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14 juillet 2010 3 14 /07 /juillet /2010 17:09

        Même les économistes libéraux, du reste assez absents, hors les cercles universitaires, des débats entre la dernière guerre mondiale et le début de la crise "moderne" des années 1970, doivent compter avec la nouvelle façon de penser l'économie après la grande période des crises et des guerres de 1914 à 1945.

       Car, comme l'écrit Georges DUPEUX, la croissance des trente glorieuses est née des deux guerres.

Plus précisément "parce qu'elles ont été des guerres modernes, c'est-à-dire des guerres de masse en même temps que des guerres techniques, mécanisées, motorisées." "Déjà, la première guerre mondiale, qui s'est faite à la vitesse, encore modeste du camion militaire, avait sollicité l'esprit d'invention des savants et des techniciens ; la seconde (guerre mondiale), au rythme du char et de l'avion, mobilise et la science, et la technique, et l'imagination. Mais, plus encore que le progrès, pas toujours maîtrisé, d'une technique galopante, ce qui compte alors c'est la révélation stupéfiante que la production pouvait se hisser au rythme d'une consommation insensée des ressources économiques du monde entier.

D'où l'idée révolutionnaire, qu'une croissance illimitée n'était pas utopique dans la paix puisqu'elle avait été assurée pendant la guerre. " "Les guerres modernes (...) ont marqué une étape décisive dans le mouvement d'amélioration du niveau de vie des masses populaires." L'avènement de la société de consommation, une sorte de "nouveau capitalisme" étroitement lié dès ses origines à la permissive society, découle directement des conditions économiques de la guerre. Celle-ci a entraîné, là où elle n'avait finalement pas lieu, aux États-Unis, la naissance d'une ère de prospérité sans précédent. "Si les guerres sont apparues, au-delà des immenses destructions qu'elles ont accumulées, comme le puissant moteur de l'amélioration de la condition matérielle des masses, elles ont, d'autre part, poussé à une gestion autoritaire des ressources par la nation ou, plus exactement par l'État. On a vu comment l'intervention de l'État dans l'économie n'avait été ni prévue, ni souhaitée (hors des pays à idéologie marxiste bien entendu, et hors des mouvements socialistes, on s'en doute), mais que les exigences de l'intérêt national avaient peu à peu lancé la machine interventionniste." 

Il n'est apparu (cet interventionnisme) que dans les cas d'urgence, en cas de guerres et en cas de crises. Or ces trente ans enchainent les unes et les autres, l'on ne pouvait sans péril laisser fonctionner le libéralisme. "Comme les guerres, les crises économiques ont accumulé les ruines matérielles. Mais à longue échéance, l'aspect matériel importe moins que l'aspect psychologique. Les crises économiques, en effet, ont déclenché des pulsions affectives de grande portée. Non pas que les guerres n'aient pas, elles aussi, suscité de tels phénomènes : mais les passions, les terreurs, les espoirs, les illusions qu'elles ont fait naître ont été contrôlées par le sentiment patriotique et mis en ordre par l'instinct de survie. Les crises économiques, elles, par le spectacle d'une misère dont les causes apparaissent inexpliquées et les mécanismes incompréhensibles, développent en contrepartie des aspirations confuses, le plus souvent utopiques, mais d'une grande virulence, à un bonheur matériel qui prend communément la forme de la sécurité.

Sécurité de l'emploi, d'abord. Thème qui a marqué si profondément la Grande-Bretagne, patrie du chômage, que la politique qu'elle a adoptée après 1945 apparaît entièrement tournée vers la résolution des problèmes des années trente : la vague du keynésianisme vient, à contretemps, au moment où le danger n'est plus le sous-emploi, mais l'inflation dans la sous-production, handicaper lourdement l'avenir. Sécurité en toutes circonstances, surtout. Aspiration généralisée au monde occidental, sur le modèle d'un système déjà ancien, le système néo-zélandais des premières années du siècle, complété dans son pays d'origine et dès 1938 par un social Security Act. La sécurité totale à laquelle aspirent les masses doit être une sécurité pour tous, et non individuelles, assurée par l'État, et non assumée par chacun. Elle est obtenue par le Welfare State, l'État providence, dont la généralisation aux pays les plus anciennement développés apparait comme le caractère fondamental des années cinquante. Protéger l'homme "du berceau à la tombe" contre tous les risques qu'il peut courir dans sa vie quotidienne, tel est l'idéal qui parait susciter le consensus le plus général de ce temps." (Histoire économique et sociale du monde).

