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13 mai 2010 4 13 /05 /mai /2010 14:34

    Dans sa tentative d'élaborer à la fois une doctrine de la conscience et une philosophie de la connaissance scientifique, Johann Gottlieb FICHTE, tout au long de ses ouvrages sur la doctrine de la science, fait hésiter (au minimum) le lecteur sur son caractère ambigu. C'est en tout cas ce que constate Alexis PHILONENKO. "L'ambiguïté est dissimulée par le fait que la question de l'intersubjectivité est équivoque : d'une part, elle se rattache à l'idée d'une théorie de la conscience et, d'autre part, posant le problème de l'altérité, elle coïncide avec le problème du sens de l'objet."

 

Voici comment le réintroducteur des oeuvres de Johann FICHTE en France présente sa philosophie :

"Au lieu d'utiliser, comme Kant, une analyse régressive, Fichte part de la conscience et développe génétiquement sa vérité. La première partie de la Doctrine de la science  (il s'agit de la première édition de 1794) élabore les principes. Le premier absolu en sa forme comme en son contenu, est le moi absolu ; je l'obtiens dès lors que je remarque que la proposition A = A, qui en tant que telle est une proposition logique et un fait de conscience indubitable, n'est que la forme obtenue par l'abstraction opérée sur le premier principe, le moi = moi. On s'élève donc du formel au transcendantal ; la règle supérieure de la logique formelle conduit à la formation universelle de tout savoir, le Moi absolu, qui est toute réalité. De ce premier principe dépendent les autres : d'une part, le non-moi, absolu en sa forme (-A n'égale pas A) mais conditionné dans son contenu (il s'agit toujours de A) ; d'autre part, le moi divisible, qui résulte de la synthèse des deux premiers principes. La formule d'ensemble est donc : "J'oppose, dans le moi, un non-moi divisible au moi divisible", et elle donne naissance à deux proposition :

- Le moi pose le non-moi comme limité par le moi ;

- Le moi se pose lui-même comme limité par le non-moi.

 La première proposition fonde la philosophie pratique, la seconde la philosophie théorique."

   Alexis PHILONENKO constate que la question est de savoir comment l'on passe du moi au non-moi, et cette question "met à rude épreuve les interprètes de Fichte". Et le lecteur, même doté d'une certaine culture en philosophie, donc! HEGEL met en évidence une aporie et nombre des auteurs contemporains n'hésitent pas à démolir son idéalisme subjectif... Aussi peut-on se poser la question de savoir, puisque ce texte ardu est loin d'emporter l'adhésion, pourquoi y revenir? Parce que certains "sentent" bien qu'il y a là quelque chose qui tente d'atteindre la réalité sans pouvoir y parvenir. Aussi, serions-nous tenter de dire qu'une grande partie de la philosophie de Johann FICHTE constitue une sorte de tentative... qui manque sans doute son but.

   Devant la difficulté de comprendre ce qu'il pourrait y avoir de vrai dans le texte fichtéen, Alexis PHILONENKO, s'opposant aux interprétations faites  couramment depuis les critiques d'HEGEL, expose que le moi est l'unité de la conscience et du réel (chez FICHTE toujours bien entendu). Il écrit donc : "On ne peut s'en tenir à l'idée d'un moi absolu qui serait toute réalité (idéalisme absolu), ou d'un non-moi absolu (réalisme absolu ou spinozisme). Il est donc nécessaire, puisque ces principes ne peuvent être écartés, de les composer, de les coordonner pour obtenir une unité à la fois idéelle et réelle." Dans les Principes de la doctrine de la science, Johann FICHTE déclare "que le sens du moi absolu est enfin clair. C'est l'évidence même puisqu'il se trouve une part de vérité en toute erreur, on ne peut pas dire que les trois premiers principes sont absolument faux : mais tels qu'ils sont présentés suivant la logique générale, ils constituent une illusion transparente qu'il faut décomposer." Il construit un traité des systèmes : "Les philosophies qui donnent au non-moi la priorité sont dites réalistes : Fichte, qui les rattache à la catégorie de causalité, les nomme, au plus bas degré, réalisme quantitatif, au plus haut réalisme qualitatif ; on va de Spinoza à Kant. Les philosophies qui, en revanche, sacrifient le non-moi au moi sont idéalistes - idéalisme qualitatif (Leibniz), idéalisme quantitatif (Maimon). reliées à la catégorie de la substantialité, ces philosophies ne peuvent vaincre  les thèses réalistes, mais seulement les contredire. Ainsi s'élabore une décomposition de la contradiction qui est aussi une composition de la vérité. A travers cette dialectique se dessine la seule position cohérente : reliant idéalisme et réalisme, elle définit le véritable moi comme unité de la conscience et du réel ou, si l'on préfère, de la conscience de soi et de la conscience d'univers. Comme unité des opposés, la conscience ne peut être que temporelle : c'est seulement sous la forme du temps que le "Je pense" se découvre comme saisie de soi et de l'autre. Ainsi la vérité du moi comme forme absolue de l'intentionnalité est la temporalité. Et ce mouvement par lequel le moi opère un échange réciproque avec lui-même, liant thétiquement, antithétiquement, synthétiquement la conscience de soi et la conscience d'objet, déploie l'horizon du temps. tandis qu'apparaît la première authentique figure du moi, le monde de la métaphysique classique s'effondre : comme intentionnalité, le sujet se découvre lié à l'objet ; enfin s'affirme la vérité de la conscience commune qui ne conçoit pas d'autre vie possible que la vie empirique dans le temps."

