On dit que le cheval est la plus noble conquête de l'homme, mais on a aussi longtemps sous-entendu, seulement si un noble le monte... A cause de son coût (même dans les terres agricoles, seuls les riches paysans pouvaient se permettre d'en avoir) qui inclut notamment l'existence d'écuries et de champs à proximité assez grands pour ces animaux (même pour les espèces les plus petites...), des qualités requises de dressage et de maintien en équilibre sur la monture (lequel exige également un... dressage de l'homme qui le monte...), l'utilisation des chevaux pour la guerre demeure longtemps un apanage des unités les plus prestigieuses des armées.
Élément réservé (et très jalousement) des armées des civilisations nomades (pour lequel il est doublement précieux) et sédentaire, le cheval donne à la guerre une autre dimension. La cavalerie, surtout utilisée dans des reliefs de plaine, est l'arme de l'exploration lointaine, du choc, de la manoeuvre, de la conquête. "C'est à cheval, écrit Gilbert BODINIER, que les peuples guerriers et dynamiques (Germains, Huns, Mongols) asservissent d'autres peuples souvent plus civilisés qu'eux."
Posséder (de manière privée ou octroyée à titre public) une monture et combattre à cheval constitue autant un art de la guerre qu'un instrument de prestige social. Et surtout chez les peuples où la cavalerie n'est pas un élément d'armement essentiel, faire partie de cette élite qui se réserve les chevaux de guerre ou de parade est de manière ostentatoire affiché jusque dans les allées et au sommet du pouvoir politique. Ainsi, la chevalerie désigne-telle autant ce qui donne aux chevaliers romains tout le prestige et le pouvoir politique possible qu'aux chevaliers du moyen Âge occidental le privilège de sauvegarder la paix féodale ou la reconquête des lieux saints. Autant la cavalerie est couplée aux autres armes sur les champs de bataille, autant la chevalerie constitue le fer de lance décisif dans les combats, et lorsqu'elle existe, les autres armes ne sont là qu'à titre d'auxiliaires (officiellement car elles peuvent s'avérer tout aussi artisanes de la victoire).
Plus tard, lorsque la chevalerie succombe sous les boutoirs de progrès techniques dans les armements (notamment l'artillerie à feu), lorsque la cavalerie cesse d'être réellement utile, les techniciens et ingénieurs de l'armement, les commandements politiques et militaires, tenteront de retrouver la mobilité qui les caractérisaient. Par les chars et véhicules blindés, ils s'efforcent de retrouver cette mobilité, avec de plus la puissance de feu des divers projectiles utilisés de tout temps depuis l'antiquité.
On a peine à s'imaginer aujourd'hui tout ce qu'implique toute cette cavalerie ou toute cette chevalerie : de grands prés pour l'entrainement, de grandes étables (surtout par grand froid), d'énormes quantités de fourrages et d'herbage (heureusement, les chevaux ne sont pas carnivores...), quantités de servants tout autour, une foule de services divers, sans oublier des services vétérinaires très recherchés. La seule analogie valable (et cela se complique encore lorsqu'on se met à utiliser les chevaux comme animaux de traits et de voyages, avec toute la charrerie militaire et civile que cela requiert) possible dans le monde moderne est l'automobile, avec tout son asservissement en sol (routes et parking), ses exigences en matière de voie de circulation, transformant les villes de lieux de vie en lieux de circulation), d'alimentation, de réparation...
Dans l'Antiquité, deux mille ans av J-C., les armées chinoises se composaient déjà de nombreux cavaliers montés. En Inde et en Assyrie, on distingue une cavalerie cuirassée et des formations légères. Leurs cavaliers combattent avec l'arc, le javelot, l'épée et la lance, ils portent un casque léger et un bouclier et parfois une cuirasse. Les Égyptiens qui ne disposent pas de cavalerie propre font appel à des mercenaires étrangers, comme les Hittites ils adoptent le char de combat qui porte des archers. Les cavaliers n'apparaissent apparemment chez les Perses qu'à l'époque de Cyrus, au VIe siècle av J-C. ; ils forment une armée redoutable constituée d'archers montés mais échouent contre les Grecs qui donnent leur préférence aux fantassins.
