concernent l'ensemble du système comme une entité unitaire. Certaines propriétés émergentes n'ont d'existence et de sens qu'au niveau du système comme totalité indivisible ; le degré d'autonomie dépend de la structure dans l'espace et le temps et de l'organisation logique de l'ensemble du système impliqué.

  "Finalement, explique-t-il, l'existence de lois générales et d'invariants transdisciplinaires n'implique pas que les systèmes soient déterministes et prédictibles. Bien au contraire, les systèmes sont très sensibles au jeu entre contingence locale et nécessité relationnelle. L'approche systémique est, ainsi, une grille qui prépare aux changement de paradigme. Même si certaines disciplines s'occupant de systèmes complexes, la biologique ou l'économie par exemple, ont développé chacune des outils conceptuels adaptés à leur propre champ de préoccupation, il manquait encore une épistémologie commune, générale, bien adaptée à rendre intelligible tous les systèmes naturels et culturels."

   Edgar MORIN, sociologue et philosophe des sciences prolonge ainsi les efforts en Cybernétique de N. WIENER et en biologie de L. von BERTALANFFY, qui avaient marqué les débuts de la "science des systèmes". Talcott PARSONS, de son côté, est sans doute le sociologue qui a fait l'usage le plus approfondi de ce concept d'interdépendance de tous les éléments d'un système social. Jointes à l'influence non négligeable en sociologie de l'approche marxiste qui insiste sur la notion de luttes sociales et de conscience de classe, ces approches dans divers domaines ouvrent bien la voie à une pensée de la société comme système complexe fait à la fois de coopérations et de conflits.

 

      Jean-René TRÉANTON, dans sa recension de l'ouvrage en 1985, en faisait la critique dans la revue française de sociologie. "Voilà plus de trente ans, écrit-il alors, qu'Edgar Morin occupe une place en vue dans la sociologie française. Du Centre d'études sociologiques à ses tout débuts - celui de Georges Gurvitch et de Georges Friedman dans ses locaux spartiates du Boulevard Arago - au CECMAS (CEntre des Communications de MASses), puis au CETSAP (Centre d'études transdisciplinaires. Sociologie. Anthropologie. Politique) dont il assume aujourd'hui la direction, il est à l'origine de plus d'une initiative fondatrice : à commencer par la création de la Revue française de sociologie et de Communications (sans oublier Arguments). Certes, son horizon intellectuel s'est progressivement ouvert à d'autres curiosités que la sociologie ; mais il n'a jamais cessé - malgré sa conversion au point de vue "trans-disciplinaire" - de placer celle-ci au premier rang de ses préoccupations.

Le livre qui vient de paraitre le confirme. Edgar Morin y rassemble, en les agrémentant de plusieurs pages inédites, des textes échelonnés sur plus de trois décennies (le premier remonte à 1952). Articles de revue, communications à des colloques et à des congrès, contributions à des volumes d'hommages : les occasions ne lui ont pas manqué de traiter les questions majeures de la discipline. (....)" Les dates des articles originaux montrent "ce qui parait aujourd'hui banal - l'appel à l'imagination sociologique, le refus de l'obsession quantitative et du souci exclusif de la preuve, la rupture avec le modèle "objectiviste" des sciences exactes -  (que) tout cela Edgar Morin a été l'un des premiers, sinon le premier en France, à le revendiquer, en faisant l'éloge de l'essayisme, de la "dialogique", aime t-il à dire, qu'un Riesman, un C.W. Milles prêchaient de leur côté aux Américains."

"Le sociologue, poursuit notre auteur dans sa critique, qui n'hésite plus à parler à la première personne risque t-il de se laisser aller au pur subjectivisme? Ce qui en protège sans doute notre auteur, c'est le souci de confronter sans cesse sa réflexion aux résultats acquis par les autres sciences : biologie, psychologie, ergonomie, etc., dont l'ensemble forme l'"anthropologie" au sens noble du terme. (...)". "Sous le ton détaché, souvent humoristique, with the tongue in the cheek, la pensée de Morin est à la fois sérieuse et audacieuse. A tous ceux qui ne l'ont pas encore compris, ce volume imposant et varié permettra-t-il de réviser enfin leur opinion?"

 

Edgar MORIN, Sociologie, Fayard, 1984, 465 pages ; Introduction à la pensée complexe, Éditions du Seuil, 2005, 160 pages.

