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23 juin 2016 4 23 /06 /juin /2016 11:19

      Pour Ludwig FEUERBACH, à son époque, il s'agit de rompre avec la philosophie spéculative de la religion qui reste prisonnière (comme l'ensemble de la philosophie selon lui) de présupposés religieux, donc d'en sortir pour appréhender la religion de l'extérieur, d'une manière "objective", de façon à en extraire les vérités qu'elle contient et qui sont à sa source, à la manière dont procède la "chimie analytique" (L'essence du christianisme). 

Cette présentation d'Yvon QUINIOU de l'oeuvre du philosophe allemand, le situe dans un moment de la philosophie, par rapport à la religion, où il ne s'agit plus seulement de critiquer la religion et surtout les institutions religieuses, mais d'expliquer ce qu'elle est réellement. il se livre, à partir des textes mêmes (mais surtout de leur lecture par LUTHER) à un travail d'interprétation, de restitution fidèle du sens, afin d'élucider "l'énigme de la religion chrétienne". Il s'inscrit dans une tradition rationaliste antérieure (SPINOZA entre autres), mais se veut à la fois critique et explicatif, pour déboucher sur une vision nouvelle de la religion. Son approche refuse de voir dans la théologie, comme le fait la philosophie spéculative a-critique et imprégnée de religiosité (comme celle d'HEGEL), la noblesse d'une ontologie, et l'appréhende plutôt comme une "pathologie psychique", voire "physiologique". Cette approche débouche alors sur un horizon pratique d'émancipation, avec un objectif franchement "thérapeutique". 

Même si FEUERBACH utilise peu le terme, d'ascendance hégélienne, il s'agit bien d'une théorie de l'aliénation qui est exposée dans son ouvrage L'essence du christianisme. Il se livre à une explication anthropologique de la religion où l'aliénation peut se distinguer en plusieurs moments:

- L'idée de base est que, et MARX la reprend par la suite en l'enrichissant d'une dimension sociopolitique que FEUERBACH rejette d'emblée dans L'essence du christianisme, ce n'est pas la religion qui fait l'homme mais l'homme qui fait la religion. Il n'y a pas de différence entre les prédicats de l'être divin et les prédicats de l'être humain.

C'est un point qui n'a pas cessé de nous intriguer : pourquoi a-t-on si régulièrement affaire dans les religions monothéistes à un Dieu, qui, en fait, malgré ses colères dévastatrices, est bon pour le genre humain. Cela est si fort que même les figures sataniques se disent vouloir eux aussi faire le bien de l'homme, même si c'est pour en faire un être imbu de lui-même et ivre de puissance. Pourquoi diantre un Créateur se soucierait-il d'un créature si imparfaite, à tel enseigne de la recréer plusieurs fois (Bible)? Sauf à penser qu'il lui est utile dans une Alliance (auquel cas il faut réinterpréter fortement les textes sacrés), chose qui n'est pas pourtant étrangère dans l'Antiquité (même si les termes d'une telle alliance restent incompréhensibles) dans les interrelations entre dieux, héros et créatures diverses, ce qui du reste met à mal l'idée d'un Dieu omnipotent (ce que les Anciens n'avaient jamais imaginer...), il faut bien en déduire que la compréhension humaine de la divinité est tellement anthropomorphique que FEUERBACH peut y déceler des caractères strictement humains. Sans compter des traits (relevés d'ailleurs par beaucoup dans l'Histoire) strictement humains comme la colère, l'impatience et... la fatigue! 

- La religion est le rêve de l'esprit humain, un rêve éveillé. L'homme projette ce qu'il est dans la religion, élément nécessaire dans l'activité humaine dans les circonstances primitives de son existence, forme première, spontanée et infantile de sa conscience de soi.

- Cette conscience de soi est indirecte, dans la méconnaissance la plus totale de ce qui se passe en elle (c'est d'ailleurs une condition de son efficacité), donc dans l'illusion ou l'auto-mystification. "C'est bien pourquoi, écrit Yvon QUINIOU, on peut parler ici, mais ici seulement, d'aliénation : il s'agit non seulement d'une extériorisation normale de l'homme, mais, du point de vue de la conscience que l'homme a de lui-même, d'un "devenir-étranger" ou d'un "devenir-autre" de son essence, donc d'un reflet inversé et aliéné de celle-ci." De l'analyse de FEUERBACH de cette essence, il écrit encore que "car ce dont Dieu est d'abord le reflet mystifié, c'est de l'infinité du genre humain, il incarne la conscience qu'a l'homme, au-delà de son individualité qui est finie, de son appartenance au genre humain comme tel, avec son infinité propre, au moins potentielle - conscience réflexive du genre que l'animal n'a pas - il est "l'intériorité manifeste, le soi exprimé de l'homme". Ainsi toutes les caractéristiques du Dieu chrétien peuvent être comprises comme celles de l'homme. Car, celles-ci sont en quelque sortes déjà "divines" en elles-mêmes pour l'homme et chez l'homme ; elles sont simplement déplacées sur Dieu : ce que l'homme adore alors en Dieu, c'est lui-même, sa propre divinité ou celle à laquelle il aspire, mais réifiée hors de lui sans qu'il le sache, donc à travers un intermédiaire apparemment étranger.

- Mais, et là se précise la notion d'aliénation, ces perfections ne sont pas toutes présentes ou pas présentes à ce degré chez l'homme individuel : l'homme, dans la religion, ne se contente pas de refléter objectivement et passivement ce qu'il est sous une forme mystifiée, il traduit tout autant des aspirations à être plus ou mieux que ce qu'il est. L'idée de Dieu réalise ainsi idéalement la différence entre ce qu'il est et ce qu'il aimerait être. Dieu constitue alors une compensation. C'est grâce à Lui qu'il croit pouvoir réaliser effectivement ces aspirations. Du coup, la projection entière l'empêche de réaliser lui-même ces aspirations. Confiant à Dieu le dessin de les réaliser, l'homme se dispense de le faire lui-même. On assiste à une inversion de ce que devraient être les rapports réels de l'homme, y compris dans ses qualités les plus essentielles, avec les autres hommes : il se sacrifie à Dieu au lieu de se sacrifier à l'homme. Cette illusion est éminemment corruptrice. Ces aspirations étant reportées sur Dieu font de l'homme une représentation négative, placé dès lors dans un processus de dévalorisation continu et indéfini.

- La solution apparait d'emblée de détruire cette illusion religion et d'inverser l'inversion. FEUERBACH écrit qu'il faut simplement revenir à l'homme. Il s'agit d'un humanisme pratique absolu qui replace les choses à l'endroit et non dans le fantasme.

 Pour ce faire, FEUERBACH précise sa double définition de l'homme : sujet en rapport avec des objets qui l'affectent et dont il dépend (être objectif, lié à la nature matérielle) et sujet également en rapport avec d'autres sujets (être relationnel ou intersubjectif). Pour que l'homme devienne un sujet (et non reste fantasmatiquement un objet entre les mains d'un Dieu) à part entière, et recouvre ces valeurs qu'il projette à travers la religion, il doit s'émanciper de cette représentation de lui-même. L'homme doit devenir un "homme complet" en se réappropriant ses relations objectives et charnelles, mais aussi intellectuelles comme il doit en même temps se réapproprier ses relations intersubjectives, en particulier l'amour sexuel, dont l'amour de Dieu voulait le priver, au moins pour une part, et dont les religions historiques l'ont effectivement, sous différentes formes plus ou moins dures, spolié.