      Les attaques des autres philosophes allemands seront si fortes et les accusations d'athéisme si pressantes dans l'esprit de Johann FICHTE sans doute que toute sa philosophie ensuite prend une tournure nettement religieuse, et du coup, selon nous, surtout dans la Doctrine de la science de 1804, les intuitions intellectuelles se perdent dans une doctrine de l'amour qui fait appel  à des conceptions qui n'ont plus rien à voir avec la connaissance scientifique...

 

      Bernard BOURGEOIS, dans sa présentation du vocabulaire de Johann FICHTE, préfère se situer directement dans le discours fichtéen pour mieux en discerner le contenu. Ainsi, pour le moi, il rappelle que contrairement à Emmanuel KANT, dont l'activité théorique de l'esprit va à l'objet connu, ce philosophe va au sujet connaissant, "dont les structures cognitives sont lues d'abord à même leur dépôt objectif, et non pas dérivées de l'auto-position du sujet s'affirmant en son unité avec soi". "Or, objecte Fichte, comment alors décider, sans pétition de principe, c'est-à-dire sans dogmatisme limitant gravement l'idéalisme critique qu'on a voulu instituer, que ces structures cognitives n'appartiennent pas d'abord à l'objet, mais au sujet? La réalisation plénière du criticisme requiert donc que la nouvelle philosophie se donne pour tâche essentielle, non plus la fondation de l'expérience ou de la conscience de l'objet, mais celle de la conscience du sujet ou du Moi, c'est-à-dire la fondation du Moi lui-même en tant qu'il est précisément pour lui-même."

  Dans la première Doctrine de la science (depuis 1794) "se donnera pour objet immédiat la conscience pure ou la conscience de la conscience, la conscience de soi ou le Moi, et établira que celui-ci n'est possible qu'autant qu'il se fait conscience d'objet ; la position transcendantale de l'objet par le sujet ou l'a priori ne sera plus simplement affirmée dogmatiquement, mais véritablement prouvée, puisqu'elle sera lue dans l'auto-position même du subjectif ou de l'a priori, comme ce que celui-ci exige pour être lui-même, c'est-à-dire pour lui-même, un Moi."

  Dans sa philosophie ultérieure (en 1804 et après), "Fichte approfondira la question de la possibilité du Moi en appréhendant celui-ci - auto-position limitée puisqu'il lui faut, pour se poser, s'opposer l'objet, son Autre - comme une limitation de l'activité infinie de Dieu qui est à son principe. Mais même en se fondant ainsi sur une nouvelle ontologie, celle de l'Être comme Acte infini, la philosophie fichtéenne ne se donnera un contenu déterminé qu'en s'installant au sein de l'extériorisation ou manifestation de cet infini, en lui-même non dicible, sinon formellement, par la philosophie, et, plus précisément, dans son accomplissement comme manifestation se manifestant elle-même, se réfléchissant comme un Moi, bref, qu'en demeurant une égologie, une philosophie du Moi".

