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6 avril 2016 3 06 /04 /avril /2016 07:08

    Au sens psychanalytique, les addictions ne peuvent être rangées dans la catégorie des mécanismes de défense. Les confusions de classifications induites par les différentes DSM, dont les derniers constituent, au dire de certains, de véritables machines de guerre contre la psychanalyse, peut amener divers auteurs à présenter les addictions aux drogues diverses, à l'alcool, à certains comportements "à risques", au jeu pathologique, comme des moyens de défense.

Mais non seulement ces auteurs n'effectuent pas de présentation "psychanalytiques" des addictions, se réfèrent explicitement aux classifications du DSM IV ou V, mais introduisent parfois un certain humour, en discutant de mécanismes de défonce. Ainsi Anne CHARPENTIER, psycho-praticienne humaniste, Gelstalt-thérapeute, animatrice du Réseau Pratiques et qui supervise des programmes sociaux et psycho-sociaux d'Inter Aide aux Philippines, explique-t-elle les mécanismes de défense que sont les addictions en se centrant sur la question sur la souffrance de l'individu. Avec une analyse tirée des spécialités qu'elle exerce, elle présente les addictions en termes très proches des associations qui aujourd'hui luttent contre elles. Cette analyse n'est pas normative, écrit-elle, et ne prétend pas fixer une doctrine, même pas en psychologie, elle se contente de présenter des expériences qui ont donné des résultats intéressants dans le contexte où elles ont été menées. Cette présentation est même surtout à destination des animateurs des Réseaux Inter Aide. Pour autant, il est intéressant de présenter cette façon de voir les choses, car elle est globale, pas seulement et pas principalement médicale, elle resitue souvent les addictions dans leur contexte social.

 

   Elle reprend la définition de la psychanalyste néo-zélandaire Joyce MacDOUGALL (L'économie psychique de l'addiction, Revue Française de psychanalyse, volume 68, 2004) :

    "L'addiction peut se définir par deux propositions indissociables :

- tout ce qui peut entraîner un syndrome de dépendance, à savoir : un produit, un comportement mais aussi une personne ou une association, etc ;

- l'envie irrépressible inhérente d'utiliser ou de consommer (dimension impulsive) avec obligation de répétition (dimension compulsive).

Nous avons tous des dépendances affectives mais pas tous de besoins compulsifs" (Daniel SETTELEN, Les addictions répondent-elles toutes à la même souffrance? (Gérontologie et société, n°105, 2003).

Elle cite un certain nombre d'addictions, incluant les "addictions sans substance : alcool, drogues, tabac, médicaments, "troubles de comportements alimentaires", achats compulsifs, jeu, sport, sexe, travail, télévision, internet, le portable, la dépendance affective, addiction à une personne.

"Les co-addictions sont fréquentes (alcool + tabac, drogue + médicaments). Certaines addictions (en général celles liées à des substances illégales, mais aussi la dépendance alcoolique) sont très mal vues socialement (et parfois considérées comme des "vices") et les personnes dépendantes de ces produits peuvent être dénigrées, méprisées et subir des discriminations.

D'autres addictions sont ou ont été socialement acceptées ou "acceptables" selon les époques et les pays (ce sont généralement les drogues légales, comme le tabac, l'alcool et les médicaments psychotropes, qui en France sont sur-prescrits par les médecins et remboursés par la Sécurité sociale), enfin, d'autres encore, qui ne sont pas toujours perçues du grand public comme des addictions, sont parfois même très valorisées socialement (addictions au sport, au travail...)

Elle choisit de ne présenter dans ce travail que les addictions à l'alcool et aux drogues et, brièvement, le jeu pathologique, comme se sont les plus fréquemment rencontrées sur les programmes d'accompagnement familial qu'Inter Aide et ses partenaires mènent dans les bidonvilles aux Philippines, en Inde et à Madagascar.