  Yvon QUINIOU note ce qu'il appelle un "rebond, curieux mais réel", qui se comprend toutefois dans l'atmosphère intellectuelle de l'époque : il existe une différence entre L'essence du christianisme où FEUERBACH prétend se situer hors politique (mais pas hors de la morale) et Nécessité d'une réforme de la philosophie de 1842, où il réhabilite complètement la politique de l'existence comme telle, et dans le cadre général qui veut que l'homme soit un être de besoin, de déclarer que "dans l'humanité le besoin pratique est le besoin politique, le besoin de participer activement aux affaires de l'Etat" (Manifestes politiques). "On le voit aussi critiquer, continue notre auteur, le catholicisme politique avec sa vision de la société et se réclamer de la république, cette république que la religion imagine dans le ciel pour mieux conforter l'esclavage sur terre (...)". Il réclame, à l'inverse de STIRNER qui enferme l'homme dans son égoïsme monadique et solitaire, indifférent à l'autre, l'actualisation politique de cette essence de l'homme. "D'où la revendication d'une politique de l'amour, qui s'incarne dans le communisme : être un individu "cela veut sans doute ditre être "égoïste", mais cela veut aussi dire en même temps et sans le vouloir être communiste". Dans sa réponse à STIRNER, FEUERBACH écrit que l'homme est communiste.

      Pour ceux que l'usage du mot communiste étonne, il faut les faire revenir à de nombreux textes qui, autour de 1850, traite du communisme. Karl MARX, à l'époque, loin de là, n'en avait pas le monopole... 

Si Karl MARX critique le philosophe allemand dans ses Thèses sur Feuerbach, c'est parce qu'il estime que dans ses écrits se trouvent une vraie limite qui empêche de sauter le vrai pas vers l'émancipation. Cette limite tient au fondement même de son explication de la religion, à savoir l'Homme (avec une majuscule).

MARX critique l'humanisme de FEUERBACH, "car malgré son apparence concrète, explique encore Yvon QUINIOU, ce n'est là qu'une abstraction (au mauvais sens du terme), pour deux raisons. D'abord, on peut considérer que l'Homme en général n'existe pas, et qu'il n'existe que des hommes ; mais surtout, par ce que cet Homme dont il part et qui parait constituer une donnée naturelle et universelle, n'est pas un vrai point de départ originaire, qui se comprendrait par lui-même et expliquerait le reste : il constitue un produit de l'histoire qu'il faut expliquer par celle-ci, ce qui revient à déplacer d'un cran l'explication de la religion elle-même. Produite par un "Homme" (= des hommes) qui est un produit historique, elle devient elle-même, par ce simple fait, un produit historique en même temps que social, puisque les hommes vivent en société."

L'auteur, actif dans la mouvance marxiste, émet cette critique qui est celle d'ailleurs de nombreux auteurs après FEUERBACH. "Cette limite, de nature théorique et qui affaiblit considérablement l'anthropologie de Feuerbach, influe négativement sur la politique émancipatrice qu'il en tire. La source de l'aliénation religieuse n'étant pas endogène, mais exogène par rapport à la conscience humaine, ce n'est pas elle qui s'aliène d'une manière quasi-spontanée (sans qu'on sache trop pourquoi) dans la religion. Si on veut la comprendre dans le détail, avec ses variations de contenu, historiques et sociales, il faut sortir du champ de la conscience et aborder un tout autre terrain, celui de l'histoire et de la société. Dans ce cadre, alors que chez Feuerbach la religion apparait comme une possibilité anthropologique constante, inhérente à l'homme, l'hypothèse de sa pleine historicité et donc de sa disparition possible dans l'avenir peut être parfaitement conçue. La perspective pratique de l'émancipation en sort inévitablement bouleversée et celle de Feuerbach en apparait, par contraste, très fragilisée. Car si la religion est une réalité historique, c'est le cas évidemment  de l'aliénation religieuse qui doit être comprise non comme un processus immanent à la conscience humaine en général et la menaçant en permanence, mais comme un effet de l'histoire et, plus rigoureusement encore, comme un effet d'une aliénation sociohistorique déterminée, aux multiples causes empiriques, qui la précède et l'engendre. Du coup ni l'appel à une auto-connaissance de la conscience religieuse, ni une politique appelant à l'amour, y compris un amour débordant la sphère des seuls rapports intersubjectifs, ne paraissent suffisants pour combattre l'aliénation religieuse : il faut connaitre cette histoire dans sa dimension concrète d'aliénation et tâcher de supprimer cette dernière par une politique adéquate à son objet. C'est dire qu'il faut faire intervenir Marx sur la scène théorico-pratique de la lutte contre la religion pour envisager d'une manière crédible sa disparition, indispensable à l'épanouissement humain." Pour appuyer cette façon de voir, il faut relire FEUERBACH lui-même qui aboutit à la constitution, vu sa vision de la nature humaine, d'une religion "humaniste", "laïque", chose qui a été tentée historiquement sous la Révolution française et dont on a vu les résultats peu probants. 

 

Yvon QUINIOU, Critique de la religion, La ville brûle, 2014

 

PHILIUS

 

Relu le 2 juin 2022

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18 juin 2016 6 18 /06 /juin /2016 15:18

      Plus connue par les critiques adressées par Karl MARX que lue, cette oeuvre de Ludwig Andreas FEUERBACH (1804-1872), chef de file après Bruno BAUER du courant matérialiste hégélien de gauche (STIRNER, MARX, ENGELS, BAKOUNINE...), publié en 1841, marque un jalon important dans l'élaboration d'une anthropologie qui voit le jour au XIXe siècle dans le sillage de l'oeuvre d'HEGEL.

     Dans son ouvrage, le philosophe allemand, d'abord disciple de HEGEL, cherche à comprendre le sens du phénomène religieux. Il le fait en élaborant un humanisme fondé sur la réappropriation de ce que l'homme avait imaginairement projeté en Dieu. La philosophie, notamment celle de HEGEL, apparait être une théologie déguisée.

Pour le professeur d'université (privat docent), d'ailleurs privé en 1832 de sa chaire pour ses publications "anti-religieuses", l'absolu n'est rien d'autre que l'homme, et ce dernier ne pourra trouver son salut que s'il consent à faire de lui-même l'idéal qu'il cherche. (Francis WYBRANDS)

 

La réception française de l'oeuvre

   Malgré son importance théorique à l'intérieur des Jeunes hégéliens et au-delà de ce cercle, dans le public intellectuel allemand, il n'est traduit en France qu'en 1864 (Librairie internationale) par le même traducteur que pour Le Capital plus tard, Joseph ROY. il ne suscite guère au départ de travaux français. La publication du texte proprement dit de L'essence du christianisme est accompagnée d'un Appendice, qui malgré sa longueur, permet de mieux comprendre les arguments de l'auteur. Plus tard, cette traduction tient compte des remarques de Louis ALTHUSSER, faites dans son Avant-propos aux Manifestes philosophiques de FEUERBACH, publiés par ses soins en 1960. Il comporte deux préfaces de l'auteur, l'une datant de 1841, l'autre de 1843 (deuxième édition).

L'ouvrage comprend ensuite, après les préfaces, une Introduction, suivie des deux grands chapitres. L'introduction elle-même comporte deux parties : L'essence de l'homme en général et L'essence de la religion en général.

I - L'essence authentique, c'est-à-dire anthropologique de la religion, de 17 parties :

1 - Dieu comme être (Wesen), de l'entendement.

2 - Dieu comme être moral ou comme loi.

