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7 décembre 2011 3 07 /12 /décembre /2011 13:05

               Si de nos jours dans la plupart des pays occidentaux, la santé constitue une des premières préoccupations tant le phénomène majeur est l'allongement de la durée de vie (que nous avons parfois du mal à nous représenter)... l'attitude préventive pour l'entretien du corps n'ont pas été inventés par le monde contemporain. Comme le rappelle Georges VIGARELLO, "innombrables sont les démarches anciennes visant à activer les organes, à les préserver de toute atteinte extérieure". Malgré toute l'infrastructure de santé, tout l'appareil de la médecine et du médicament, survivent les grands repères : "la volonté d'épurement traverse le temps, habitée par la crainte des déchets, ceux qui menacent le corps de quelque inexorable décomposition. Les images de force aussi traversent le temps : celle, toute immédiate, apportée par la nourriture ou les boissons, celle, plus travaillée, apportée par l'exercice, le régime de vie ou la pharmacopée. Force et épurement : deux principes qui, depuis longtemps, commandent l'entretien du corps".

Il demeure dans les esprits une sorte de lien entre la maladie corporelle et l'état psychologique, voire l'état moral de l'individu. Perdure parfois, et cela est plus répandu qu'on ne le pense, des sentiments ou des croyances non élaborées sur le pouvoir d'esprits d'autrui sur son propre corps, en témoigne le succès persistant de la tradition des guérisseurs. Tout est parfois bon pour éloigner la maladie et la perspective, en fin de compte, de la mort. 

 

L'entretien du corps

L'histoire de l'entretien du corps, encore d'après Georges VIGARELLO, est une "histoire dispersée, (...) hétérogène, (...) tant sont différentes les pratiques qu'elle prend en compte, tant sont variées, émiettées, les inquiétudes qu'elle retient. Les préceptes traditionnels sur les moyens de prolonger la vie sont largement sensibles au détail, soulignant quelquefois jusqu'à la minutie mille gestes apparemment sans relations entre eux : choix des aliments, surveillance des odeurs, des airs, des climats, remarques sur les attitudes durant le sommeil, curiosité sur les effets du chaud, du froid, des éternuements ou même des bâillements. Le risque sanitaire a le visage de la dispersion, celle du décousu, sinon de l'incohérence. La représentation du corps, pourtant, offre un thème de convergence, l'occasion d'unifier le sens de ces actes nettement séparés. Déterminante par exemple, est la différence entre le corps des préservations médiévales, totalement dépendant des forces cosmiques, habité par les signes du zodiaque, immergé dans le cycle des planètes ou celui des saisons, et le corps des protections "classiques", soumis aux mécaniques, façonné par les analogies physiques et machiniques, jusqu'à l'artifice. Différent encore, le corps des défenses énergétiques, celui du XIXe siècle, unité organique d'autant plus efficace et protégée qu'elle dispose de ressource calorique pour l'animer et de puissance nerveuse pour le contrôler. Il faut ce principe de rentabilité "combustive", au milieu du XIXe siècle, pour que soient aussitôt réorientées les valeurs données à la nourriture, aux boissons, à l'air respiré, au travail, au repos, à la propreté d'un corps censé laisser pénétrer l'oxygène par la peau. C'est bien de rupture dans le temps qu'il s'agit ici." 

L'histoire de l'entretien du corps est inséparable de celle de l'histoire de l'intimité et de l'histoire de représentation de la personne. Le souci de la santé demeure toujours au quotidien, même en l'absence de signes de maladies.  Le premier salut adressé dans une rencontre n'est-il pas : Comment allez-vous? C'est dire que la santé, sans parler de la relation biologique du corps à son environnement immédiat, sans parler des multiples combats silencieux microscopiques, qui se livrent à chaque seconde dans toutes les parties du corps, s'insère dans les, dans des conflits extrêmement variés, jusqu'à la présence lancinante de l'injustice de l'inégalité devant la mort, jusqu'à la présence de corps médicaux non accessibles à tous. Toute une kyrielle d'éléments sont constamment en jeu, tant la définition de la maladie elle-même est multiforme et pas forcément la même pour tous. Ce sentiment peut être exacerbé dans un monde individualiste et prude où le regard de l'autre peut être considéré, dans certaines circonstances, comme une violence. Ces regards, patents pour les maladies mentales, suivez les jugements moraux qui les entourent, ... gardent parfois une virulence pour les malades physiques, où pend un sentiment diffus de responsabilité du malade quant à son état, ce sentiment étant bien entendu plus virulent encore pour les maladies liées à la sexualité, de façon réelle ou imaginaire. 