"Selon des recherches récentes (jeux de hasard et d'argent - Contexte et addictions, INSERM), le jeu en lui-même ne rend pas dépendant. La dépendance au jeu est elle-même sous l'influence d'autres facteurs : elle ne se développerait que chez les personnes dont la réactivité est modifiée par des substances toxiques ou par un mal-être psychique) : ainsi pour accompagner ces personnes, il faut se préoccuper d'abord du malaise psychique sous-jacent et non du jeu en lui-même (Faut-il interdire les écrans aux enfants, de Serge TISSERON et Bernard STIEGLER, Éditions Mordicus, 2009). Mais on peut dire la même chose de toutes les addictions : il y a toujours un mal-être psychique dont l'addiction n'est que le symptôme."

Daniel SETTELEN, rapporte t-elle, écrit dans Les addictions répondent-elles toutes à la même souffrance?" : "La psychogenèse des addictions apparaît comme la résultante de traumatismes archaïques précoces vécus corporellement avant l'acquisition du langage et de la capacité à symboliser. Il y a une incapacité à utiliser les mots pour communiquer et exprimer les souffrances et angoisses communes aux humains. Ces traumatismes peuvent être aussi in utero ou transmis trans-générationnellement. Tout se passe comme si les difficultés à mentaliser et à représenter se déplacent vers un comportement substantif ou médiateur de parole. Les addictions peuvent apparaitre à tout âge, lorsque les mécanismes de protection, les étayages, s'affaiblissent ou s'effondrent. C'est le deuxième temps du traumatisme ou l'élément déclenchant. Rappelons enfin que les addictions ont pour fonction de préserver la survie psychique du sujet et qu'il convient de penser le lien à l'objet d'addiction avant d'envisager la séparation". 

"L'accoutumance, poursuit-elle, ou l'assuétude (nécessité d'augmenter les doses pour obtenir le même effet) et la dépendance physique ne sont pas des caractéristiques qui suffisent à définir l'addiction, bien qu'elles accompagnent les addictions à certaines substances. Par exemple, des personnes souffrant de douleurs chroniques sévères et utilisant des médicaments opiacés (comme la morphine) auront besoin d'augmenter les doses pour maintenir l'effet analgésique (qui soulage la douleur) du médicament. La dépendance physique est aussi une propriété pharmacologique et signifie que si l'usage d'une drogue est arrêté brutalement, la personne ressentira un syndrome de manque se caractérisant par des signes et symptômes spécifiques. De nombreux médicaments utilisés dans des buts thérapeutiques peuvent provoquer un syndrome de manque, comme les stéroïdes, certains antidépresseurs, les benzodiazépines (Valium, Lexomil...) et les opiacés.

L'usage abusif est défini comme un usage qui n'est pas acceptable n'est point de vue médical, légal ou social (et donc susceptible de varier suivant l'acceptabilité sociale). Cela peut s'appliquer à des substances légales comme l'alcool chez les jeunes de moins de 16 ans, ou chez les adultes s'il y a un risque potentiel physique, psychologique ou soclal.

Les facteurs de risque (source : WHO Guide to Mental Health in Primary Care) incluent :

- des facteurs psychosociaux, tel que la maltraitance, l'abus physique ou sexuel, la négligence pendant l'enfance (certaines statistiques indiquent que 60% des toxicomanes ont été abusés sexuellement dans l'enfance, 75% dans les cas de boulimie, 50% des anorexies...) ;

- une histoire familiale marquée par les addictions ;

- une exposition précoce (in utero, ou à travers des traitements médicamentaux, tel que la Ritaline pour l'hyperactivité) ;

- Facteurs psychologiques : détresse, anxiété, troubles émotionnels, troubles mentaux ;

- Exclusion sociale, chômage, délinquance, crime...

- des facteurs sociaux tels que conflits parentaux, séparation, divorce...