3 - Le mystère de l'incarnation ou Dieu comme être du coeur (Herzensween).

4 - Le mystère du Dieu souffrant.

5 - Le mystère de la Trinité et de la mère de Dieu.

6 - Le mystère du Logos et de l'image divine.

7 - Le mystère du principe créateur du monde en Dieu.

8 - Le mystère du mysticisme ou le mystère de la nature en Dieu.

9 - Le mystère de la providence et la création ex nihilo.

10 - La signification de la création dans le judaïsme.

11 - La toute-puissance du sentiment (Gemüt) ou le mystère de la prière.

12 - Le mystère de la foi, le mystère du miracle.

13 - Le mystère de la résurrection et de la naissance surnaturelle.

14 - Le mystère du Christ chrétien ou du Dieu personnel.

15 - La distinction entre christianisme et paganisme.

16 - La signification chrétienne du célibat volontaire et du monachisme.

17 - Le ciel chrétien ou l'immortalité personnelle.

II - L'essence inauthentique, c'est-à-dire théologique de la religion, de 9 parties :

1 - Le point de vue essentiel de la relaigion.

2 - La contradiction dans l'existence de Dieu.

3 - La contradiction dans la réflexion divine.

4 - La contradiction dans l'essence de Dieu en général.

5 - La contradiction dans la doctrine spéculative de Dieu.

6 - La contradiction dans la Trinité.

7 - La contradiction dans les sacrements.

8 - La contradiction de la foi et de l'amour.

9 - Application finale.

 

Une postérité multiple

    L'oeuvre de FEUERBACH, et parmi ses livres, L'essence du christianisme, est pour Jean-Pierre OSIER, "la racine (ou le tronc) d'un arbre généalogique aux branches si multiples qu'il n'est presque personne, philosophe du moins, qui ne soit plus ou moins son descendant : Marx bien sûr, Nietzsche certes, mais aussi les théologiens "modernes" (Barth, Bultman), sans parler de certains marxistes. Ces filiations directes font de Feuerbach un lien central de notre conscience philosophique, bonne ou mauvaise, voire de notre inconscience.". Tous pensent dans un monde où il a laissé sa trace. Le titre ne doit pas faire illusion. Loin de se cantonner au christianisme, l'auteur se livre à une critique féroce de toute religion.

C'est notamment à partir de la lecture de SPINOZA du livre religieux qu'il élabore son investigation. Le philosophe du Traité philosophico-politique indique que le livre religieux n'est pas un livre "ouvert", bien qu'il apparaisse et est souvent défendu comme tel. Pour lire le livre religieux, pour en comprendre le sens, il faut d'abord se déplacer par rapport aux données soit disant immédiates de son contenu. Ce déplacement n'est pas la remontée analogique de la lettre à l'esprit, ce que font en fait bien des théologiens modernes. Il s'agit d'un changement de terrain. La recherche de la rationalité d'une religion, car elle n'est pas pour lui absurde, même sa phraséologie fait souvent référence à un monde fabuleux, est introuvable dans la religion elle-même. Cette rationalité se trouve au niveau de l'entendement, dans l'explication du délire circulaire de la finalité, qui s'empare de tous les hommes, lorsqu'ils ne vivent pas sous la conduite de la raison. Or, comme la conduite rationnelle n'est pas universelle, ni même universalisable (il y aura toujours des croyants même si Dieu change de peau), il faut donc, et c'est la cause de la religion, un discours impératif alliant châtiments et récompense, qui s'adresse à l'imagination des hommes, de manière à ce qu'ils vivent malgré eux dans cet "ersatz" de rationalité qu'est la religion, gardienne de la sécurité politique. 

L'Essence du christianisme repose justement sur le refus de la méthode spinoziste, dans la mesure où elle dénie absolument toute valeur scientifique à la reprise du sens religieux au niveau de la religion. Contrairement d'ailleurs à ses précédents ouvrages où FEUERBACH acceptait cette méthode, il revient d'abord sur le phénomène du miracle. Pour SPINOZA, ce serait un phénomène rapporté imaginairement à la volonté de Dieu, ce qui traduirait non point une exception aux lois éternelles de la Nature, hiatus au reste impensable, mais une fiction adaptée à la fruste imagination de noceurs aussi assoiffés de vin que de merveilleux, la démonstration étant centrée sur la transformation de l'eau en vin lors des noces de Cana. Après s'être contenté en 1838 de démontrer par l'absurde l'impossibilité d'un tel "phénomène", en invoquant la bonne vieille raison sensualiste, FEUERBACH estime dans ce livre que le miracle doit être interprétable dans sa littéralité immédiate, car c'est dans le texte lui-même que réside son explication. Pour bien interpréter la nature du miracle, il faut partir du sens que les mots cachent. Il faut remonter le cours anhistorique de l'occultation du sens par les mots et mettre ainsi en évidence le sens anthropologique de la parole divine. Le religieux ne relève plus d'une constitution théorique extrinsèque, il devient le prologue indispensable de toute "théorie" qui se veut quête du sens originaire enfoui sous les sédiments déposés par la tradition.

 

L'opposition entre le Traité théologico-politique et l'Essence du christianisme

Pour Jean-Pierre OSIER, la philosophie moderne "est traversée par l'opposition entre le Traité Théologico-politique (de SPINOZA) et l'Essence du christianisme (de FEUERBACH). C'est pourquoi nous sommes tous les héritiers ou de Spinoza ou de Feuerbach : selon que nous nous laissons aller aux mirages prestigieux de l'herméneutique ; ou que nous lui préférons la rigueur austère du procès théorique, qui permet de monter de l'abstrait au concret, c'est-à-dire de traiter le donné immédiat, non comme symbolique, mais comme effet d'un procès, dont il faut produire conceptuellement les prémisses pour s'approprier ce "donné" qui devient ainsi un montage, c'est-à-dire un fait scientifique."

FEUERBACH présuppose que toute philosophie a un point de départ pré-philosophique, parce que réfléchi par elle philosophiquement, c'est-à-dire dans les termes qui lui sont propres. D'abord la religion, puis la philosophie qui s'en détache de plus en plus en revisitant dans une logique stricte tous les termes de la religion. Il ne s'agit pas de lire entre les lignes, mais de lire les lignes telles qu'elles sont. Loin d'être d'une certaine platitude, cette ambition s'oppose à la philosophie spéculative, à l'idéalisme hégélien entre autres. L'hégélien de gauche pourrait alors s'intéresser au christianisme primitif, avant qu'il ne soit enseveli dans l'histoire, mais il ne le fait pas et part plutôt de la méthode de LUTHER. C'est davantage la lecture de l'oeuvre de Luther plutôt que celle des Évangiles qui permet de mettre à nu l'essence primordiale du Christianisme. Pour FEUERBACH, il fait opérer un renversement, le renversement de l'opération d'inversion menée par le Christianisme entre l'homme (l'individu) et le genre humain.

"Caractéristique de la religion, écrit Jean-Pierre OSIER, celui-ci (le renversement) n'est pas autre chose que l'inversion du rapport réel de l'individu à son essence générique représentée par autrui, inversion qui entraine à son tour un deuxième renversement, celui du rapport sensible, concept, l'un et l'autre se matérialisant théoriquement et pratiquement dans un corps de concepts et de jugements, qui constituent un discours délirant par rapport à la réalité, ce délire étant proprement une aliénation, puisqu'il repose sur une confusion du même et de l'autre, dans lequel l'autre est pris non réellement mais ontologiquement. Il fait encore se demander si la religion a la jouissance exclusive de ce privilège ou si elle n'est pas simplement le paradigme d'une confusion aliénante dont on pourrait retrouver ailleurs les symptômes." 