 

La sociologie de la santé

          La sociologie de la santé est pourtant une discipline relativement récente, en tant que corpus bien délimité. Là comme ailleurs, les pratiques ont précédé longtemps les théories. Pendant longtemps d'ailleurs, l'évocation de la maladie - souvent par des malades - est restée dans le domaine littéraire. Plusieurs aspects peuvent être sériés dans une étude des conflits touchant la santé :

- Un domaine au confluent de la psychologie et de la sociologie concerne les différentes formes de violence liées à la santé, sous l'angle du vécu de la personne,par rapport à son corps malade et sur le rapport direct avec ceux qui se chargent de la maladie, à commencer les médecins.

- Les premières études sociologiques proviennent du milieu hospitalier et plus précisément du milieu hospitalier des "aliénés mentaux", psychiatrique. Ces études sont fortement liées (par l'apport de Michel FOUCAULT notamment) à l'étude de l'histoire de l'enfermement, des hôtels-Dieu, aux hospices, puis aux hôpitaux.

Cette sociologie de la santé s'élabore depuis les années 1950 aux États-Unis d'abord, en Europe plus tard. Danièle CARRICABURU et Marie MÉNORET retracent l'évolution de cette sociologie, depuis sa fondation en suivant d'abord la sociologie de la médecine (plus que de la santé) : "C'est (...) cette sociologie-là plus qu'une autre qui a produit ces courants, écoles, traditions ou chapelles, que sont le fonctionnalisme, l'interactionnisme, l'ethnométhodologie, ou encore le constructivisme. Subséquemment, on ne trouvera guère de tradition sociologique hexagonale (dans leur ouvrage). On peut sans doute émettre de nombreuses hypothèses pour tenter d'expliquer pourquoi la sociologie française s'est si peu intéressée à la maladie avant les années 1980, mais il en est une qui s'impose si l'on pense en termes de patrimoine intellectuel ou de reproduction académique. L'héritage durkheimien a sans doute une part de responsabilité non négligeable dans cet état de fait. Considérer que la maladie relève de la contingence ou de l'accident (DURKHEIM, 1937, Les règles de la méthodologie scientifique) revient à adhérer à une apparente évidence biologique et à souscrire à une lecture nosographique médico-centrée. On se prive ainsi d'une analyse sociologique qui construit un objet d'étude capital en s'affranchissant précisément des définitions professionnelles. Les efforts de plusieurs générations de sociologie français pour établir leur discipline comme une science ont privé leurs étudiants, jusque dans les années 1980, de connaissances sociologiques substantielles et abandonné la maladie et la santé à une lecture le plus souvent individualisante, quand ce n'était psychologisante, sans se risquer à discuter un modèle médical hégémonique. Alors que les sociologues anglo-saxons se sont intéressés à la médecine dès les années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, il faut attendre juillet 1976 pour que le premier colloque de Sociologie médicale soit organisé à Paris par le CNRS et l'INSERM, marquant ainsi l'amorce d'une institutionnalisation de cette spécialité. Un glissement va dès lors s'opérer progressivement entre sociologie médicale et sociologie de la santé. Ce passage, amorcé dans les années quatre-vingt, s'achève à la fin des années quatre-vingt-dix comme en rendent compte les intitulés des enseignements universitaires (...)"

Aux États-Unis, un nombre croissant de sociologues s'établit donc dans des établissements médicaux afin d'observer ces institutions et les relations entre fournisseurs de soins et patients. Ce qui ne va sans conflits entre ces sociologues et les médecins, et avec les autres sociologues. Ces derniers estiment que cette spécialité émergente manque de perspective théorique. On peut distinguer avec Robert STRAUS (1957, The nature and status of medical sociology, dans American Sociological Rewiew, n°22) deux formes de production sociologique selon la position institutionnelle des sociologues :

 - une Sociology of Medicine, produite par des chercheurs qui n'appartiennent pas à l'institution médicale et qui s'inspirent de problématiques globales issues de la sociologie, considérant la médecine comme un objet parmi d'autres ;

 - une Sociology in Medicine, produite par des sociologues en poste au sein des Écoles de médecine, aux préoccupations proches de celles de professionnels.

De l'intérieur de la sociologie en général vient ensuite l'appui à ce segment naissant : Talcott PARSONS (1902-1979) sur les rôles de médecin et de malade, Robert MERTON (né en 1944) et Everett HUGHES (1897-1983) ou encore Howard BECKER (né en 1928) sur la formation médicale. Les contributions essentielles traitent de l'institution hospitalière, de la médecine en tant que profession, du rôle du malade et de l'expérience de la maladie, de la construction sociale de la maladie et de la connaissance médicale, de l'épidémiologie sociale et des services de soins en tant qu'organisations sociales. Dans chacun de ces axes, des sociologues examinent les effets de tout ce système de soins, en termes de pouvoir, d'autorité, de normes, d'inégalité sociale et de distributions des ressources.

