Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
22 février 2018 4 22 /02 /février /2018 13:02

        Brigitte Van WYMEERSCH, musicologue et philosophe, chercheur qualifié auprès du FNRS, de l'Université catholique de Louvain, rappelle que Theodor ADORNO (1903-1969) est l'un des premiers penseurs à élaborer une critique de la culture et de l'art du XXe siècle. Situé dans la mouvance de l'École de Francfort le philosophe allemand, même s'il abandonne la carrière musicale dès 1930, possède une solide formation de musicien. S'il se consacre complètement à la philosophie, il garde des contacts avec le milieu musical, notamment les groupes d'avant-garde. En exil pendant la Seconde guerre mondiale aux Etats-Unis, il retourne en Allemagne et directeur de l'Institut für Sozialforschung de Francfort à la suite de Max HORKHEIMER (1895-1973), il poursuit jusqu'à sa mort une carrière de penseur, de sociologue et d'esthète. 

Ses études sur l'art contemporain et la "nouvelle musique" sont indissociables de sa philosophie et de sa vision de la société. Marqué par le marxisme comme les autres auteurs de la mouvance de l'École de Francfort, il ne cesse d'avoir une attitude critique sur les dérives de la société industrielle et technocratique, avec la même vigueur qu'il dénonce les régimes totalitaires du XXe siècle. On retrouve la même attitude dans ses études à portée esthétique ou musicologique (Malher, une physionomie musicale, 1960, réédition chez Minuit en 1978 ; Écrits musicaux I et II, Gallimard, 1982 ; Fragments pour le Beethoven, Revue d'esthétique, n°8, 1985).

Il met en lumière chez tous ces auteurs la manière dont les techniques de composition, la grammaire et la texture d'une oeuvre sont imprégnées de l'idéologie du moment. De la même façon, dans son Essai sur Wagner (1952, traduit en français et publié en 1966 chez Gallimard), ADORNO démontre que la technique musicale utilisée par le compositeur allemand porte la marque des caractères autoritaire et antisémite qui aboutiront au fascisme et dont il a analyse l'origine dans La personnalité autoritaire (1950).

La lecture de l'art contemporain que livre ADORNO est également redevable de sa théorie négative de la raison. La dialectique de la raison, oeuvre écrite en collaboration avec HORKHEIMER, analyse le développement de la rationalité en Occident. Si la raison a conduit à l'émancipation de l'homme, elle a également mené à l'appropriation de la nature et à la domination de l'homme par l'homme, au capitalisme et au totalitarisme. Source de libération de l'homme, la raison genre aussi des systèmes autoritaires qu'ADORNO dénonce avec virulence. Ce caractère dialectique de la raison se retrouve dans l'oeuvre d'art qui est en soi une aporie : lieu de liberté et de critique, mais aussi de conditionnement et de manipulation.

La société post-industrielle engendre une bureaucratisation croissante et la production d'une culture de masse, qui infantilise et endort le peuple. cette "industrie culturelle" distille des oeuvres non sophistiquées, standardisées et marquées par l'émotion superficielle et un charme facile. C'est la critique de l'entertainment d'une façon générale. Si cet art semble plaisant, il mène cependant à une impasse, car il engendre de faux besoins qu'il satisfait certes, mais il n'atteint pas les vrais besoins de liberté, de créativité et d'expression de l'homme.

Or, comme le philosophe allemand le démontre dans sa Théorie esthétique (1969, oeuvre incomplète interrompue par la mort de l'auteur, publiée en Français aux éditions Klincksieck, 1974), l'art reste un espace de liberté et de créativité dans ce monde technocratique. L'oeuvre d'art a un rôle critique à jouer, et se doit d'être le lieu de l'utopie, "lieu du désir et donc ferment d'un monde libéré". Notons que la lecture de cette oeuvre inachevée, parce que d'ailleurs elle est inachevée, est difficile, et on doit recommander les éditions qui s'entourent d'un commentaire et d'un appareil critique suffisant. 

Pour que l'art libère, il faut que les artistes utilisent résolument les matériaux en constante évolution et rejettent toute tentative passéiste. Au procès de la raison correspond le progrès des matériaux engendré par un processus historique qu'il importe de suivre et non de freiner. Il est impératif de ne pas céder à la facilité d'un retour vers le passé en adoptant des structures existantes, mais d'utiliser un matériau qui se trouve à l'apogée de son développement....

C'est pourquoi ADORNO se montre un fervent partisans de l'école musicale de Vienne qui se donne comme principe de rejeter la grammaire musicale existante et utilise une syntaxe totalement nouvelle - l'atonalité - dans le souci d'une nouvelle expressivité. Dans sa Philosophie de la nouvelle musique (1949, Gallimard 1979), il défend une modernité radicale. Il considère les musiques faciles, le jazz, celle de Stravinsky, comme "faisant fausse route". Alors que la démarche de Schönberg symbolise "le progrès".

Sans doute ses opinions musicales sont-elles sujettes à... critique! Quand on sait ce qu'historiquement représente le jazz (continent musical en soi il est vrai), on peut se demander si cela va dans la direction qu'il regrette... ADORNO lui-même d'ailleurs est conscient que la musique nouvelle qu'il prône n'est pas facilement accessible. Elle demande un effort d'écoute que tous ne peuvent fournir, même si dans l'avenir, il croit que le public l'appréciera et affinera sa conscience critique. Mais même ceux qui progressent dans le sens qu'il espère n'ont pas tous l'oreille musicale! Il admet d'ailleurs qu'en définitive, il est nécessaire d'établir une coexistence entre un art "inexorable" et un art "de convention", ente une "musique nouvelle" et une "musique conciliante".

La position d'ADORNO reste ambigüe. Il dénonce les pratiques culturelles de son époque, tant en étant conscient que cette culture de masse est la seule qui rende accessible à tous l'oeuvre d'art. (voir entre autres, Raymond COURT, Adorno et sa nouvelle musique, Art et modernité, Paris, Klincksieck, 1981 ; Marc JIMENEZ, Adorno, Art, idéologie et théorie de l'art, Paris, 1973 ; Marc JIMNEZ, Vers une esthétique négative, Adorno et la modernité, Le Sycomore, 1983).

 

     La pensée d'ADORNO, notamment sur l'esthétique, continue de susciter maints essais. Gilles MOUTOT, par exemple, interroge l'ensemble de l'oeuvre du philosophe allemand, cherche à en dégager l'unité, ce qui n'est pas facile, sachant que précisément cette oeuvre est inachevée. Il entend par une étude à mettre à jour les traits spécifiques d'un matérialisme porté par une attention aigüe aux expériences de la non-identité, ce qui est tout un programme... Ces expériences, pour lui "se manifestent entre ces deux pôles : celui de la souffrance, exprimant  une individuation mutilé par les normes du comportement qu'impose un mode de socialisation pathogène ; celui des objets et de l'expérience esthétiques, où s'ébauchent un rapport à la différence qui, comme Adorno en formule le projet dans la Dialectique négative, cesserait de mesure celle-ci à une exigence de totalité." Il étudie entre autres, les "Écarts de l'art, en tentant de cerner ce qu'ADORNO entend par progrès et régression en musique, par relation entre l'expérience de l'art moderne et l'expérience moderne de l'art, sans oublier ce que son oeuvre doit aux différentes discussions à l'intérieur du cercle de Francfort. D'utiles réflexions sur le cinéma, entertainment par excellence permet d'éclairer les rapports d'ADORNO à l'art. La dialectique du sérialisme, de la répétition, de l'enregistrement et de la création est ici essentielle, ceci sans oublier le rapport artiste-spectateur qui est au fait au coeur de sa conception. C'est l'occasion aussi pour Gilles MOUTOT de préciser les analyses des musiques de Stravinsky et de Schönberg qu'effectue le philosophe allemand, analyses bien plus nuancées qu'on le pense généralement. Les commentaires d'auteurs des époques suivantes l'oeuvre d'ADORNO jettent eux aussi d'autres perspectives dans le débat, renouvelant les articulations entre Matériau et signifiant. 

 

 

Brigitte Van WYMEERSCH, Adorno : la culture du XXe siècle, L'esthétique dans la mouvance de l'école de Francfort, dans Esthétique et philosophie de l'art, L'atelier d'esthétique, de boeck, 2014. Gilles MOUTOT, Essai sur Adorno, Payot, 2010. 

 

ARTUS

Partager cet article
Repost0
21 février 2018 3 21 /02 /février /2018 07:55

     Rudy STEINMETZ, après avoir examiné l'apport de SARTRE en esthétique, analyse celui de MERLEAU-PONTY, dont l'oeuvre présente une profonde unité. 

    "Celle-ci repose, nous explique t-elle, sur le fait qu'elle est animée par "une pensée qui est de part en part esthétique (Ronald BONAN, Premières leçons sur l'esthétique de Merleau-Ponty, PUF, 1997)". 

Au sens large, poursuit-elle, le mot "esthétique" renvoie à l'analyse maillot-pontienne du corps et de la perception dont il est le siège. C'est la définition étymologique qui prévaut. Le sens restreint désigne le rôle crucial qu'est amené à jouer l'art - en particulier la peinture - en tant que moyen d'expression de ce qui est vécu au plan perceptif. Bien que ces deux dimensions de l'esthétique de MERLEAU-PONTY s'inscrivent dans le prolongement l'une de l'autre, il importe d'en distinguer les moments afin de mettre en relief leurs particularités et de ressaisir le rythme propre de la démarche du philosophe.

"Tout au long de son parcours, explique notre auteur, Merleau-Ponty aura manifesté un intérêt constant pour tout ce qui touche à la sphère corporelle et au phénomène de la perception qui lui est inhérent. C'est qu'il ne voit pas seulement dans ce dernier la voie d'accès de l'homme au monde, son irrépressible ouverture sur le dehors, sa modalité intentionnelle fondamentale, mais, plus encore, son insertion dans le réel, sa "participation" à la vie des choses. Tandis que Sartre établissait son dualisme sur le constat selon lequel une béance impossible à combler existe entre le pour-soi et l'en-soi, entre le vide de la conscience et la plénitude de la réalité où elle se trouve engagées, Merleau-Ponty envisage la fusion des deux modalités de l'être sartrien comme toujours déjà accomplie en une indistinction primitive. Le contre-pied pris à l'égard de la position défendue par l'auteur de La nausée apparait clairement dans une note de travail, datant de février 1960, de l'ouvrage inachevé, Le visible et l'invisible (Gallimard, 1990)."

Le sens émerge à même la sensation, contrairement à ce que pense SARTRE, et les avancées de la psychologie de la forme (sous l'impulsion des recherches de Wolfgang KÖHLER (1887-1967) et de Kurt KOFKA (1886-1942)) confortent MERLEAU-PONTY dans cette analyse. 

Il découlent trois conséquences, si l'on suit toujours Rudy STEINMETZ :

- la perception, en vertu de son caractère pré-individuel, anonyme, impersonnel, me découvre un monde auquel j'appartiens de façon immémoriale, dans la texture duquel je me fonds, un monde qui m'absorbe, m'investit jusqu'au plus intime de moi-même, un monde avec lequel je coïncide, et vis-à-vis de quoi ma conscience est toujours en retard (voir Daniel GIOVANNANGELI, Le retard de la conscience, Bruxelles, Ousia, 2001). L'expérience originaire de la perception est l'épreuve vécue et silencieuse de la fusion de mon corps avec le grand corps du monde. Dans l'épaisseur impressionnelle du flux perceptif, mon existence et l'existence des choses n'en font qu'une. 

- de par son mutisme, cette belle unité ne peut qu'échapper aux mailles du langage philosophique. La rigidité des concepts les rend inadéquats à désigner ce qui met en déroute la pensée et les clivages qu'elle aime à instaurer- à commencer par celui du sujet et de l'objet. Seule la métaphore - ici, religieuse - semble apte à rendre raison de ce qui met, en toute rigueur, la raison hors jeu.

- puisque notre rapport au monde n'est pas d'abord le rapport d'un sujet connaissant à un objet connu, mais un rapport de co-naissance (Phénoménologie de la perception), dans lequel le sujet et l'objet naissent à eux-même dans une imbrication ontologique primordiale, la question se pose de savoir si et comment la philosophie peut reprendre et tenter d'élucider ce qui se passe à un niveau de profondeur où elle semble par avance exclue. Qu'elle ait "l'ambition d'égaler la réflexion à la vie irréfléchie de la conscience dessine la figure d'un paradoxe. La philosophie ne pourra l'effacer qu'au prix d'un déplacement et à condition de trouve un autre médium que celui du langage verbal pour y parvenir. Et c'est là qu'intervient l'art.

       Pour MERLEAU-PONTY, l'appartenance de l'homme et du monde à une même "chair" ne constitue pas seulement l'origine de la vérité. Elle en est aussi sa beauté. Le beau et le vrai sont pour lui deux aspects - substituantes l'un à l'autre - sous lesquels se révèle l'essence de l'Être, ceci argumenté avec le risque de retomber dans une vision un peu naïve du monde, et dans la perception de certains Anciens Grecs. Mais la réflexion du philosophe français est un peu plus complexe, voire ambigüe. En effet, l'inhérence au monde se double d'une prise de distance. La distance réflexive grâce à laquelle, justement, se révèle à nous la coïncidence. Non que la réflexion l'emporte sur l'irréfléchi de la vie perceptive. Bien plutôt doit-elle tenter de s'en approcher cas, sans elle, la perception se ferait à notre insu, resterait enveloppée dans sa propre nuit. L'expérience vécue mène ainsi à une reprise symbolique qui l'éclaire, l'augmente et l'enrichit.

La fonction de l'art est précisément de rendre compte d'un "dé-voilement, "puisque aussi bien l'Être, écrit Rudy STEINMETZ, est décrit comme près créateur trouvant sa relance incessante en l'homme, tout en débordant cependant la sphère anthropologique. L'art est le lieu de l'éternel poÏétique de l'Être, le lieu de ses métamorphoses et de sa hantise, puisque cet Être n'a jamais fini de se montrer et de se retirer - comme chez Nietzsche - sous les multiples traits dont il se pare ou dont nous l'affublons."

Parmi les différentes formes d'art, la peinture est pour MERLEAU-PONTY, qui n'en doute pas, le mieux à même d'avérer et d'accomplir cette régénération inlassable de l'Être par et en lui-même. C'est qu'on peut en déduire de la fin du premier chapitre de L'oeil et l'esprit (Gallimard, 1964, réédition en 1993) du philosophe. MERLEAU-PONTY dessine plus qu'il n'argumente d'ailleurs, deux arguments qui prIvilégie la peinture :

- la peinture use d'un matériau - pigments et textures - qui est celui-là même de la matière sensible sur quoi repose la certitude perceptive de notre inhérence au monde. les signes picturaux, bien que symboliques, ont les propriétés matérielles des choses qu'ils désignent ;

- elle suppose que le "peintre apporte son corps". Il y va d'une offrande où le geste pictural est la restitution à la substance même du monde de ce qui est passé en nous par le truchement de la perception, un contre-don au don de la "Nature" qui est, pour elle, une façon de se continuer dans l'oeuvre de l'art.

MERLEAU-PONTY aime utiliser des métaphores à connotation religieuse, et il ne faut s'étonner d'en voir lorsqu'il évoque Cézanne, son peintre fétiche. Ce dernier  est au centre d'un bref mais dense essai que le philosophe lui consacre en 1945, année de la parution de la Phénoménologie de la perception. Il y revient plus tard assez régulièrement (Le doute de Cézanne, Sens et non sens, Paris, Gallimard, 1996 ; première publication en 1966, chez Nagel).

   En outre, pour Stefan KRISTENSEN, MERLEAU-PONTY est l'auteur d'une esthétique du mouvement. La réception de l'esthétique du philosophe français est marquée par ses travaux sur la peinture, mais en lisant ses notes préparatoires de son premier cour du Collège de France intitulé "le monde sensible et le monde de l'expression" (cours au collège de France, 1952-1953), on s'aperçoit que le cinéma joue également un rôle essentiel. Cet auteur, de l'Université de Genève, estime par l'étude de ces notes, pouvoir faire le rapport de Jean-Luc GODARD à la phénoménologie et indiquer les  prémisses d'un dialogue avec l'approche deleuzienne du cinéma. Il espère mettre ainsi en évidence les fondements d'une esthétique qui puisse entrer en dialogue avec les tendances principales de la réflexion esthétique contemporaine. Il défend la thèse selon laquelle MERLEA-PONTY avait une approche cinématographiques des arts visuels en général et que si la peinture est bien le langage privilégié qui manifeste la genèse de notre rapports au monde, le cinéma est celui qui rend visible l'invisible de nos rapports avec autrui.