 

         C'est ce consensus général qui commence à se briser dans les années 1960, et de manière franche avec l'apparition (la réapparition) des crises de grande ampleur. La pensée économique libérale ne s'est jamais éteinte et singulièrement, des économistes comme Friedrich HAYECK (1899-1992) contribuent à un renouveau de son interprétation des crises économiques comme des périodes de croissance. Considéré comme l'un des principaux artisans de la reconstruction du libéralisme du XXe siècle, l'économiste autrichien propose toute une théorie, beaucoup plus riche que celle de ses prédécesseurs immédiats, qui se déploie aussi dans les domaines de la psychologie, de la philosophie, de la politique et du droit. 

   Friedrich HAYECK propose deux présentations successives des nouvelles interprétations libérales des fluctuations et crises économiques : une première version (effet accordéon) élaborée avant 1939, et une deuxième version (effet Ricardo) proposée en réaction au raz-de-marée keynésien.

Son analyse part d'une réflexion sur la valeur, et partage la vision marginaliste (JEVONS, WALRAS, MEGER), selon laquelle la valeur d'un bien est une dimension essentiellement subjective, liée à l'utilité procurée au consommateur, en dehors d'un travail accompli dans le passé (contrairement donc à ce pensent les économistes classiques comme chez RICARDO ou MARX). Il ne faut plus considérer que la relation entre l'utilité et la rareté des biens. Sa notion de l'équilibre met l'accent sur l'individu et non pas sur la coordination entre les agents. Jusque là, les économistes se sont préoccupés surtout des différences dans l'espace, alors que l'essentiel réside dans la dimension temporelle. Les prix évoluent dans le temps, ils reflètent les changements dans les conditions de production comme dans les préférences des agents. Si l'on cherche à modifier artificiellement cette configuration des "rapports d'échange pour l'échange intertemporel entre biens de tout genre disponibles à des moments différents du temps", par des politiques monétaires inappropriées, on désorganise les marchés et on crée des déséquilibres (Intertemporal Price Equilibirum and Movement in the value of money, traduction en 1999 d'écrit de 1928). La prise en compte du temps implique celle des anticipations comme de l'incertitude ; du coup, le marché n'est pas un modèle d'équilibre abstrait, c'est un processus relié à un réseau d'information. Ce sont les fluctuations monétaires, reliées à l'élasticité des systèmes modernes de crédit, qui sont responsables des fluctuations et des crises économiques. 

Dans sa première présentation des fluctuations et crises (effet accordéon), Friedrich HAYECK part d'une situation d'équilibre caractérisée par le plein emploi des ressources productives, humaines et physiques, et par une flexibilité parfaite des prix. La répartition entre la production des biens de consommation et celle des biens d'investissement correspond au rapport entre les dépenses de consommation et le niveau de l'épargne déterminé par les préférences intertemporelles des agents. Le taux d'intérêt est un prix réel qui établit l'équilibre entre l'épargne et l'investissement, garantissant de ce fait l'équilibre dans l'économie. Les grandeurs réelles qui la caractérisent sont les mêmes que celles qui existeraient en situation de troc. Mais pour des raisons qui ne sont jamais expliquées clairement par l'économiste autrichien, sinon pat la faiblesse de l'être humain ou encore par l'irresponsabilité des économistes et de ceux qu'ils conseillent, on observe, dans toutes les économies, une tendance à l'expansion du crédit au-delà de ce qui est nécessaire et souhaitable pour assurer le maintien de l'équilibre. Ce biais inflationniste est consubstantiel à toute économie monétaire et surtout à toute économie de crédit. Cette expansion du crédit, inévitable, a pour effet de faire baisser le taux d'intérêt effectif au-dessous du taux d'équilibre. Alors les fausses informations circulent. La baisse du taux d'intérêt rend plus rentables les processus de production plus éloignés de la consommation finale, ce qui constitue "une incitation excessive à l'accroissement de la production pour des dates plus lointaines aux dépens de la production destinée à des dates plus rapprochées" (Ibid). Ceci crée un état de déséquilibre dynamique et tôt ou tard, vient un moment où le mouvement amorcé par l'expansion du crédit s'inverse, provoquant une crise. Ce qui cause la crise, ce n'est pas l'insuffisance de la demande effective, mais au contraire le surinvestisssement qui se transforme en excès de demande de consommation par rapport aux moyens de la satisfaire. Toute tentative pour ensuite guérir la dépression par une expansion du crédit aggrave la dépression, par stimulation artificielle de la demande de consommation. Cette dynamique est inhérente au système économique : "les fluctuations économiques doivent probablement être acceptées comme le complément nécessaire du développement accéléré qu'ont connu les sociétés les plus avancée durant les dernières cent cinquante années" (Monetary policy in the United States after the Recovery from the Crisis of 1920, traduction de 1999, de l'ouvrage de 1925).  (Gilles DOSTALER)

