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14 février 2019 4 14 /02 /février /2019 10:11

    Dans sa périodisation de l'histoire du pacifisme en France, Yves SANTAMARIA fait des années 1962-1974 le moment où les forces socio-politiques se polarisent, en une sorte de guerre par procuration, dans les choix géopolitiques et surtout idéologiques. Il est vrai que ces années correspondent à une période de fortes tensions entre Etats-Unis et Union Soviétique, au sortir de la crise de Cuba qui ne laisse que peu de traces dans la mémoire collective française, à l'inverse des moments d'émotions pendant la crise elle-même. La guerre du VietNam étant le point focal de cet affrontement, et les événements de 1974, avec les campagnes antimilitaristes marquant un tournant en France dans le paysage pacifiste. Mais on peut se poser la question si une autre périodisation n'est pas possible, prenant en compte plus profondément l'évolution réelle des relations soviéto-américaines - quoique l'opinion publique française semblant prendre une décennie de retard dans l'appréciation de celles-ci, perception atypique en Europe tant la prose sur l'indépendance nationale prend le pas sur toutes les autres analyses.

Et surtout en France, les années 1958 et 1968 sont marquées par des changements profonds dans la société : les événements de 1958 ouvrant une période institutionnelle obligeant tous, y compris les pacifistes, à se positionner différemment et les événements de 1968, sur le plan des relations entre personne (rapport d'autorité, rôle des femmes, renouveau de la "question sociale") définissant bien un avant et un après dans les conceptions du pacifisme lui-même. On ne pouvait pas penser avant 1958 les questions de guerre et de paix sans poser la problématique coloniale  ; on ne peut plus penser après 1968 le pacifisme sans poser la question de l'évolution même de la civilisation et de la société dans son ensemble, et surtout de la place de l'armée dans la société.

Compte tenu justement de la spécificité française des rapports de force, avec un mouvement communiste encore très important, compte tenu du détachement de l'enchaînement des événements en France d'un contexte international perçu avec un certain décalage, on serait plus enclin à une périodisation 1958-1968, mais effectivement, ce n'est qu'en 1974, qui est aussi l'année de l'échec électoral de l'union de la gauche, que les problématiques françaises rejoignent les problématiques européennes et mondiales, avec l'arrivée notamment d'une politique libérale sur le plan économique. Une sorte de désenchantement sur la problématique d'un changement socio-politique d'ampleur fait alors place effectivement à d'autres perceptions des questions de guerre et de paix, dans un paysage pacifiste somme toute bien plus éclaté qu'auparavant...

 

Un paysage pacifiste éclaté, une opinion guère mobilisée...

   Chaque fraction de la mouvance qu'on devrait plutôt appeler alors, mouvance de la paix plutôt que mouvance pacifiste proprement dite, tant certaines composants émettent des conditions parfois restreintes, parfois plus large, à l'exercice du combat pour la paix. Pour beaucoup, la paix en soit ne suffit pas, elle ne peut exister qu'avec d'autres éléments à prendre en considération, l'indépendance ou la justice. Et cela pour des composantes parfois opposées idéologiquement, chrétiens et communistes, socialistes et "apolitiques" ou anarchistes... De la crise des fusées de Cuba à la guerre du Viet-Nam, l'éventail des réactions des pacifistes est large, même si par ailleurs, surtout avant 1968, années charnière s'il en est, ils demeurent toujours minoritaires ou même très minoritaires dans l'opinion publique. Même les catholiques dont le Pape produit son encyclique Pacem in Terris, ne sont guère mobilisés, même les adhérents au Parti Communiste ne font de la paix - même au plus fort de la propagande soviétique et du Mouvement de la paix, n'en font une cause majeure. Alors que la phraséologie de l'administration Kennedy - qui se prévaut d'une action pour la paix par "l'équilibre du monde" en Occident, que la phraséologie du Kremlin, surtout après Cuba, est en faveur de la "coexistence pacifique", même si les actions diplomatiques et militaires ne vont même pas dans ce sens, la seule préoccupation qui pourrait se rapprocher de celle des pacifistes réside dans l'attitude du gouvernement par rapport à une main-mise des États-Unis sur la politique étrangère et de défense de la France...  Et encore, lorsque De GAULE, dans une rhétorique de l'indépendance nationale, fort du succès de la mise en place de la force nucléaire, prend la décision de faire quitter en 1966 les forces américaines du sol français, il coupe en quelque sorte l'herbe sous le pied du seul mouvement de masse encore important dans le domaine des questions de guerre et de paix, le Mouvement de la paix, alors complètement inféodé à Moscou. C'est que l'heure est à la sérénité, et au consensus un peu vague exprimé dans l'encyclique Pacem in Terris, seul élément qui dans la presse et à travers les congrégations religieuses catholiques de l'Europe, est l'occasion de campagne de presse importante, cela dans la foulée de ce bouleversement annoncé et mis en oeuvre par Jean XXIII, consacré par Vatican II...