Ali Aït ABDELMALEK, Edgar Morin, sociologue et théoricien de la complexité : des cultures nationales à la civilisation européenne, dans Société (2004/4, n°86).

Jean-René TRÉANTON, Sociologie d'Edgar Morin, Revue française de sociologie, 1985, www.persee.fr

 

Complété le 1er octobre 2019

 

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16 août 2019 5 16 /08 /août /2019 12:48

   Douglas MAC ARTHUR, officier supérieur des États-Unis, est l'une des figures militaires les plus flamboyantes du XXe siècle. Il est l'un des rares à s'être distingué dans trois conflits armés importants : les Première et Seconde Guerres Mondiales et la Guerre de Corée.

 

Une carrière militaire de premier plan

  Sorti major de l'académie militaire de West Point en 1903 avant d'être envoyé dans le génie aux Philippines, où son père avait été gouverneur, il est affecté auprès de ce dernier à Tokyo comme observateur lors du conflit entre les Russes et les Japonais. Il prend connaissance avec le Japon dont il est l'un des meilleurs observateurs américains.

Durant la Première Guerre Mondiale, il est aide de camp auprès du président Théodore ROOSEVELT. Il est chargé, après l'entrée en guerre des États-Unis, d'organiser une division spéciale de la Garde nationale, la division "arc-en-ciel" avec laquelle il se rend en France et prend part à l'offensive de la Marne durant l'été 1918. Promu général de brigade, il dirige sa division vers Sedan (novembre 1918), et puis participe à l'occupation d'une partie de l'Allemagne après l'armistice.

Durant l'entre-deux-guerres, MACARTHUR accède au poste de chef d'état-major de l'armée américaine, puis organise l'indépendance des Philippines avant de prendre sa retraite en 1937. De 1930 à 1935, il est le chef de l'état-major général ; c'est à ce titre qu'en 1932, il réprime par la force la manifestation des anciens combattants venus à Washington réclamer le versement de leurs pensions.

Alors que l'entrée en guerre des États-Unis est imminente, il est rappelé par Franklin ROOSEVELT pour prendre le commandement des forces américaines en Extrême-Orient. Face aux Japonais, il entame une résistance farouche mais se voit contraint d'abandonner ses bases aux Philippines. Débarquant en Australie le 11 mars 1942, il lance cette phrase célèbre, sachant très bien organiser une campagne de presse (laquelle est très demandeuse par ailleurs...) : "Je reviendrai!". Commandant le secteur du Pacifique Sud - Chester NIMITZ commande le secteur Nord - il prépare la contre-offensive en Nouvelle-Guinée d'où il parvient à repousser les forces japonaises, avant de déclencher une offensive de grande envergure avec NIMITZ sur le centre du Pacifique. Le 20 octobre 1944, MACARTHUR s'empare des Philippines et peut ainsi clamer haut et fort au peuple philippin : "Je suis revenu!".

L'année suivante, il est commandant en chef des forces alliées au Japon où il reçoit la reddition japonaise. Durant les années qui suivent la fin de la guerre, il est chargé de superviser la reconstruction politique et économique du Japon.

En juin 1950 commence en Corée la première confrontation sérieuse de la guerre froide où s'opposent deux blocs hétérogènes et extrêmement hostiles. Il s'agit surtout du premier conflit à risque nucléaire mais qui devient en définitive un conflit "limité". MACARTHUR est choisi pour prendre le commandement des forces des Nations Unies. Après l'offensive de la Corée du Nord, dont la rapidité avait quasiment anéanti les armées du Sud avant même qu'interviennent les forces des États rassemblés sous l'égide de l'Organisation internationale, MACARTHUR parvient à endiguer l'avancée des Nord-Coréens. Le 26 septembre, le général américain tente une opération amphibie sur Inchon. La manoeuvre d'enveloppement réussit et il peut s'emparer de Séoul le 26 septembre. Le 1er octobre, il envahit la Corée du Nord, mais les 25 et 26 novembre, alors que ses troupes s'approchent du fleuve Yalou, il est surpris par les troupes chinoises qui repoussent son armée derrière le 38e parallèle. En mars de l'année suivant (1951), MACARTHUR reprend Séoul et entame une nouvelle offensive sur le Nord. Convaincu que le conflit est désormais d'une toute autre nature, le général envisage de s'attaquer, par le truchement de bombardements aériens, à des cibles sur le territoire chinois. Cependant, le général amréicain Henry TRUMAN voit les choses différemment. Commence alors un conflit ouvert - médiatique en grande partie - entre le Président et son général. Le 11 avril 1951, MACARTHUR est relevé de ses fonctions. Son retour aux États-Unis est triomphal.