Couplée à l'infanterie lourde, la cavalerie en Mésopotamie ancienne, sous forme de chars dotés de quatre roues pleines et d'une caisse importante sur laquelle se tiennent le cocher et un combattant équipé de javelines, constitue un ensemble de choc décisif. Mais les chars sont trop lourds pour des évolutions tactiques et servent surtout à poursuivre l'ennemi en déroute ou au transport de troupes. L'apparition au XVIIIe siècle d'un char beaucoup plus léger, plus rapide et plus maniable révolutionne la tactique. La cavalerie évolue par paire : un écuyer tient à la fois ses propre rênes et celles d'un archer monté. Au Ier Millénaire, la cavalerie se modifie davantage, jusqu'à mettre au premier plan le cavalier monté, armé d'un arc et d'une arme légère. il semble bien, dans les premiers temps, que la charrerie précède, au moins pour la Mésopotamie, la cavalerie proprement dite.
En Égypte ancienne, l'armée du Nouvel Empire emprunte aux Hyksos (en employant d'ailleurs ces peuples là...) l'utilisation du char de guerre. La charrerie devient l'élément de décision dans la bataille et fait figure d'aristocratie de l'armée. D'ailleurs, il est intéressant de comparer l'augmentation du statut militaire de cette charrerie avec l'évolution de la composition politico-ethnique des maîtres de l'Égypte.
Les Grecs, en dehors de la Thessalie et de certaines colonies, utilisent peu les formations de cavalerie, car le pays est peu propice à l'élevage du cheval. Leur cavalerie, de caractère aristocratique, n'est pas une arme de choc (c'est plutôt l'infanterie qui assume ce rôle). Les Macédoniens possèdent une phalange équestre dotée du glaive et de la lance, utilisée comme arme de rupture du camp adverse.
L'étude de la place de la charrerie, donc de tout ce qui entoure les chevaux, dans l'Empire mycénien, comme de son évolution donne des indications intéressantes sur les relations entre l'art militaire et le pouvoir politique.
"A la fin du second millénaire, relate Marcel DETIENNE, cet empire dispose d'une puissante charrerie placée sous le contrôle administratif du palais royal et, vraisemblablement sous le contrôle militaire du Rawaketa. S'il est vraisemblable que les hommes de char forment dans le corps social et dans l'organisation militaire de l'État mycénien un groupe privilégié, il est actuellement impossible à partir de la comptabilité palatiale, connue et analysée jusqu'à présent, de définir le caractère spécifique du statut social des "meneurs de char", impossible d'en connaitre les fondements économiques, impossible de préciser leurs relations avec les principaux "dignitaires" du régime". On ne peut que se fier aux récits homériques pour connaitre leur importance tactique, mais le vocabulaire employé de la charrerie est très pauvre comparativement à celui du cheval. Il semble bien qu'on ait presque perdu toute trace d'une véritable civilisation de la charrerie. Sans doute, avec les destructions qui accompagnent la chute de l'empire mycénien, avec la disparition d'un pouvoir centralisé, la charrerie disparait, ses techniques sont oubliées, les divers documents la concernant disparus. La fonction militaire du char régresse, même si c'est très utile, à la fonction de transport. Il joue le même rôle que le cheval : conduire le guerrier face à l'ennemi dans l'espace réservé au combat. Combattre à cheval est difficile : pas d'étrier, pas de selle.... Combattre à char comporte des difficultés techniques et s'apprend longuement. Mais pour notre auteur, "l'aspect technique dans ce cas renvoie très directement à autre chose : un certain type d'organisation politique..