   Les seuls éléments de fixation semblent être alors la guerre des Six Jours (juin 1967) et celle de la guerre du Biafra (mai 1967-janvier 1970). L'une, mais l'attitude du gouvernement français critique à l'égard d'Israël élime vite les contestations "pacifistes", divise à l'intérieur même de la mouvance pacifiste et l'autre, la presse étant très présente pour la relater, focalise plus sur la "misère" des biafrais que sur des menées "impéralistes" en Afrique. C'est d'ailleurs surtout sur le volet humanitaire que l'opinion se mobilise, et en 1971, un certain nombre de médecins (dont Bernard KOUCHNER et Xavier EMMANUELLI) décident de créeer "Médecins sans frontières. L'un et l'autre conflit suscitent une problématique sur les Droits de l'Homme promise à un grand avenir.

 

Guerre du Viet-Nam et Armement nucléaire.

  En fait, seules deux questions suscitent une polarisation d'initiatives, de réactions, voire de manifestations en France. La Guerre du VietNam (dans sa phase américaine désormais), dans l'ensemble d'une mouvement planétaire et diffus de protestation et l'émergence de la force nucléaire stratégique en tant que réalité maintenant tangible (préparée au début de la décennie précédente), suscitent des oppositions, qui ne se limitent pas, loin s'en faut, aux différentes sphères pacifistes. Ensuite, dans la foulée des vagues contestataires de Mai 1968, les résistances à la conscription et à la militarisation de la société constituent des points forts de la vie politique du pays...

   L'accentuation de la logique présidentielle de la République, avec l'élection du Président de la République au suffrage universel, règle établie par le résultat du référendum d'octobre 1962, fait de la défense et des relations internationales une sorte de domaine réservé - d'ailleurs contesté dès son apparition. L'opposition aux programmes militaires ou d'armements se colore alors d'un sentiment qu'il ne peut y avoir de réel débat sur la défense. L'ensemble de la mouvance pacifiste joint sa critique traditionnelle d'une crainte de confiscation en quelque sorte de la démocratie.

 

Armement nucléaire...

    Le jeu solitaire de la France, à la suite notamment du refus opposé par la Grande Bretagne aux projets de coopération en matière de missile, soulève deux types d'inquiétudes qui s'alimentent l'une l'autre, comme l'écrit Yves SANTAMARIA. "Le premier se nourrit d'une sensibilité atlantiste, mais tendra à s'atténuer progressivement, lorsqu'il s'avèrera que la distension des liens avec Washington n'avait guère porté atteinte à la solidité de l'Alliance occidentale. Le second motif de préoccupation tenait au refus manifesté par de Gaulle d'être partie prenante d traité d'arrêt des tests nucléaires négocié entre Soviétiques et Américains en 1963. Les socialistes sont particulièrement sensibles aux deux aspects de la question : tout en agitant (avec une conviction sans cesse affaiblie) la perspective d'une force européenne autonome, la SFIO dénonce l'ensemble des initiatives du pouvoir au nom de la "solidarité occidentale". En même temps, elle impulse à partir de juillet 1963 - sous l'autorité de Jules MOCH - un Mouvement Contre l'Armement Atomique (MCAA), dont le dynamisme permet au socialisme français de renouer ouvertement avec une part importante de son bagage culturel. Les socialistes reprennent ainsi partiellement l'initiative sur un terrain jusque-là abandonné au PCF, établissant avec la nouvelle gauche française (et notamment les chrétiens) des liens distendus par la guerre d'Algérie. Les marches organisées par le MCAA dans de nombreuses régions s'inspirent des pratiques anglo-saxonnes et s'inscrivent dans la perspective de la Confédération internationale pour le désarmement et la paix, que son indépendance par rapport à Moscou rend plus fréquentable qu'un Mouvement de la paix toujours aligné sur la diplomatie soviétique."  Notons que ces "retrouvailles" avec le pacifisme ne sont pas seulement le fait de dirigeants socialistes, au sein d'une organisation aux structures assez diverses, et qu'il s'agit aussi d'une impulsion venue d'une fraction de l'opinion publique, déjà sensibilisée à ces problèmes lors de la guerre d'Algérie. On pense notamment à une partie de la presse, à des initiatives venues de gens d'Église que Vatican II a libéré en grande partie des soucis hiérarchiques, à également une partie de la jeunesse (notamment via les organismes d'éducation populaire...) directement concernée par les différents appels à l'enrôlement dans les armées. Par la suite, notamment lors des négociations pour une union de la gauche, les questions de défense (avec la problématique des nationalisations) pèsent de tout leur poids.