    Pour notre auteure, au-delà des aides aux personnes que peuvent apporter nombre d'organismes sociaux publics ou privés, reste posée une question posée crûment : à qui profite le crime?

"Certainement pas à "l'addict" qui y laisse sa liberté, sa santé et son argent.

De même que pour le jeu, pour tous les produits addictifs, on peut questionner la responsabilité des États (qui gèrent les loteries nationales et empochent les gains), la responsabilité sociales des entreprises qui créent et/ou vendent ces produits (on sait bien que les additifs des cigarettes sont ajoutés au tabac précisément pour augmenter la dépendance) y compris les médicaments psychotropes - les anxiolytiques et les somnifères génèrent des dépendances -, comme celles de toutes les entreprises légales ou mafieuses qui produisent et vendent des substances addictives et les gouvernements qui régulent, autorisent, tolèrent ou ferment les yeux, et in fine profitent de toutes ces "drogues" licites et illicites (...)... malgré les coûts sanitaires et sociaux induits. Pour autant, la prohibition n'est pas une solution, car elle ne fait qu'augmenter la criminalité.

Et que dire de la société de consommation, qui n'a d'autre vision à proposer que celle d'un monde écologiquement non-viable, peuplé d'acheteurs compulsifs... (et surendettés...).

Une éducation sans violence, une politique de développement et de protection de la petite enfance (soutien à la parentalité, accès à la santé, au logement, et à des modes de gardes abordables et de qualité...), une école publique respectueuse et non discriminante, valorisant les élèves sur leurs apprentissages (et non pas uniquement en sanctionnant les erreurs...), une société plus égalitaire et moins violente, où la réussite humaine ne se mesure pas exclusivement à la capacité d'acquisition matérielle... seraient de meilleures pistes de prévention."

 

  Si l'on peut concevoir que les addictions constituent pour les sujets des mécanismes de défense devant une réalité destructrice, l'ensemble de la psychanalyse, même anglo-saxonne, ne classe pas les addictions parmi les mécanismes de défense "stricto sensu".

Ainsi Henri CHABROL et Stacey CALLAHAN expliquent que "la sublimation (mécanisme de défense) qui est plaisante, épanouissante, est à distinguer des activités compulsives, des dépendances au travail et au sport (addiction au travail et au sport) où le sujet éprouve un sentiment de contrainte, et d'une fuite dans l'activisme comme modalité du coping évitant ("Je bosse comme une malade, c'est un refuge" ; "Ma seule façon de ne pas penser de trop, c'est de travailler, de travailler"). 

De même Matholde SAÏET analysent l'addiction comme solution psychosomatique plutôt que comme solution psychique à la souffrance." Il s'agit d'un acte-symptôme.

"Les addictions, caractérisées par des agirs immédiats, voués à la répétition, s'apparentent à des "actes-symptômes" : "tout acte-symptôme tient lieu d'un rêve jamais rêvé, d'un drame en puissance, où les personnages jouent le rôle des objets-partiels ou même sont déguisés en objets-choses, dans une tentative de faire tenir aux objets substitutifs externes la fonction d'un objet symbolique qui manque ou qui est abîmé dans le monde psychique interne" (Joyce McDOUGALL, Théâtres du Je, Gallimard, 1982). Le recours à ds objets-choses correspond à un "théâtre du réel" qui se substitue à la paralysie de la psyché, compense un "engourdissement de l'imaginaire" (Jean-Louis PEDINIELLI, Corps et dépendance, dans Dépendance et conduites de dépendance, Sous la direction de Daniel BAILLY et Jean-Luc VENISSE, Masson, 1994).