Avec l'apparition de la formation hoplitique, poursuit-il, le char ne va plus jouer qu'un rôle secondaire. (...) Si sa fonction militaire devient dérisoire, sa valeur sociale ne fera que croître : l'entretien des chevaux, la construction de la caisse, du timon, des roues, fabriquées non plus par les artisans du palais mycénien, mais par le démiurge du haut archaïsme, tout cela devait être très coûteux. C'est l'affaire de nobles pour lesquels le char est l'objet de prestige.(...)".
A Athènes, comme dans sans doute nombre de cités grecques au Ve siècle av J-C., la cavalerie est marginale dans les armées, mais il y existe une élite peu nombreuse. Grâce à XÉNOPHON (Le commandement de cavalerie), nous sommes renseignés sur l'entrainement, la conduite et l'utilisation de la cavalerie par les Athéniens. Montées à cru sur de petits chevaux, les cavaliers sont chargés de mission de reconnaissance et d'observation ainsi que de harcèlements et de poursuites. Leur rôle dans la vie civile est important, notamment dans les parades et défilés (qui sont pris autrement au sérieux que dans le monde contemporain). A Sparte, se maintient également une cavalerie, mais se sont surtout les Béotiens, les Thessaliens et les Macédoniens qui possèdent la meilleure maitrise de cette arme. La cavalerie de certaines cités de Sicile, en particulier de Syracuse, est réputée. Dès le règne de Philippe II, l'armée macédonienne s'appuie sur une cavalerie entrainée et efficace. En utilisant la cavalerie comme arme de rupture, Alexandre de Macédoine emporte nombre de victoires en Grèce et en Asie. Il réussit une combinaison entre cavalerie, infanterie lourde et troupes légères que beaucoup de généraux romains lui envieront plus tard. Le rôle de la cavalerie diminue dans les armées des royaumes hellénistiques au profit de la phalange qui y joue un rôle déterminant.
Chez les Romains la cavalerie joue longtemps un rôle médiocre. Très savant dans l'usage de l'infanterie, les commandements de l'armée font appel aux cavaleries étrangères. Mais, dans l'Empire et dans l'Empire romain d'Occident, ils ne parviennent jamais à l'articuler avec leurs autres armes. En revanche dans l'Empire romain d'Orient, la cavalerie devient prépondérante. Les peuples qui envahissent et détruisent l'Empire romain, Germains, Huns, Sarrasins, combattent essentiellement à cheval, et une fois l'infanterie défoncée et les fortifications détruites, il n'y a plus de moyens de les combattre.
Même si le rôle dans l'armée du cheval est réduit dans l'ensemble du monde romain tout au long de son histoire, les chevaliers romains forment l'ordre équestre dont la naissance se place aux origines mêmes de l'Etat romain. L'ordre équestre, formation d'abord militaire, est étroitement lié au système servien, qui sous la République organise le service militaire obligatoire dû par les citoyens et les répartit dans les unités de vote. le fondement du système réside dans la possession du patrimoine, éclairé et vérifié à chaque cens. En principe, les pauvres ou prolétaires sont dispensés de toute obligation militaire et donc du droit de vote dans l'assemblée du peuple en armes. Il ne leur était de toute façon pas possible d'entretenir les chevaux et les armements correspondants, et de plus, comme cet entretien était extrêmement onéreux, c'est l'État qui fournit le cheval. Les chevaliers ne peuvent remplir d'offices politiques qu'après leur service militaire (de 17 à 34 ans) et sont les aristocrates dont les revenus ne sont pas très différents de ceux des sénateurs. Mais ils subissent moins de contraintes dans le domaine de l'économie. Par exemple, ils sont moins soumis aux exigences de l'évergétisme (les dons obligatoires et réguliers aux entreprises publiques). Mais cela n'empêche pas, même si ce n'était pas une obligation morale ou sociale, leur intervention dans la sphère publique (finances, fermes publiques). Au fur et à mesure qu'on avance vers l'Empire, très lié à l'ordre sénatorial, nombre de chevaliers s'immiscent dans la vie politique pour assurer leurs intérêts. Alors que la plupart tentent d'intervenir pour garder l'équilibre politique entre optimates et populaires, la guerre civile les ruinant souvent. Mais même sous l'Empire, l'ordre équestre est le second ordre, seconde aristocratie romaine. Il forme le séminaire de l'ordre sénatorial qu'il peut renouveler. Bien entendu, tout affaiblissement du Sénat face à l'Empereur se traduit par une rétrogradation dans l'architecture politique de l'ordre équestre. Sous le coup des réformes entreprises sous DIOCLÉTIEN et sous CONSTANTIN, il disparait progressivement, avant l'ordre sénatorial, au cours du IV e siècle. On a là l 'exemple presque parfait d'une classe sociale dont l'utilité militaire devient pratiquement nulle mais dont le prestige originel reste intact et dans la durée beaucoup plus solide que celui des sénateurs.