   C'est la Moïté fichtéenne que Bernard BOURGEOIS expose ensuite : cette égologie saisit la vie du Moi entre deux auto-positions, une auto-position originaire, d'avant l'individualisation et une auto-position finale (à l'infini), d'après l'individualisation. Le Moi se révèle dans l'action face au Non-Moi. Mais loin d'être extérieur au Moi, le Non-Moi semble exister, dans cette philosophie, à l'intérieur du Moi, au moins dans un vécu. Comme dans un jeu de miroir, Moi et Non-Moi se renvoie l'un à l'autre, et ce n'est pas pour rien que Johann FICHTE emprunte à l'optique la notion de réflexion, cette réflexion intérieure semblant sans fin... Suivons encore Bernard BOURGEOIS : "le déploiement du Moi présente donc une grande césure qui sépare dans lui-même son auto-position absolue, mais comme Moi formel de la Moïté, et sa position, limitée par une négation, de lui-même comme Moi réel dans son opposition à un Non-moi et à un Toi. Le Moi réel, qui dit "moi" et peut parler de lui, par exemple chez le philosophe, en tant même qu'il est d'abord la Moïté, est donc nécessairement le Moi  en lui-même opposé, comme Moi qui se pose en se niant. Un tel Moi, comme Moi, réunit non moins nécessairement ces deux actes opposés dans un acte qui les concile en tant même qu'opposés. Comprendre la possibilité du Moi réel, c'est donc pour le philosophe, comprendre comme est possible une telle synthèse de l'activité du Moi ainsi scindée en elle-même, opposition plus intime, donc plus aiguë, exigeant par là une réunion elle-même plus intime, par conséquent plus profonde, que ce n'était le cas dans la question kantienne de la possibilité de la synthèse de l'activité (rationnelle) et de la passivité (sensible), ainsi que l'on peut désigner la possibilité des jugements synthétiques a priori. La difficulté accrue de la question fichtéenne se traduit dans la longueur et la complexité (qui peuvent donner le tournis à plus d'un lecteur, dirions-nous) de la réponse fournie, comparativement à la brièveté et la simplicité de la solution apporté par Kant à son problème. Mais la substitution, à la fondation de l'unité intérieure au sujet agissant lui-même, a permis à Fichte de proposer du Moi réel fini, une théorie beaucoup plus unifiée, systématisée, en cela plus conforme au voeu architectonique de Kant lui-même, que celle que le kantisme avant élaborée."

      Même si l'on ne pénètre pas complètement le système fichtéen, très compliqué, on perçoit sans difficulté la fortune de l'idée d'un Moi à l'intérieur duquel se déroulent des oppositions. Sans vouloir faire de grands raccourcis, cela nous rappelle les voies empruntée par la psychanalyse pour comprendre les antagonismes intérieurs.

 

        Emile BREHIER nous indique que de toute façon les présentations théoriques que fait Johann FICHTE des articulations entre le moi et le non-moi sont peu importantes : dans le nouvel exposé de la Théorie de la science de 1797, le philosophe s'en passe et considère l'action du moi se posant comme une donnée primitive et immédiate de l'intuition intellectuelle. "C'est moins l'analyse transcendantale sur le modèle de Kant que l'intuition qui doit nous mettre au niveau du principe : la conscience de l'activité du moi, s'arrachant quand il veut à la contemplation des choses extérieures, conduit à cette intuition ; l'intuition du moi est le cas privilégié dans lequel l'être posé par le moi n'est en rien différent de l'action qui le pose."  Comme beaucoup d'auteurs, Emile BREHIER se pose la question de savoir si Johann FICHTE considère que le moi est posé comme un inconditionné ou un absolu, ou seulement comme une condition au-delà de laquelle on ne remonte pas... Il penche pour cette deuxième interprétation en se basant sur la manière dont est introduit le non-moi : "le moi se pose lui-même à l'infini, et de lui comme principe on ne peut aller à lui ; une construction ne deviendra possible que grâce à un principe qui s'oppose au premier, comme dans l'espace infini du géomètre, la construction n'est possible que grâce aux limites (...) (mais en fait) l'acte d'opposer le non-moi au moi est l'objet d'une intuition intellectuelle aussi primitive que l'acte de poser le moi."  

Cela pousse l'historien de la philosophie à décrire "le dessin de la théorie" comme une philosophie théorique où l'on voit le non-moi, dans ses conflits avec le moi, s'enrichir et se déterminer progressivement. Au choix entre le réalisme dogmatique et l'idéalisme, Johann FICHTE substitue, selon Emile BREHIER, un mouvement alterné entre le réalisme et l'idéalisme. Il explique l'élaboration d'une transformation de la théorie de la science (la seconde philosophie) par les ambiguïtés fondamentales : "d'abord le drame de l'opposition du moi et du non-moi reste sans fin, alors que, d'après le premier principe, la souveraineté du moi devrait être complètement restaurée (et ensuite) ce moi pratique libre, toujours militant, jamais triomphant, ne répond pas à l'exigence du système."  il constate avec beaucoup d'autres auteurs une certaine confusion dans la détermination du moi et du non-moi et nous devons sans doute comprendre que la philosophie de Johann FICHTE nous aide surtout à nous interroger sur le moi...

 

Emile BREHIER, Histoire de la philosophie, tome 3, PUF, collection Quadrige, 2000. Bernard BOURGEOIS, article FICHTE dans Le vocabulaire des philosophes, Ellipses, 2002. Alexis PHILONENKO, article FICHTE dans Encyclopedia Universalis, 2002.

 

                                                                                                                                                                  PHILIUS

 

Relu le 17 décembre 2019

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