L'agir résulterait ainsi des défaillances rencontrées par la psyché pour élaborer un conflit sur la seule scène psychique : les conduites addictives sont des acting-out directs, sans remémorisation ni élaboration psychiques, et correspondent à des autoérotismes particuliers ; elles se substituent au fantasme en réalisant un plaisir de fonctionnement qui adhère au besoin. La décharge dans l'agir est un mode particulier de défense qui permet au sujet de maintenir un équilibre psychique dès lors qu'il est menacé soit sur un versant objectal, soit sur le versant narcissique : "c'est l'enfant qui, dans la détresse la plus totale, ne se rend pas au néant, à la pulsion de mort, mais sort du berceau pour chercher lui-même quelque chose ) avaler ou à boire" (Entretiens avec Joyce McDOUGALL", Nouvelle revue de psychanalyse, n°29, 1984).

Le passage à l'acte peut également s'inscrire dans une logique de réduction de la souffrance liée à l'aliénation : "une mesure pour s'étourdir" (Sigmund FREUD, Nouvelles remarques sur les psychonévroses de défense, 1896, dans Névrose, psychose et perversion, PUF, 1973), il représente une décharge, mais aussi un pouvoir anti-symbolisation, une coupure avec "l'élaboration psychique. L'addiction représenterait pour certains une sorte de "dé-psychisation", d'exclusion de la dimension psychique ou subjective (Gérard PIRLOT, Psychanalyse des addictions, Armand Colin, 2009).

Joyce McDOUGALL postule que le but premier de l'acte addictif est de se débarrasser de ses affects (alexithymie). Du fait des défaillances de l'organisation du Moiet parce que l'organisation psychique n'est pas à même de lier représentation et affect, le fonctionnement psychique est assailli par des douleurs insoutenables, "au-delà de l'angoisse de castration" qui concernent la mort psychique, "où le Je risque de perdre ses repères narcissiques et identificatoires". La prise de substances ou la conduite viennent avant tout éviter l'irruption de l'affect : le "briseur de souci" est une sorte d'écran de fumée, un analgésique engourdissant les expériences affectives, formant un rempart contre le risque d'écroulement. L'addicté est donc un sujet pris dans un cercle vicieux, qui lutte par des actes contre une douleur déclenchée par une menace d'annihilation et qui ressent ce type de douleur parce qu'il se trouve dans l'impossibilité de traiter psychiquement certains phénomènes.

L'acte addictif s'exprime surtout par une "recherche de sensation" - également mise en évidence par la psychiatrie anglo-saxonne (Marvin ZUKERMAN, Sensation Seeking : a Comparative Approach to a Human Trait, Behovioral and Brain Sciences, n°7, 1984) -, l'excitation-sensation visant principalement à contre-investir toute représentation (représentant-représentation) de la pulsion. Jouant le rôle d'un "procédé-auto-calmant" (SMADJA, SZWEC), l'addiction convoquerait l'excitation afin de lutter contre le vide affectif et une "dépression blanche" (P MARTY, Les mouvements individuels de vie et de mort, Payot, 1976). Face au défaut de sécurité interne et aux menaces d'annihilation et de confusion avec l'objet, seul le maintien d'une excitation endogène assurerait les sujets de la permanence de leur différenciation avec l'environnement. Instaurant le règne de la sensation, l'expérience toxicomaniaque interviendrait ainsi pour compenser les défaillances de l'enveloppe de représentation, "sensorialité supposée pensante" (Piera AULAGNIER, Les Destins du plaisir, PUF, 1979), organisation dans laquelle le sensoriel fait fonction d'activité de penser."

 

Mathilde SAÏET, Les addictions, PUF, Que sais-je?, 2015. Henri CHABROL et Stacey CALLAHAN, Mécanismes de défense et coping, Dunod, 2004. Anne CARPENTIER, Mécanismes de défonce, Mécanisme de défense, Réseau pratiques, 2010, www.intraide.org.

 

PSYCHUS

 

Relu le 28 avril 2022

      

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commentaires

J
Merci pour cet article ! Très instructif !!
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B
merci pour cet article très révélateur des possibilités qui se trouvent autour de nous afin de lutter contre les addictions les plus dangereuses
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