Il prononce son discours d'adieu devant le Congrès américain le 19 avril avant de se retirer de la vie publique. Dans la dernière décennie de sa vie, jusqu'en 1964, il joue un certain rôle de conseil auprès des présidents et écrit ses Réminiscences, publiés après sa mort. (BLIN et CHALIAND)

 

Un cas-type de conflit entre le pouvoir politique et le pourvoir militaire

   C'est surtout durant la seconde guerre mondiale que nombre de généraux (on pense au général PATTON également) se sont livrés publiquement à une contestation des décisions du pouvoir politique, mais sans jamais déroger à un ordre direct. Si ces "discussions"" prennent autant d'ampleur, alors que la tradition de polémiques entre militaire et politique était déjà une constante de la vie politique américaine, en temps de paix comme en temps de guerre, cela est dû surtout à l'irruption de la presse, avec des moyens techniques supérieures (télévisions, radios) qui donnent à ces polémiques un caractère virulent et public. Douglas MACARTHUR s'est acquis pendant toute sa carrière militaire la réputation de dire franchement ce qu'il pense des ordres militaires du pouvoir politique. Il le fait d'autant plus que ses victoires militaires le rendent très populaire aux États-Unis. De plus, l'establishment comme l'opinion publique connaissent ses compétences d'organisateur en matière de politique institutionnelle, administrative, et économique, qu'il a l'occasion de déployer au moins à deux grandes reprises, en Allemagne après la première guerre mondiale et au Japon après la seconde. Il est fermement convaincu qu'à moins d'une gestion prudente de l'occupation, celle-ci peut être mauvaise à la fois pour l'occupant et pour l'occupé, et ce à de nombreux titres.

Sans jamais avoir eut la moindre ambition politique, il sait comment utiliser la presse pour donner à ses pensées tactiques et stratégiques le plus d'impact possible, pour influencer en dernier ressort les décisions du pouvoir politique. Parfois, la presse, comme à son habitude, va au-delà de sa pensée : elle lui prête longtemps la réflexion d'un bombardement nucléaire sur la Chine ou l'URSS, au moment des revers de la guerre de Corée. En tout cas, ses activités publiques ont un réel impact sur la politique intérieure de son pays, notamment par ses déclarations anti-pacifistes et anticommunistes.

Sa suspension en 1951 par l'impopulaire président TRUMAN, parce que le général avait communiqué avec le Congrès, entraine une large controverse et une crise institutionnelle. Les sondages indiquent alors qu'une majorité d'Américains désapprouvent cette décision. La cote de popularité du président chute, au niveau le plus bas jamais atteint par un président des États-Unis. Alors que l'impopulaire guerre de Corée se poursuit, l'administration Truman est victime d'une série d'affaires de corruption, et le président décide de ne pas se représenter en 1952. Un comité sénatorial préside par le démocrate Richard Brevard RUSSEL Jr, enquête sur la suspension de MACARTHUR. Elle conclut que "la destitution du général MacArthur était en accord avec les pouvoirs constitutionnels du président, mais que les circonstances portèrent un coup à la fierté nationale."

Au niveau de la réalité des pouvoirs entre instances civiles et instances militaires aux États-Unis, la polémique sur la stratégie en Corée a son point culminant début avril, après une lettre du général au leader des républicains de la Chambre des représentants, lorsque TRUMAN convoque entre autres le secrétaire à la défense George MASHALL et le secrétaire d'État Dean ACHESON pour discuter de la situation. Les chefs d'État-major acceptèrent la suspension de MACARTHUR sans la recommander. Si insubordination il y avait - et la discussion fur très "ouverte" à ce sujet, il n'avait pas outrepasser sa mission, et la faute, s'il y a faure réside surtout dans le fait de discuter directement avec des instances politiques autre que le président.