Y-a-t-il un lien entre ces chevaliers aristocratiques romains et les chevaliers du Moyen-Age solidement installé dans le paysage socio-militaro-politique de l'Occident chrétien? Ces chevaliers romains garants de la solidité et de l'unité d'un Empire serait-ils les "ancêtres", à cinq siècles de distance - du VIe siècle de la fin de cet vaste ensemble unifié au XIe siècle d'un ensemble féodal? Leurs valeurs diffèrent quelque peu, leur univers mental est tout autre, la société a changé profondément ses cadres institutionnels et idéologiques. De même, les liens entre les deux Empires se sont distendus politiquement, géopolitiquement et idéologiquement si fortement qu'il faudrait vraiment rechercher des filiations entre la cavalerie lourde byzantine et la chevalerie lourdement dotée de l'Occident chrétien... Mais, dans les deux cas, la classe des chevaliers est de noblesse, même si les serments de fidélité n'ont rien à voir. Mais lorsque les chevaliers romains ont perdu peu à peu leur pouvoirs politiques, l'ordre sénatorial restant seul vers la fin, auraient-ils accompagnés ce vaste mouvement de migration de la noblesse romaine vers les campagnes? Fuyant à la fois les problèmes urbains et les obligations militaires d'État, établissant lentement des domaines gigantesques centrés sur des activités agricoles et versant de plus en plus rarement impôt à Rome, domaines de plus en plus lointain du pouvoir central à tout point de vue, tout en se dotant de moyens de défense (à pied) contre les bandits et les barbares, ces chevaliers même s'ils perdent les mille et uns usages personnellement du cheval, auraient-ils fait le lien entre l'ancienne gloire et la nouvelle? Difficile à établir. Mais souvenons-nous qu'il n'y a pas de coupure franche entre l'Empire romain finissant et les différents royaumes "barbares" qui se renforcent au fil des années. L'allégeance à Rome, et même le paiement d'un impôt jusque fort tard, comme la fourniture d'hommes (parfois de la famille au service de l'Empire, le souvenir même de la puissance romaine - nonobstant la propagande d'un pouvoir religieux bien divisé lui-même quant à ses représentations de la Ville Éternelle - qui va jusqu'à l'élaboration de toute une représentation idéologique de l'Empire Romain Germanique.