Les débats s'engagent d'ailleurs véritablement dans une phase aigüe après la défaire de la gauche aux législatives de mars 1973, alors qu'une partie de l'extrême gauche développe, conjointement avec d'autres forces politiques et culturelles, une campagne antimilitariste d'une ampleur sans précédent suite aux dispositions de la loi votée 3 ans plus tôt sur le régime du sursis du service militaire. Les prises de position marquantes émanent plus alors de l'ensemble de la société civile que d'un monde parlementaire axé sur d'autres agendas, et même d'un monde politique et d'une partie de la hiérarchie militaire directement visée. Nombre d'intervenants articulent d'ailleurs problématique de défense et question du changement social.

 

Guerre du VietNam...

    La contestation-protestation contre la guerre du VietNam est bien plus importante - anti-américanisme et anti-atlantisme faisant largement leur place - que lors de ce que les Français ont appelé la guerre d'Indochine, alors que les Américains n'ont fait que prendre le relais de la puissance coloniale française. C'est que l'ampleur des destructions sur le sol vietnamien et la disproportion des moyens militaires engagés horripilent plus que ne veut le faire le Mouvement de la Paix qui agit là dans le cadre d'une guerre froide où beaucoup savent quel camp il choisit. Comparé aux autres pays d'Europe occidentale, et au diapason du mouvement contre la guerre aux États-Unis même, les mouvements anti-guerre et pro-VietNam en France sont les plus puissants et les plus répandus. Une part de l'agitation étudiante, qui a ensuite un grand rôle dans les événements de Mai 68, provient de cette opposition. Même si la mémoire est faible aujourd'hui sur ce mouvement anti-guerre, sur le moment le monde politique bruit surtout de cette guerre, et il semble même que maintes réflexions partent de cette guerre pour une réflexion plus globale sur le monde, et que toute réflexion, dans la presse, les médias, la littérature, sur le monde ramène toujours aux faits brûlants de l'actualité en Asie. Alors que l'anticolonialisme est relégué par la suite au second plan, il jette ses derniers feux dans le paysage pacifiste français (on préférera même un temps parler du colonialisme intérieur ou franco-africain que du colonialisme-impérialisme des deux Grands).

  L'opposition à l'intervention américaine au VietNam revêt un caractère sans précédent, comme l'écrit encore Yves SANTAMARIA : "reconstituant un arc gaullo-communiste tel qu'on l'avait plus connu depuis la querelle de la CED (la défunte-née Communauté Européenne de Défense) et qu'il se ressoudera en 2003 lors de la deuxième guerre d'Irak. Par delà la spécificité de chacune des conjectures (et sans parler des arrière-pensées de chacun), une différence importante tient dans l'attitude de l'extrême droite qui, dans le cas du VietNam, affiche résolument son soutien au régime du Sud et à ses protecteurs américains. Mais à cette exception près, la rue française appartient aux soutiens de Hanoï, tandis que la presse et les médias d'État concourent à affaiblir la légitimité du Goliath yankee face aux fantassins en sandales de Giap". C'est notamment sur la scène médiatique, plus sans doute que dans des manifestations massives que s'exprime cette posture presque unanime. De plus, "les reportages sur la contestation interne aux États-Unis contribuent à donner aux adversaires français de la politique menée par Washington le sentiment qu'ils sont partie prenante d'un certain avant-gardisme culturel, tel qu'il s'exprime sur les campus et à travers des protest-songs où la tradition folk se colorie de plus en plus d'accents pop-rock d'une électrique modernité." Dans l'ensemble, dans l'opinion, c'est plus les images et les positions à gauche et à l'extrême gauche qui attirent l'attention, tirant d'ailleurs sa perception vers un versant pacifiste qui pourtant n'est pas la caractéristique principale de maints groupes et intellectuels sur le devant de la scène. Ainsi, on retient des interventions de jean-Paul SARTRE, à la pointe brièvement de la gauche intellectuelle, ces appels anti-guerres et anti-crimes de guerre. Cette gauche intellectuelle se retrouve autour de ce dernier, dans l'initiative prise en 1966 par Bertrand RUSSEL d'un "Tribunal international contre les crimes de guerre au VietNam" au cours duquel la seule partie américaine est convoquée sur le banc des accusés. Avec le temps, maints d'entre eux qui, tel Pierre VIDAL-NAQUET, regretteront les qualifications à sens unique de génocide...