Rudy STEINMETZ, Merleau-Ponty : la beauté du monde, L'héritage phénoménologique, dans Esthétique et philosophie de l'art, L'atelier d'esthétique, de boeck, 2014. Stefan KRISTENSEN, Maurice Merleau-Ponty, une esthétique du mouvement, Centre Sévres, Archives de Philosophie, 2006/1, tome 69, dans www.cairn.info.

 

ARTUS

 

 

Partager cet article
Repost0
13 février 2018 2 13 /02 /février /2018 10:02

    Dans un exercice difficile qui consiste à distinguer les apports des "grands" philosophes à la pensée en esthétique au XXe siècle, Rudy STEINMETZ, philosophe, chargé de cours à l'Université de Liège, dessine les contours de la réflexion de Jean-Paul SARTRE.

    D'autant plus difficile que le philosophe français n'a pas écrit d'ouvrage spécifique sur l'art ou l'esthétique, sa réflexion dans ces domaines étant éparse dans son oeuvre. Pour notre auteur, son esthétique "s'inscrit cependant dans le droit fil d'une pensée qui fit de la liberté son motif central et sa revendication permanente."

   A partir de l'Être et le Néant de 1943, on peut discerner des éléments de réflexion déjà présents dans La transcendance de l'ego de 1936. 

   On comprendra aisément, écrit notre auteur, "que l'esthétique sartrienne fasse moins porter son attention sur le produit ou le résultat final de la démarche artistique et de la conscience qui s'y implique, que sur le sens même de cette démarche et de cette implication. L'oeuvre d'art, pour receler des caractéristiques objectives et descriptives en tant que telles, renvoie d'abord à une opération humaine, à une certaine façon de se situer et de prendre position dans le monde. Inscrite dans une philosophie de l'engagement où l'homme ne se définit qu'en choisissant d'être ce qu'il sera, l'esthétique de Sartre est davantage une esthétique de l'acte créateur qu'une esthétique de l'objet créé."

Ce processus créateur, poursuit-il, "appartient en son essence à l'imagination. Pour en cerner la spécificité, il faut, comme Sartre nous y invite dans L'imaginaire (1940), vaincre "l'illusion d'immanence". Cette dernière entache souvent la réflexion dans ce domaine et dans d'autres. Qualifiée de "naïve" dans un autre ouvrage datant de 1936, L'imagination, cette illusion d'immanence,"consiste à envisager la conscience telle une boite fermée contenant en elle des images dont l'existence, en tant que ce sont des êtres psychiques, est conçue sur le modèle de l'existence des choses physiques. "La conséquence - intolérable pour la phénoménologie sardines - qui découle de cette comparaison se traduit pas une dévalorisation ontologique de l'image rabaissée à n'être qu'une copie ou un semblant de ce qui est au sens fort et plein du terme, c'est-à-dire de ce qui est au plan de l'effectivité matérielle."

"Contre cette opinion qui fait de l'image un être moindre enfermé dans le psychisme, Sartre (...) avance la thèse de la transcendance de la conscience. C'est elle qui a conduit à affirmer que percevoir un objet ou l'imaginer, ce n'est pas, dans un cas, l'atteindre en lui-même, n'en proposer qu'un simulacre dans l'autre. Il s'agit, au contraire, de ceux visées intentionnelles de la conscience par le procès desquelles celle-ci se dépasse vers les choses, tend vers le dehors. Ce qui les distingue toutefois c'est que, par la première, la perception j'appréhende l'objet comme réel, tandis que je ne l'atteins qu'à titre d'irréel dans la seconde, l'imagination. La chose en image m'est bien, d'une façon présente, mais cette présence ne se divulgue qu'indirectement, à travers les données figuratives que m'en livre l'imagination. Je n'aurai donc nullement prise sur l'objet imaginaire qui surgit grâce à la magie de l'image, mais qui reste hors de portée parce que la conscience imageante le pose comme absent ou inexistant. (...)."

"Ce qui vaut, écrit encore notre auteur, pour l'image mentale concerne tout autant l'objet esthétique. L'oeuvre d'art, en ce qu'elle est un effet de l'imagination productrice, n'est en fait rien d'autre, selon Sartre, que la présentification d'un donné irréel." Les oeuvres, que ce soit de la musique ou de la peinture, ne sont pas réelles, elles ne sont que par l'éveil du sens esthétique qu'elle provoquent. "L'oeuvre d'art, dans sa composante matérielle, n'est qu'un "analogon", un représentant de l'objet esthétique. Celui-ci possède certes une réalité, mais il s'agit d'une réalité idéale qu'il ne faut pas confondre avec la réalité brute de l'objet dans lequel, pourrait-on dire, elle s'incorpore. Idéale ou essentielle, la réalité dont il est question doit inviter à distinguer entre l'objet d'art, qui n'a en soi rien d'esthétique, et l'objet esthétique qui, n'ayant rien d'artistique, transite cependant par le sensible, transparait à travers lui comme un spectre insaisissable. Le beau, chez Sartre, comme du reste chez Kant dont il est proche à monts égards, ne concerne pas l'attitude réalisante  qui se dirige vers les objets existant physiquement. Pareille attitude est suspendue dans le jugement esthétique. Ce dernier ne nait qu'à l'occasion de la saisie - somme toute désintéressée - de l'objet fictif ou imaginaire, lequel vit par procuration à travers l'artefact qui le matérialise."

    C'est bien une critique de l'illusion que mène SARTRE, une illusion dont l'oeuvre d'art peut être, pire même selon lui, est, le vecteur. "Que l'objet d'art, explique Rudy STEINMETZ, nous propulse dans un univers hors d'atteinte, c'est là, selon Sartre, une manière de tourner le dos au réel, de choisir la fuite plutôt que l'action, d'échapper à la condition humaine qui consiste à être voué au monde. Dans la consciente imageant, en effet, il n'y a qu'un semblant de corrélât intentionnel. La conscience tourne à vide, occupée qu'elle est par un existant qui n'offre aucune résistance tangible. la conscience est bien conscience de quelque chose, mais ce quelque chose n'est rien, c'est un "néant", écrit Sartre dans L'imaginaire. Ce qui explique la sévérité avec laquelle, lui qui fit tant attaché à montrer que l'existence humaine n'a de sens qu'en situation, il juge parfois la conscience artistique. Dans la facilité avec laquelle elle évacue la contingence factuelle, il décèle la marque d'une régression vers l'enfance, mieux l'accomplissement d'une espèce de rituel sacré et primitif au cours duquel la réalité, finissant par obéir aux charmes de l'officiant, se volatilise (...)" Cette réflexion apparait de manière saisissante dans notre monde contemporain d'images et de sons de tout sorte, qui nous plonge dans un univers irréel, semé de publicités, d'oeuvres cinématographiques, de spectacles de toutes sortes, du "sportif" à la "chanson", d'entreprises de fan...

"Certaines propositions, poursuit-elle, des Cahiers pour une morale résonnent au son du même constat d'illusion." Elle fait référence à un ensemble de textes philosophiques inachevés, rédigés entre 1947 et 1948, où SARTRE, partant de son ontologie, tente d'élaborer l'éthique seulement ébauchée à l'extrême fin de l'Être et le néant. "la création artistique, parce qu'elle vise à transposer le réel au profit d'une essence ou d'un objet idéal qui s'y donne en s'y soustrayant, s'apparente à un rêve impossible"... 

   Pourtant, à côté de ces jugements âpres et sans appel, on trouve dans les mêmes textes de SARTRE, un éloge de l'art. Et c'est qui fait écrire par certains auteurs que décidément, l'attitude du philosophe français par rapport à l'art est plus lr moins complexe, voire contradictoire...

Car en même temps que d'adresser au ciel des prières que ne seront jamais entendues, le processus de l'art est aussi, "par la capacité dont elle fait montre de s'arracher au réel, une façon, pour la conscience, d'acter la liberté." Et l'on se retrouve devant ce jugement autre de SARTRE comme devant une justification  des publicités, des oeuvres cinématographiques, de spectacles de tout genre, d'entreprises de fan...! (en elles-mêmes, hormis leurs aspects purement mercantiles...) Tout en gardant un esprit (très critique) que l'on retrouve bien plus densément élaboré, SARTRE met en exergue que par cette "néantisation du monde par l'acte créateur", "l'homme se donne la preuve, comme l'écrit notre auteure, qu'il n'est pas un objet ou un être du monde comme les autres. Son existence n'est pas soumise passivement à l'action mécanique des forces naturelles. Si cela était, il ne subirait que des modifications réelles engendrées par des causes réelles. L'imagination, dans la mesure où elle nous fait décoller hors de la sphère du donné, déborder une situation vers les possibles qu'elle esquisse, se soustrait à l'ordre causal. La conscience imageant porte en elle le refus de l'homme de se laisser engluer dans l'être. Elle révèle du même coup qu'elle n'est pas une faculté contingente, mais une structure essentielle de l'être humain (voir L'imaginaire)".

Mais cette faculté essentiellement humaine est limitée. Entre l'intention artistique exprimée et la réalité du processus elle-même, il y a comme un hiatus, et ce hiatus se retrouve dans l'appréciation que SARTRE fait des différents arts. La recherche de la liberté dans l'art se trouve souvent noyée dans l'illusion développée par l'art lui-même... L'homme est créant une oeuvre d'art a tendance à se mystifier lui-même et à mystifier les spectateurs dans le même mouvement. C'est pourquoi il oppose la littérature en prose à la poésie. Autant l'écrivain littéraire cherche la réalité par des mots qu'il interroge souvent, comme s'il soupçonne toujours de le faire induite en erreur, autant le poète, comme le peintre ou l'artiste plasticien se laissent porter par les mots ou la matière, se laisse dériver dans un imaginaire empreint de magie... "Par l'emploi, explique encore notre auteure, résolument utilitaire ou investigateur qu'elle fait des signes, la prose s'adresse à notre liberté et à notre aptitude à conquérir le monde qui en est le corollaire. Là où l'art ou la poésie s'arrête aux mots et propose une peinture désintéressée du réel, l'art de la prose va au-delà des mots en dévoilant l'être et en en appelant à l'action et à la transformations du monde. Non pas directement, mais indirectement. En révélant à l'homme sa situation historique et en sachant que toute révélation porte en elle le gage d'un changement."

     Une méthode pour cerner les réflexions de SATRE sur l'art est de prendre quelques unes de ses oeuvres majeures, notamment Qu'est-ce que la littérature? ; une autre est de prendre un certain nombre d'excusions dans les domaines du cinéma, des arts plastiques, faites par le philosophe à maintes reprises, assez disparates, sous formes de textes inédits, essais critiques, entrevues, fragments poétiques, représentations picturales, préfaces... On risque d'avoir affaire à de nombreux documents, tant SARTRE fréquentait des artistes. On n'aura par cette dernière méthode pas forcément ni vue d'ensemble ni réflexion pleinement assumée et aboutie... 

     Si SARTRE n'élabore pas une théorie de l'esthétique proprement dite, mol écrit par contre beaucoup sur l'art. Heiner WITTMANN décrit cette activité ; par exemple celle de l'étude des tableaux du Tintoret, connue seulement des spécialistes des deux côtés du Rhin. Ses analyses des tableaux prouvent la possibilité d'appliquer la méthode de portrait à un artiste qui appartient à une toute autre époque que tous les autres peintres, poètes, écrivains dont SARTRE a également analysés les oeuvres.

Dans ses études sur WOLS, GIACOMETTI, Alexander CLADER, Gustave FLAUBERT, Charles BEAUDELAIRE, Stéphane MALLARMÉ, Jean GENET et le Tintoret, il développe cette méthode de portrait. 

          Pour éviter de déduire une esthétique sartrienne trop homogène de ses multiples analyses et écrits sur des oeuvres esthétiques, Sylvie ASTIER-VÉZON souligne trois dimensions essentielles :

- il faut plutôt décliner l'esthétique astreinte au conditionnel qu'au pluriel. Il y a chez SARTRE, des esthétiques; non seulement parce qu'elles s'expriment à travers des textes hétérogènes, mais aussi parce que les concepts qui permettraient de la synthétiser sont eux-mêmes multiples : image, liberté, existence, matière...

- l'esthétique de SARTRE est traversé par une dichotomie qui subit une révision en milieu de parcours : 1947. D'abord, il sépare la littérature et les arts plastiques, en privilégiant la première, aussi bien pour les artistes que pour les spectateurs.

- Il revient sur tout cela. Longtemps, il a eut du mal à qualifier positivement la valeur intrinsèque de l'oeuvre d'art, car le désengagement du peintre est total, il est enfermé dans un imaginaire qui tue l'engagement; il en en deçà la matière du monde ; à partir de 1947, le peintre paraît toujours désengagé, mais pour la raison inverse : SARTRE souligne maintenant que le sens de la peinture ne se situe pas suffisamment au-delà de la matière du monde, elle a trop peu de signification. Pour Sylvie ASTIER-VÉZON par exemple, cette situation paradoxale a pour raison d'être l'ambiguïté foncière de la notion d'engagement. SARTRE n'aurait pas distingué clairement entre l'engagement moral et l'engagement politique (de l'écrivain). Elle appuie cette analyse sur les écrits de SARTRE sur le cinéma et le théâtre. 

Rudy STEINMETZ, L'héritage phénoménologique, Sartre : la création de soi, dans Esthétique et philosophie de l'art, L'atelier d'esthétique, de boeck, 2014.  Heiner WITTMANN, L'esthétique de Sartre, Artistes et intellectuels, Éditions L'Harmattan, 2001. Sylvie ASTIER-VÉZON, Sartre et la peinture, Pour une redéfinition de l'analogon pictural, Editions L'Harmattan, 2013.

 

ARTUS

 

Complété le 20 février 2018.

 

Partager cet article
Repost0
5 février 2018 1 05 /02 /février /2018 10:26

        Dans le courant phénoménologique, HEIDEGGER s'inscrit dans la tradition métaphysique qu'il accuse d'avoir oublié l'être, lorsqu'il traite de l'oeuvre d'art. C'est en tout cas ce qu'explique Danielle LORIES quand elle traite des relations du philosophie allemand à l'esthétique.

      "à ses yeux comme à ceux de Platon, de Hegel ou de Nietzsche, seul le métaphysicien - ou peut-être faudrait-il en son cas dire l'ontologie - a droit de cité s'il s'agit de s'interroger sur l'art. C'est que l'oeuvre d'art comme telle met en oeuvre la vérité comme dévoilement de l'être de l'étant. Autrement dit, l'oeuvre d'art a essentiellement trait à la question ontologique, c'est-à-dire à la question qui a de tous temps animé l'histoire de la métaphysique occidentale et que celle-ci n'a pourtant eu de cesse d'"oublier" dans la mesure où, sous le couvert de différents concepts à différentes époques, elle s'est obstinée à penser l'être à l'instar de l'étant, obstinée à "recouvrir" la différence ontologique, la différence entre être et étant."

Il faut bien entendu pour bien saisir cela, avoir compris ce qu'il entend par être et étant, d'avoir percé son vocabulaire qui se veut original (mais ce n'est pas le seul!). Il n'est pas étonnant en tout cas, vu son obsession de l'être, qu'il voie l'art sous cet angle. Danielle LORIES se base sur le seul texte qu'HEIDEGGER ait produit explicitement sur l'art, L'origine de l'oeuvre d'art, issu de 3 conférences prononcées en 1936, pour situer la complexité de la pensée du philosophe allemand en général avec la tradition métaphysique à ce sujet. 

"S'il est question, poursuit notre auteure, de dépasser la métaphysique dans la mesure où l'histoire de celle-ci est l'histoire d'une oblitération de la question de l'être (ce qui pour nous est d'ailleurs assez contestable...) (ou de la différence ontologique) qui atteint son point culminant dans la métaphysique moderne, ce dépassement ne saurait s'opérer qu'en dialogue permanent avec les grands textes de cette traduction, ne saurait s'envisager que dans une reprise interrogeante des concepts fondamentaux de la métaphysique traditionnelle qui, par une décontraction des textes, se mette en quête de leurs supposés ignorés, qui s'efforce de mettre au jour ce que la tradition a gardé celé tant en s'en nourrissant, ce qu'elle a enfoui toujours plus profondément ou "recouvert" d'un voile d'oubli devenu toujours plus opaque. Et le texte qui doit ici retenir l'attention s'interrogeant sur l'oeuvre d'art, il ne pourra s'y agir que de dépasser l'approche esthétique de l'art, puisque l'esthétique n'est autre qu'un rejeton de la modernité métaphysique.