Mais sans doute plus profondément, sur la politique militaire, la polémique MACARTHUR-TRUMAN eut un effet plus net sur la répartition des pouvoirs d'usage des armées nucléaires. En effet, le 5 avril 1951, le Comité des chefs d'état-majors Interarmées délivre des ordres à MACARTHUR l'autorisant à attaquer la Mandchourie et la péninsule du Shandong si les Chinois utilisaient des armes nucléaires pour lancer des frappes aériennes en Corée. Le lendemain, TRUMAN rencontre le président de la Commission de l'énergie atomique des États-Unis, Gordon DEAN, et organise le transfert de 9 bombes nucléaires Mark 4 sous le contrôle militaire. DEAN s'inquiète du fait que la décision sur la manière de les utiliser soit confiée à MACARTHUR qui, selon lui (et à raison d'ailleurs...) n'avait pas toutes les connaissances techniques de ces armes et de leurs effets. Le comité des chefs d'États-majors n'étaient pas non plus à l'aise à l'idée de lui donner et avait peur qu'il n'applique trop prématurément ces consignes. Il est alors décidé de mettre la force de frappe nucléaire sous le contrôle du Strategic Air Command. A plusieurs reprises, depuis, notamment durant la guerre froide, la question du contrôle direct des armes nucléaires est l'objet de discussions au sommet de l'État américain, avec plusieurs solutions mises en oeuvre.

   

Une oeuvre surtout polémique et mémorielle

   Douglas MACARTHUR considère son activité éditoriale dans le fil droit de ce qu'il pense être son rôle de chef militaire, support de ses activités publiques et ensuite de la défense de son action dans l'armée. C'est surtout Réminiscence, publié en 1964 qui attire l'attention car il apporte un témoignage direct sur les problématiques politiques et militaires et sur ce qui s'est passé selon lui au plus fort des polémiques et de la guerre de Corée.  Cet auto-portrait, dont le caractère hagiographique parfois peut faire douter de la validité de son témoignage. Il reste le témoignage émouvant et vibrant d'une vie entière consacrée au service de sa patrie, très conscient qu'il est de sa valeur et de son influence. Il continue d'être un document précieux, d'autant plus précieux pour les Américains que le mode biographique est parfois le seul qui leur apporte des informations sur l'histoire de leur propre pays. Aucun de ses livres n'a fait l'objet d'une édition en langue française. 

 

Douglas MACARTHUR, Reminiscences, McGraw-Hill, New York, 1964 ; MacArthur on War, New York, Duell, Sloan and Pearce, 1942 ; Revitalizing a Nation : a Statement of Beliefs, Opinions, and Policies Embodied in the Public Pronouncements of Douglas MacArthur, Chicago, Heritage Foundation, 1952.

John GUNTHER, The Riddle of MacArthur, New York, 1951. François KERSAUDY, MacArthur, l'enfant terrible de l'U.S. Army, Paris, 2014.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016.

 

 

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13 août 2019 2 13 /08 /août /2019 13:45

   Erich LUDENDORFF est un officier militaire et homme politique allemand. Militariste et conservateur convaincu, Général en chef des armées allemandes pendant la Première Guerre Mondiale (1916-1918), il soutient activement le mouvement national-socialiste dans ses débuts (années 1920), avant de s'opposer à HITLER et de se détourner de la politique pour créer, avec sa femme, un mouvement néopaïen. Il fait partie de ces officiers allemands lucides qui ont bien compris - même si c'est un peu tard - les ambitions et les impasses du projet nazi.

 

Une solide carrière militaire

   Entré à l'âge de 12 ans dans une école de cadets (ce qui n'est cependant pas exceptionnel à cet époque dans les hautes sphères sociales), il est promu officier en 1882 et affecté au grand état-major de l'armée allemande en 1895. Placé sous les ordres de SCHLIEFFEN, il travaille plus tard en collaboration étroite avec le second MOLTKE (neveu d'Helmuth Von MOLTKE) et rédige le plan d'attaque contre la France de 1914.

Il quitte le grand état-major en 1913 et se retrouve sous-chef d'état-major de la 2e armée en 1914. Il est promu quartier-maître général, titre créé pour lui, en 1916 au côté de HINDENBURG et il devient aussitôt l'un des personnages les plus influents de son gouvernement, aussi bien sur le plan militaire que sur le plan politique. Il est chargé, notamment, de négocier le traité de Brest-Litovsk avec les Bolcheviques. Après l'échec de la dernière offensive sur le front de l'Ouest en 1918, il veut signer l'armistice immédiatement. Jugé trop critique envers le gouvernement allemand, il est démis de ses fonctions. Il ne participe donc pas à toute l'entreprise de dédouanement - facilitée d'ailleurs par l'intransigeance du président américain WILSON qui ne veut traiter qu'avec du gouvernement civil - des autorités militaires sur les autorités politiques pour l'armistice et le traité de paix. Ce qui ne l'empêche pas d'être ensuite l'un des plus grands propagandistes de la fameuse thèse du "coup de poignard dans le dos".