C'est à une véritable bataille des slogans que l'on assiste, qui préfigure ce qui advient plus tard avec la contestation générale de la société, où les positions, toujours anti-américaines - se nuancent d'objectifs politiques bien différents. Dans cette bagarre, la violence verbale au sein de l'extrême gauche pour la prise de contrôle du mouvement anti-guerre, nombre d'intellectuels constituent autant de "prises de guerre", chacun des groupes - on devrait sans doute plus écrire goupuscules - voulant retrouver le chemin des masses, à qui concurrencera le mieux un Parti Communiste encore hégémonique dans la classe ouvrière et sur la plan de la propagande pacifiste. Les analyses de fond alors comptent mieux que le chocs des slogans, et ce serait sans doute une erreur d'étudier les positions réelles à partir d'eux... Dans cette phase de la contestation de la guerre du VietNam, les autres courants comptent peu, les socialistes (embourbés dans les crises ministérielles à répétition) comme les chrétiens (engagés dans l'aggiornameto du Vatican) étant pris par des logiques - qui, tout en n'"oubliant pas" le fait majeur international de la guerre en Asie - ont d'autres batailles à mener... Si au sommet des organisations socialistes et des Églises, peu de choses par rapport à la guerre du Viet-Nam se font - nonobstant une intense activité diplomatique discrète - à la base, il en est tout-à-fait autrement. Toute une génération de militants, quels que soient leurs affiliations - est marquée par celle-ci et réalise ses "premières armes" dans la rue contre l'intervention américaine. Que ce soit dans l'apprentissage de l'usage de la propagande ou dans les face-à-face avec les forces de l'ordre (dans une sorte de réflexe récurrent de répression-solidarité, notamment en milieu étudiant), ces militants garderont la mémoire de bien des tactiques pour se faire entendre du pouvoir...

 

Dans l'ambiance contestataire de mai 68... les luttes contre l'institution militaire...

   Ensuite, dans la foulée de ces événements et de leur conclusion provisoire sur le plan culturel et sur le plan politique, l'antimilitarisme révolutionnaire, qui n'est pas l'un des thèmes favoris des soixante-huitard, devient partie intégrante d'une critique générale de la société, critique qui déborde largement le cadre de groupes anti-capitalistes, et qui se propage dans une suite d'agitations sociales dans maints domaines. Dans un contexte où la culture anti-hiérarchique sature l'ambiance, les groupes d'extrême gauche tentent de mener le mouvement pacifiste, mais ce dernier le dépasse largement. Et les jeunes militants de ces divers groupuscules à l'influence plus que rachitique ou très localisée doivent composer avec des composantes politiques qui, sans être déconnecté d'une passion révolutionnaire - que d'aucuns d'ailleurs trouvent empreintes d'un certain romantisme simpliste - font de la lutte contre la militarisation de la société une fin en soi. L'hostilité contagieuse contre l'armée - nourrie des conditions mêmes des appels et des réalités militaires - se manifeste par de très nombreuses initiatives individuelles ou de petits groupes d'orientations diverses, qui cherchent d'ailleurs de temps en temps à se fédérer suivant leur sensibilité. Dès 1972, des structures telles que le Groupe d'Action et de Résistance à la Militarisation (GARM) et le Mouvement pour le Désarmement, la Paix et la Liberté (MDPL), issu directement du MCAA, deux structures d'orientation plus libertaire ou chrétienne, rivalisent d'initiative avec le Comité Antimilitariste de Révolution!) et, nettement plus étoffé, le Comité de Défense des appelés, émanation de la Ligue Communiste. Volontiers unitaires, ces organisations appellent au soutien des "victimes de la répression" aussi bien dans les casernes qu'à l'extérieur, où insoumis, déserteurs et objecteurs de conscience accèdent désormais à une visibilité médiatique. Ces derniers - fer de lance de contestation et cheville ouvrière de bien des groupes - bénéficient du parrainage de nombreuses personnalités (Daniel GUÉRIN, Margueritte DURAS, le père Jean CARDONNEL, le pasteur Jean CRUSE ou encore Pierre VIDAL-NAQUET).