Le retour à une position non aliénante exige le renversement du renversement, et non simplement la solution que présente la philosophie spéculative de HEGEL, qui ne propose qu'un renversement spéculatif qui se superpose simplement au christianisme.

"La conscience de Dieu est la conscience de soi de l'homme, la connaissance de Dieu est la connaissance de soi de l'homme. A partir de son Dieu tu connais l'homme, et inversement à partir de l'homme, son Dieu : les deux ne font qu'un. (Tel est) l'essence de la religion en général". A la lecture du texte du christianisme, FEUERBACH trouve les caractéristiques de Dieu qui ne sont finalement que des caractéristique humaines, celles que l'homme dans ses "bons" moments réalise, celles aussi qu'il aimerait avoir. Même si le mot aliénation n'apparait que tardivement dans l'ouvrage, c'est bien une théorie de l'aliénation religieuse que construit FEUERBACH. Il se livre à une explication anthropologique de la religion. Le texte religieux transfigure la conscience de l'homme en la projetant sur une divinité et par le même mouvement en prive celui-ci d'une possible réalisation. Car le seul qui puisse réaliser les aspirations humaines, c'est Dieu. Dieu est en définitive le reflet mystifié de l'homme, et ce reflet mystifié, son appartenance au genre humain tout entier. Car de même que le genre humain est infini, l'homme aspire à l'infini.

On assiste à une véritable inversion de ce que devraient être les rapports réels de l'homme, y compris dans ses qualités les plus essentielles, avec les autres hommes : il se sacrifie à Dieu au lieu de se sacrifier à l'homme, ses obligations à l'égard de Dieu l'emportent sur celles qu'il doit aux autres hommes, et sa reconnaissance à l'égard de l'homme qui  lui fait du bien n'est qu'une reconnaissance "apparente" puisqu'elle est aussitôt reportée sur Dieu, le "bienfaiteur suprême" dont tout est censé dépendre. L'amour va à Dieu et non aux hommes, d'abord à Dieu, et certaines tendances de la religion diront même exclusivement à Dieu... Il s'agit pour restituer à l'homme ce qui vient de l'homme, d'opérer une deuxième inversion.

 

Le projet de FEUERBACH

     Dans la partie Application finale, que nous reproduisons ici, tant le projet de FEUERBACH est y écrit avec force (et peut être même avec plus de force que les commentaires...), on peut lire :

"Dans le développement de contradiction entre la foi et l'amour, nous possédons le motif nécessaire, pratique et palpable pour dépasser le christianisme et l'essence particulière de la religion en général. Nous avons démontré que le contenu et l'objet de la religion est totalement humain, que le mystère de la théologie est l'anthropologie, celui de l'être divin, l'essence humaine. Mais la religion n'a pas conscience de la nature humaine de son contenu ; elle s'oppose plutôt à l'humain, ou du moins elle n'avoue pas que son contenu est humain. Le tournant nécessaire de l'histoire est donc cette confession et cet aveu publics de ce que la conscience de Dieu n'est autre que la conscience du genre, et que l'homme peut et doit s'élever seulement au-dessus des limites de son individualité ou de sa personnalité, mais non au-dessus des lois, des déterminations essentielles de son genre ; l'homme ne pouvant penser, pressentir, imaginer, sentir, croire, aimer et honorer d'autre essence en tant qu'absolue, divine, si ce n'est l'essence humaine.

En y comprenant la nature, car de même que l'homme appartient à l'essence de la nature, ajoute-t-il dans une note - ce qui vaut contre le matérialisme vulgaire - de même la nature aussi appartient à l'essence de l'homme - ceci contre l'idéalisme subjectif, qui est également le secret de notre philosophie "absolue" du moins dans sa relation à la nature. C'est seulement par la liaison de l'homme et de la nature que nous pouvons triompher de l'égoïsme supra-naturaliste du christianisme.

Notre rapport à la religion, reprend t-il, n'est donc pas uniquement négatif, mais critique ; nous ne faisons que séparer le vrai du faux - quoique assurément la vérité distinguée de la fausseté soit toujours une vérité nouvelle, essentiellement distincte de l'ancienne vérité. La religion est la première conscience de soi de l'homme. Les religions sont saintes parce qu'elles constituent les traditions de la première conscience. Mais ce qui pour la religion est premier, Dieu, est, comme on l'a démontré, second en soi, du point de vue de la vérité, car il n'est que l'essence de l'homme objective à elle-même, et ce qui pour la religion est second, l'homme, doit donc nécessairement être posé et énoncé comme étant premier. L'amour pour l'homme ne peut pas être dérivé ; il doit être originaire. Alors seulement l'amour peut être une puissance authentique, sacrée, sûre. Si l'essence de l'homme est pour lui l'essence suprême, alors pratiquement la loi suprême et première doit être l'amour de l'homme pour l'homme. Homo homini deus est - tel est le principe pratique suprême - tel est le tournant de l'histoire mondiale. Le rapport de l'enfant à ses parents, de l'époux à l'époux, du frère au frère, de l'ami à l'ami, en général le rapport de l'homme à l'homme, bref les rapports moraux sont en soi et pour soi des rapports authentiquement religieux. D'une manière générale dans ses rapports essentiels la vie est d'une nature totalement divine. Elle ne reçoit pas sa consécration religieuse seulement par la bénédiction du prêtre. La religion veut sanctifier un objet par l'addition en soi extérieure qu'elle lui apporte ; par là elle s'énonce comme étant à elle seule la puissance sacrée ; elle ne connait en dehors d'elle que des rapports terrestres, non-divins ; c'est pourquoi elle intervient afin de les sanctifier, de les consacrer. 

Mais le mariage - naturellement comme libre alliance de l'amour - est saint par lui-même, par la nature du lien qui est ici noué. Seul le mariage qui est authentique, conforme à l'essence du mariage, de l'amour, est religieux. Et il en est ainsi de tous les rapports moraux. Ils ne sont moraux, ils ne sont conçus par le sens moral que là où ils ont par eux-mêmes une valeur religieuse. L'amitié authentique n'existe que là où les limites de l'amitié sont préservées par la conscience religieuse, la même conscience avec laquelle le croyant maintien la dignité de son Dieu. Sainte est et doit être l'amitié, sainte la propriété, saint le miracle, saint le bien de chaque homme, mais saint en soi et pour soi.