Dans sa volonté d'en finir avec l'esthétique, le texte de Heidegger ne laisse aucune place à la terminologie habituelle de celle-ci ; sauf pour nier au passage la pertinence de telles catégories, il ne sera question ni d'expérience ou de jugement esthétique, ni d'émotion ou de plaisir esthétique, ni de goût. Et si des catégories métaphysiques plus fondamentales - comme les doublets matière-forme, substance-accident, sujet-objet, ou le concept de vérité... - reçoivent plus d'attention, c'est d'une attention déconstructrice qu'il s'agit. C'est qu'en ces années 1935-1936, la méditation sur l'art joue un rôle décisif dans le tournant qu'a amorcé la pensée heideggerienne de l'être."

C'est à travers sa réflexion sur l'art en effet que le philosophe allemand passe du sens de l'être à la vérité de l'être, même s'il ne s'agit que d'un moment de celle-ci. A travers le texte de L'origine de l'art, apparait une réflexion sur la vérité, comme dévoilement et comme réserve. Dans l'oeuvre, il y a un combat entre ces deux pôles liés, éclaircie et réserve. Du coup, l'oeuvre elle-même est un combat.

"car elle est le produit d'une technè, mode de savoir qui comme tel repose dans l'alèthéia (le dé-voilement), mode de savoir. La techno "fait venir, et produit expressément le présent en tant que tel hors de sa réserve, dans l'être à découvert de son visage" : dans l'oeuvre, l'artiste fournit expressément l'occasion d'un jaillissement du dévoilement comme tel. Et parce que la vérité, qui exige d'être mise expressément en oeuvre dans l'oeuvre, pour apparaître comme telle parmi les étants du Monde, est combat, l'oeuvre est elle-même combat d'un Monde et de  la Terre.

Ce combat, l'oeuvre l'est parce qu'elle est trait (Riss) au double sens de tracé et de déchirure : la netteté du trait est confiée à l'indécelable, le monde à la Terre. La figure que l'oeuvre donne à avoir est manifestation d'une déchirure, renvoie à un indécelé. Ce renvoi est explicite dans l'oeuvre dans la mesure où "le tracé du trait (se restitue) dans l'opiniâtre pesanteur de la pierre, dans la muette dureté du bois, dans le sombre éclat des couleurs", dont l'opacité est celle de la Terre, dans la mesure où l'oeuvre se donne à la fois comme claire figure et comme énigme.

Enigme explicite, l'oeuvre l'est aussi parce que son être-créé est expressément introduit en elle par le créateur. Elle est l'étant créé qui dit son être-créé, qui manifeste expressément l'énigme du "il y a" : il y a cela, cette oeuvre, cela est. Elle est l'étant devant lequel on ne peut que s'étonner : "c'est".

Et c'est parce qu'elle est mise en oeuvre de la vérité que l'oeuvre appelle ce que Heidegger nomme des gardiens, elle appelle un regard et une garde. Comme mise en oeuvre de la vérité, en effet, elle en appelle à qui est concerné par ce qui advient en elle. L'homme est l'étant qui comprend l'être, pour qui l'être est digne de question, qui est ouvert à l'ouverture de l'être et que concerne la vérité. La sauvegarde de l'oeuvre est appelée parce ceci que ce qui advient en elle est ce qui fonde un Monde pour une communauté humaine et ce qui est digne de question en ce Monde. Ce qui advient en l'oeuvre du grand art est aussi bien ce qui interpelle l'homme comme penseur."

 

      Jean-Marie VAYSSE, suit le même raisonnement sur la réflexion d'HEIDEGGER sur l'œuvre d'art. 

"Au-delà, écrit-il, de l'oeuvre d'art dans le domaine de l'esthétique, renvoyant l'oeuvre à la libre création du génie, il s'agit de penser l'origine de l'oeuvre d'art commise en oeuvre de la vérité, origine désignant alors la provenance de l'essence (Wesen).

En mettant en oeuvre la vérité, l'oeuvre d'art est ouverture d'un monde qu'elle attache à une terre. C'est sur une terre que l'homme historia fonde sa demeure dans le monde. Cette opposition terre-monde, qui recoupe l'opposition physis-techné, est essentielle pour une compréhension de l'art émancipée de l'esthétique. De même qu'Aristote dit que l'art est imitation de la nature tout en mettant en oeuvre quelque chose que la nature est incapable d'oeuvrer, l'oeuvre d'art est le conflit d'une terre qui se tient en sa réserve et d'un monde qui s'ouvre, l'art arrachant un monde à une terre. Ce combat entre une terre et un monde doit se comprendre à partir de l'essence impense de la vérité comme aléthéia. De même que la vérité suppose le retrait d'une non-vérité essentielle, l'oeuvre requiert la réserve de la terre à partir de laquelle s'ouvre un monde. En effet, pour se manifester comme telle la terre ne peut renoncer à l'ouverture qu'apporte le monde et qui lui permet de sortir de sa réserve essentielle, alors que le monde requiert la terre sur la réserve de laquelle il peut fonder quelque chose comme une mise en oeuvre de la vérité. Comme jeu de cette ouverture de cette réserve l'oeuvre d'art est l'effectivité de ce combat entre un monde et une terre, produisant un étant qui n'était point auparavant et qui ne sera plus par la suite, mais qui fait éclore l'étant en sa totalité, c'est-à-dire la vérité en tant qu'elle instaure unmonde commun pour un peuple historial.

Or, Heidegger affirme que le monde dont faisait partie l'Antigone de Sophocle et la cathédrale de Bamberg n'est plus, approuvant même la thèse de Hegel selon laquelle l'art est désormais chose du passé, ne relevant plus que de la théorie esthétique. Toutefois, alors que pour Hegel la question est de savoir si la vérité, pour Heidegger il s'agir de savoir si la vérité peut encore advenir comme art. Pour le premier l'art en tant que présentation de l'Absolu a trouvé sa relève dans le Concept,  pour le second la question demeure de comprendre comment l'oeuvre doit arracher à une terre insistante des possibilités d'existence ouvrant dans un monde pour un peuple. pas plus que la terre n'est un sol, mais l'insistante réserve en laquelle mûrissent des possibles, le peuple n'est un sang, mais un avenir et une aventure comme advenir dans la possibilité d'un destin qui, loin d'être une prédestination ou une élection est une destination. La question demeure alors de l'art à l'époque du Dispositif, si l'on admet que l'essence de la technique n'est rien de technique. L'énigme de l'art rejoindrait alors celle du Gestell : comment le contour et la limite en quoi consiste l'oeuvre d'art peuvent-ils advenir, lorsque la terre est devenue cosmos, le monde planète et le peuple multitude?

 

     Joël BALAZUT, revenu sur la thèse de Heidegger sur l'art, après être revenu sur le contexte de l'apparition et l'origine de cette réflexion chez le philosophe allemand, s'essaie à dégager ce qu'elle est finalement. 

"Ainsi que nous l'avons dit à plusieurs reprises, dans l'existence facticielle concrète du Dasein qui existe en projet, le dévoilement, par l'imagination, du tréfonds chaotique de la phusis ainsi que de l'Ouvert dans lequel les étants se déploient, demeure nécessairement latente. C'est dans l'art seulement, dont la base est la tragédie, que ce travail de l'imagination est exhibé, pleinement développé et apparaît alors seulement au grand jour. Le propre de l'art est d'abord de nous conduire à imaginer à nouveau notre identification originelle - et impossible à rejoindre - avec l'être (avec la terre, avec le fond chaotique éternel de la phusis) dans l'hubris, à travers les figures des héros tragiques. le travail de l'imagination créatrice, de cette techné par excellence qu'est la production artistique supplée au caractère irreprésentable du fond chthonien et de notre collusion avec celui-ci. Il s'agit d'une création qui est cependant, paradoxalement une mimésis (une mimésis originaire sou sans modèle), car il s'agit de présenter l'irreprésentable comme tel (en l'imaginant). Ainsi que l'a très bien montré Philippe Lacoue-Labarthe, "la techné est la suppléance exigée par la "cryptophilie" essentielle de la physis" (La Fiction du politique, Bourgois, 1988). Ce faisant, la tragédie dont le modèle est l'Antigone de Sophocles (chez heidegger comme chez Hölderling) est cette expérience limite, dans laquelle la collusion - inquiétante et habituellement cachée - du Dasein avec la dimension effrayante du sacré (de la terre), est à nouveau exhibée. Dans la tragédie de Sophocle, Antigone désire profondément le sort que Créon va lui réserver, en la faisant murer vivante dans son tombeau, et elle se compare à la déesse Niobé qui fut changée en pierre. Elle veut finalement fuir la complexité conflictuelle du monde des vivants pour rejoindre la "paix" du monde souterrain des morts, pour s'u ensevelir et se confondre ainsi avec ce que Heidegger nomme la terre dans l'Origine de l'oeuvre d'art.

En exhibant à nouveau dans le cadre d'une mimerais, cette passion fondamentale et impossible de l'homme pour sa collusion avec l'être, la tragédie fait apparaitre au grand jour ce qui est un aspect de son être : son immanence au monde. La tragédie, qui fonde les autres arts, place ainsi l'homme, à nouveau, sous le "regard" excentrique et insoutenable de l'âtre ou de la terre. Le grand art, sous toutes ses formes, a donc pour vocation de révéler à l'homme qu'il participe à la totalité, de l'En Kaï Pan, en lui permettant d'accéder à lui-même, comme être dans le monde, du point de vue excentrique, irreprésentable, de sa propre confusion avec la continuité de l'être (c'est-à-dire de sa mort). L'art nous ouvre donc à nous-même du point de vue de la physis elle-même, comme un être produit et détruit par celle-ci. Il nous ouvre à la présence englobante et éternelle de celle-ci, comme ce en quoi nous sommes immergés et qui produit toute chose à partir de son propre fond informe. C'est ce qui apparaît dans la poésie d'Hésiode ou dans celle de Höderlin (en particulier dans le poème Comme un jour de fête...) ; mais c'est aussi ce qui est mis en oeuvre dans la peinture de Van Gogh ou dans celle de Césanne. dans ces dernières oeuvres, Cézanne ne représente pas la nature, mais il la présente du point de vue de sa manifestation propre, de sa phénoménalité, telle qu'elle s'est originellement montrée à tous, nous surprenant, à partir des sensations confuses ouvrant à la matière informe sous-jacente.

On comprend maintenant comment l'art nous permet d'accéder à la vérité originelle : il nous dévoile originellement le monde comme tel, c'est-à-dire du point de vue "non-humain" de sa propre présence puisant à un fond informe et régnant comme pure existence. La thèse de Heidegger sur l'art, qui, nous l'avons montré, révèle sa thèse sur l'être ainsi que sa thèse sur l'essence du Dasein, exhibe donc en même temps le sens originel de l'éthique comme "habitation poétique", comme expérience d'un "enchâssement" irréductible dans le monde (dans la "libre étendue de la Contrée") et ainsi comme expérience de la plénitude d'une immanence impossible à rejoindre mais toujours pressentie."

Surtout depuis que le fond de l'éducation intellectuelle n'est plus l'héritage (traduit ou dans la langue même de sa production) des textes anciens, pour comprendre la pensée de HEIGEGGER, notamment en ce qui concerne le conflit tel qu'il le conçoit, que l'on soit d'accord ou pas avec sa pensée, il est très utile de commencer par son propre commencement, c'est-à-dire, Les origines de l'oeuvre d'art.

 

 

 

Jean-Marie VAYSSE, Heidegger, dans Le Vocabulaire des philosophes, tome 4, ellipses, 2002. Danielle LORIES, Heidegger : l'oeuvre d'art comme mise en oeuvre de la vérité, dans Esthétique et philosophie de l'art, L'atelier d'esthétique, de boeck, 2014. Joël BALAZUT, La thèse de Heidegger sur l'art, Presses Universitaires de France, Nouvelle revue d'esthétique, n°5, 2010, sur le site cairn.info. 

Partager cet article
Repost0
25 janvier 2018 4 25 /01 /janvier /2018 09:44

     Dans l'avant-garde artistique, qui concerne  d'abord les années 1920-1930 en Europe et en Russie, celle du cinéma a une place particulière, et au premier chef parce qu'il s'agit d'un des derniers arts, apparu avec le progrès techniques. Art neuf né presque avec le XXe siècle, le cinéma est de plus l'objet de toutes les expérimentations possibles, et il emprunte d'abord celles qui concernent les autres arts dont il s'inspire d'abord (théâtre, danse, mime, peinture, sculpture...)... Quand le cinéma aura acquis définitivement droit de cité en tant qu'expression artistique autonome, il sera bien difficile de décortiquer les provenances de toutes les expérimentations artistiques et c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles des auteurs comme Daniel CHARLES, plutôt que de décliner l'histoire, parvenu au XXe siècle, de l'esthétique en courants d'auteurs préfèrent discuter entre autres des esthétiques de l'objet et des esthétiques du sujet. 

   

      Pour Vincent DEVILLE, docteur de l'université de Paris I Panthéon Sorbonne et cinéaste, "l'avant-garde ne rompt peut-être pas tant avec la tradition, qu'elle n'en trace une autre parallèle à la première, qui possède sa généalogie en propre. Si, historiquement, elle marque et représente fortement une part du cinéma des années 1920, elle caractérise encore aujourd'hui une défiance et une résistance à l'égard du cinéma dominant e des systèmes.

    Notre auteur analyse d'abord le cinéma des avant-gardes historiques (penser le cinéma après les autres arts) avant d'aborder les avant-gardes d'aujourd'hui (repenser les fonctions du cinéma).

  Pour ce qui concerne les avant-gardes historiques, il reprend les réflexions de Philippe LACOUE-LABARTHE et de Jean-Luc NANCY dans l'Assola littéraire : "les premiers Romantiques allemands constituent sans doute le premier groupe esthétique de l'histoire qui se conçoit comme une avant-garde, agissant en communauté de pensée, à coups de manifestes ou de revues théoriques, en marge des conceptions courantes de l'art. La place centrale qu'occupe le fragment dans leurs oeuvres, en transportant celles-ci du côté de l'absence de développement discursif, de l'hétérogène et de l'inachèvement, joue contre les totalités classiques et la description normée des phénomènes. Cette esthétique tend vers une idée de désordre (il s'agit de faire oeuvre de déorganisation sans chercher à résorber le chaos) et sa mission consisterait, selon le philosophe Theodor W. Adorno, à introduire le chaos dans l'ordre." 

Tous ces auteurs se situent au point de vue théorique et de ce que représente l'avant-garde comme perspective philosophico-politique. N'oublions jamais toutefois que les parcours "professionnels" des auteurs des oeuvres jouent également un grand rôle, entre barrières sociales et préjugés "raciaux", "nationaux" et "religieux", entre migrations forcées et choix idéologiques. 

"Avant-garde et modernité, poursuit Vincent DEVILLE, peuvent à bien des égards se confondre, mais plutôt qu'une modernité rattachée à un moment historique circonscrit, l'avant-garde est à envisager comme modernité anhistorique, qui désigne une "catégorie qualitative et non une catégorie chronologique" (Adorno), c'est-à-dire avant tout une exigence de nouveauté et d'alternative en regard de la production dominante, caractérisée par la radicalité de ses recherches et expérimentations, pointe avancée de l'invention formelle et du discours critique.

Être d'avant-garde consiste avant tout à choisir sa voie, à élire ses pères hors des sentiers tracés ainsi que l'exprime le cinéaste Stan Brakhage : "Eisenstein m'a envoyé les premiers signaux d'un montage rapide, j'ai pris chez Griffith le sens du montage parallèle, et trouve chez Méliès ma première révélation du phonogramme, et ainsi de suite". L'avant-garde, si elle ne conserve pas la tradition intacte qui crée des formes ex-nihilo, mais remet constamment en jeu toute l'histoire de l'art dans un esprit de dialogue et de transversalité. "Ce qu'il y a de paradoxal dans la modernité, c'est qu'elle a de l'histoire..." écrit Adorno dans ses Notes sur la littérature. C'est en effet tout le paradoxe de l'avant-garde, fondée sur une idée de tradition, qui reprend et développe des techniques antérieures, ancre ses recherches dans un passé précis et méticuleusement choisi, travaille une mémoire en mouvement - en résistance aux formes d'oppression qui suppriment au contraire les racines, l'histoire d'un art, d'un peuple, etc, pour les priver de leurs origines, les désorienter.