Par ailleurs, ce que l'on sait, c'est que l'ensemble des valeurs forgées dans le nouveau monde féodal, provient de la conjonction-fusion directe des deux systèmes politico-sociaux, qui vont donner naissance à de nouvelles morales et à de nouvelles façons de vivre (du quotidien à l'institutionnel) : l'un a son origine dans l'Antiquité greco-romaine, l'autre dans les pratiques initiatiques tribales des peuples de Germanie. Lorsque les Romains conquièrent les vastes étendues européennes, ils leur imposèrent l'organisation politique, économique et sociale dans lequel l'ordre équestre avait une place importante, et tout naturellement, les membres de cet ordre équestre se fondirent dans le paysage des grandes propriétés terriennes, par alliances matrimoniales souvent aux peuples conquis. Lorsqu'à leur tour, les peuplades germaniques, où les procédures initiatiques aux armes permettent la transmission d'une véritable civilisation du cheval, ils cotoyèrent facilement les chevaliers romains. Un phénomène intégratif entre équites romains et cavaliers germains se poursuit pendant plus d'un siècle, où se mélangent pratiques hippiques guerrières et rituels attachés aux différents peuples. Mais il y a loin des représentations "barbares" et de celles des romains, notamment sur la guerre. Le christianisme, avec sa problématique du Seigneur et des seigneurs, officiellement religion romaine, change les mentalités, dès le IVe siècle, mêlant rite initiatique guerrier et finalités renouvelées de la guerre. C'est surtout à travers l'étude des différentes procédures initiatiques chez les Romains et chez les "Barbares" qu'on a jusqu'ici construit la connaissance d'une possible transmission de savoirs techniques et d'une transformation des finalités de la chevalerie. Il faut noter qu'en cours de route, par le choix de coeur, de corps et d'esprit pour la carrière des armes, la chevalerie médiévale est aussi illetrée, ce qui forme un constraste évident avec les chevaliers romains, nobles très instruits.
C'est pourquoi la chevalerie du Moyen-Age présente un visage dans lequel ne peut se reconnaitre la chevalerie de l'Empire romain... Rien de commun non plus entre l'esprit de corps à son ordre et ses liens avec d'autres, la discipline qui caractérise le chevalier romain et l'esprit individualiste, centré sur le salut de son âme personnelle, incapable de discipline dans les combats, où seuls comptent la bravoure et la vaillance...
Chez les Francs, la cavalerie joue un rôle prépondérant, comme pour les autres peuples venant de l'Est. Seuls les riches peuvent entretenir un cheval et les Carolingiens leur font obligation de servir. A cette époque, la cavalerie, qui s'alourdit, se montre incapable de s'opposer aux incursions des Normands et des Hongrois mais les chefs francs cherchent la parade en à la fois transformant la cavalerie en cavalerie cuirassée et en renforçant les fortifications des villes.
Toute l'organisation militaire repose alors sur le chevalier et la société féodale. A chaque mobiiisation, le seigneur fait appel à ses vassaux qui forment avec son chevalier une Lance qui regroupe également tous les servants. A côté de la chevalerie apparait une sergenterie, plus légèrement montée et moins coûteuse qui se recrute parmi les roturiers. Les Lances sont groupées en bannières et celles-ci en batailles fortes au moins d'une centaine de chevaliers.
Entre le XIe et le XIVe siècle, la chevalerie se perfectionne et joue un rôle fondamental. Des trois Ordres, il est le seul à faire la guerre, et ce privilège, renforcé dans le fait qu'il ne peut y avoir de guerre qu'à cheval, fait que le nombre des combattants se réduit considérablement. Dans les batailles rangées, des chevaliers, alignés sur quelques rangs d'épaisseur et groupés en unités tactiques appelées batailles, échelles, conrois... s'affrontent au corps à corps (les armes de jet sont de plus normalement prohibées, mais cela ne dure qu'un temps...) ou chargent lance en avant. Pour des raisons techniques (dues au relief ou à la... fatigue des chevaux!), ils peuvent mettre pied à terre. le plus souvent confrontés à d'autres chevaliers, ils le sont aussi à ds troupes légères à cheval, à des gens de trait (archers, arbalétriers), à des gens de pied munis d'armes de hast. Notons que les chevaliers ne sont jamais seuls, avant, pendant et après la bataille. Avant, toute une foule de servants s'affairent, de la nourriture et du soin des chevaux à l'équipement sur place du chevalier, et ils deviennent de plus en plus nombreux au fur et à mesure que les carapaces des chevaux et des chevaliers s'alourdissent. Pendant, d'autres types de combattants marchent à leurs côtés, à des moments variables de la bataille, des éclaireurs discrets aux donneurs de signaux pour la manoeuvre, des coupeurs de gorge pour achever les ennemis tombés de leur monture aux divers soldats chargés de mettre hors d'état de nuire leurs collègues adverses. Après, lorsqu'il faut regrouper les chevaux pris à l'ennemi ou de leurs maîtres morts, dépouiller les cadavres des ennemis tombés (récupérer leurs armes, mais pas seulement...), lorsqu'il faut s'occuper des chevaliers épuisés ou/blessés... Avec de telles armées, aux XII-XIIIe siècles, peu d'État, et s'il le peut, il est considérer comme un État puissant, est capable de mettre d'un coup en campagne plus de 2 000 ou 3 000 chevaliers à la fois. C'est pourquoi d'ailleurs, et c'est peu évoqué, l'objectif d'une armée de chevalier est double : vaincre et faire le plus de nobles possible prisonniers, autant d'otages qui permettront d'effectuer des échanges avec des ennemis, généralement sous forme de rançons monétaires. Afin de pouvoir financer la campagne militaire... et d'en préparer d'autres.