Dans le christianisme les lois morales sont conçues comme des commandements de Dieu ; la moralité elle-même est érigée en critère de la religiosité ; mais la morale a pourtant une signification subordonnée, n'a pas pour soi-même la signification de la religion. Celle-ci n'appartient qu'à la foi. Au-dessus de la morale plane Dieu comme un être séparé de l'homme, auquel appartient le meilleur tandis que l'homme n'a que les déchets. Toutes les dispositions qui doivent être assignées à la vie, à l'homme, toutes ses meilleures forces l'homme les dissipe au service de l'être sans besoins. La cause réelle devient un moyen impersonnel, une cause seulement représentée, imaginée devient une cause réelle, vraie. L'homme remercie Dieu pour les bienfaits qu'autrui lui a procurés au service même de sa vie. La reconnaissance qu'il exprime à son bienfaiteur, n'est qu'apparente, elle ne vaut pas pour ce dernier, mais pour Dieu. Il est reconnaissant envers Dieu, ingrat envers l'homme. Ainsi décline le sentiment moral dans la religion! Ainsi l'homme sacrifie l'homme à Dieu! Le sacrifice humain sanglant n'est en fait que l'expression sensible grossière du mystère le plus intime de la religion. Là où l'on a offert à Dieu les sacrifices humains sanglants, ceux-ci sont considérés comme les plus élevés, la vie physique comme le bien suprême. C'est pourquoi on offre la vie à Dieu, et cela dans des cas d'exception ; on croit par là lui rendre les honneurs suprêmes. Si,, du moins à notre époque, le christianisme n'offre plus de sacrifices sanglants, c'est uniquement, pour ne pas éoquer d'autres raisons, parce que la vie physique n'est plus considérée comme le bien suprême. C'est pourquoi l'on ofrre à Dieu l'âme, l'intériorité, parce que celui-ci possède une valeur supérieure. Mais ce qui reste commun, c'est que dans la religion l'homme sacrifie les obligations qui le lient à l'homme - comme celle d'estimer la vie d'autrui et d'être reconnaissant - à l'obligation religieuse, en sacrifiant son rapport à l'homme à son rapport à Dieu. Par le concept de l'absence de besoins de Dieu qui n'est qu'un objet d'adoration pure, les chrétiens ont éliminé assurément de nombreuses représentations perverses. Mais cette absence de besoins est seulement un concept abstrait, métaphysique qui ne fonde pas du tout l'essence particulière de la religion. Le besoin d'adoration déplacé unilatéralement du côté de la subjectivité, laisse froid, comme toute unilatéralité, le sentiment religieux. On doit donc, sinon expressément, du moins en fait, poser en Dieu une détermination qui correspond au besoin subjectif, afin d'établir la réciprocité. Toutes les déterminations réelles de la religion reposent sur la réciprocité. L'homme religieux pense à Dieu parce que Dieu pense à lui, il aime Dieu parce que Dieu a été le premier à l'aimer, etc. Dieu est jaloux à l'égard de l'homme - la religion est jalouse à l'égard de la morale ; elle en suce les meilleures forces ; elle donne à l'homme ce qui appartient à l'homme, à Dieu ce qui appartient à Dieu. Et ce qui appartient à Dieu c'est l'authentique et chaude subjectivité - le coeur.

Si à une époque où la religion était sainte, nous trouvons respectés le mariage, la propriété, les lois de l'État, ce phénomène n'a pas sa raison d'être dans la religion, mais dans la conscience originaire et naturelle de la moralité et du droit, qui considère comme saints par eux-mêmes les rapports juridiques et moraux. Celui pour lequel le droit n'est pas saint par lui-même, ne le considérera jamais comme saint par l'effet de la religion. La propriété n'est pas devenue sacrée parce qu'on l'a représentée comme une institution divine, mais c'est parce qu'elle était considérée comme étant sacrée par elle-même, qu'on l'a considérée comme une institution divine. L'amour n'est pas saint parce qu'il est un prédicat de Dieu, mais il est un prédicat de Dieu parce que, pour lui-même et par lui-même, il est divin. Les païens n'honoraient pas la lumière, la source parce qu'elle est un don de Dieu mais parce que par elle-même, elle se montre à l'homme comme bienfaisante, parce qu'elle réconforte celui qui souffre ; c'est pour cette qualité excellente qu'ils lui rendent des honneurs divins.

Là où l'on fonde la morale sur la théologie, le droit sur l'institution divine, on peut justifier et fonder les choses les plus immorales, les plus injustes, les plus honteuses. Je ne puis fonder la morale sur la théologie que si je détermine préalablement l'être divin par la morale. Sinon, je n'ai pas de critère de la moralité et de l'immoralité, mais une base arbitraire, immorale d'où je peux déduire n'importe quoi. Donc, si je veux fonder la morale sur Dieu, je dois l'avoir déjà située en Dieu, c'est-à-dire que je ne peux fonder la morale, le droit, bref tous les rapports essentiels que par eux-mêmes, et je ne les fonde véritablement, conformément aux exigences de la vérité, que si je les fonde par eux-mêmes. Si tuer quelque chose en Dieu ou l'en déduire, ne signifie rien de plus que retirer quelque chose à l'examen de la raison, pour le poser comme indubitable, inattaquable et sacré sans fournir de justifications, c'est pourquoi au fond de toutes les fondations de la morale et du droit par la théologie, il y a sinon une intention mauvaise, insidieuse, du moins une auto-aveuglement. Là où le droit est chose sérieuse, nous n'avons aucun besoin d'un encouragement ou d'un appui célestes. Nous n'avons pas besoin d'un droit d'État chrétien ; nous n'avons besoin que d'un droit d'État rationnel, juste, humain. Le juste, le vrai, le bon, a partout le fondement de sa sanctification en lui-même, dans sa qualité propre. Là où la morale est chose sérieuse, elle est considérée en elle-même comme étant une puissance divine. Si la morale n'a pas son fondement en elle-même, alors il n'y a pas non plus de nécessité morale interne et la morale est alors livrée au caprice sans rime ni raison de la religion.

Dans le rapport de la raison consciente d'elle-même à la religion, il s'agit seulement de la destruction d'une illusion - illusion qui loin d'être indifférence, exerce un effet fondamentalement corrupteur sur l'humanité, en étouffant en l'homme tant la force de la vie réelle que le sens de la vérité et de la vertu ; car même l'amour, qui constitue en lui-même l'affection la plus vraie et la plus profonde devient simplement apparent, illusoire dans la mesure où l'amour religieux n'aime l'homme que pour Dieu et donc n'aime l'homme qu'illusoirement, mais Dieu véritablement.

Et il nous suffit simplement, comme nous l'avons montré, de renverser les rapports religieux, d'interpréter toujours comme fin, ce que la religion pose comme moyen, d'élever au rang de chose principale, de cause ce qui pour elle est chose subordonnée, accessoire, condition pour dissiper l'illusion et avoir dans les yeux la lumière inaltérée de la vérité. Les sacrements du baptême et de la communion, symboles essentiels, caractéristiques de la religion chrétienne, peuvent nous confirmer et nous montrer cette vérité. (...)". 

 

Ludwig FEUERBACH, L'essence du christianisme, traduction de l'allemand par Jean-Pierre OSIER, avec la collaboration de Jean-Pierre GROSSEIN, Présentation de Jean-Pierre OSIER, Gallimard, 2015.

Francis WYBRAND, L'essence du christianisme, dans Encyclopedia Universalis, 2014. Yvon QUINIOU, Critique de la religion, La ville brûle, 2014.

 

 

Relu le 3 juin 2022

 

 

 

     

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12 juin 2016 7 12 /06 /juin /2016 17:41

 

     Situer dans l'histoire de la philosophie ou de la philosophie politique les auteurs matérialistes  est une entreprise possible seulement à un moment où les religions sont affaiblies.

Suffisamment dans un contexte où plusieurs religions offrent le spectacle d'une lutte (parfois sanglante) sans fin, où elles ne sont plus hégémoniques dans la bataille des idées, ou parce que les progrès scientifiques offrent des alternatives aux croyances en la magie ou au surnaturel. En tout cas assez pour que des auteurs se livrent à des réflexions exotériques, protégées dans une société qui entend faire de la tolérance une vertu, sans être obligés de toujours recourir à des oeuvres ésotériques. Ce n'est pas possible partout et toujours : le faire dans un contexte d'une religion hégémonique et intolérante ou/et dans des endroits où ne sont même pas admises des discussions hétérodoxes expose à des sanctions sévères.