Pour les cinéastes de l'avant-garde américaine issue des années 1950, le cinéma doit être l'agent d'un décloisonnement des arts et de la pensée. Hollis Frampton, par exemple, estime le dialogue interdisciplinaire primordial pour la réception des oeuvres : "Sans une compréhension similaire à l'égard de la musique, de la peinture ou du cinéma, l'oeuvre d'un Varèse ou d'un Berg, d'un Mondrian ou d'un Pollock, d'un Eisenstein ou d'un Brakhage, est non seulement impénétrable, elle est totalement inabordable". Quand Paul Sharits imagine un cours de cinéma, il associe forcément toutes les autres disciplines (...). Jonas Mekas enfin, contre l'establishment et la pensée dominante, se déclare "pour l'Etablissement de l'esprit humain : l'esprit humain est toujours à l'avant-garde. Tel est le vrai sens d'"avant-garde".

Dans le sillage d'autres avant-gardes esthétiques (cubisme, dadaïsme, futurisme...), les avant-gardes cinématographiques des années 1920 sont marquées par une approches à la fois sérieuse et ludique, où l'art devient un formidable terrain de jeu qui ouvre et rend possible toutes les expériences. (...). Toute l'énergie et la fougue développés dans les autres champs artistiques (peinture, musique, littérature, architecture...) passent dans la réinvention du cinéma, et d'abord par de nombreuses migrations des artistes eux-mêmes d'une discipline à l'autre. Mais la période d'effervescence est courte, et l'arrivée du cinéma parlant à la fin des années 1920 met un coup d'arrêt à des expériences qui se sont construites en réaction aux formes classiques du langage et de la communication. L'historien de l'art Patrick de Haas parle très justement d'"expérience définitivement inachevée", ce qui explique une reprise après 1945 des questionnements amorcés, et donc une continuité des avant-gardes."

   Pour ce qui concerne les avant-gardes d'aujourd'hui, Vincent DEVILLE toujours, considère que "la dimension réflexion constituera le pivot de ce renouveau de l'avant-garde, portant ses recherches à un niveau plus approfondi. Ainsi quand le cinéaste Marcel Hanoun écrit "Le film n'a d'autre sujet que lui-même, son identité de film est dans ses techniques et dans so écriture, dans la mise en acte de ses structures affrontées à notre regard", il est dans la stricte continuité de Jean Epstein : "De même que le plus vrai et le plus profond sujet de toute peinture est la peinture elle-même, le plus vrai et le plus profond sujet de tout film ne peut être rien d'autre que le cinéma". La mise au jour ds processus de fabrication (la marque du nouveau en art selon Adorno) contribue à sortir du principe d'illusion pour amener à une meilleure compréhension et connaissance des phénomènes, soit une dévalorisation de l'"illusion narrative" au profit de "réalisme matériel des oeuvres. (Pierre Gidal et Malcolm Le Grice).

Des années 1920 aux années 1950 et à aujourd'hui, en repassant par le cinéma des origines ou les années 1970, il apparait que l'on peut invoquer une "tradition de l'avant-garde" (...)", constat effectué par de nombreux auteurs, l'underground étant maintenant une tradition établie et une forme de culture (qui n'est pas seulement une sous-culture, comme certaines formes d'art à notre époque, produite en grande partie par le show business). En France, les travaux de Nicole BRENEZ contribuent à décloisonner le cinéma d'avant-garde du cinéma commercial, mais aussi pour faire tomber (ce que certains ne partagent pas forcément) les barrières symboliques à l'intérieur des avant-gardes elles-mêmes (qui chacune, entend souvent les garder). Elle est suivie par nombre d'autres auteur(e)s, actif(ve)s dans les milieux cinématographiques, même institutionnels. Vincent DEVILLE cite, parmi les nombreuses initiatives dans ce sens, la grande rétrospective de 2000, "Jeune, dure et pure, d'une histoire du cinéma expérimental et d'avant-garde en France", programmée à la Cinémathèque par Nicole BRENEZ et Christian LEBRAT. En plaçant l'origine de l'avant-garde dans les travaux scientifiques d'Etienne-Jules MAREY, qui fait figure de balise historique et théorique pour repérer au fil des années, les lignes de force et courants souterrains qui ont traversé et alimentent encore ce cinéma. Beaucoup trouveront osée cette manière de procéder, même si elle en vaut une autre. Mais vu la force contestataire de certains avant-gardes, il n'est pas sûr qu'elle recueille l'unanimité, surtout parmi ses acteurs...

En tout cas, dans la tradition (consensuelle il faut le dire) d'Henri LANGLOIS ou Peter KUBELKA, les organisateurs de cette rétrospective dressent la liste des grands chantiers du cinéma d'avant-garde (voir le livre Cinémas d'avant-garde), liste qui est plutôt une suite de choix alternatifs opérés par ces cinémas, dans laquelle un courant ou un autre trouve son propre apport, à l'exclusion souvent d'un ou plusieurs autres points énoncés :

- explorer les propriétés spécifiques du cinéma ;

- interroger le dispositif (élaborer des instruments techniques pour créer des plastiques nouvelles ; réargenter, contourner, refuser les outils industriels) ;

- utiliser les instruments offerts par l'industrie au mieux ou au plus de leurs capacités, au-delà des standards de l'industrie elle-même) ;

- inventer de nouvelles formes narratives liées aux propriétés de l'image et du son ;

- approfondir la capacité de description du cinéma ;

- contester le découpage normé des phénomènes et proposer de nouvelles formes d'organisation du discours ;

- réaliser et diffuser les images qu'un société ne veut pas voir ;

- anticiper et accompagner les luttes politiques ;

- articuler l'avant-garde cinématographique avec celle des autres arts ;

- interroger le rôle et les fonctions des images passées et présentes ;

- établir ici et maintenant un autre monde, sur un registre euphorique ou mélancolique ;

- sortir du symbolique.

"Soit la manifestation effective, conclu Vincent DEVILLE, du cinéma abstrait au cinéma politique, d'une "contre-culture générale", de contre-vérités plastiques et idéologiques, qui passent pas l'élaboration et la diffusion d'images inédites et qui reprennent, au sens militaire d'avant-garde, ses vertus stratégiques et combatives."

    

      Nicole BRENEZ cerne les facette de l'avant-garde - contestataire plus nettement celle-là - dans le cinéma

"Le principe d'une avant-garde éclairée, écrit-elle, combattant sur le terrain des idées à la manière de guerriers mieux formés et plus décidés que le reste de la troupe, n'a cessé d'être réactivé au XXe siècle : les valeurs révolutionnaires mais aussi les modèles insurrectionnels élaborés par Blanqui, Bakounine, Mars, Engels, Lénine, Mao ont inspiré la pratique de nombreux cinéastes qui les transposent dans le champ esthétique. Au cinéma, quel est l'ennemi? l'industrie culturelle, c'est-à-dire l'asservissement du cinéma à des fins idéologiques, avec ce que cela suppose de standardisation stylistique. Comme le résume avec malice Jean-Luc Godard : "Si j'ai une définition à donner au cinéma, c'est celle-là : le cinéma est devenu l'agit-prop du capitalisme" (Lutter sur deux fronts, 1967).

Elle précise les contours d'un cinéma de guérilla. "En termes d'organisation pratique, le cinéma d'avant-garde peut donc s'élever au sein même de l'industrie (sous des formes subversives et pamphlétaires), mais il suppose plus souvent d'autres circuits de production et de diffusion, qui se sont déployés selon quatre formule majeures. Le mécénat privé (le vicomte de Noailles finançant L'Âge d'or de Luis Bunuel en 1930 par exemple), reconduit une antique tradition patronale. L'Etat assure parfois le financement de l'avant-garde, comme c'est le cas de la Promotheus, firme de production et de distribution communiste filiale du Mejrabpom soviétique, ou celui de la GPO film Unit de John Grierson en Grande-Bretagne, qui produisit entre autres les courts métrages expérimentaux de Len Lye. L'auto-production, ou production domestique, constitue la solution économique la plus massive et se trouve appelée à prendre de plus en plus d'importance à mesure que les instruments de création se démocratisent (entendre qu'ils deviennent de moins en moins coûteux). Mais le regroupement des artistes en coopératives autonomes représente pour le champ de l'avant-garde sa forme économique la plus spécifique, et donne une assise logistique à ce "Tiers-Cinéma" que Fernando Solanas et Octavio Getino théorisèrent sur le modèle du "foyer" révolutionnaire guevariste dans Pour un autre cinéma (1968)." Notons tout de même que des regroupements d'artistes se forment également de manière générale dans le monde du cinéma, exemple ces United Artistes eaux Etats-Unis, ne serait-ce que pour (re) donner aux réalisateurs et aux acteurs le contrôle de leurs propres films, contre la tendance à l'hégémonie des producteurs, en dehors de préoccupations purement idéologiques.

"En France, poursuit-elle, le "Cinéma du peuple" (groupe anarchiste) naît en 1913, "les Amis de Spartacus" (groupe communistes) en 1928 ; au japon, l'Association des artistes et écrivains prolétaires fonde la "Prokino" en 1927 ; en Grance-Bretagne, la "Federation of Yorker's Film Society" émerge en 1929 : aux Etats-Unis, la "Workers Film and Photo League" en 1931, "Frontière Films" en 1936...

L'histoire du cinéma d'avant-garde abonde en groupes parfois (souvent) éphémères nés d'une situation de crise politique. Le Groupe Jean-Vigo, issu en 1956 de l'opposition à la guerre d'Algérie, préfigure l'explosion des années 1960 : Ciné-Libération en Argentine, The Newsreel (avec Robert Kramer) et Cinéma Engagé (avec Edouard de Laurot) aux Etats-Unis, les Ciné-Giornali sous l'égide de Cesare Zavattini en Italie, Slon/Iskra et les Groupes Medvedkine sous l'égide de Chris Maker, le Groupe Dziga-Vertov avec Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin, Cinétique, Cinélutte, Grain de Sable, Video Out et beaucoup d'autres en France, le collectif coréen Changsan Kotmae. Les collectifs de diffusion se pérennisent plus facilement : l'Anthologie Film Archives et la New York Filmmaker's Coop sous l'égide de Jonas Mekas, le collectif Jeune Cinéma, Light Corne en France, Sispath en Autriche. Si, comme le formulait jean-Marie Staub en 1970, "le cinéma commencera quand l'industrie disparaîtra", de telles initiatives en auront largement assuré les prémices." Mais l'industrie est toujours là... et cela n'empêche pas des cinémas différents de se développer...

Nicole BRENEZ considère qu'il s'agit là de l'invention de la liberté... "Le manque de surface économique et de visibilité sociale du cinéma d'avant-garde porte communément à croire qu'il s'agit d'un coups élitiste et marginal. Tout au contraire, face à l'industrie dont la vocation consiste à reconduire un nombre infime de formules scénaristiques et iconographiques au succès éprouvé (sans doute au passage, l'auteure oublie t-elle la pression diversifiante des cinémas de genre.., qui veulent se faire une place dans l'industrie.), le cinéma d'avant-garde travaille à explorer l'ensemble des propriétés et des puissances du cinématographe, ensemble sans cesse réouvert grâce à la complexité de son dispositif matériel et à la richesse de ses rapports symboliques avec le réel. Les cinéastes d'avant-garde pourraient souscrire à la déclaration du poète (et réalisateur) Vladimir Maïakovski : "Pour vous, le cinéma est un spectacle, pour moi, c'est presque une philosophie de l'univers" (1922). En termes dormes, c'est bien l'industrie culturelle qui s'avère marginale, là où l'avant-garde invente, "littéralement et dans tous les sens", le champ même du cinéma."

Elle énumère quelques-un des chantiers critiques les plus massivement travaillés par l'avant-garde, avant de décrire le cinéma d'avant-garde comme un "laboratoire mais aussi un conservatoire." Il préserve des idéaux esthétiques "pour la plupart institués au siècle des Lumières, à commencer par les principes de la novation, de l'originalité et de la responsabilité politique de l'art (R. Mortier, L'Originalité. Une nouvelle catégorie esthétique au siècle des Lumières, 1982). "Travailler à la plus parfaite des oeuvres d'art, à l'élaboration d'une véritable liberté politique" : accomplissant les idéaux révolutionnaires ainsi formulés par Friedrich von Schiller, certains cinéastes d'avant-garde abandonnèrent le terrain du symbolique pour passer directement à la lutte armée, tel Masao Adachi rejoignant l'Armée rouge japonaise ou Holger Miens la Fraction Armée rouge allemande. D'autres menèrent simultanément une activité de révolutionnaire professionnel et une pratique de cinéaste, tels Édouard de Laurot aux Etats-Unis ou Masao Matsuda au Japon. (...)."

 

Nicole BRENEZ, Avant-garde dans le cinéma, dans Encyclopedia Universalis, 2014. Vincent DEVILLE, Avant-garde, dans Dictionnaire de la pensée du cinéma, Sous la direction de Antoine de BARCQUE et de Philippe CHEVALLIER, PUF, 2012.

 

ARTUS

 

 

 

Partager cet article
Repost0
24 janvier 2018 3 24 /01 /janvier /2018 07:52

   Daniel CHARLES dans son Histoire de l'Esthétique accorde une place à l'oeuvre du philosophe danois Soren KIERKEGAARD (1813-1855) que l'on ne retrouve cependant pas dans le Vocabulaire d'esthétique (Souriau) ni dans le Vocabulaire des philosophes (Ellipses). Le fait qu'il écrit dans sa langue natale et que son rayonnement intellectuel se trouve réduit du coup à son petit pays, avec sans doute une diffusion dans d'autres pays scandinaves n'y est pas étranger. Pour cette même raison, les traductions en anglais ou en français sont lentes à venir et à l'heure actuelle tout n'est pas traduit. Mais sans doute parce que sa philosophie contient un certain nombre d'éléments qui - en propre - ont une grande influence sur la philosophie au XXe siècle, et sur l'esthétique en particulier, on peut facilement en inférer une certaine diffusion... Toutefois, par l'intermédiaire de la pénétration conjointe entres cultures scandinaves et cultures germaniques, sa philosophie influence les réflexions de Karl JASPERS, Martin HEIDEGGER, Gabriel MARCEL, Jean-Paul SARTRE. En fin de compte, le philosophe danois anticipe des acquis de l'existentialisme moderne, à la recherche constante de l'authenticité, avec l'engagement au service d'une subjectivité sans faille, le tout à la recherche, pour ce qui le concerne, d'un Dieu vivant. 

    En tout cas, notre auteur écrit que "de la pensée de Kierkegaard, on peut dire qu'elle s'oppose à celle de Hegel avec autant d'âpreté que celle de Nietzsche à celle de Kant. Dans l'esthétisme tel que le dépeint l'auteur d'Ou bien... ou bien (1843), l'histoire devient mythe : la subjectivité ne rejoint pas la totalité, mais s'émiette en instants discontinus : il y a un style de vie, comparable aux perspectives nietzschéennes, qui est présenté d'autre part sous le nom d'ironie (le Concept d'ironie, 1841)". 

"On pourrait croire, poursuit-il, que Kierkegaard, qui définit l'ironie comme une étape négative et minimise apparemment le stade esthétique par rapport aux stades éthiques et religieux, est prêt à reprendre la critique hégélienne de l'ironie, de l'individu abstrait. Mais, au contraire, il insiste sur la profondeur de ce moment : car jamais l'existence ne s'abandonne vraiment à la simple succession des sensations. Le stade esthétique doit être pensé en termes de nostalgie : dans la musique - et Kierkegaard se livre à une analyse éblouissante du Don Juan de Mozart -, il convient de connaître l'art d'exprimer l'instant et la sensualité ; mais cet art a été imposé par le christianisme contre l'art plastique, essentiellement hellène. Les Grecs déterminaient la sensualité dans son accord avec l'esprit, le christianisme la réprime, et, par là, lui confère un sens étrange, de séduction et d'angoisse. La musique apparait donc comme ironique en tant que, à l'instant où elle est imposée par la religion, elle est antireligieuse : l'art est érotisme profond, "démoniaque" ; il relève du Séducteur ; il est Nature, réfutation de l'Esprit.