 

Une carrière politique très à droite de l'échiquier politique allemand

    La défaite de son pays et ses déboires personnels le remplissent d'amertume et c'est dans cet état d'esprit qu'il entreprend sa carrière d'écrivain militaire et politique. Dès 1919, il publie Meine Kriegserinnerungen, puis (dans leur traduction en Français), Conduite de la guerre et politique (1922), La Guerre (1932) et La Guerre totale (1936). Actif en politique, il appuie HITLER lors du coup d'État manqué de Munich en 1923, dans des circonstances peu claires, puisqu'il lui le reproche (de l'avoir tenté, d'avoir échoué...) ensuite. En 1924, il est élu au Reichstag comme député national-socialiste.

Preuve que sa brouille avec HITLER est importante, en 1925, il cherche à le déconsidérer (tactique qu'il utilise contre tous ses adversaires internes d'ailleurs) en le poussant à se présenter dans une élection où il sait qu'il n'a aucune chance. Résultat : avec 1,1% des voix au premier tour, LUDENDORFF perd l'élection présidentielle de cette année-là, remportée par son ancien supérieure, Paul Von HINDENBOURG. LUDENDORFF ne se remettra jamais de cette défaite. Plus tard, d'ailleurs, il reprochera à HINDENBOURG la nomination d'HITLER comme chancelier d'Allemagne.

Il est accusé en 1927 d'être franc maçon, lui pourtant qui est l'auteur d'un pamphlet antimaçonnique, en Français Anéantissement de la franc-maçonnerie par la révélation de ses secrets.

Marginalisé, et ne jouant plus le moindre rôle politique, il se retire de la politique en 1928.

Il fonde alors, dès 1925, avec Mathilde SPIESS (qui devient sa femme un an plus tard), le Tannenbergbund, mouvement païen de "connaissance de Dieu", qui existe d'ailleurs toujours sous le nom de Bund für Deutsche Gotterkenntnis, et dont les membres sont parfois appelés Ludendorffer. Son retrait de la politique ne signifie pas renoncement : outre une activité éditorial très importante dans le domaine de la théorie de la guerre, il oeuvre pour l'expansion des organisations nationalistes allemandes (et anti-chrétiennes...).

 

Une vision de la guerre totale

   LUDENDORFF doit une partie de sa célébrité à sa vision exaltée de la guerre totale. Soucieux de la préparation de la guerre autant que de sa conduite, s'intéressant aux facteurs psychologiques et économiques autant qu'aux problèmes techniques et tactiques, attentif à la préparation des civils autant qu'à celle des soldats, aussi farouche dans le combat que dans pa poursuite de l'ennemi, il possède une vision intégrale de la guerre.

Il rejette le concept de guerre absolue développé par CLAUSEWITZ et lui préfère sa propre définition de la guerre totale. La nature de la guerre et le caractère de la politique ont changé, argumente-t-il, et la notion selon laquelle la guerre n'est que la continuation de la politique est rendue caduque par le nouvel environnement social et politique. A présent, "l'art de la guerre est l'expression suprême de la "volonté de vivre" nationale, et la politique doit donc être soumise à la conduite de la guerre". Ce constat se veut pratique autant qu'idéologique : l'avènement de la guerre totale est dû selon lui à l'explosion démographique et au progrès technologique. Le caractère total de la guerre implique que toutes les ressources de la nation soient exploitées simultanément pour mener le pays à la victoire. En temps de guerre, la politique s'efface devant la stratégie militaire. En temps de paix, la politique a pour but de préparer la nation à la guerre.

Le régime politique qui convient le mieux à cette vision de la guerre est de nature totalitaire. Le commandant en chef de l'armée doit être en même temps le souverain politique. Il doit posséder l'autorité suprême afin de conduire son armée et sa nation dans un effort uni et efficace. Tout le peuple participant à la guerre, l'importance des facteurs psychologiques et économiques est accrue. En temps de paix, le gouvernement doit mener une politique économique qui prépare le pays à la guerre et qui vise à établir l'autosuffisance des ressources nécessaires à la survie et au combat. Il doit aussi mener une campagne de propagande visant à motiver la population et à affaiblir le moral des autres nations. Le facteur psychologique est l'un des éléments clés de la guerre totale. La contrainte et la force ne sont pas suffisantes pour générer la cohésion et la motivation nécessaires à une société en plein effort de guerre. Il faut pour cela un fondement spirituel au niveau national que LUDENDORFF perçoit dans la société japonaise, particulièrement dans la religion shinto, qu'il prend comme modèle.

