Erich LUDENDORFF est un officier militaire et homme politique allemand. Militariste et conservateur convaincu, Général en chef des armées allemandes pendant la Première Guerre Mondiale (1916-1918), il soutient activement le mouvement national-socialiste dans ses débuts (années 1920), avant de s'opposer à HITLER et de se détourner de la politique pour créer, avec sa femme, un mouvement néopaïen. Il fait partie de ces officiers allemands lucides qui ont bien compris - même si c'est un peu tard - les ambitions et les impasses du projet nazi.
Une solide carrière militaire
Entré à l'âge de 12 ans dans une école de cadets (ce qui n'est cependant pas exceptionnel à cet époque dans les hautes sphères sociales), il est promu officier en 1882 et affecté au grand état-major de l'armée allemande en 1895. Placé sous les ordres de SCHLIEFFEN, il travaille plus tard en collaboration étroite avec le second MOLTKE (neveu d'Helmuth Von MOLTKE) et rédige le plan d'attaque contre la France de 1914.
Il quitte le grand état-major en 1913 et se retrouve sous-chef d'état-major de la 2e armée en 1914. Il est promu quartier-maître général, titre créé pour lui, en 1916 au côté de HINDENBURG et il devient aussitôt l'un des personnages les plus influents de son gouvernement, aussi bien sur le plan militaire que sur le plan politique. Il est chargé, notamment, de négocier le traité de Brest-Litovsk avec les Bolcheviques. Après l'échec de la dernière offensive sur le front de l'Ouest en 1918, il veut signer l'armistice immédiatement. Jugé trop critique envers le gouvernement allemand, il est démis de ses fonctions. Il ne participe donc pas à toute l'entreprise de dédouanement - facilitée d'ailleurs par l'intransigeance du président américain WILSON qui ne veut traiter qu'avec du gouvernement civil - des autorités militaires sur les autorités politiques pour l'armistice et le traité de paix. Ce qui ne l'empêche pas d'être ensuite l'un des plus grands propagandistes de la fameuse thèse du "coup de poignard dans le dos".
Une carrière politique très à droite de l'échiquier politique allemand
La défaite de son pays et ses déboires personnels le remplissent d'amertume et c'est dans cet état d'esprit qu'il entreprend sa carrière d'écrivain militaire et politique. Dès 1919, il publie Meine Kriegserinnerungen, puis (dans leur traduction en Français), Conduite de la guerre et politique (1922), La Guerre (1932) et La Guerre totale (1936). Actif en politique, il appuie HITLER lors du coup d'État manqué de Munich en 1923, dans des circonstances peu claires, puisqu'il lui le reproche (de l'avoir tenté, d'avoir échoué...) ensuite. En 1924, il est élu au Reichstag comme député national-socialiste.
Preuve que sa brouille avec HITLER est importante, en 1925, il cherche à le déconsidérer (tactique qu'il utilise contre tous ses adversaires internes d'ailleurs) en le poussant à se présenter dans une élection où il sait qu'il n'a aucune chance. Résultat : avec 1,1% des voix au premier tour, LUDENDORFF perd l'élection présidentielle de cette année-là, remportée par son ancien supérieure, Paul Von HINDENBOURG. LUDENDORFF ne se remettra jamais de cette défaite. Plus tard, d'ailleurs, il reprochera à HINDENBOURG la nomination d'HITLER comme chancelier d'Allemagne.
Il est accusé en 1927 d'être franc maçon, lui pourtant qui est l'auteur d'un pamphlet antimaçonnique, en Français Anéantissement de la franc-maçonnerie par la révélation de ses secrets.
Marginalisé, et ne jouant plus le moindre rôle politique, il se retire de la politique en 1928.
Il fonde alors, dès 1925, avec Mathilde SPIESS (qui devient sa femme un an plus tard), le Tannenbergbund, mouvement païen de "connaissance de Dieu", qui existe d'ailleurs toujours sous le nom de Bund für Deutsche Gotterkenntnis, et dont les membres sont parfois appelés Ludendorffer. Son retrait de la politique ne signifie pas renoncement : outre une activité éditorial très importante dans le domaine de la théorie de la guerre, il oeuvre pour l'expansion des organisations nationalistes allemandes (et anti-chrétiennes...).
Une vision de la guerre totale
LUDENDORFF doit une partie de sa célébrité à sa vision exaltée de la guerre totale. Soucieux de la préparation de la guerre autant que de sa conduite, s'intéressant aux facteurs psychologiques et économiques autant qu'aux problèmes techniques et tactiques, attentif à la préparation des civils autant qu'à celle des soldats, aussi farouche dans le combat que dans pa poursuite de l'ennemi, il possède une vision intégrale de la guerre.
Il rejette le concept de guerre absolue développé par CLAUSEWITZ et lui préfère sa propre définition de la guerre totale. La nature de la guerre et le caractère de la politique ont changé, argumente-t-il, et la notion selon laquelle la guerre n'est que la continuation de la politique est rendue caduque par le nouvel environnement social et politique. A présent, "l'art de la guerre est l'expression suprême de la "volonté de vivre" nationale, et la politique doit donc être soumise à la conduite de la guerre". Ce constat se veut pratique autant qu'idéologique : l'avènement de la guerre totale est dû selon lui à l'explosion démographique et au progrès technologique. Le caractère total de la guerre implique que toutes les ressources de la nation soient exploitées simultanément pour mener le pays à la victoire. En temps de guerre, la politique s'efface devant la stratégie militaire. En temps de paix, la politique a pour but de préparer la nation à la guerre.