 - La médicalisation croissance des sociétés occidentales conduit de plus en plus de questions sociales à être définies, en outre, ou redéfinies, en termes médicaux.

 - La sociologie de la santé est en relation, dans certaines approches interdisciplinaires avec la sociologie du corps, ensemble évidemment très vaste. 

 - Les conflits en milieux hospitaliers ou dans la médecine dite libérale font l'objet de plus en plus d'études à cause d'une recomposition du monde de la santé, notamment en liaison avec la situation économique. 

- En relation avec la sociologie du corps et à cause entre autres de la progression des maladies chroniques dans les sociétés occidentales (mais déjà la question se posait auparavant lors de la pastorisation du monde médical qui s'impose de manière encore plus drastique et soudaine parfois dans les campagnes que dans les villes...), se pose de plus en plus la question de la connaissance médicale chez les patients et des relations de pouvoir entre les patients suivis et le système de santé en général. Cela rejoint l'étude déjà bien avancée du processus d'hygiénisme qui suit la société dans son ensemble durant le XIXe siècle. Cette question du pouvoir médical se pose également lors des pratiques eugénistes du même siècle et au XXe siècle... Il se pose dans des termes à la fois collectifs et individuels (relation avec le médecin....).

- Nombre de conflits proviennent de la sur-médicalisation même de la médecine, avec l'invasion des médicaments. Des aspects économiques et médicaux semblent être en opposition entre eux.

- Enfin, le vif conflit entre médecines traditionnelles et médecines modernes, sous la colonisation et après s'insère dans une vision ethnologique, une ethnosociologie générale qui étudie les bouleversements introduits dans les sociétés gouvernées par la tradition (en Afrique comme en Amérique Latine ou en Asie) des techniques et des visions occidentales, ceci dans un contexte... de circulation accrue des agents pathogènes issue du contact entre aires culturelles qui s'ignoraient auparavant. 

 

     Une autre perception de l'évolution de la sociologie de santé est proposée par Marc RENAUD, moins dans la "neutralité universitaire" que celle de Danièle CARRICABURU et Marc MÉNORET et qui est centrée sur la situation nord-américaine. Le sociologue de l'Université de Montréal écrit (en 1985) notamment qu'"alors que (les recherches sur la maladie et sur le malade) étaient centrées, depuis le début des années 50, sur le thème de la maladie comme conduite, depuis dix ans, une autre façon de voir est apparue, parfois en s'opposant à la première, pour mettre l'accent sur le malade comme produit social."

       Indiquant que "l'analyse de la maladie comme conduite sociale occupe environ le tiers de la production sociologique dans le domaine de la santé alors que la seconde perspective en regroupe un peu moins du quart" (l'ensemble des études est encore centrée sur le milieu hospitalier...), Marc RENAUD traite des principales questions qui y sont abordées : 

- La maladie comme conduite sociale : "C'est en 1951 que Talcott PARSONS, sociologue aujourd'hui fort contesté pour le conservatisme de ses thèses, publia un texte qui donna le coup d'envoi à la réflexion sociologique sur la maladie. Avant lui, on ne faisant guère plus que des corrélations entre des variables sociales et des variables biologiques, en se basant uniquement sur ce que les médecins en disaient et sans tenir compte de ce qui est au fond une évidence : quelqu'un est perçu comme malade uniquement quand il se dit malade ou se comporte à la façon d'une malade (selon les normes sociales). Un des défis lancés à la sociologie était donc de comprendre les raisons de ce hiatus potentiel entre l'"être" et le "faire", entre l'expérience de la maladie et la conduite de malade. Pourquoi certains groupes se comportent-ils différemment devant les mêmes symptômes? Pourquoi certains individus se déclarent-ils malades et d'autres pas? Pourquoi l'un consulte et non pas l'autre? Comment les gens s'y prennent-ils, et avec l'aide de qui, pour choisir (ou pour refuser de voir) un thérapeute? Comment réagissent-ils à ses ordres? etc." Le concept-clé est le "rôle de malade".