Contrairement aux autres théoriciens du national-socialisme, il se montre réticent par rapport aux théories de domination impérialiste. Il leur préfère une doctrine de guerre défensive visant en premier lieu à assurer la sauvegarde de la nation, réduite en quelque sorte à une forteresse à grande échelle. C'est seulement si un peuple se sent menacé que son âme prendre conscience d'elle-même. Les peuples acceptent de s'engager dans un combat qui met en jeu la sauvegarde de leur propre existence mais comprennent moins bien les conflits où ils jouent le rôle de l'agresseur.

Au niveau de la tactique, en revanche, LUDENDORFF préconise l'offensive, et ses idées suivent les théories de la guerre éclair qui se développent un peu partout à son époque : concentration des efforts, mobilité, coordination entre artillerie, chars et avion. Toutefois, il se montre moins confiant que d'autres en ce qui concerne les effets démoralisateurs des bombardements massifs de populations. Il pense que la victoire doit être définitive et qu'elle soit s'accomplir au lieu décisif plusieurs que sur plusieurs fronts. La concentration ds forces en un point faible du front ennemi devra être d'une puissance telle qu'elle provoque la déroute complète de l'adversaire. Finalement, il insiste sur le fait que la poursuite de l'ennemi vaincu doit être implacable. (BLIN et CHALIAND)

    

   Ses idées de guerre totale sont appliquées durant la Première Guerre mondiale. Le programme de HINDENBOURG en 1916, initié par LUDENDORFF, fixant d'en haut les priorités de la production, conduisit à une augmentation spectaculaire de la production d'armement en négligeant l'agriculture. En 1918, l'Allemagne était au bord de la famine. Contrairement au corps d'officiers traditionnel, il aspire à une véritable armée de masse. Grand tacticien, ses qualités de stratège sont contestables car, en raison de sa vision étroitement militaire, il se révéla incapable d'exploiter politiquement ses succès militaires réalisés en 1917 où il avait opté, sous la pression du moment, pour une stratégie défensive à l'Ouest. Comme tacticien, il livra l'une des grandes batailles de l'Histoire, à Tannenberg (août 1914), grâce à un mouvement enveloppant et à la mobilité de ses troupes. LUDENDORFF, on l'a écrit plus haut, préconise une sorte de Blitzkrieg par la concentration des forces attaquant l'ennemi en son point faible. A l'encontre de CLAUSEWITZ, il soutient la primauté de l'offensive sur la défensive en se fondant sur un "fier sentiment de supériorité". Cette vision idéologique l'empêcha vraisemblablement d'évaluer correctement les problèmes matériels de la grande offensive à l'Ouest, le 20 mars 1918. Sa tactique de la moindre résistance visant, par une série d'attaques limitées, à trouver le "point faible" de l'adversaire s'y révéla également désastreuse. Cherchant à séparer les armées française et anglaise en poussant cette dernière vers les ports de la Manche, LUDENDORFF s'écarta finalement de son objectif initial. Il étira son front de près de 7 km plus au sud en affaiblissant l'offensive par cette dispersion. Cet épisode est finalement révélateur de sa myopie stratégique et politique qui faisait la guerre sans avoir de buts nettement définis et succomba pour cette raison, trop facilement à la fascination néfaste de la "bataille décisive". (Thomas LINDEMANN)

 

Erich LUDENDORFF, Conduite de la guerre et Politique, Berger-Levrault, 1928, 1936 ; La guerre totale, Flammarion, 1937, réédité aux Éditions Perrin, 2010 ; Souvenirs de guerre (1914-1918) - Tome I, Tome II, Nouveau Monde éditions, 2014. On trouve des extraits de La guerre totale (à partir de la traduction anglaise de 1976), dans l'Anthologie mondiale de la stratégie, Robert Laffont, 1990.

Eugène CARRIAS, La pensée militaire allemande, 1948. Hans SPEIER, Erich Ludendorff : la conception allemande de la guerre totale, dans Les Maîtres de la stratégie 2, Sous la direction d'Edward MEAD EARLE, Éditions Berger Levrault, 1980.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016. Thomas LINDEMAN, Ludendorff, dans Dictionnaire de stratégie, Sous la direction de Thierry de Montbrial et de Jean Klein, PUF, 2000.

 

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