La chevalerie implique des obligations coûteuses, surtout à la guerre, et en temps de paix, un train de vie dispendieux. Comme d'autre part, au XIIIe siècle, les transformations du concept de noblesse rendent la chevalerie moins indispensable, il arrive un moment, lentement, où un très grand nombre de cavaliers, et la majorité au XIVe siècle, ne sont plus que des sergents montés, des écuyers, des hommes d'armes. Le recul de la chevalerie, dont on dit souvent qu'il est dû à son incapacité à faire face à de multiples innovations militaires (notamment la généralisation des arbalètes), est aussi le résultat d'une évolution socio-culturelle majeure. L'idéal chevaleresque n'existe alors déjà plus que chez les Hospitaliers, les ordres de l'Espagne et du Portugal, des ordres à la fois religieux et militaires, descendants de toute une chevalerie qui se perdit plus tôt sur les champs de bataille du Moyen-Orient. Les croisades, en une sorte de boomerang dévastateur, décime cette chevalerie, faisant des Etats féodaux des proies de plus en plus faciles pour des royaumes recourant surtout à une infanterie renouvelée.
C'est, sur le plan militaire, durant la guerre de Cent ans que le chevalier, bon guerrier mais mauvais soldat, est défait par l'infanterie. Dans leurs efforts pour constituer des armées nationales, les différents rois offrent des soldes et tentent de constituer un ensemble armé permanent, avec des compositions changeantes : en 1494, la cavalerie constitue encore les deux tiers de l'armée de Charles VIII, trente ans plus tard elle ne formait plus que le dixième de celle de françois Ier.
Dans ce grand mouvement technique et tactique qui donne à l'infanterie - et aux archers - une place grandissante, la cavalerie elle-même se diversifie, et au XVIe siècle, les cavaliers se dotent d'armes à feu. Devenues plus légères, les cavaleries se constituent d'arquebusiers, de carabins et de pistoliers. Ces cavaliers pratiquent le combat de la caracole. Disposés en escadrons, à l'exemple des reitres allemands, les cavaliers des premiers rangs déchargent à tour de rôle leur arme sur leur adversaire puis viennent se placer au dernier rang pour recharger. Ce n'est que lorsque les rangs de l'adversaire sont suffisamment éclaircis qu'ils chargent à l'épée. Alors que l'efficacité de cette manière qui fait ralentir le rythme de la bataille n'est pas évidente, la cavalerie continue d'utiliser l'arme à feu jusqu'au XVIIIe siècle. La cavalerie prussienne proprement dite est disposée en première ligne et charge en muraille, en seconde ligne les dragons se tiennent prêts à attaquer, les hussards en troisième ligne protègent les deux premières et prennent part à la poursuite. En France, on suit cette façon de faire avec retard et une certaine incohérence, ayant tendance à mélanger les hommes durant l'engagement. Jusqu'au début du XIXe siècle, la cavalerie, tant dans les guerres napoléoniennes que durant la guerre de Sécession américaine, garde une place importante dans la tactique, malgré l'accroissement de la puissance de feu de l'artillerie et de l'infanterie qui rend problématique les charges. Aux États-Unis, la cavalerie, tenant compte des leçons de la guerre de Sécession, se transforme en infanterie portée. Elle est aussi utilisée avec profit pour l'exploitation et l'exécution de raids en profondeur ayant pour objet de détruite les voies de communication (voies ferrées notamment) de l'adversaire. En 1870, durant la guerre contre les Allemands, le commandement