Dans sa deuxième présentation des fluctuations et crises (effet Ricardo), Freidrich HAYECK, devant les critiques très vives, choisit de faire jouer au taux de profit le rôle de ce qu'il appelait précédemment le taux d'intérêt d'équilibre (Profits, Interest and Investment : and Other Essays on the Theory of Industrial Fluctuations, 1939). "Une hausse du prix du produit (ou une baisse des salaires réels) mènera à une utilisation relativement moindre de machinerie et d'autre capital, et à une utilisation relativement plus considérable de travail direct dans la production de toute quantité donnée de biens". L'une des généralités les mieux établies sur les fluctuations industrielles est que, à peu près à mi chemin de la reprise, les prix des biens de consommation commencent à monter, et donc les salaires réels à descendre. Cette baisse de salaires réels a pour résultat de provoquer une substitution du travail au capital. Les profits montent dans les industries plus intensives en main-d'oeuvre et baissent dans les autres. Ces groupes correspondent en partie, respectivement, aux industries de biens de consommation et aux industries de biens d'investissement. La baisse des profits dans les industries de biens d'investissement provoque éventuellement la chute de l'emploi, d'abord dans les secteurs touchés par la baisse initiale des profits, puis dans tous les autres. (Gilles DOSTALER)

  Friedrich HAYECK estime démontrer "qu'une hausse de la demande pour les biens de consommation peut mener à une baisse de la demande pour les biens capitaux", or cela est absolument contraire aux thèse de John Maynard KEYNES. La politique monétaire envisagée, car dans son système l'intervention de l'État n'est pas entièrement négative, doit permettre de laisser les taux d'intérêts s'élever au même niveau que les taux de profit pour que se rétablisse l'équilibre dynamique. Il considère que les économistes qui prônent le contraire, pour stimuler artificiellement à court terme l'emploi par une baisse des taux d'intérêt, sont de véritables desperado de l'économie. Le duel des années 1930 entre partisans de KEYNES et partisans de HAYECK, oublié pendant les trente glorieuses, ressurgit, comme d'une mémoire enfouie (Jacques SAPIR). C'est une véritable croisade qui est menée contre l'interventionnisme de l'État et le Welfare State (dans un même élan de condamnation économique et morale) lorsque la crise éclate dans les années 1970.

 

         Cette croisade va bien au-delà des ressorts de la théorie économique de Friedrich HAYECK, qui estime que l'État doit se porter garant, par son pouvoir fiscal, d'un certain nombre de services collectifs, y compris au niveau de la circulation des bonnes informations en matière économique. Un certain nombre d'économistes, au plus fort de la vague libérale, dénoncent d'ailleurs le passage de la réflexion théorique au jeu de mécano. Où chacun, au poste de conseiller de grandes entreprises qu'il occupe, bricole des explications de conjonctures à partir d'éléments des différents modèles parfois difficilement conciliables de la concurrence, prenant au passage d'arguments médiatiques des bribes des systèmes élaborés par WALRAS, HAYECK, SCHUMPETER, KEYNES...C'est d'ailleurs contre cette tendance laxiste qui fait que l'on ne distingue pas vraiment une ou plusieurs théories libérales des crises économiques aujourd'hui, que s'élèvent des tentatives entre économistes, par ailleurs toujours conseillers de grandes entreprises (poste qui leur fait confondre des notions microéconomiques avec des notions macroéconomiques...), désireux de protéger... leur carrière et le capital théorique tout de même accumulé. Parmi celles-ci figurent le Cercle des économistes français.