A l'égard de l'esthétisme, Kierkegaard a lui-même une attitude ironique ; il le rejette et le condamne, mais avoue aussi : "L'esthétique est primitivement mon élément". Cette ambivalence est celle même de toute la pensée "existentielle" à propos de l'art : songeons, par exemple, aux analyses que Sartre consacre à Jean Genêt (Saint-Genêt, comédien et martyr, 1952). Que l'artiste soit en réalité un esthète, cela signifie que l'art est un piège, un dispositif d'hypnose à l'égard du spectateur ; l'artiste fait éprouver au public les émotions qu'au fond, il ne ressent pas - c'est le thème de la communication possible, de l'art comme volonté mutuelle de mystification, de la part du créateur comme de celle du spectateur. Révélation de la non-vérité plutôt que de la vérité, l'art moderne est un art sacré à l'envers : par l'entremise de Kierkegaard, le nihilisme est plus qu'accepté, il est revendiqué. Kierkegaard contribue ainsi à la consommation post-nietzschéenne du retournement du platonisme ; il participe à l'insurrection de la subjectivité esthétique, synonyme de l'autosuppression de cette subjectivité même. Sa responsabilité, dans l'élaboration des problématiques esthétiques du XXe siècle, apparît immense."

 

    Pour Jean BRUN, parmi ses "trois sphères de l'existence" de sa pensée tragique, "la sphère de l'esthétique est celle où demeure celui qui ne vit que dans l'instant et qui se plonge dans une aventure perpétuelle tout au long de laquelle il fut à la fois lui-même et les autres. trois personnages archétypiques offrent des exemples d'une telle fuite. Tout d'abord le juif errant qui ne s'arrête nulle par et qui a le mal du pays sans avoir de pays ; chaque sol qu'il foule n'est pour lui qu'une étape désespérée et hagarde dont le but se déplace et, n'étant nulle part, est toujours sans visage. Faust, l'aventurier du savoir, incarne le démoniaque spirituel ; sa véritable recherche est celle de l'Esprit ; il demeure sombre et sans joie : l'innocence de marguerite rafraîchit un instant son âme brûlante embarquée sur la mer de la Connaissance, où il pourrait trouver la puissance faisant de lui le grand rival de Dieu. Enfin Don Juan est le grand aventurier de l'Éros ; pour lui, chaque femme est une étape à laquelle il ne s'arrête jamais, car il cherche la possession de la femme en soi dont chacune de ses conquêtes n'est qu'une abstraction à dépasser et à intégrer dans une chasse qui n'a jamais de fin.

Ce qui caractérise donc la sphère de l'esthétique, c'est qu'elle fait de la vie une suite d'essais et qu'elle voit dans l'instant un atome de temps qu'il importe de cueillir ; elle donne à croire que le centre est à la fois nulle part et partout, que le devenir est innocent. Elle conduit finalement à un désespoir qui se ment à lui-même et cherche des consolations dans des actes gratuits : l'hystérisme de l'esthéticien traduit la détresse d'un homme qui ne sait à quoi s'accrocher. Mais que surgisse quelqu'un qui rapporte sans cesse les particularités de ce monde fini à une exigence éthique infinie et il fera éclater la contradiction d'où naîtra l'ironie. Certes l'ironiste n'est pas l'éthicien, mais il l'annonce."

Sous la direction de Eric ZIOLKOWSKI, Kierkegaard, literature, and the Arts, Northwestern university Press, 2018. Theodore ADORNO, Kierkegaard, Construction de l'esthétisme (1933), Payot, 1979. 

Jean BRUN, Kierkegaard et Daniel CHARLES, Histoire de l'Esthétique, dans Encyclopedia Universalis, 2014. 

 

ARTUS

Partager cet article
Repost0
23 janvier 2018 2 23 /01 /janvier /2018 08:02

    Daniel CHARLES comme Thierry LENAIN, philosophe et historien de l'art, chargé de cours à l'Université libre de Bruxelles et Van WYMEERSCH, musicologue et philosophe, chercheur qualifié auprès du FNRS, de l'Université catholique de Louvain, abordent tous SCHOPENHAUER et NIETZSCHE comme contributeurs essentiels dans l'histoire de l'esthétique, alimentant pessimisme et physiologie de l'art. 

   Pour Daniel CHARLES, il revient à SCHOPENHAUER de reprendre l'héritage kantien, vers un platonisme et même un platonisme contemplatif selon lequel, à l'exact opposé de tout ce qu'enseigne HEGEL, "l'artiste nous prête ses yeux pour regarder le monde", ce qui fait de l'art "l'épanouissement suprême de tout ce qui existe" (Le Monde comme volonté et représentation, première édition 1819). Par là, cet auteur contribue à penser comme antagonistes les pensées de KANT et de HEGEL, comme parfois il l'entendent ainsi, par-delà bien des filiations et des ressemblances, sur lesquels on tend aujourd'hui à mettre l'accent tout en les analysant comme orientations différentes dans l'histoire de la philosophie. 

Pour SCHOPENHAUER, nous explique-t-il "l'art est connaissance directe des Indées ; et cela, par-delà le principe de raison suffisante, c'est-à-dire le temps, l'espace, la causalité, les Idées, renvoient à un au-delà, à un terme ultime, dont elles sont des objectivations directes : la volonté. L'homme est un être fondamentalement fini : il ne connait qu'indirectement les Idées. Seul, le génie peut surmonter la finitude de la subjectivité humaine, pour parvenir - et faire accéder - à la seule connaissance objective envisageable, celle qui se confond avec la structure dernière du monde : la musique. "Le monde est musique incarnée tout autant que volonté incarnée". Cependant, s'il lui est donné de s'élever à cette connaissance, et s'il est appelé à la retranscrire dans l'oeuvre, le génie ne peut faire en sorte que l'homme fini, c'est-à-dire soumis au principe de raison, ne surmonte ce principe autrement que par éclairs.

Dans l'idée que la musique est le plus haut des arts, parce qu'elle est une voie vers la Volonté, alors que les autres arts sont irrémédiablement liés à la phénoménalité et au sensible (les tenants de ces autres arts apprécieront...), on devine un principe hiérarchique voisin du parallélisme entre degrés de valeur et degrés des arts répartit qui inspirait le platonisme et la pensée médiévale." Ce qui fait penser que la philosophie ainsi mise en avant constitue une sorte de retour en arrière, voire une régression. "La classification schopenhauerienne des arts répartit ces derniers en fonction des Idées qu'ils incarnent : elle correspond en ce sens à une vision perspectiviste de l'activité esthétique, dont Nietzsche se réclame, avant de l'approfondie pour mieux renverser le platonisme.

    Car, toujours si l'on suite Daniel CHARLES, NIETZSCHE "est d'abord, dans L'Origine de la tragédie, schopenhauerien : il donne à l'édition de 1886 de son premier ouvrage le sous-titre Hellénisme et pessimisme. C'est par la musique qu'est révélée le dionysiaque, le bouillonnement sombre de l'en deçà des formes ; l'apollinien ne livre, en regard que le monde des formes. Mais peu à peu, (il) est conduit à s'opposer à SCHOPENHAUER et, par là, au platonisme lui-même : il voit dans le sensible la réalité fondamentale, parce que le suprasensible n'a d'existence que s'il se manifeste, s'il apparait, s'il se rend sensible. Ce que Platon considérait comme l'Etre, à savoir l'au-delà du sensible, ne serait donc qu'une apparence un peu plus solide que les autres, du moins au regard de Platon lui-même ; ce serait, en somme, un apparaitre réifié ; or, une telle réification est précisément exigée par la vie, elle n'est qu'une perspective de l'existence. Que le Vrai ne soit pas "plus vrai" que l'apparence, cela signifie donc que la Vérité n'est qu'une valeur, que son affirmation comme source ds valeurs n'est qu'un certain type d'évaluation. Que devient alors la musique? Si elle renvoie véritablement au dionysiaque, avant de se laisser capter dans un monde "perspectif" de formes, c'est qu'elle réfère non pas à la consolidation d'une perspective parmi les autres, mais à la vie, à la possibilité de toutes les perspectives. D'où l'affirmation fondamentale de Nietzsche : l'art a plus de valeur que la vérité."

   Il existe dans les écrits de SCHAUPENHAUER et de NIETZSCHE une véritable sympathie pour l'accès à la vérité par une sorte de vertige provoqué par la musique, et cela se sent encore plus chez le deuxième dans ses écrits. Nous avons affaire à un véritable écheveau de raisonnements qui, bien qu'il prenne sa source dans PLATON, voire PLOTIN, ne se réalisent que parce que la musique a atteint (techniquement) un niveau de complexité (avec des sonorités qui laissent peu d'espace de silence) tel qu'elle peut faire penser qu'on peut, par elle, atteindre ou approcher l'inatteignable par la seule pensée, approcher la vérité du monde. 

   "Platon, poursuit notre auteur, ne concevait le sensible que comme une copie du non-sensible. Ramener l'art à n'être plus que la symbolique du suprasensible, c'était bel et bien dévaloriser l'art ; et la philosophie occidentale dans son ensemble se borne à faire l'apologie d'un certain type - platonicien - d'évaluation. Il faut inverser cette dévalorisation, et montrer que le suprasensible n'est qu'une illusion que se donne la vie. C'est, justement, conférer pour la première fois au suprasensible la dignité d'exister. Loin, en ce sens, de rechercher la simple résorption du suprasensible, Nietzsche est soucieux de le penser radicalement, de le promouvoir : en voyant en lui ce qui apparait, il décèle "derrière" lui un vouloir mystérieux ; non pas une volonté schopenhauerienne, mais - très exactement - une volonté de puissance."

L'esthétique, telle que NIETZSCHE la conçoit à l'égard de WAGNER, ne se contente pas  donc d'identifier des valeurs : elle les désamorce, elle leur interdit de s'imposer comme des stéréotypes. "Entreprise résolument critique, elle se propose de s'interroger finalement sur la valeur des valeurs : non pas seulement reconnaitre des valeurs, mais de diagnostiquer les principes d'évaluation qui font que ces valeurs existent et de susciter elle-même la transmutation des valeurs. Elle est donc essentiellement une généalogie : elle ne se contente pas d'être une histoire, elle révèle la noblesse des styles, leur appartenance à un destin. C'est ainsi que l'on s'écarte de l'histoire de l'art à la Hegel : car le noble (qui possède une généalogie, des titres de noblesse) affirme sa différence, son altérité, au-delà de toute contradiction. On ne saurait donc parler de progrès en art - au sens d'un devenir de l'Esprit ; chaque artiste opère sa propres évaluation, et au-delà, des différentes évaluations, il n'y a rien." On ne peut évoquer l'attitude de NIETZSCHE par rapport à WAGNER sans mentionner qu'elle change du tout au tout dans le temps : d'abord amitié et admiration, ensuite dénigrement et critique féroce.

"Que signifie, reprend Daniel CHARLES, cette expression, il n'y a rien? Que nous sommes dans le nihilisme, que nous voulons le nihilisme. Peut-on vouloir autre chose? Oui ; mais il fait alors affronter l'évaluation suprême, la transmutation de toutes les valeurs. Cela est possible dans l'instant de l'éternel retour. "Dire que tout revient (écrit Nietzsche dans La volonté de puissance), c'est rapprocher au maximum le monde du devenir et celui de l'être : cime de la contemplation." Ce que le créateur crée dans l'instant, le contemplateur le lit comme instant éternel, c'est-à-dire instant de l'éternel retour du même ; et le même, c'est précisément la différence en sa plus haute affirmation. L'éternité de l'art serait donc une éternité différenciée ; car le retour de cet instant est le retour d'un instant où s'affirme une différence, une qualité absolument unique qui, se voulant telle, échappe à jamais à toute universalité. Nietzsche récuse tout aussi radicalement l'esthétique de Kant : il voit dans l'affirmation kantienne du désintéressement le comble de la faiblesse, le suprême nihilisme."

 

       Brigitte Van WYMEERSCH met surtout l'accent sur les relations entre musique et volonté chez SCHOPENHOER,tant il est vrai qu'il place la musique au sommet des arts. La question du beau et des arts se trouve bien au coeur de sa philosophie. On le voit dans son ouvrage le plus important : le monde comme volonté et comme représentation, ses écrits ultérieurs ne faisant que développer, préciser ces relations. 

"S'appuyant, explique-t-elle, sur la philosophie kantienne, (il) considère que ce que l'on perçoit n'est qu'une représentation du monde, une apparence et non le monde en soi. L'univers paraît multiple et divers parce que les hommes le saisissent à travers les formes a priori de leur perception (l'espace et le temps). Mais dans son essence, le Monde possède une unité fondamentale. Contrairement à Kant, Schopenhauer n'assimile pas le fond ultime de l'âtre au noumène, mais à la Volonté. Cette Volonté est un vouloir vivre partout identique à lui-même et commun à tous les êtres organisés, qui s'objective par degrés dans les formes éternelles, les Idées. Celles-ci, tout en étant hors  du temps et de l'espace, appartiennent néanmoins au monde de la représentation. Elles prennent l'apparence individualisée des êtres et des choses telles qu'on les perçoit. Les individus et objets que l'on se représente comme divers et multiples se rapportent donc tous à des Indées qui, uniques, éternelles et immuables, sont autant de degrés d'objectivation de la Volonté. 

La Volonté commune à l'humanité est aveugle et irrationnelle. Elle est à l'origine de la "guerre à mort - guerre sans trêve - que se font les individus" et du "conflit éternel et réciproque des phénomènes des forces naturelles". C'est une lutte constante de tous les phénomènes des forces de la nature, de tous les individus organisés qui se disputent la matière, le temps et l'espace. L'homme est en effet convaincu de son individualité propre et agit de manière à conserver et à imposer cette volonté qu'il croit sienne, ce qui provoque l'égoïsme, le désir et donc la souffrance. Il faut dès lors prendre conscience du caractère illusoire de sa propre individualité pour retrouver l'unité profonde de la Volonté universelle.

Outre la philosophie qui en donne une connaissance discursive, les seuls moyens pour dépasser ce vouloir-vivre aveugle sont la contemplation esthétique et la pitié. La première parce qu'elle met en contact intuitivement avec la Volonté et les Idées, la seconde parce qu'elle ouvre à la compassion, et partant à la compréhension de cette souffrance commune qui imprègne l'humanité."

Ce rappel, utile autant parce que Schopenhauer semble bien moins étudié que Kant ou Hegel que parce qu'on ne perçoit pas sinon pourquoi le philosophe tient tant à l'importance de l'esthétique. Pour lui la "contemplation esthétique transforme l'objet du désir en spectacle. Etant libérée de l'action nocive de la volonté et de la tyrannie de nos désirs, nous pouvons percevoir intuitivement les formes pures. Le sentiment du beau provient de cette pure contemplation des Idées. C'est un plaisir car l'homme en fin est arraché à son égoïsme et à la douleur de la vie. Cette contemplation esthétique peut être provoquée tant par une oeuvre d'art que par un objet naturel. Le sentiment du beau est donc indépendant de l'oeuvre d'art elle-même. Il s'agit en fait d'une connaissance immédiate, intuitive, des Idées qui nous fait oublier pour un bref instant notre individualité."

L'oeuvre d'art n'est qu'un moyen, certains diraient une médiation, destinée à faciliter la connaissance de l'Idée. Et les arts sont classés selon leur degré de libération par rapport à la matière. L'architecture est l'art classé le plus bas car les idées dont il facilite l'intuition sont les degrés inférieurs de l'objectivité de la volonté. Et tout en haut se trouve la musique, même si la poésie est plus assez haut dans cette hiérarchie. Toute musique est un lien direct avec l'essence du monde, avec la Volonté universelle. Il décrit les différentes notes de la gamme comme reflétant l'échelle des êtres dans la nature, et la mélodie elle-même occupe une place particulière. On ne peut s'empêcher de penser, dans le sillage du philosophe, que parce qu'elle offre peu de prise à la description, elle nous atteint directement. 

De nombreuses correspondances établies par SCHOPENHAUER ente les principes d'écriture musicale propre à son époque et une certaine image du monde pourrait prêter à sourire de nos jours (elles peuvent paraitre "enfantines"...). Cependant, cette pensée a une profonde influence sur Richard WAGNER (1813-1883) qui trouve dans ces théories philosophiques le fondement et la justification de son travail esthétique et musical... et dans sa position sociale dans les arts, notamment par rapport à un univers mondain de plus en plus éveillé à ces idées... (voir notamment Edouard SANS, Richard Wagner et la pensée schopenhaurienne, Paris, Klincksieck, 1969).

   Dans la foulée, Thierry LENAIN, et cela n'est pas artificiel car Richard WAGNER et Friedrich NIETZSCHE se connaissent bien, décrit la physiologie de l'art développée dans La naissance de la tragédie (1872) et les Considérations intempestives (1873-1876).