 

Religion vs Philosophie...

A certaines époques bien précises, là notamment où la philosophie dispute à la religion la dominance (on pense à l'âge grec classique par exemple), à des époques où la tolérance est érigée en valeur même si contester des dogmes religieux n'est pas forcément synonyme de garantie d'ascension sociale... il est possible à des matérialistes par exemple de faire entendre leur voix. Et tout au long de l'histoire, parsemées de périodes d'intolérance et de tolérance, les auteurs matérialistes ont laissé suffisamment de traces, entre deux chasses aux sorcières ou deux autodafés, pour que leur postérité poursuive, génération après génération, la quête d'un monde sans surnaturel et sans superstitions. Cela ne veut pas dire que même des auteurs matérialistes à la contestation radicale n'aient pas gardé un certain déisme, mais on l'a vu à diverses reprises, il suffit de voix discordantes quant aux dogmes religieux pour faire émerger des philosophies particulièrement destructrices à leur égard.

La reconstitution d'une histoire des philosophies matérialistes, tentées par exemple à des époques de distance par Freidrich-Albert LANGE et Pascal CHARBONNAT, ou encore par Michel ONFRAY, est particulièrement difficile, car beaucoup d'oeuvres ont été perdues, beaucoup d'auteurs certainement oubliés... Il n'est pas étonnant que plus on avance vers notre époque contemporaine, plus on est en mesure de dégager certaines oeuvres qui sortent de leur cachette (beaucoup sont posthumes), plus on peut opérer des filiations. Il n'est pas étonnant non plus que nous pouvons beaucoup plus le faire en Occident chrétien qu'ailleurs, même si dans certaines régions d'Orient et d'Asie, au milieu de nombre de doctrines spiritualistes, des auteurs pourraient sans doute y retrouver nombre de réflexions matérialistes. D'ailleurs, dans certains ouvrages de la littérature hindoue, musulmane et bouddhique, on trouve des traces de matérialisme, parfois au coeur de textes pourtant destinés à soutenir des visions spirituelles...

   Pour ces trois auteurs, reviennent dans le champ du matérialisme, toutes tendances confondues, l'atomistique de l'Antiquité grecque, notamment DÉMOCRITE (mais avant lui THALÈS, HÉRACLITE et bien d'autres), le sensualisme des sophistes et la morale d'ARISTIPPE, eux-mêmes combattus par SOCRATE, PLATON, ARISTOTE. L'autorité de ces trois auteurs grecs n'empêche pas le stoïcisme, par exemple de se développer dans l'Empire romain, avec notamment ÉPICURE.

L'oeuvre de LUCRÈCE permet, après une éclipse durant tout le Moyen-Age, l'éclosion de multiples réflexions matérialistes plus ou moins avouées : AVERROÈS, Pierre POMPONACE, Nicolas d'AUTRECOUR, Laurent VALLA, MÉLANCHTON, COPERNIC, Giaordano BRUNO, Bacon de VERULAM, DESCARTES... Viennent ensuite au XVIIe siècle, période où s'affine la recherche historique, GASSENDI, HOBBES, BOYLE, NEWTON, John LOCKE, John TOLAND. C'est au XVIIIe siècle qui s'affirment les différences dans cette grande "famille" des matérialistes : HARTHLEY, PRIESTLEY, La Motte Le VAYER, Pierre BAYLE, VOLTAIRE, SHAFTESBURY, DIDEROT, SPINOZA et surtout de La METTRIE, dont l'oeuvre semble une référence incontournable dans l'histoire du matérialisme. Viennent encore durant ce XVIIIe siècle, CANABIS, d'HOLBACH, tous combattus notamment par LEIBNITZ... L'oeuvre d'Emmanuel KANT est également une référence autour de laquelle s'ordonne ensuite les différentes tendances du matérialisme scientifique. FEUERBACH, Max STIRNER, BÜCHNER, MOLESCHOTT, CZOLBE, tous cultivent des variantes ambigües dans un climat alors dominé pour longtemps par les développements scientifiques. L'histoire de l'atome, de l'évolution, des sciences physiques est marquée parfois par un antagonisme entre des approches qui refusent d'examiner la question du surnaturel et d'autres qui tentent de concilier science et religion. 

 

Irréligion, déisme, athéisme...

Plus généralement, pour Pascal CHARBONNAT, l'histoire du matérialisme est scandée en trois phases, son apparition dans l'Antiquité, son extinction (ou presque) du Ier au XVIIe siècle, sa renaissance et son développement, du XVIIIe au XXe siècle. C'est au XVIIIe siècle que notamment se distinguent mieux les différents courants du matérialisme : irréligion, déisme, athéisme se partagent un champ intellectuelle évolutif. A noter à propos de cette périodisation, elle correspond d'une part à la révolution intellectuelle grecque autour du IVe siècle av J-C., où la philosophie entend se construire au-dehors de toute spéculation antérieure sur les Dieux, les Géants et les Héros, et d'autre part à cette seconde révolution intellectuelle du XVIIIe siècle qui fonde les connaissances sur des analyses scientifiques en dehors de toute intervention divine.

"Dans la seconde moitié du 18e siècle, écrit le professeur de lettres et d'histoire-géographie, le nombre de communiants et les effectifs des séminaires diminuent régulièrement. Les tribunaux enregistrent une augmentation des atteintes aux moeurs et à la religion. De nouvelles croyances s'affirment et défient de plus en plus les autorités religieuses. Ce mouvement ne touche pas seulement la France, mais la plupart des pays européens, y compris la Russie tsariste, où les premiers athées font leur apparition à la fin du siècle. Cette irréligion revêt des formes variées, qui vont de l'athéisme au déisme en passant par le panthéisme, selon des rythmes propres à chaque nation. L'irréligion française occupe une place particulière, car, au sein de sa tendance athée, renaît une philosophie matérialiste. 

En réponse à la censure et à la répression ecclésiastiques, la parution clandestine, inaugurée au 17ème siècle, atteint son apogée. Le plus souvent publié anonymement, le manuscrit clandestin constitue un mode d'expression commode pour les philosophes. L'auteur d'un manuscrit peut utiliser le nom d'une personnalité défunte pour brouiller les pistes. Pour les conceptions les plus audacieuses, la forme clandestine demeure une nécessité jusqu'à la Révolution. D'Holbach (1723-1789), par exemple, utilise cette forme d'expression pour une grande part de son oeuvre. Si le fait d'être calviniste peut conduire à la mort, on imagine sans peine les motivations d'un philosophe athée qui souhaite garder l'anonymat. Les manuscrits sont conservés dans les bibliothèques de particuliers, adhérant plus ou moins aux idées de l'incrédulité. Ainsi, le Testament de Meslier est détenu par quelques individus qui le conservent soigneusement, tel Thomas Pichon (1700-1781), secrétaire de l'Île Royale. Pour un libraire ou un éditeur, imprimer ce genre de texte n'est pas sans danger. Ainsi, le manuscrit intitulé Nouvelles libertés de penser, daté de 1743 et imprimé à Paris, fait l'objet d'une enquête de la part du lieutenant de police Marville. Elle conduit à l'arrestation de Nicolas Guillaume, libraire-colporteur et de René Josse, libraire. Les recherches actuelles en littérature clandestine ont mis au jour près de deux cents de ces manuscrits.