 

       Ce cercle des économistes, conscient de faire partie d'une profession déconsidérée, notamment depuis les crises financières des années 1980, tente de faire revivre un véritable débat économique... entre eux. Posant la question, candidement, de savoir pourquoi les économistes se trompent sur les crises et donc sur les véritables fondements de la croissance, Bertrand JACQUILLAT invoque le fait qu'ils ont du mal à imaginer à quel point le respect des règles du marché (financier) peuvent être violées, alors même qu'il fait partie de ces économistes libéraux qui ont prôné longtemps la... dérégulation!  il se repose sur l'autorité d'un Paul SAMUELSON, Prix Nobel d'économie en 1970, pour finalement écrire que les lois économiques triomphent puisqu'il est impossible de prévoir les prix futurs! Nous croyions naïvement que leur travail consistait à... faire des prévisions économiques opérationnelles!  Reconnaissons simplement que le libéralisme s'occupe surtout de l'intérêt des entreprises et des entrepreneurs (même s'ils ne sont pas les seuls à le faire...), que donc leur socle doctrinal reste micro-économique - les termes de l'échange dans un secteur ou dans un autre, avec d'extrêmes difficultés de faire de ces équilibres partiels une théorie de l'équilibre général qui sorte d'un certain simplisme.

Comme leur véritable travail consiste à faire naviguer des entreprises et non pas des économies, il est facile de concevoir leur difficulté de cerner une macro-économie, celle des conditions générales de croissance et de crise. D'une série d'études portant sur les comparaisons entre les crises économiques de 1929 et de 2009, le même auteur met en évidence de "riches contributions" : la nécessité de réintégrer l'histoire économique dans la compréhension du fonctionnement des économies, la recherche d'un inventaire, d'une taxonomie des crises économiques et financières, d'une analyse de leur nature, de leurs similitudes et de leurs différences, à la fois de leurs causes et de leurs effets, l'analyse des erreurs de politique économique qui ont été faites ou qui ont pu être évitées et l'énoncé des prescriptions de politique économique que l'on peut faire aujourd'hui de manière normative à la lumière des crises du passé pour sortir de la crise actuelle. 

 Les crises sont certes, comme le rappelle Françoise BENHAMOU, des moments de repensée des modèles économiques. En tout cas, force est de constater que beaucoup de tenants du libéralisme d'antan lorgnent maintenant vers un régulationisme dont ils recherchent les modalités les moins "préjudiciables" aux intérêts des entreprises. Revenir sur la crise de 1929, c'est aussi revenir sur le débat entre KEYNES et HAYECK, avec le recul de l'expérience du keynésianisme et du libéralisme. 

     Plusieurs paragraphes supplémentaires suivront plus tard pour préciser les éléments d'un tel débat, mais pas seulement. Aussi et surtout pour bien comprendre comment la compréhension de l'école libérale des crises évolue.

 

Les cahiers de le cercle des économistes, 1929-2009, Récession(s)?, Rupture(s)?, Dépression(s)?, sous la direction de Bertrand JACQUILLAT, PUF, novembre 2009. Jacques SAPIR, Les trous noirs de la science économique, Essai sur l'impossibilité de penser le temps et l'argent, Albin Michel, collection Économie, 2003. Gilles DOSLATER, Le libéralisme de Hayek, La Découverte, collection Repères, 2001; Histoire économique et sociale du monde, Tome 5, Guerres et crises, 1914-1947, sous la direction de Georges DUPEUX, Armand Colin, 1977.

 

                                                                                                                                                                          ECONOMIUS

 

Relu le 30 janvier 2020

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