Ces deux ouvrages du philosophe dont la vie intellectuelle dure au plus une vingtaine d'années (il commence surtout en 1872 et est frappé d'une crise de folie en 1889), apparaissent comme des livres imprégnés de concepts schopenhauriens et résolument tourné vers le musicien. La publication ensuite d'Humain, trop humaine sonne la rupture avec le maître de Bayreuth, tandis qu'Aurore (1880-1881) puis le Gau Savoir (1881-1882) prennent ouvertement le contre-pied du pessimisme philosophique de SCHOPENHAUER. De ce dernier, NEITZSCHE retient la conception d'un monde intrinsèquement dépourvu de sens, de fondement et de finalité, livré aux déchaînements conflictuels de la Volonté et dont l'unique "réalité" se compose des fictions qu'engendrent les formes de vie dans l'intérêt de leur développement vital toujours provisoire. Mais il refuse d'en conclure que l'unique voie de "salut" consiste à s'abstraire de cette vallée de luttes et de larmes qu'est le monde de Volonté, à rompre avec les intérêts de la vie individuelle pour se dissoudre dans l'indifférenciations primordiale. 

   Une grande partie de l'œuvre de NIETZSCHE est consacrée à l'art, à un point qu'on peut le considérer comme un philosophe-artiste, lequel prône un renversement des valeurs. C'est ce qu'explique en tout cas Thierry LENAIN :

"Nietzsche se réclame en effet d'une philosophie de l'affirmation, qui justifie positivement le conflit, la douleur et la destruction comme des aspects nécessaires de la vie - sans recourir à l'idée d'un Dieu ou d'un quelconque "arrière-monde" où tout se ferait éternellement la paix (idée qu'il dénonce catégoriquement comme un fantasme inspiré par le refus de la vie). Pour le Nietzsche d'Aurore et du Gai Savoir, le devenir, le changement et la différence priment sur l'être, la permanence et l'identité à soi. La "guerre" vaut mieux que la "paix", la passion l'emporte sur la raison, l'illusion de la volonté et la création sur le savoir. Loin d'en appeler à une dissolution de la volonté particulière dans le Tout indifférencié, il s'agit au contraire de valoriser - sur le fond pleinement accepté de ce chaos primordial - certaines formes de vie qui, par définition, dépendent d'un point de vue partial, d'une perspective vitale particulière à laquelle la Volonté de puissance permet de s'ériger contre d'autres et de croître, pour un temps, dans les tourbillons du devenir. Et seul un esprit de légèreté joyeuse, dansante, ami des belles apparences (aux antipodes de la pesante obsession romantique des "profondeurs" qui a gâté le génie de Wagner) peut présider à cet acquiescement, sans réserves ni contrepartie transcendante, aux rigueurs de la vie. 

Or, une telle conversion de l'amor fati ne saurait se concevoir sans tourner le dos aux valeurs portées au pinacle par la métaphysique issue du christianisme : c'est bien un "renversement de toutes les valeurs" que requiert ce grand "oui à la vie" dont la pleine portée n'apparaitra à Nietzsche que dans la révélation quasi mystique du principe de l'"Eternel retour" qui exige de vouloir le recommencement indéfini, à l'identique, de tout ce qui s'est déjà passé. Pareille "bonne nouvelle" fait donc forcément de son héraut l'homme le plus souvent solitaire, ayant rompu tous ses liens avec l'humanité traditionnelle. Par l'intermédiaire de Zarathoustra, la figure du prophète qui lui sert de porte-parole pour transmettre ce message inouï et pratiquement inexprimable, Nietzsche ne peut dès lors en appel qu'à une humanité du futur - une surhumain - qui, parce qu'elle aura su faire de l'Éternel retour la seule maxime de son devenir, aura libéré en elle d'incomparables forces de création et de d'affirmation." (Ainsi parlait Zarathoustra. Un livre pour tous et pour personne (1883-1884). Le projet de NIETZSCHE est de redéfinir l'Histoire de l'humanité, le contenu des principaux systèmes mis en oeuvre au cours de cette Histoire et la forme même de la pensée philosophique. Dans sa recherche, le philosophe penche du côté de l'artiste pour trouver le salut dans sa nouvelle perpective. Mais pas seulement de ce côté car celui-ci est influencé également par des centaines d'années de christianisme et de ses valeurs, mais plutôt du côté du "philosophe-artiste". Celui-ci, comme un "médecin de la civilisation" pose des diagnostics et prescrit des remèdes pour inventer des "possibilités de vie", pour donner naissance à des organismes nouveaux capables de les vivre, lesquels se conçoivent non seulement par leur pensée nouvelle (car on pourrait retomber dans l'idéalisme) mais également par leur corps nouveau, ou au moins par une nouvelle conception de leur corps. 

Dans la vaste problématique herméneutique de la décadence et de la "grande santé", qui constitue son fil conducteur fondamental de sa philosophie, l'art occupe une place centrale. Toute une partie de son oeuvre tourne autour du dionysiaque et de l'apollinien. "C'est déjà en ces termes que le jeune Nietzsche s'était proposé d'appréhender la culture grecque dans La naissance de la tragédie. Il y étudiait la genèse, la décadence et la possible renaissance (wagnérienne) de l'art tragique grec. Celui-ci participerait d'un équilibre tendu entre deux fonctions complémentaires : l'apollinien et le dionysiaque. Considéré comme principe vital élémentaire, "Dionysos" renvoie à la dissolution de l'individu dans le flux chaotique de l'être primordial ; il incline à l'ivresse (où l'individu se dépossède de lui-même), à l'union des contraires (plaisir et douleur, vie et mort), à l'excès, à l'extase et à la puissance de l'irrationnel qui dissout les formes. "Apollon", de son côté, correspond à la pulsion ordonnatrice, stabilisatrice, qui fait naitre le rêve des "belles apparences", de la mesure, des formes claires et bien individualisées (celles-ci étant nécessairement des fictions). De par sa puissance fusionnée, capable d'emporter l'esprit et le corps de l'auditeur dans la danse et la transe, la musique constitue le mode d'expression privilégié du principe dionysiaque, tandis que peinture et sculpture, arts voués à la forme objectivée, tendent par nature vers le pôle apollinien."

"Or, poursuit notre auteur, si la culture grecque du premier classicisme (époque d'Eschyle) constitue une réussite tellement éclate, c'est qu'elle est parvenir à unir ces deux principes complémentaire dans une forme d'art particulière : la tragédie. Né comme l'indique le titre original du livre (amputé dans la plupart des traductions) de l'"esprit de la musique", celle-ci se trouvait se trouvant en prise directe sur l'intuition du chaos primordial, l'art des tragédiens a su néanmoins instaurer le rêve d'un monde clair et calme, celui du mythe, peuplé de figures "plastiques". En fait, ce rêve apollinien agit comme une sorte d'écran qui, masquant en partie le chaos dionysiaque, lui permet néanmoins de se manifester sans provoquer le désespoir qu'aurait engendré un face-à-face immédiat avec le fonds douloureusement destructeur de l'être. Il en découle, pour le spectateur, l'expérience d'une fusion magique dans l'univers du mythe, lequel lui apparaît à la manière d'un monde extérieur organisé en formes clairement définies." "Dans l'évolution ultérieure de la philosophie nietzschéenne, marquée par de spectaculaires révolutions internes qui pourraient apparaitre, à un regard superficiel, comme des revirement, deux éléments saillants de la pensée de jeunesse vont se voir mis en question. Le modèle grec ne conservera pas le privilège inconditionnel qu'il détenait dans La naissance de la tragédie et les textes de la même époque. Et Nietzsche se montrera bien plus critique quant à la possibilité d'une renaissance de l'art tragique et quant à la capacité que détiendrait l'art au sens courant du terme - l'art des artistes - de régénérer la culture occidentale. En revanche, il ne cessera jamais de considérer l'art en termes de vie, d'instincts, de pulsions existentielles primordiales, sur la toile de fond d'une pensée résolument anti-métaphysique qui refuse a priori toute idée d'un ordre métaphysique ou d'un "sens du monde". Dans cette perspective, les concepts d'apollinien et de dionysiaque conserveront toute leur pertinence. La forme sera toujours appréhendée comme une fiction engendrée par la Volonté de puissance, seconde par rapport à la force pulsionnelle de l'"organisme" qui l'a créée en fonction de ses intérêts vitaux. Telle est l'orientation principale de la "physiologie de l'art" à laquelle le Nietzsche de la maturité assimile l'esthétique - laquelle tend par conséquent, à se subordonner à une "poïétique", dès lors que le processus créateur lui-même constitue le fait premier et l'emporte en quelque sorte sur la chose créée."

Logiquement, NIETZSCHE considère que la critique de l'art de son époque est seulement un narcotique, qui laisse l'artiste comme le spectateur dans l'état f'enfance. L'art, dans ces circonstance où domine cet esprit de critique de l'art, au lieu d'être un antidote, aggrave le mal. Il en appelle à un véritable art futur qui, à ses yeux, n'existe pas encore. 

Pour NIETZSCHE, seul un grand style pourrait réaliser un idéal esthétique, très loin des valeurs typiques de la "modernité" artistique (fragmentation, rupture tonale, expressivité poussée jusqu'à l'outrance ou objectivité crue, régression vers l'élémentaire...). Ce grand style, qui pourrait être l'expression d'un heureux épanouissement de tous les instincts, en fait l'expression de la "Volonté de puissance" elle-même. Il définit le type supérieur qu'il appelle de ses voeux comme "la mesure, la symétrie, le mépris des grâces et des séductions voluptueuses, une âpreté et une fraicheur matinale inconsciente, un soin de fuir la passion, comme si l'art devait périr à son contact - voilà ce qui fait la mentalité et la moralité de tous les maîtres anciens, qui choisissaient leurs moyens d'expression non pas au hasard mais nécessairement avec cette même moralité par laquelle ils les pénétraient d'esprit" (Opinions et sentences mêlées). 

Devant cette sorte d'exigence, il n'est pas étonnant que Thierry LENAIN écrive : "Ainsi voyons-nous qu'en accord avec l'exigence d'inactualité qui gouverne la pensée de Nietzsche depuis l'époque des textes de jeunesse, son esthétique montre le présent écartelé entre le lointain passé des Grecs et un avenir encore à peine imaginable où l'art lui-même se sera, pour ainsi dire, dépassé."

 

Thierry LENAIN, Nietzsche : la physiologie de l'art ; Brigitte Van WYMEERSCH, Musique et volonté chez Schopenhauer, dans Esthétique et philosophie de l'art, L'Atelier d'esthétique, de boeck, 2014. Daniel CHARLES, Histoire de l'esthétique, dans Encyclopedia Universalis, 2014. 

 

ARTUS

 

 

Partager cet article
Repost0
22 janvier 2018 1 22 /01 /janvier /2018 11:12

      Le mouvement esthétique qualifié d'avant-garde des années 1920 qui se prolonge plus ou moins suivant les pays, se compose de plusieurs courants, non seulement en fonction de la forme artistique considérée - peinture, sculpture, architecture, musique...- mais aussi en fonction des sensibilités politiques plus ou moins affirmées. Une grande partie de cette avant-garde est composée d'artistes de sympathie ou ouvertement marxistes. Cette dernière constitue d'ailleurs sans doute celle qui a le plus d'élans et plus de postérités, malgré la fermeture de cette période en Union Soviétique par la doxa stalinienne. 

    Le terme avant-garde a une origine clairement militaire. Le déplacement métaphorique et la généralisation de cette terminologie dans d'autres champs (notamment intellectuel, politico-révolutionnaire et artistique) sont progressifs. Cependant, l'inspiration militaire, ou du moins guerrière, continue d'imprégner l'usage du terme. Cela témoigne d'une certaine intensification des luttes professionnelles dans de nombreux domaines, voire d'une certaine militarisation des esprits en matière de stratégie économique, politique ou même sociale. Mais sans doute dans l'esprit de ceux qui l'utilisent, et notamment encore aujourd'hui, il s'agit de s'opposer fermement à tout statisme. La notion d'avant-garde se veut dynamique et de combat, presque ontologiquement vouée à son propre dépérissement.

Le développement du terme, dans le champ artistique, est contemporain de l'époque romantique. Mais sans contestation possible, c'est au XXe siècle qu'il prend véritablement son essor et son importance, lié à des expériences radicales (le futurisme italien "théorisé" par F. T. MARINETTI, notamment), il caractérise alors des propositions variées souvent inconciliables, dont la discontinuité historique rend ardue toute généralisation. Ainsi, entre la radicalité dadaïste, en guerre contre l'"aliénation artistique" (M. PERNOLIA), et des attitudes ou postures faisant une large place à l'oeuvre individuelle, voire individualiste, le spectre est immense. (Olivier NEVEUX).

 

L'avant-garde de manière générale...

      Cette expression avant-garde désigne des artistes ou des oeuvres qui manifestent une volonté de rompre radicalement avec des traditions, des conventions, des écoles établies. Elle est presque toujours employée par les critiques, les historiens et le public, dans une intention soit laudative soit péjorative, toujours polémique. En général, l'avant-garde n'est pas le fait d'un créateur isolé, mais d'un groupe se donnant pour mission de reconnaître des domaines artistiques nouveaux, de la "expérimenter" par des oeuvres révolutionnaires, et surtout de défendre celles-ci contre leurs détracteurs fidèles à un académisme, une tradition, un ordre. Ses représentants luttent pour affirmer la nécessité de changer les formes, et pour abolir les idées, les principes sur lesquels repose la production courant, et qu'il fait remplacer par une "nouvelle vision du monde". L'esprit d'avant-garde pousse, par exemple, à l'extrême la parodie des conventions, des procédés généralement en faveur, afin de ridiculiser un art dit "bourgeois". En général, la notion d'avant-garde a un contenu socio-politique, voire philosophique, sous-jacent à son esthétique.

En littérature, avant-garde était bien fait pour désigner le Dadaïsme et surtout le Surréalisme, incarnés par de vrais groupes de combat dont les membres considéraient comme une seule et même nécessité de "changer de vie" et de transformer les langages artistiques. L'attitude surréaliste s'est au besoin affirme par le scandale. Le groupe d'André BRETON est une avant-garde typique, associant l'exemple créateur à une lutte concrète contre tous les aspects de l'ordre. On n'a guère parlé d'avant-garde à propos du roman ; on a dit plutôt, en son temps, "nouveau roman".

Dans les arts plastiques, expositions et salons cristallisent autour des formes nouvelles, un esprit révolutionnaire s'opposant aux formes admises, et partagent le public, les critiques, en partisans et adversaires de l'avant-garde. Les indépendants avant 1914, Réalités nouvelles après 1946, ont joué ce rôle.

Dans le domaine du théâtre, il s'agit de tentatives, d'expériences novatrices et de recherches poursuivies sur tous les plans (texte, mise en scène, architecture, décor) et qui remontent à la fin du XIXe siècle (LUGNÉ-POË, GORDON-GRAIG, APPIA, ANTOINE, STANISLAWSKI, MEYERHOLD, Marx REINHARD, Jacques COPEAU...). Ce travail aux intentions esthétiques originales a souvent été accompagné de manifestes agressifs et a donné lieu à des soirées à scandale. Le théâtre d'avant-garde présente quelques aspects particuliers : utilisation de petites salles, laboratoires, théâtre d'essai, emprunts aux autres arts (marionnettes, pantomime, cinéma) et même, paradoxalement, redécouverte de formes et d'auteurs appartenant aux grandes traditions.

L'avant-garde cinématographique caractérise particulièrement la période 1920-1930, avec l'idée que le cinéma constitue un langage autonome et absolument neuf. L'avent-garde française est liées aux noms de CANUDO, DELLUC, GANCE, EPSTEIN, Germaine DULAC, mais des courants nombreux s'y mêlent : réalisme et surréalisme, expressionnisme et impressionnisme. L'exploration audacieuse des découvertes techniques tend à découvrir plus finement la spécificité du cinéma. On emploie tous les éléments relevant de la catégorie de l'insolite. L'idéologie n'est pas absente : recherche du scandale et de la provocation pour décrire certaines réalités sociales, ou démolir des valeurs morales ou des traditions. Ainsi s'explique que l'avant-garde ait pu recouvrir des oeuvres toutes poétiques à la recherche d'une surréaliste généralement onirique (EPSTEIN, COCTEAU), ou franchement surréalistes (BUNUEL, DALI), des pamphlets fondés sur le "document vécu" (VIGO), des oeuvres d'un art révolutionnaire et théorique (DZIGA-VERHO, EISENSTEIN) ou presque exclusivement vouées au rythme visuel des images, et apparentés à la chorégraphie la plus hardie (Fernand LÉGER, René CLAIR, Oskar FISHINGER, Hans RICHTER). A partir de ces expériences, le terme d'avant-garde s'est étendu aux oeuvres d'exploration ou d'expérience, ou aux films qui, libérés de toute servitude narrative ou dramatique, tendent à extraire des techniques particulières au langage cinématographique le vocabulaire d'une poésie radicalement neuve. On parle aussi d'avant-garde à propos d'oeuvres illustrant une idéologie opposée aux valeurs communément admises. L'esprit d'avant-garde s'exprime volontiers  par le court métrage et le cinéma d'animation, sur lesquels ne pèsent pas les nécessités du scénario, et qui sont relativement  (très relativement...) indépendants - le premier surtout - des servitudes industrielles et commerciales.