français ne tient pas compte de l'enseignement américain (sans doute par mépris des "anciennes colonies") et perd beaucoup de troupes montées dans ses assaut contre la cavalerie adverse. Les Allemands de leur côté, commettent les mêmes erreurs, menant les dernières charges de cavalerie de l'histoire, du moins dans la partie Ouest de l'Europe. Car, la Pologne et d'autres pays lancent encore des cavaleries contre les Allemands durant la première guerre mondiale et même la seconde... C'est également le cas des Russes et même des Soviétiques... Laquelle tente la massification : le maréchal Joukov remporte quand même quelques succès en combinant infanterie, chars et grandes unités de cavalerie, tandis que sur ce front russe, les Allemands remettent sur pied des corps de cavalerie pour lutter contre les partisans et effectuer des missions de reconnaissance et des raids en profondeur, avec des pertes importantes.
Par conservatisme social et perpétuation des "traditions militaires", tout un ensemble de commandements militaires ne tient pas compte des expériences passées sur le terrain et continue d'utiliser une cavalerie plus ou moins nombreuse. Mais, les corps de cavalerie disparaissent progressivement à partir de 1945 (sauf pour la parade), une des raisons étant, outre une efficacité de moins en moins démontrée sur le terrain, l'hécatombe des montures elles-mêmes sous le feu meurtrier des canons et des chars. Peu d'études, soit dit en passant, se penchent sur le sort des montures durant une guerre et le les pertes subies par les chevaux.
"Si, écrit G. BODINIER, le cavalier est gratifié de nombreux défauts, on lui reconnait aussi des qualités certaines, liées et nécessaires aux missions de son arme : l'esprit offensif, l'audace, l'initiative, un jugement rapide, l'exécution immédiate. C'est l'ensemble de ses qualités et de ses défauts qui constitue "l'esprit cavalier". Le cavalier a toujours bénéficié d'un grand prestige. On le représente (notamment dans la littérature et au cinéma) volontiers comme un grand sabreur et un grand séducteur, dont la vie mondaine est intense, semant l'argent sans compter, méprisant les valeurs bourgeoises. (...)."
L'histoire de la cavalerie est plus vaste que les lignes qui précèdent le montre : des regards sur le rôle de la cavalerie byzantine, pièce maitresse de la résistance aux Musulmans... et aux Croisés, de celle des amérindiens comme de celle des différentes armées coloniales montrent les entrecroisements des considérations militaires et celles qui relèvent plus de l'idéologie, du prestige social, et aussi le poids de toute une organisation socio-économique reposant sur l'exploitation du cheval.
Sur le plan strictement tactico-militaire, le char concentre des qualités importantes : alors que les autorités militaires de toutes les époques sont obligées de choisir entre la capacité de choc (avec une carapace de plus en plus imposante), la mobilité et la puissance de feu de la cavalerie, le char alimenté à au carburant pétrolier concentre à la fois les bénéfices d'une cuirasse (qui protège ses servants et les autres armes), de la puissance de feu et de la mobilité.
Gilbert BODINIER, Cavalerie ; Philippe CONTAMINE, Chevalerie, dans Dictionnaire d'art et d'histoire militaires, PUF, 1988. Dictionnaire de l'Antiquité, PUF, 2005. Marcel DETIENNE, Remarques sur le char en Grèce, dans Sous la direction de Jean-pierre VERNANT, Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, EHESS, 1999.
ARMUS
Relu le 21 avril 2022