Le médecin et psychologue britannique et professeur d'université William MC DOUGALL est l'auteur de plusieurs livres importants dans ce domaine. Il y développe une théorie de l'instinct et de la psychologie sociale. Émigré aux États-Unis à l'époque où y fleurit le behaviorisme, il s'intéresse à de multiples domaines allant de la psychologie sociale à l'étude de la vision des couleurs, à la psychiatrie, à la biologie du comportement et même, vers la fin de sa vie, aux phénomènes supranormaux. Il n'est d'ailleurs pas le seul dans ce cas, beaucoup de ses collègues anglo-saxons ont voulu étendre à la fin de leur vie leurs réflexions de manière spéculative au surnaturel...
Influencé par les oeuvres de SPENCER, de DARWIN et de HUXLEY dans son choix de carrière, il choisit la biologie dans ses études avant de s'orienter dans une carrière médicale. Mais il préfère vite la recherche biologique à la pratique médicale, est élu membre du St John College en novembre 1897. Il y entreprend une étude approfondie de la psychologie moderne. Après une expédition dans le détroit de Torres organisée depuis Cambridge, il se familiarise avec une démarche anthropologique et poursuit son travail sur la vision des couleurs et sur l'attention (expérience sur les indigènes). A son retour, il participe à la fondation de la Psychological Society (1901), travaille de 1902 à 1904 comme assistant de James SULLY À l'University College de Londres et publie sur des questions de psychologie physiologique. Ses intérêts s'orientent alors vers la psychologie sociale.
Son élection à un poste d'enseignant de mental philosophy à Oxford en 1903 lui permet d'avoir son propre laboratoire. En 1905, il publie une Physiological psychology, puis, en 1908, l'Introduction to social psychology, son ouvrage le plus connu. La thèse centrale du livre consiste en l'affirmation des bases psychologiques de toute manifestation de la vie sociale, et des bases instinctuelles de toute manifestation de la vie psychologique. Les instincts sont, pour William MC DOUGALL, les premiers moteurs de l'activité humaine. Cela peut paraitre aujourd'hui banal, mais ça ne l'était pas à une époque où, encore dans les milieux mêmes scientifiques, persistent des considérables sur l'âme et le corps... Il énumère et étudie les principaux instincts et les émotions premières de l'Homme : l'instinct de fuite et l'émotion de crainte ; l'instinct de répulsion et l'émotion de dégoût ; l'instinct de curiosité et l'émotion de surprise ; l'instinct belliqueux et l'émotion de colère ; l'instinct d'auto-abaissement (ou de soumission) et d'auto-affirmation, et les émotions de soumission et d'orgueil (sentiment négatif ou positif de soi-même) ; l'instinct parental et la tendresse ; l'instinct de reproduction ; l'instinct grégaire : l'instinct d'acquisition ; l'instinct de construction. S'y ajoutent des "tendances innées non spécifiques", comme la sympathie, la propension au jeu, à l'imitation, à l'émulation, etc. Chacun de ces instincts recensés est l'objet d'un chapitre spécial dans la deuxième section de l'ouvrage. L'influence de SPENCER se fait sentir au niveau du traitement de plusieurs thèmes (importance de l'opinion d'autrui, de la récompense et du blâme dans l'élaboration de la conduite et du jugement moral ; rôle de l'égoïsme ; dynamique générale de la complexification entre l'instinct, les émotions complexes, les sentiments, la conscience de soi et des autres, la vie morale : influence du milieu et des circonstances ; fonction de l'habitude). Le succès du livre est appréciable et contribue à dynamiser la recherche portant sur les fondements du comportement social.