       La notion d'avant-garde trouve ses exemples les plus significatifs dans les cas précédents, mais elle concerne tous les arts = architecture (EIFFEL, GROPIUS, Mies van der ROBE), musique (musique sérielle, Ecole viennoise, les expérience de Pierre BOULEZ, musique concrète et électronique), ballet (Kurt JOOS...) (Vocabulaire d'esthétique)

 

L'avant-garde russe et l'avant-garde marxiste

    La distinction entre les deux avant-garde n'est pas superficielle. En Russie, l'avant-garde mijote depuis un certain temps avant d'éclater au grand jour. L'administration tsariste n'avait pas été inactive envers des milieux qu'elle soupçonnait d'être plus ou moins anarchiste et anti-religieuse. A la faveur de l'explosion des mouvements révolutionnaires, les artistes se trouvent partie prenant de l'effondrement du carcan culturel. 

    La rencontre entre les "avant-gardes" russes et la révolution bolchévique, l'adhésion de leurs plus grands représentants à l'enthousiasme de la Révolution d'Octobre amèneront à considérer que l'avant-garde artistique et l'avant-garde révolutionnaire vont de pair. Si cela s'est produit en URSS pendant une dizaine d'années, on constate que l'idéologie de la plupart des autres tenants dits d'avant-garde : "expressionnisme" "nouvelle objectivité", "surréalisme", "dadaïsme", "futurisme", étaient très floue et que le futurisme italien par exemple, "mouvement d'avant-garde" sur le plan artistique se ralliera au fascisme. Aujourd'hui, le terme d'"avant-garde" mérite d'être abandonné par la critique marxiste car il ne signifie plus rien. Nul ne songerait sérieusement à identifier "révolutionnaire" en art et "révolutionnaire" au sens politique. Enfin, le décalage entre les aspirations esthétiques des "avant-gardes", même les plus politisées et celles du prolétariat ne seront pas sans susciter de nombreux problèmes lors de la réception par les ouvriers soviétiques par exemple des oeuvres des années 1920 : une sculpture cube-futuriste de Marx ou de Bakounine faisant figure de provocation et d'insulte à l'égard de ce qu'elles voulaient représenter. La prudence du Parti bolchévique, à cette époque, consistera à laisser se développer librement ces mouvements d'avant-garde en évitant qu'ils ne s'entre-déchirent et qu'un seul puisse se prétendre "art officiel", "art de parti" ou "art révolutionnaire".

Un certain nombre de théoriciens des années 1900-1920 s'appuyant sur une longue tradition de culture ouvrière en Russie et en Allemagne prétendront aussi élaborer une véritable "culture prolétarienne" opposée à la "culture bourgeoise". Cette tentative reste liée au nom du marxiste russe BOGDANOV qui sera constamment en conflit avec LÉNINE pour des questions autant politiques, idéologiques, qu'esthétiques. Le mouvement de la culture prolétarienne (Proletkult) entendait assurer la responsabilité en toute indépendance, de l'art et de la vie artistique en URSS. Si ses théories étaient abstraites et idéalistes, il parvint par ses nombreux "studios" à initier des millions d'ouvriers à la culture, à la littérature, au théâtre, au cinéma. Les résultats ne furent pas tous probants et l'idéologie abstraite et mythique de BOGDANOV fut à plusieurs reprises condamnée par LÉNINE et TROTSKY : la "culture prolétarienne" était une culture abstraite , élaborée par des ouvriers, sans grande valeur artistique. Sa prétention à représenter la culture officielle de l'URSS fut condamnée par LÉNINE, et le Proletkult dut se soumettre à la juridiction du Commissariat à l'Education et aux Beaux-Arts de LOUNATCHARSKI (septembre 1920). En dépit de cette condamnation, la théorie de la culture prolétarienne se développera à l'époque de STALINE sous une autre forme, autour de la VAPP et de la RAPP et dans la plupart des pays européens - et même au Japon - se créeront des mouvements de culture prolétarienne : le BPRS (Association des écrivains prolétariens révolutionnaires) dirigé par Johannes Robert BECKER en Allemagne, le Mouvement de la Culture prolétarienne autour d'Henri BARBUSSE en France, la revue Monde (fondée en 1928) en sont les exemples les plus célèbres.

La possibilité de mouvements de culture prolétarienne dans des pays où le prolétariat n'était pas au pouvoir sera condamnée par le Congrès de Kharkhov (1930), tout comme la tentative d'une "littérature prolétarienne" défendue alors par Henri POULAILLE. Ces débats seront ensuite éclipsés par la rencontre entre les surréalistes et le communisme (1927), les premières discussions sur le début du réalisme socialiste et la formation de l'Association des Écrivains et des Artistes Révolutionnaires de P. VAILLANT-COUTURIER (1932). Nombre de ces questions resurgiront encore dans les polémiques entre représentants du populisme et de la littérature prolétarienne jusqu'à la fin des années 1930, ainsi qu'en Allemagne. Les discussions esthétiques en Chine à l'époque de la révolution culturelle ranimeront ces vieux débats. (Jean-Michel PALMIER).

Jean-Michel PALMIER, Esthétique, dans Dictionnaire critique du marxisme, PUF, 1999. Vocabulaire d'esthétique, sous la direction d'Etienne SOURIAU, PUF, 2004. Olivier NEVEUX, Avant-garde, dans Encyclopédia Universalis.

 

ARTUS

 

Partager cet article
Repost0
9 janvier 2018 2 09 /01 /janvier /2018 14:00

   Le réalisme socialiste est la doctrine officielle dans le domaine de l'art en vigueur tant en URSS que dans les pays directement soumis à son hégémonie politique. Cette doctrine trouve sa formulation complète au cours du premier congrès des écrivains soviétiques de Moscou en août 1934. Ce premier congrès clôt toute une série de débats sur l'esthétique et l'art, leur place dans le socialisme, qui bat son plein dans les années 1920. Le réalisme socialiste exige de l'artiste "une représentation véridique, historiquement concrète de la réalité dans son développement révolutionnaire. En outre, il doit contribuer à la transformation idéologique et à l'éducation des travailleurs dans l'esprit du socialisme". Parmi ceux qui participent alors à l'élaboration de la doctrine, se trouvent GORKI, JDANOV et Karl RADEK. (John BERGER et Howard DANIEL).

    Jean-Michel PALMIER dans le Dictionnaire Critique du Marxisme écrit que "Marx et Engels ont salué le caractère révolutionnaire de l'oeuvre de Balzac, sa représentation de la révolution capitaliste sans faire du réalisme un dogme. Si, au XIXe et au début du XXe siècle, on trouve dans l'histoire de l'art de nombreuses discussions sur le réalisme, elles n'affectent pas immédiatement la critique marxiste. En Russie, la littérature russe était dans son encombre réaliste. ce fut le réalisme russe qui s'attacha à la description de la misère paysanne et dans leur ensemble ces romans étaient très progressistes. Le terme de "réalisme" appliqué à la littérature russe doit toutefois être nuancé par l'affirmation qu'il n'y a pas un mais des styles réalistes (Tourgueniev, Gogol, Tchekhov). Avec les romans de Gorki (La Mère), son théâtre (Les Bas-Fonds) apparut un nouveau réalisme orienté vers la description de la misère ouvrière. Si Lénine se garda bien s'imposer les goûts qui le poussaient vers le réalisme, une identification s'effectua rapidement entre "littérature progressiste" et "littérature réaliste". Si tous les styles purent se dérouler librement dans les années 1920 - du cube-futurisme au "réalisme prolétarien", ce dernier style aura tendance à se généraliser avec la AHRR (Association russe des écrivains révolutionnaires) et la RAPP (Association russe des écrivains prolétariens) et il faudra attendre 1934 pour voir le mot "réalisme socialiste" consacré par Gorki. 

S'il ne désigne alors qu'un style parmi d'autres de réalisme - Maiakowski lui-même se considérait comme "réaliste", il allait donner naissance, à l'époque stalinienne, à un style de plus en plus schématique, le "réalisme socialiste" qui consistait à développer systématiquement l'"esprit de parti" dans la littérature : le romancier se devait de décrire la réalité soviétique dans la perspective héro¨que de la construction du socialisme, en multipliant les évocations optimistes et les portraits de "héros positifs". Ce style, étranger à Marx comme à Lénine, imposé à tous les secteurs de la vie artistique, conduira bien vite à les stériliser (disparition des courants abstraits, disgrâce de V. Meyerhold, réhabilitation de Stanislavski, condamnation d'Eisenstein, élimination d'un grand nombre d'écrivains). Il faudra attendre le XXe Congrès  du Parti Communiste de l'URSS pour qu'il soit condamné comme dogme, laissant la parole à une nouvelle génération, celle du Degel d'Illya Ehrenbourg, mais aussi des poèmes d'Evtouchenko et de Voznessenski. En Europe, des critiques analogues seront menées par Miroslav Karleja en Yougoslavie, Tibor Dery en Hongire, E. Fischer en Autriche, R. Garaudy en France (D'un réalisme sans rivages). 

Georg Lukàcs, le plus important esthéticien marxiste d'origine hongroise, n'en continuera pas moins de combattre toutes les tentatives "formelles" des années 1920 - théâtre anti-aristotélicien de Brecht, roman prolétarien de E. Ottwalt ou de Willi Brede), mais aussi l'Expressionnisme. Ces affrontements qui eurent d'abord comme organe la revue Linkskurve (organe du BPRS, Association des écrivains prolétariens révolutionnaires) conduiront à la grande polémique de la revue Das Wort (1937-1938) sur l'expressionnisme et l'avant garde allemande. Née d'une discussion sur le ralliement du poète Gottfried Benn au national-socialisme, elle opposa partisans et adversaire de l'avant-garde allemande des années 1920 - en particulier de l'Expressionnisme. La qualité des participants - écrivains, esthéticiens, artistes en exil parmi lesquels G. Lukàcs, Anna Seghers, A. Kurella, E. Bloch - font de cette polémique théorique l'un des grands moments de la réflexion marxiste sur l'esthétique : elle enveloppe non seulement la question de l'avant-garde, de l'irrationnel, du formalisme, du classicisme; de l'héritage, de l'attitude par rapport aux classiques mais aussi l'opposition entre "réalisme" et "formalisme" qui sera abordée dans la dernière étape de cette polémique par une critique systématique des essais de Lukàcs par Brecht.

Toute la période qui suivra le XXe Congrès du Parti communiste de l'URSS donnera naissance à une série de tentatives de définir de nouveaux styles réalistes étrangers au réalisme socialiste. Georg Lukàcs, pour sa part, s'il condamna les tentatives "formalistes", "avant-gardistes", "expérimentales" des années 1920-1930 n'adhéra jamais au réalisme socialiste (Signification présente du réalisme critique) et continuera à défendre un certain style réaliste critique issu de Balzac, qui lui fit rejeter la plupart des grands auteurs contemporains (Proust, Kafka, Beckett, Faulkner...) et célébrer Thomas Mann comme le plus grand progressiste des "écrivains bourgeois". Il sera lui-même attaqué par la critique soviétique (et hongroise des années 1950) pour sa méconnaissance de "la valeur universelle du réalisme socialiste", tandis que Th. Adorno affirmait : "Mieux vaut la mort de l'art que le réalisme socialiste"."

 

     Louis-Marie MORFAUX distingue deux périodes : la période stalinisme et la période après Staline.

"C'est sous Staline (1879-1953), à partir de 1932, que se constitue une stéarique officielle et dogmatique. Les associations d'écrivains indépendants sont dissous et leurs membres inscrits autoritairement à l'Union des écrivains soviétiques soumise au Parti communiste. Elle impose le contenu et lui subordonne impérativement la forme, toute déviation étant considérée comme un délit ou un crime artistique et punie en conséquence. Au premier Congrès de cette Union, en 1934, sous l'inspiration de Gorki et sur l'ordre de Staline, est adoptée l'expression de "réalisme socialiste" pour désigner la doctrine scientifiquement établie de l'esthétique qui fait des écrivains des "ingénieurs de l'âme humaine". Rédigés sous l'impulsion du stalinien Jdanov, les statuts de l'Union précisent que le réalisme socialiste "exige de l'artiste une représentation véridique, historiquement concrète, de la réalité dans son développement révolutionnaire. En outre, il doit contribuer à la transformation idéologique et à l'éducation des travailleurs dans l'esprit du socialisme". Mais s'il est aisé de s'assurer de l'orthodoxie de la littérature, par rapport au dogme marxiste-léniniste, comment faire pour les autres arts? Le Comité central du Parti, en 1948, sur la proposition de Jdanov, n'en décidera pas moins que les compositions de Prokofiev et de Chostakovitch s'écartent du réalisme socialiste et leur prescrit de négliger les symphonies, de composer dorénavant des opéras, des oratorios et des chants dont la signification peut être facilement jugée. Mais le cinéma, dont Lénine disait qu'il est le premier des arts, est étroitement contrôlé et il est reproché à Eisenstein et à Poudovkine de s'occuper trop de l'action au détriment de la propagande que devrait prodiguer le film. Il leur est demandé, plutôt que de soigner la qualité de l'image, de porter désormais leur soin sur les dialogues.

Avec le XXe Congrès du Parti communiste de l'Union soviétique, en 1956, qui prétend consacrer la déstalinisation, il pourrait sembler que soit octroyée à la littérature et à l'art une liberté absolue. On lit, en effet, dans Le Communiste, revue du Parti : "Une condition fondamentale pour le développement d'une littérature et d'un art portés par de grandes idées et véritablement artistiques est la lutte sans merci contre le nivellement et l'uniformité de la création artistique... Le réalisme socialiste n'a pas de limites à cet égard." Mais cette liberté ne s'applique qu'à la forme et le contenu est strictement maintenu entre d'étroites limites politiques et sociales. Lors du IIIème Congrès des Ecrivains soviétiques, en 1959, il est rappelé que "le devoir des écrivains soviétiques est de montrer de façon vraie et vivante la beauté des exploits du peuple au travail". L'esprit stalinien règne toujours en ce domaine. C'est un postulat de l'esthétique marxiste que les grands écrivains et les grands artistique on en commun, quelles que soient leurs opinions, de rendre le plus exactement la réalité effective et de tendre vers la totalité. Encore faut-il que le pouvoir politique leur en accorde en fait le droit et ne soumette par leur oeuvre à une orthodoxie dogmatique. Ne doivent-ils pas aussi admettre que l'art ne peut non plus être réduit à une sociologie et à une psychologie sociale et s'il est toujours lié à l'évolution sociale, il atteint dans ses chefs-d'oeuvre à une valeur humaine permanente?"

    John BERGER et Howard DANIEL entendent porter sur le réalisme socialiste un regard qui va au-delà des intentions et des textes officiels. 

"L'application, écrivent-ils, de la doctrine aux différents arts produisit des effets variés et inégaux, et ne fut jamais quelque chose de parfaitement cohérent. Dans la mesure où ses significations échappaient à toute prise légale ou verbale, la musique se trouva moins atteinte que les autres arts. (...) La peinture et la sculpture se révélèrent particulièrement vulnérables du fait, notamment, qu'elles furent contraintes de revenir à un académisme artificiel et prérévolutionnaire qui était étranger à toutes les traditions russes dans le domaine des arts visuels et qui avait été importé arbitrairement par Pierre le Grand (...). C'est la littérature qui exerçait l'influence la plus profonde et la plus large sur les masses. Certaines oeuvres (...) purent franchir les écueils du dogmatisme doctrinaire et sa tailler une place importante en tant qu'oeuvres littéraires. Mais avec le temps, la chose devint de plus en plus difficile (...) L'impact sur le public russe rendit le parti extrêmement méfiant à l'égard des écrivains. Il ne suffisait pas de censurer ou d'interdire la publication. Il était toujours possible de glisser des significations cachées. Ainsi se forma progressivement un public capable de lire entre les lignes. Un langage "second" se constitua, qui servit à aller au-delà de la "réalité seconde" et permit de renouer avec la réalité vécue. On comprend que les écrivains durent, en tant que groupe constitué et proportionnellement à leur nombre, un des secteurs les plus persécutés de la population russe. Sur les 700 écrivains qui participèrent au premier Congrès des écrivains en 1934 - et dont plus de 70% étaient âgés à l'époque de moins de 40 ans - seulement 50 vivaient encore en 1954 pour participer au deuxième Congrès des écrivains. Beaucoup d'entre eux, certes, étaient morts à la guerre, mais les chiffres n'en demeurent pas moins éloquents.