     La conception déiste est majoritaire dans la littérature clandestine, tout comme chez les grands auteurs connus du mouvement philosophique. Malgré le rejet de l'institution religieuse et la condamnation des superstitions, le déisme postule l'existence nécessaire d'un être premier. L'intelligibilité originelle résulte de l'intervention d'une transcendance. Pour autant, les facultés humaines sont incapables de connaître la nature de cet être premier. C'est ce qui le distingue du théisme, pour qui la raison humaine peut avoir accès à la nature du divin et à la certitude de son existence. le déisme ou la religion naturelle conserve l'idée d'une création, car, sans elle, il ne resterait plus que le hasard pour expliquer l'ordre du monde. Cette implication justifie le refus de l'athéisme. Pourtant, les philosophes athées n'emploient pas ce raisonnement et n'évoquent que très rarement la notion de hasard.

Pour un déiste, les lois du monde sont posées une fois pour toutes par la divinité. Il n'y a pas de providence particulière qui fait exister et durer le monde. Juste après la création, les lois de la nature gouvernent. Il est donc clair que ce courant ne peut être qualifié de matérialiste, malgré les accusations des théologiens. Le déisme convient sans doute mieux que l'athéisme à des intellectuels qui viennent tout juste de rompre avec le christianisme. Il est tout de même une rupture profonde avec le dogme. Certains penseurs, comme Diderot ou Du Marsais, passent par un déisme de jeunesse avant de devenir athée dans leur maturité. Si le déisme est majoritaire chez les philosophes, c'est qu'il faut franchir un degré de radicalité supplémentaire pour se penser athée. Or, ce saut n'est effectué que par une petite minorité, pour qui la séparation avec la religion doit être totale." Notre auteur insiste : "Il est douteux de voir dans le déisme un "noyau matérialiste" et une "enveloppe idéaliste", comme le fait Szigetti dans son ouvrage Denis Diderot, Une grande figure du matérialisme militant du XVIIIe siècle (1962). Sur le plan strictement philosophique, l'idée de création trace une ligne de démarcation nette. Szigeti voit le côté matérialiste des déistes dans leur négation de la providence, c'est-à-dire dans l'idée de lois nécessaires régissant le monde. Ce caractère n'est pas pertinent, car il existe aussi chez les naturalistes du 17ème siècle, tout comme chez la plupart des hétérodoxes, qui sont dans l'ensemble croyants, malgré leurs originalités. Si l'on traite de matérialisme philosophique, la question de l'origine est toujours le critère déterminant et exclusif. la reconnaissance de lois nécessaires et autonomes dans la nature correspond à une démarche naturaliste, qui peut être partagée par de nombreux philosophes, tant matérialistes que spiritualistes."

Pascal CHARBONAT cite un certain nombre d'auteurs déistes les plus connus : VOLTAIRE, HELVÉTIUS, d'ALEMBERT, ROBINET (1735-1820) et CARRA (1742-1983) et trois des traités déistes les plus célèbres diffusés dans la littérature clandestine  : "le militaire philosophe" ou Difficultés sur la religion proposées au P. Malbranche par MR..., officier militaire dans la marine (1767), l'Examen de la religion ou Dates sur la religion dont on cherche l'éclaircissement de bonne foi" (1745), par Du Marsais dans ses années de jeunesse, et l'Essai sur la recherche de la vérité (1730?). 

Par ailleurs, "tout au long du 18e siècle, s'exprime un courant panthéiste plus ou moins influencé par Spinoza. Ses auteurs principaux sont Toland (1670-1722) en Angleterre, Edelman (1688-1767) en Allemagne, Fréret (1688-1749) dans une certaine mesure, Sade (1740-1814) et Charles-François Dupuis (1749-1809) en France. (...).

      Enfin, l'irréligion se constitue aussi en une tendance athée, dans laquelle trouvent place les auteurs matérialistes. Comme l'indique l'étymologie de son nom, "l'athée" se définit d'abord par opposition à l'idée de divinité. Il se fonde sur une contradiction fondamentale, repérée chez les croyants de toutes sortes : comment une divinité parfaite et infinie peut-elle avoir un quelconque rapport avec une nature imparfaite et finie? Prétendre que l'un a pu engendrer l'autre, conduit à dénaturer l'infinité divine, car il semble absurde qu'un Dieu tout-puissant produise quelque chose de contraire à sa nature. De la même manière, il est incohérent d'imaginer un être immuable prendre part au devenir d'un monde corruptible. L'idée de Dieu est absurde parce qu'elle implique que la perfection crée de l'imperfection."

Notons pour notre part que le christianisme se tire de cela par une pirouette intellectuelle majeure : l'existence du mystère, thème repris de plusieurs autres spiritualités. Le fait de la finitude humaine oblige à se fier à des intermédiaires approchés par la divinité pour transmettre un "savoir" et des préceptes d'adoration. L'humain ne peut, de par sa finitude comprendre  ni le sens profond de ce "savoir" et des lois qui en découlent, ni la nature de la divinité... L'hégélianisme tente autre chose, en divinisant sinon l'homme, du moins tel celui qui doit le devenir. 

"L'athéisme est minoritaire. De la part d'auteurs comme Jean Meslier (1664-1729) ou Sylvain Maréchal (1750-1803), il semble résulter de leurs aspirations égalitaires. Les deux hommes s'inscrivent  dans la mouvance égalitariste qui réclame l'abolition des distinctions sociales. L'idée de Dieu leur parait le moyen de dominer les hommes. Les prêtres imposent une autorité suprême pour servir leurs intérêts et aggraver un peu plus les inégalités. Si toute distinction de naissance ou de fortune est abolie, la croyance en Dieu n'a plus aucune utilité. Ces philosophes traduisent peut-être une incrédulité existante parmi le petit peuple. Les croyance et les superstitions imprègnent bien sûr les masses populaires. Mais, il est permis de supposer que devant les injustices criantes de la société d'Ancien Régime, quelque pauvre paysan puisse tomber dans l'incrédulité. La chose ne peut être vérifiée puisqu'il n'existe pas de sources en la matière. En tout cas, pour une part, l'athéisme s'accompagne d'un égalitarisme qui ne doit pas être étranger à sa formation.

En ce qui concerne les athées liés plus ou moins à la bourgeoisie, il semble que leurs conceptions prennent appui sur un rejet complet de la religion. De Marsais, La Métrie et d'Hollbach, sous des modalités différentes, expriment tous une critique radicale de la transcendance. Ils représentent sans doute cette infime frange de la bourgeoisie qui est incrédule, et que rien ne pourrait a priori réconcilier avec la religion. Ils jugent que la croyance en un être suprême contredit leurs principes rationnels, qu'elle alimente les servitudes de l'époque. La divinité fait corps avec les chaines de la féodalité qu'ils veulent briser. Adoptant une position marginale, ils explorent des conceptions entièrement nouvelles. Ils offrent à la fraction la plus radicale de leur classe une idéologie conforme au besoin de faire table rase des dogmes aristocrates. L'athéisme représente la volonté de ne plus rien partager avec la religion et d'en expurger complètement la raison. Il ne concède même pas l'idée d'être premier ou de création, comme le font les déistes. L'émancipation doit être totale.

L'irréligion fleurit donc sous des formes diverses, qui correspondent à un besoin de rupture avec l'idéologie des autorités ecclésiastiques. le degré de radicalité de ces formes dépend de la manière de concevoir le divorce. Les modérés conservent le principe de création, les radicaux entendent de plus rien avoir en commun avec la religion."