Les années 1973-1974 peuvent être considérées, écrit Yves SANTAMARIA, comme l'apogée de manifestations diverses et variées, de démonstrations pacifiques de toute sorte (obstructions, appels, manifestations) : "Jamais d'ailleurs dans le passé, la contestation de l'armée n'avait revêtu un tel caractère de masse." La politique de la jeunesse, au diapason d'une politique sociale répressive, du gouvernement alimente régulièrement les oppositions, qui trouvent des relais dans certains partis (PSU, certaines sections du PS et même du PC...). Ainsi, le PSU, alors présidé par Michel ROCARD, impulse le groupe "Information pour les Droits du Soldat" (IDS), afin non seulement de ne pas laisser tout le champ contestataire aux seul CAM et CDA, mais également de produire des analyses pouvant déboucher sur des propositions concernant la politique de défense. IDS s'assigne en 1974 pour tâche essentielle de populariser l'"Appel des Cent", dans lequel les appelés sont invités à contresigner au grand jour un manifeste cumulant revendications matérielles et exigences en matière de démocratisation de l'institution militaire.

Durant ces deux années-là, mais également, de manière décroissante toutefois jusqu'à l'orée des années 1980, des groupes comme le "Front des soldats, marins et aviateurs révolutionnaire" (FSMAR) - au plan d'action très ambitieux de peser sur une crise majeure, à l'image de ce qui se passe au Chili et au Portugal - s'efforcent de recruter parmi une jeunesse réticente au service militaire, pour toute une série de tâches qui vont du service d'ordre à l'organisation de manifestations, du renseignement à la propagande... Les militants du SMAR animent également des "Comités de soldats" aux activités généralement indolores pour la hiérarchie - malgré certaines exagérations paranoïaques de certains de ses membres, qui de temps à autres organisent des "coups" spectaculaires (manifestation en uniforme à Draguignan en septembre 1974)... Mais ni les tentatives du PSU pour développer un syndicalisme des soldats, ni les appels à une révolte des conscrits, ne débouchent sur une structuration d'un quelconque mouvement de masse pacifiste ou de paix. La seule activité contestatrice de la militarisation de la société  qui ait un écho massif et qui pèse d'ailleurs sur l'image de l'armée en général dans l'opinion publique, est l'opposition à l'extension du camp militaire du Larzac, animée par des agriculteurs modernistes et pacifistes et des militants appartenant à l'extrême gauche ou à la mouvance non-violente. Le plateau du Larzac est appelé pour de nombreuses années à un un foyer majeur, un endroit de concentration, d'agitations et de propositions de changement dans maints domaines, de la défense, bien entendu, à l'agriculture, des relations avec les pays du Tiers-Monde à une autre politique de santé... sans compter cette vieille antienne, qui ne se réalise que dans peu d'endroits d'une alliance entre ouvriers et paysans... C'est tout un ensemble de théories et d'expérimentations qui fleurit, sans possibilité de récupération par un parti politique visant le pouvoir, une culture contestataire bien vivace et porteuse d'ailleurs de beaucoup de luttes qui ne sont à ce jour pas closes... Le pacifisme qui s'y exprime n'a que peu de choses à voir avec des approches anti-américaines, se déconnecte souvent des événements internationaux pour s'attacher bien plus à l'existence d'un système politico-social répressif dans un spectre large d'activités humaines, et s'enracine d'ailleurs, faisant passer précisément jusqu'au moment de la crise des euromissiles des années 1980, les urgences de mobilisation après un enracinement dans d'autres pratiques sociales... Jamais, le pacifisme n'a alors a paru si éclaté, et dans ces années 1980 justement, sourd une lutte entre le Mouvement de la paix et cette mouvance pacifiste qui tient le haut du pavé sur le Larzac et dans d'autres endroits forts de contestation (Lip, centrales nucléaires). Alors que le mouvement anti-nucléaire (civil et militaire) prend forme, les organisations de la mouvance communiste semblent ne pas comprendre l'évolution même de la société...

   

Yves SANTAMARIA, une passion française, Armand Colin, 2005.

 

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