Un ensemble d'attentes et de normes socio-culturelles se sont développés afin de prévenir les séquences potentiellement désintégratrices de la maladie pour un groupe ou pour la société. "Le "rôle de malade" rend légitimes les déviations causées par la maladie et conduit le malade à la réintégration sociale grâce à la relation patient-médecin. Ce rôle comporte des droits : aucune responsabilité personnelle dans la maladie, exemption des responsabilités quotidiennes normales ; et des devoirs : obligation d'essayer de se rétablir, obligation de consulter l'aide technique compétente et de s'y soumettre. L'existence d'un tel "rôle de malade" permet donc à une forme de déviance sociale de se manifester. Alors même que la maladie est socialement explosive parce qu'elle est une des seules formes de déviance légitime, le 'rôle de malade" permet à la société de le contrôler et d'en limiter l'impact grâce à la supervision médicale" "Ces études soulèvent une question normative tout à fait fondamentale : qui, dans quelles circonstances, va se voir attribuer le "rôle de malade", et, ainsi, se voit-il légitimé dans son comportement déviant et confié au contrôle de la profession médicale? Doit-on emprisonner, rééduquer ou traiter psychiatriquement les gens qui battent leurs enfants? Qui doit s'occuper de ceux qui s'injectent des substances hallucinogènes dans les veines? Les médecins? Les avocats? Les travailleurs sociaux? Que doit-on faire des gens qui boivent de l'alcool ou fument au point de s'en raccourcir leurs jours? Les laisser tranquilles? Les déclarer malades et, dès lors, les forcer à se traiter et les exempter temporairement de leurs obligations? (...) Toutes ces questions posent le problème du contrôle social exercé sur le malade par la société à travers l'appareil médico-social."

- Le malade comme produit social : "Au tournant des années 70, une nouvelle façon de voir la maladie et le malade apparaît, ouvrant ainsi de nouvelles pistes de recherche et de réflexion. Sous l'impulsion des mouvements sociaux (féministes et groupes populaires), des travaux d'Eliot FREIDSON sur l'étiquetage social et la profession médicale, de Michel FOUCAULT (1926-1984), Erving GOFFMAN (1922-1982), Ronald Daniel LAING (1927-1989) et Thomas SZASZ (né en 1920) sur la psychiatrie et sous l'influence des écrits de René DUBOS sur la nécessité de réintroduire en médecine une pensée plus écologique, on assiste à une remise en question de certains des postulats sur lesquels s'était édifié le paradigme précédent.

Dans toutes les recherches sur le "rôle de malade" et les concepts connexes, on accepte d'entrée de jeu la façon dont la médecine définit et prend en charge la maladie et son traitement. La médecine est le seul recours possible en cas de maladie et son approche est scientifiquement et éthiquement indiscutable. Non seulement elle est un mécanisme de contrôle social, mais elle se doit de l'être. Ce qui est donc problématique pour ce paradigme, c'est la conduite d'une personne quand elle expérimente des symptômes morbides et non pas les mécanismes mis en place pour s'occuper de la maladie et du malade. C'est ce à quoi vont s'opposer (ces) travaux (...). La problématique centrale de cette nouvelle façon de voir les choses, ce n'est pas tant la conduite de malade mais plutôt le malade et la maladie comme produits sociaux. Alors que le paradigme précédent prend pour acquis que la médecine et le corps médical ne font que refléter les valeurs sociales fondamentales, on s'interroge ici sur les stratégies par lesquelles la médecine s'est acquis le monopole de définir la maladie et son traitement et de créer socialement le malade, avec les conséquences stigmatisantes que cela peut entraîner pour l'individu. (...) La médecine produit des schèmes de pensée par lesquels nous évaluons ce qu'est la santé et la maladie. Certains ont essayé de comprendre pourquoi la médecine a obtenu un tel monopole (...) ; d'autres ont tenté d'analyser l'impact social de ce monopole dans (leurs) recherches (...)".

      Voilà autant d'axes de conflits qui ne sont pas tous explorés avec la même assiduité. Si les pratiques hospitalières sont l'objet d'une littérature scientifique vaste, la question du pouvoir médical reste marquée par des aspects politiques et se situe au noeud de nombre de relations sociales, et donc fait l'objet de beaucoup moins d'études. 

 

Sous la direction de Joëlle VAILLY, Janina KEHR et Jörg NIEWÖHNER, De la vie biologique à la vie sociale, Approches sociologiques et anthropologiques, La Découverte, 2011. Georges VIGARELLO, Histoire des pratiques de santé, Seuil, 1999. Danièle CARRICABURU et Marie MÉNORET, Sociologie de la santé, Institutions, professions et maladies, Armand Colin, 2010. Marc RENAUD, article De la sociologie médicale à la sociologie de la santé ; trente ans de recherche sur le malade et la maladie, dans le Traité d'anthropologie médicale. L'institution de la santé et de la maladie, sous la direction de Jacques DUFRESNE, Fernand DUMONT et Yves MARTIN, Presses de l'Université du Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, Presses de l'Université de Lyon, 1985.

 

SOCIUS

 

Relu le 17 septembre 2020

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