Le régime politique qui convient le mieux à cette vision de la guerre est de nature totalitaire. Le commandant en chef de l'armée doit être en même temps le souverain politique. Il doit posséder l'autorité suprême afin de conduire son armée et sa nation dans un effort uni et efficace. Tout le peuple participant à la guerre, l'importance des facteurs psychologiques et économiques est accrue. En temps de paix, le gouvernement doit mener une politique économique qui prépare le pays à la guerre et qui vise à établir l'autosuffisance des ressources nécessaires à la survie et au combat. Il doit aussi mener une campagne de propagande visant à motiver la population et à affaiblir le moral des autres nations. Le facteur psychologique est l'un des éléments clés de la guerre totale. La contrainte et la force ne sont pas suffisantes pour générer la cohésion et la motivation nécessaires à une société en plein effort de guerre. Il faut pour cela un fondement spirituel au niveau national que LUDENDORFF perçoit dans la société japonaise, particulièrement dans la religion shinto, qu'il prend comme modèle.
Contrairement aux autres théoriciens du national-socialisme, il se montre réticent par rapport aux théories de domination impérialiste. Il leur préfère une doctrine de guerre défensive visant en premier lieu à assurer la sauvegarde de la nation, réduite en quelque sorte à une forteresse à grande échelle. C'est seulement si un peuple se sent menacé que son âme prendre conscience d'elle-même. Les peuples acceptent de s'engager dans un combat qui met en jeu la sauvegarde de leur propre existence mais comprennent moins bien les conflits où ils jouent le rôle de l'agresseur.
Au niveau de la tactique, en revanche, LUDENDORFF préconise l'offensive, et ses idées suivent les théories de la guerre éclair qui se développent un peu partout à son époque : concentration des efforts, mobilité, coordination entre artillerie, chars et avion. Toutefois, il se montre moins confiant que d'autres en ce qui concerne les effets démoralisateurs des bombardements massifs de populations. Il pense que la victoire doit être définitive et qu'elle soit s'accomplir au lieu décisif plusieurs que sur plusieurs fronts. La concentration ds forces en un point faible du front ennemi devra être d'une puissance telle qu'elle provoque la déroute complète de l'adversaire. Finalement, il insiste sur le fait que la poursuite de l'ennemi vaincu doit être implacable. (BLIN et CHALIAND)
Ses idées de guerre totale sont appliquées durant la Première Guerre mondiale. Le programme de HINDENBOURG en 1916, initié par LUDENDORFF, fixant d'en haut les priorités de la production, conduisit à une augmentation spectaculaire de la production d'armement en négligeant l'agriculture. En 1918, l'Allemagne était au bord de la famine. Contrairement au corps d'officiers traditionnel, il aspire à une véritable armée de masse. Grand tacticien, ses qualités de stratège sont contestables car, en raison de sa vision étroitement militaire, il se révéla incapable d'exploiter politiquement ses succès militaires réalisés en 1917 où il avait opté, sous la pression du moment, pour une stratégie défensive à l'Ouest. Comme tacticien, il livra l'une des grandes batailles de l'Histoire, à Tannenberg (août 1914), grâce à un mouvement enveloppant et à la mobilité de ses troupes. LUDENDORFF, on l'a écrit plus haut, préconise une sorte de Blitzkrieg par la concentration des forces attaquant l'ennemi en son point faible. A l'encontre de CLAUSEWITZ, il soutient la primauté de l'offensive sur la défensive en se fondant sur un "fier sentiment de supériorité". Cette vision idéologique l'empêcha vraisemblablement d'évaluer correctement les problèmes matériels de la grande offensive à l'Ouest, le 20 mars 1918. Sa tactique de la moindre résistance visant, par une série d'attaques limitées, à trouver le "point faible" de l'adversaire s'y révéla également désastreuse. Cherchant à séparer les armées française et anglaise en poussant cette dernière vers les ports de la Manche, LUDENDORFF s'écarta finalement de son objectif initial. Il étira son front de près de 7 km plus au sud en affaiblissant l'offensive par cette dispersion. Cet épisode est finalement révélateur de sa myopie stratégique et politique qui faisait la guerre sans avoir de buts nettement définis et succomba pour cette raison, trop facilement à la fascination néfaste de la "bataille décisive". (Thomas LINDEMANN)
Erich LUDENDORFF, Conduite de la guerre et Politique, Berger-Levrault, 1928, 1936 ; La guerre totale, Flammarion, 1937, réédité aux Éditions Perrin, 2010 ; Souvenirs de guerre (1914-1918) - Tome I, Tome II, Nouveau Monde éditions, 2014. On trouve des extraits de La guerre totale (à partir de la traduction anglaise de 1976), dans l'Anthologie mondiale de la stratégie, Robert Laffont, 1990.
Eugène CARRIAS, La pensée militaire allemande, 1948. Hans SPEIER, Erich Ludendorff : la conception allemande de la guerre totale, dans Les Maîtres de la stratégie 2, Sous la direction d'Edward MEAD EARLE, Éditions Berger Levrault, 1980.
Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016. Thomas LINDEMAN, Ludendorff, dans Dictionnaire de stratégie, Sous la direction de Thierry de Montbrial et de Jean Klein, PUF, 2000.