Il publie en 1911 Body and Man et l'année suivante, Psychology : The study of behaviour. Il est élu membre de la Royal Society et du Corpus Christi College d'Oxford (1912). Il passe la période de la guerre dans le Royal Army Medical Corps, étudiant et traitant les maladies nerveuses des combattants. En 1920, il devient professeur de psychologie aux États-Unis (Université de Harvard), et développe la théorie, déjà ébauchée dans son ouvrage de 1912, d'une force instinctuelle originaire, qu'il nomme hormé (terme grec signifiant élan), qui serait le vecteur de tous les comportements et actes de la vie humaine en tant qu'orientés vers la survie. Cette conception est à l'opposé des théories béhavioristes, largement répandues à ce moment, et aux États-Unis plus qu'ailleurs. Il publie en 1923 An outline of psychology, puis en 1926, An outline of abnormal psychology.
C'est vers cette époque qu'il commence ses expérimentations d'inspiration lamarckienne sur l'hérédité des habitudes acquises. Dans un cours à la Sorbonne (L'évolution. Faits. Expériences. Théories)-, publié à Paris (Centre de Documentation universitaire, juin 1943, cours recueilli par Madeleine PIERRE). Pierre-Paul GRASSÉ les résume ainsi : "Le psychologue anglais MacDougall a dressé des Rats, enfermés dans un bassin qui s'emplit d'eau, à s'échapper par un couloir obscur et non par une voie éclairée. Chaque fois qu'un sujet s'engage dans le mauvais chemin, il est puni par une violente commotion électrique. Vingt-trois générations successives furent soumises à cet entraînement. Les dernières commirent beaucoup moins de fautes que les premières et leur éducation se fit bien plus vite. MacDougall conclut à l'hérédité de l'habitude acquise et même à l'accroissement de celle-ci au cours des générations successives. Ces expériences ont été l'objet de critiques sévères ; on a reproché à MacDougall d'avoir pratiqué une sélection inconsciente, d'avoir utilisé des chocs électriques plus violents dans les dernières générations que dans les premières ; la motivation étant plus forte, l'apprentissage se ferait plus vite. MacDougall pour répondre à ces critiques a repris ses expériences sur de meilleures bases : il a pratiqué la sélection à rebours, utilisant comme reproducteurs les animaux les moins bien doués et des chocs électriques d'égale intensité. Les résultats furent identiques : le dressage devint bien plus rapide et les erreurs bien moins nombreuses au fur et à mesure que le rang des générations s'élevait. Ces expériences qui offrent, c'est indéniable, une bonne garantie, méritent d'être prises en considération : mais elles ont contre elles trop de résultats négatifs pour qu'elles suffisent à démontrer l'hérédité de l'acquis. Il faut les répéter encore et voir si les résultats sont bien identiques à ceux de MacDougall".
William MCDOUGALL s'intéresse également aux apports de la psychologie à l'eugénique, ainsi qu'au domaine de la parapsychologie (il est notamment l'éditeur en 1937 du 1er volume du Journal of parapsychology). (Patrick TORT)
William MCDOUGALL représente un courant psychologique pénétré par la notion de dynamisme vital. A travers James WARD (1843-1925), défenseur d'une théorie "conative" du sujet, l'influence lointaine qui détermine son orientation propre remonte à la psychologie de l'acte de Franz BRENTANO. Le qualificatif d'"hormique" ou d'"intentionaliste" que l'on applique classiquement à ses vues n'a toutefois pas la signification philosophique de l'intentionalité de BRENTANO, sur laquelle est directement fondée la théorie de l'objet d'Alexius von MEINONG et dont quelques rémanences peuvent être trouvées dans la théorie husserlienne de la conscience constitutive. MCDOUGALL conserve de sa formation médicale un intérêt profond pour la biologie, et c'est dans l'activité même de l'organisme qu'il situe l'intentionalité des conduites. Il est donc plus proche de TOLMAN, qui, comme lui, insiste constamment sur l'orientation du comportement vers un but à atteindre (purposiveness), au détriment des constructions mécanistes des béhavioristes, disciples orthodoxes de la réflexologie de PAVLOV.