Bien que la littérature officielle du parti eût fait un usage pléthorique des citations de Lénine,le fait d'associer son nom à la doctrine du réalisme socialiste est dû à une déformation de ses écrits : l'article fondamental de Lénine sur la question, L'Organisation du parti et la littérature du parti a été écrit en 1905, à un moment où le parti émergeait de la clandestinité, et il traitait en fait des textes politiques et de propagande. Corrigeant les déformations que les idées de Lénine avaient subies sa veuve, Nadejda Kroupskaïa, établit en 1937 que l'article cité plus haut et d'autres textes similaires de Lénine n'avaient rien à voir avec la littérature en tant qu'art. Jusqu'à ces dernières années, cette mise au point est restée ignorée, comme l'ont été les éclaircissements apportés par Lénine lui-même, dans une conversation avec Clara Zetkin : "Tout artiste, et tout individu qui se considère comme tel, a le droit de créer librement en accord avec son idéal personnel, et sans tenir compte de rien d'autre."

 

John BERGER et Howard DANIEL, Réalisme socialiste, dans Encyclopedia Universalis, 2014. Louis-Marie MORFAUX, Esthétique marxiste, dans Vocabulaire d'esthétique, PUF, 2004. Jean-Michel PALMIER, Esthétique, dans Dictionnaire critique du marxisme, PUF, 1999.

 

ARTUS

 

Partager cet article
Repost0
5 janvier 2018 5 05 /01 /janvier /2018 08:04

    Malgré la parcimonie des textes des auteurs marxistes et même d'analyses marxistes de l'art, la plupart disséminés dans des considérations de combat idéologique et sans doute parce que la pratique des Etats dits communistes ou socialistes inclu une une forte utilisation de l'art (comme moyen d'information et de propagande), Danielle LORIES consacre tout un chapitre sur Marx : Eléments pour une "esthétique marxiste".

    Dans la lignée de la pensée dialectique hégélienne de l'histoire, se situe le matérialisme historique de Karl MARX (1818-1883). Il n'attribue pas à l'art un rôle insigne dans la progression de l'histoire vers sa fin et ne consacre à l'activité artistique et aux oeuvres que des remarques éparses et non systématisées. Mais la pensée de l'auteur du Capital marque en profondeur certains pans de l'esthétique du XXe siècle. 

Tous les commentateurs, explique t-elle, s'accordent maintenant à considérer que MARX n'a à aucun moment développé quelque chose qui constituerait une véritable esthétique ou théories marxienne de l'art, malgré énormément de référence (révérence) de penseurs plus ou moins officiel à une esthétique marxiste, laquelle leur doit plus d'ailleurs qu'à une hypothétique philosophie esthétique de Karl MARX...

L'idée maitresse que recèle ce qui devrait s'appeler le "matérialisme dialectique" eu égard à l'art, relève de la "superstructure" culturelle, de l'idéologie. Il faut situer l'art dans la même catégorie que la religion, le droit, la morale et ce sont les conditions économiques et socio-historiques qui déterminent à chaque fous l'état des modes de production et de distribution des moyens de substance comme des idéologies. Cette idée d'une dépendance causale de l'artistique au socio-économique est à l'origine d'une vulgate marxiste simpliste autant que prolixe, que beaucoup mettront en avant pour dénigrer d'ailleurs cette idée-même. 

     Il faut distinguer, pour éclaircir cette question, entre les propres remarques de Karl MARX et les différentes théories marxistes ultérieures.

- Le caractère éparse et superficiel des remarques de MARX sur l'art laisse entière la question de savoir quels sont les liens entre telle oeuvre et le soubassement socio-économique sur lequel elle repose. Outre le fait que MARX et ENGELS (1820-1895) mettent constamment en garde contre toute interprétation causale exclusive et directe, l'économie agit seulement pour eux seulement en dernière instance sur la production intellectuelle (comme le rappelle Marc JIMENEZ, Qu'est-ce que l'esthétique? Gallimard, 1997). Il existe un jeu d'interaction entre l'économie et l'idéologie. L'ampleur de l'idéologie ne doit pas masquer sa relation avec l'économique. On peut se référer à ce qu'écrit MARX lui-même dans Economie I, Oeuvres (Editions de la Pléiade). Même si ces écrits restent relativement pauvres en matière d'explication, l'articulation entre ces deux sphères de l'activité humaine est d'autant plus complexe que même après que les conditions économiques d'une création artistique datée (MARX prend l'exemple de l'art et de la littérature grecques anciennes) aient disparu, ces oeuvres marquent encore les esprits des hommes. L'art est surtout chose du passé, c'est ce qui transparait dans la description de la société communiste. Dans la société sans classe et aux contradictions enfin résolues, "l'art, commente Jacques TAMINIAUX (Sur Marx, l'art et la vérité, dans Le regard et l'excédent, La Haye, Nijhoff, 1977), disparait comme oeuvre, comme artiste, comme activité spécifique, comme mode spécifique d'accueil, de vision ou d'écoute", précisant un peu plus loin que dans ce monde dont l'avènement est annoncé "l'art comme monde des oeuvres appartient au passé, à un âge où la production était sans prise réelle sur la nature, et où régnait la division du travail". Autant dire que l'art n'est idéologie, c'est-à-dire reflet fidèle/infidèle, masque trompeur/véridique, de l'état de la société matérielle, que tant qu'il y a division du travail, et donc aliénation. Autant dire, explique toujours Danielle LORIES, "qu'une fois disparues ou vaincues l'aliénation et de la division du travail qui conditionnent les oeuvres, l'art ne peut plus produire d'oeuvres, et il n'est plus qu'un passe-temps comme un autre, que peut adopter tout un chacun, indépendamment de tout talent, auquel tout un chacun peut se livrer quand bon lui semble gré de sa fantaisie individuelle et qui échappe ainsi à tout professionnalisme (lequel appelle la division honnie du travail vouée à l'abolition dans la société communiste."

-  Les héritiers intellectuels des fondateurs du marxisme doivent pratiquement construire, s'il veule qu'il existe une esthétique marxiste, la connexion entre conditions socio-économiques et élaboration des oeuvres. Historiquement, dans l'orthodoxie marxiste, l'emporte l'idée simplifiée que l'art est le reflet de la réalité sociale.

     LÉNINE à la tête de la jeune Union Soviétique, au pays du "socialisme réel" soutient peut et fort que l'art appartient au peuple, qu'il prend ses racines dans la masse des travailleurs, que ce sont ces derniers qui doivent le comprendre et l'aimer et qu'il doit pour cela être en accord avec leurs sentiments et aspirations.

    Et les débats sur ces questions, très ouvertes dans les années 1920, prennent fin lorsque, sous STALINE, en 1934, est proclamée esthétique officielle du marxisme-léninisme la doctrine du réalisme socialiste.

  C'est le triomphe d'Andrei JDANOV, exigeant de l'artiste à la fois la représentation "historiquement concrète, vraie" de la réalité "dans son développement révolutionnaire" et sa contribution à l'éducation des travailleurs "dans l'esprit du socialisme". Maxime GORKI s'inscrit dans cette même ligne officielle avec son théâtre (Les bas-fonds par exemple). 

    L'oeuvre de Georges LUKACS (1885-1971), philosophe hongrois a une place particulière dans la mouvance marxiste. Il consacre un temps - dans les années 1930 - son activité à la reconstitution des concepts esthétiques de MARX et d'ENGELS et se fait le défenseur du réalisme contre la décadence moderne.

"Si dans ses différents moment, l'oeuvre de Lukacs, écrit Jean-Michel PAMIER, demeure la plus grande tentative de penser l'esthétique - et en particulier la littérature - à partir du marxisme, un grand nombre d'auteurs lui reprocheront son postulat du réalisme, sa fidélité à l'esthétique hégélienne, son manque d'intérêt pour l'art moderne et les arts autres que la littérature. Il est vrai qu'il n'aborde que très rarement la musique, les arts plastiques, la poésie et le cinéma - et surtout demeurera hostile à tout le mouvement des avant-gardes des années 1920 et aux théories de la critique formaliste. Si certains s'efforceront de tirer de sa polémique avec Brecht la possibilité d'une meilleure compréhension du réalisme, d'autres, comme Lucien Goldmann, verront dans ses oeuvres de jeunesse, à l'époque de sa rencontre avec la philosophie de la vie, l'hégélianisme, le néo-kantisme, puis le marxisme (L'âme et les formes, La théorie du roman, Histoire et conscience de classe) la possibilité de développer à partir du concept de "forme", de "totalité", de "héros problématique", une sociologie marxiste de la littérature qui évite les écueils de son primat du réalisme (Pour une sociologie du roman, 1964). Pierre V. Zima (l'ambivalence romanesque, Proust, Kafka, Musil. L'indifférence romanesque, Sartre, Moravia, Camus, Le Sycomore, 1980, 1982) s'efforcera d'unir la critique goldmanienne aux méthodes de la critique formaliste, s'inspirant en particulier de Bakhtine."

    La tradition marxiste connait des prolongements esthétiques à travers les réflexions de penseurs comme Theodor ADORNO, Walter BENJAMIN et en général l'école de Francfort, mais aussi comme Herbert MARCUSE, ou encore du côté des sociologues, comme Pierre BOURDIEU.

La possibilité d'une esthétique systématique, rappelle Jean Michel-PALMIER sera "violemment dénoncée par les représentants de l'Ecole de Francfort, en particulier Theodor Adorno dans sa Théorie esthétique. Pour lui, il ne s'agit pas de juger l'oeuvre à partir de critères idéologiques, ou esthétiques, définis a priori, de maintenir le primat du réalisme, mais au contraire d'apprendre à déconstruire la forme artistique, à être attentif à toutes les formes d'expression de la modernité, qu'il s'agisse de la peinture, de la poésie ou de la musique, à s'interroger sur le rapport de l'art et de la société moderne, sur le fonctionnement de l'industrie culturelle, de la culture de masse en acceptant que, tout en exigeant une rigueur constante, le discours esthétique sache se taire devant l'oeuvre elle-même pour la laisser vivre et parler. Walter Benjamin réalisera en ce sens d'admirables analyses qui montrent que la critique marxiste de l'esthétique peut saisir les objets les plus fragiles - l'éphémère, la photographie, la poésie, le rêve, la peinture, le fragment, tous les symboles en bribes de la modernité - pour en donner une élucidation ouverte, critique, politique et philosophique. Le succès contemporain de l'oeuvre de Benjamin en Europe s'explique sans doute par la méfiance légitime qu'ont suscité tant de discours dogmatiques et systématiques qui prétendaient parler au nom de marxisme sur l'oeuvre d'art. Et c'st ce caractère ouvert, conflictuel, sans cesse bouleversé qui donne à la réflexion marxiste sur l'art une richesses particulières. Elle doit, en corrigeant ses erreurs passées, son schématisme et parfois son dogmatisme, s'inspirer aussi bien de l'effort d'élucidation idéologique luckacsienne que des analyses de Bloch, Adorno, Marcsre et Benjamin."

 

     Jean-Michel PALMIER, philosophe, se trouve d'accord avec Danielle LORIES pour constater le manque de théorie réelle sur l'art ou/et l'esthétique des fondateurs du marxisme. De plus, "le fait que les réflexions de Marx et d'Engels sur l'art et la littérature soient nées d'une nécessité précise, celle du combat politique, de l'analyse des productions idéologiques, que leurs interrogations s'enracinent dans le sol de l'esthétique hégélienne, qu'ils n'aient laissé aucun ouvrage entièrement consacré à l'esthétique, a introduit dans la réflexion marxiste sur l'art non seulement la permanence de ces concepts hégéliens (forme, contenu), mais la tentation souvent grande chez leurs exégètes (comme Franz Mehring) de tirer du marxisme une "esthétique marxiste" comme on tire du système hégélien une "esthétique hégélienne". A la difficulté de saisir la problématique de l'art à partir des concepts esthétiques classiques se sont donc ajoutés des problèmes nouveaux, suscités par l'approche marxiste elle-même. Les nouveaux dangers seront alors de voir se constituer une nouvelle normativité (ainsi le "réalisme socialiste"), de concevoir de manière dogmatique le rapport entre l'art et les infrastructures, de méconnaitre sa spécificité pourtant soulignée par Marx et Engels, d'identifier un "art révolutionnaire" à un "art de parti", de méconnaitre la liberté et la complexité de la création artistique, d'enfermer la réflexion esthétique dans des polémiques stériles autour de pseudo-concepts, "art bourgeois", "art révolutionnaire", "art décadent", "art formaliste", "art réaliste", de méconnaitre enfin la complexité des niveaux d'analyse de l'oeuvre d'art du point de vue idéologique. 

La richesse, la diversité de la réflexion marxiste sur l'art - des premiers textes de Marx lui-même aux essais de Walter Benjamin par exemple - tient sans doute à cette nécessité perpétuelle de repenser chaque problème et d'en proposer une nouvelle théorisation.

Il n'y a pas une ou des "esthétiques marxistes", mais des approches souvent très différentes tentées par des marxistes. Celle de Lukacs, de Brecht, de Benjamin ou Adorno ne peuvent se réduire à une seule et même approche. Elles font intervenir, chacune, une certaine conception de l'analyse marxiste appliquée à l'art, mais aussi une sensibilité à tel ou tel style, qu'il serait vain de nier. Ce qui les unit, c'est leur souci de comprendre l'art au sein d'une société divisée en classes, d'en analyser le surgissement, le déploiement, la réception et de concilier l'exigence d'élucidation idéologique, la rigueur utopique, ludique de chaque oeuvre. ce caractère résolument ouvert de l'approche marxiste de l'art, l'abandon de tout dogmatisme, la multiplicité des styles d'analyses, leurs conflits aussi, sont autant de signe de la complexité des problèmes que l'analyse marxiste de l'art et de l'esthétique doit affronter. Aussi le faux concept normatif d'"esthétique marxiste, nous semble-t-il devoir être abandonné car, comme le souligne Brecht : "Le Parti marxiste-léniniste n'a pas à organiser la production des poèmes comme on organise un élevage de volailles ; sinon les poèmes se ressemblent justement comme un oeuf ressemble à un autre oeuf"."

 

Louis-Marie MORFAUX, professeur de philosophie, confirme dans le Vocabulaire d'esthétique de son côté qu'"absorbés par les problèmes économiques, politiques et sociaux de leur époque, ni Marx ni Engels n'ont composé de théorie de l'art, et encore moins un traité d'esthétique. Cependant les questions posées par l'art étaient trop étroitement liées à leur combat politique pour qu'ils n'aient pas fréquemment pris parti sur elles. Aussi ne semble-t-il pas impossible, à partir des éléments épars dans leurs oeuvres, de constituer un ensemble cohérent formant une théorie de l'art, même si les difficultés essentielles qu'elle soulève, de l'aveu même des critiques marxistes, n'ont pas été pleinement surmontés (belle litote, en vérité). 

D'autre part, poursuit-il, il fait tenir compte des apports de leurs successeurs, dont s'est enrichie l'esthétique marxiste, quelles qui soient les divergences entre leurs vues, en particulier de Lénine, de Plékhanov et de Lukàcs." Cet auteur s'attache surtout au déploiement des théories marxistes  avant la période de l'école de Francfort. Il s'arrête, alors que le marxisme enrichit encore beaucoup de perspectives, au destin de l'esthétique marxiste-léniniste après Staline (fin des années 1950).

 

Danielle LORIES, Marx : éléments pour une "esthétique marxiste"?, dans Esthétique et philosophie de l'art, L'Atelier d'esthétique, de boeck, 2014. Jean-Michel PALMIER, Esthétique, dans Dictionnaire critique du marxisme, Sous la direction de LABICA-BENSUSSAN, PUF, 1999. Louis-Marie MORFAUX, Esthétique marxiste, dans Vocabulaire d'esthétique, Sous la direction d'Étienne SOURIAU, PUF, 2004. 

 

ARTUS

 

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : LE CONFLIT
  • : Approches du conflit : philosophie, religion, psychologie, sociologie, arts, défense, anthropologie, économie, politique, sciences politiques, sciences naturelles, géopolitique, droit, biologie
  • Contact

Recherche

Liens