La définition de la psychologie comme science du comportement, acceptée par WATSON comme une formule commode qui n'exclut aucune méthode et souligne implicitement la nécessité du contrôle, est, à un mot près, le titre du court ouvrage de MCDOUGALL, Psychology, The Study of Behaviour (1912), publié un an avant le manifeste célèbre du fondateur du béhaviorisme. Mais c'est dans Outline of Psychology (1923), que MCDOUGALL développe ses thèses dans toute son ampleur. Tout en étant convaincu de la nécessité de l'expérimentation, il rejette à la fois les vues de Willhelm WUNDT et celles du béhaviorisme des origine, parce qu'elles sont incompatibles avec la spontanéité de l'action : ni l'analyse introspective du contenu supposé de la conscience, ni les chaînes de réflexes postulées par les automatismes de dressage ne peuvent suffire à expliquer l'indétermination des repérages pratiqués activement par l'organisme sur le milieu. Selon lui, les caractéristiques psychologiques de la conduite sont les suivantes :
- la spontanéité du mouvement ;
- la persistance de l'activité indépendamment de la prolongation de l'impression initiale susceptible de l'avoir déclenchée ;
- la variation de direction des mouvements persistants ;
- la cessation des mouvements à partir du moment où ils déterminent un changement dans la situation ;
- la préparation à une sitution nouvelle, cette dernière résultant de l'action en cours ;
- l'efficacité accrue du comportement lorsqu'il est répété dans des conditions semblables ; le caractère global de la réponse.
De cette énumération, on retiendra l'élément commun essentiel : le caractère vivant de la conduite. Konrad LORENZ a maintes fois rappelé l'insistance de MC DOUGALL sur la spontanéité des comportements en remarquant néanmoins que cette conviction témoignait de l'inspiration vitaliste de celui qui la professait. Cependant, même à l'intérieur de ce contexte, elle rejoint les observations du biologiste qui tente de décrire les actes instinctifs sans idée préconçue. On ne peut manquer de rapprocher les vues de MC DOUGALL de celles de Wallace CRAIG (1918), qui, le premier, distingua dans les instincts une phase appétitive initiale et une pagse consommatoire terminale, fondant de cette manière, après WHITMAN (1898) et HEINROTH (1910), le schéma descriptif fondamental de l'éthologie.
MC DOUGALL s'écarte toutefois de la biologie proprement dite des conduites par cette autre conviction selon laquelle l'action résulterait de l'impulsion communiquée à l'organique par le mental. Il est moins aisé de récuser, à ce propos, l'influence du vitalisme, encore que le concept de motivation, tel qu'il figure dans de nombreux textes psychologiques actuels, ne marque guère de progrès par rapport à l'ancien dualisme de l'énergie et de l'acte.
Comme beaucoup de créateurs, William MC DOGALL, vit tout au long de sa carrière, dans l'opposition. Émigré aux États-Unis depuis 1920, il ne parvient pas à s'assimiler à la mentalité américaine ; professeur à Harvard, il combat sans interruption le béhaviorisme régnant ; expérimentateur versé en physiologie, il manifeste un intérêt étrange (surtout pour les esprits trop restreints, dirions-nous) pour la parapsychologie ; enfin, et ceci est lourd de conséquences, il croit démontrer l'hérédité des caractères acquis à partir d'expériences effectuées sur plusieurs générations de rats. Il n'est pas exclu que l'homme des hypothèses imprudentes manifeste de cette façon sa méfiance à l'égard de système qui paraissent trop parfaits pour traduire la complexité du réel. De l'avis de beaucoup, MC DOUGALL est cet homme, et sa lutte impénitente contre le simplisme des théories mécanistes a sans doute mieux servi la psychologie que le conformisme de ceux pour lesquels la science est dogme plutôt que découverte. (Georges THINÈS)
William McDOUGALL, An Introduction to social psychology, London, Methuen & Co, 1911. Il n'existe apparemment pas de traduction d'ouvrages en Français, ses écrits étant publiés en anglais au Royaume-Uni ou aux États-Unis...
Georges THINÈS, Mc Dougall, dans Encyclopedia Universalis, 2014. Patrick TORT, McDougall, dans Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution, PUF, 1996.