 

Explication et critique de la religion

    Yvon QUINIOU propose une manière de concevoir les liens et les différences entre explication et critique de la religion, qui se retrouvent souvent dans les écrits des auteurs déistes ou matérialistes.

"Il peut paraitre curieux, écrit le docteur en philosophie, d'associer une critique à une explication. Une explication est empirique, elle se déploie sur le plan des faits et elle ne prend pas position normativement - en l'occurrence négativement - sur la chose qu'elle explique, ce qu'implique au contraire la notion de critique : expliquer un préjugé par l'ignorance, par exemple, ce n'est pas le réfuter, car il se pourrait malgré tout que l'on soit dans le vrai ; et expliquer une croyance par les conditions de sa genèse, en amont, ne veut pas dire nécessairement qu'elle soit fausse et qu'elle doive être rejetée, car ces conditions externes pourraient très bien nous amener, par hasard sans doute, à être là aussi dans le vrai." On ne peut que suivre cette volonté de clarification analogue à celle qu'on devrait avoir sur la différence entre comprendre et approuver. "Ce n'est pas parce que, poursuit notre auteur, que dans mon milieu social, mon enfance ou ma personnalité m'ont entrainé à penser ceci ou cela que ce que je pense est nécessairement faux. La démonstration de l'erreur d'une prise de position, dans quelque domaine que ce soit, parait donc devoir être indifférente à l'explication factuelle de celle-ci et relever d'une procédure d'invalidation étrangère à l'explication elle-même, renvoyant à l'ordre des raisons que cette prise de position invoque." Expliquer par exemple la croyance au surnaturel par le faible développement des sciences et techniques ne signifie pas forcément qu'il n'y a pas du tout de surnaturel. Expliquer l'efficacité de procédures d'envoutement, ajouterions-nous, par la peur qu'elles suscitent (ce qui est assez clair dans le mécanisme du vaudou) n'implique pas que l'envoutement n'ait pas lieu grâce à l'implication du surnaturel.

"Faire de la religion un reflet de la détresse sociale, comme le dira le marxisme, ou encore l'instrument d'une oppression de classe, ne revient pas à l'invalider sur le fond. Enfin affirmer que la croyance en Dieu traduit inconsciemment une fixation sur l'image du père (...) ne semble pas vouloir dire automatiquement ou logiquement qu'il n'y a pas de Dieu! (...)". Les exemples montrent tous que "la logique, purement factuelle, de l'explication d'une prise de position subjective à l'égard du réel n'est pas celle, normative, d'une critique ou d'une réfutation, qui se situe sur le plan de sa vérité éventuelle."

"En réalité, la situation se révèle plus compliquée dès lors qu'on a bien compris que nous nous affaire à des phénomènes de conscience, et non à de simples phénomènes objectifs (sociohistoriques ou psychologiques), et que l'explication va porter d'emblée sur la manière dont la conscience humaine se représente la réalité dans son ensemble.

On est alors confronté à la distinction de l'apparence et de l'essence et à la question de savoir si l'apparence sous laquelle la conscience saisit la réalité et à laquelle elle croit, nous livre l'essence de la réalité en question. Car l'explication risque bien de ramener le contenu apparent de la conscience à l'effet de conditions qui lui sont extérieures ou sous-jacentes, qu'elle ignore et dont elle n'est que l'expression mystifiée, sans rapport avec la réalité qu'elle prétend viser et refléter objectivement. On se trouve alors en présence d'un jeu entre le sens conscient que la conscience donne au réel et qu'elle se donne à elle même en tant ce qu'elle croit objective, porteuse de vérité, et son sens caché, inconscient, qu'elle exprime sous une forme déguisée, sans le savoir donc. Et l'on voit tout de suite la conséquence : l'explication dénonce directement, par son seul déploiement intellectuel et sans l'intervention d'une norme critique externe. le contenu de la conscience comme une apparence mensongère, comme une illusion : le sens apparent est un sens faux qui nous renvoie à un autre sens, lui réel, qu'il faut savoir décoder, c'est-à-dire interpréter, sans se fier un seul instant à l'impression d'autonomie qui habite la conscience à l'égard des conditions qui, en amont d'elle, la déterminent. L'effet critique n'est donc pas surajouté à l'explication : il n'en est que la conséquence à la fois immanente et nécessaire dès lors que l'explication investit le champ de la conscience et de ses représentations."

Ce que l'auteur expose ici, en une formulation qui lui est propre, est le précipité de nombreuses investigations philosophiques dont la difficulté première résidait dans l'éclaircissement des explications données par les religions, les mythes... à cette problématique de différence entre apparence et essence. Cette problématique n'a pas échappé aux multiples prophètes et devins qui se chargent à la fois de combattre les effets "pernicieux" de l'apparence et d'imposer une interprétation de l'essence. La révélation pour les trois monothéismes, la perception de réminiscences qui apporterait la vérité (via la prise de conscience d'existences antérieures) pour de nombreuses spiritualités, constituent des moyens d'interprétations de cette essence, interprétations appuyées par l'exercice de pouvoirs multiples et entrecroisés. Il s'agissait pour les philosophes grecs comme pour les philosophes modernes de se séparer de ces interprétations, d'abord sans s'y interroger sur le fond, puis ensuite de construire à leur tout des interprétations de la réalité. FREUD, MARX et bien d'autres ne font que concentrer ces efforts sur l'objet de leurs recherches. 

Yvon QUINIOU demande à juste titre de s'arrêter "sur cette double caractérisation de la conscience religieuse (déploiement d'une autre illusion sans preuves scientifiques, réponse au désir d'immortalité), car elle illustre remarquablement la difficulté théorique qu'il y a de concilier la religion avec toute tentative critique de l'expliquer "naturellement" (Hume) à la manière dont pourtant, les sciences humaines le font désormais. Difficulté telle qu'elle a l'allure d'une véritable antinomie, mais déséquilibrée puisque les science humaines ont leurs preuves pour elles, contrairement à la religion qui en est dépourvue ; du coup, celle-ci résiste à tout discours explicatif qui la vise, et s'enferme dans ce qui ressemble fort à une schizophrénie philosophique dans laquelle le phénomène de l'illusion triomphe."  

Cette difficulté, les scientifiques par ailleurs croyants la connaissent bien - en dehors de ceux qui tentent d'approcher le concept Dieu à partir de leurs connaissances et qui disent périodiquement avoir trouver la preuve de l'existence de Dieu - qui préfèrent de loin tenir à distance leur croyance pour continuer de rechercher l'essence de la réalité. Il ne font d'ailleurs que reprendre le précepte de nombreuses spiritualités elles-mêmes pointant sur la finitude humaine et  l'impossibilité pour l'homme d'atteindre par lui-même la réalité ultime. Mais ils le font en évitant, nonobstant leurs apparitions mondaines en matière de religion, d'accorder leur attention à toutes les spéculations théologiques. 

"On peut exprimer cette aporie (apparente), poursuit-il, de la manière suivante : la religion se présente à elle-même et aux autres, via la notion de révélation, comme un phénomène surnaturel, transcendant la vie humaine "naturelle" - au sens strict de "biologique" ou au sens large qui inclut aussi la vie sociohistorique ou la vie psychologique. Elle refuse donc par définition, sans peine de se contredire et de s'invalider elle-même, d'être un phénomène exclusivement humain, "trop humain". Autre manière de s'exprimer : s'affirmant d'origine surnaturelle, elle ne peut accepter d'être expliquée comme une production de l'homme à partir des multiples déterminations empiriques qui le façonnent. Ce faisant, elle s'oppose frontalement à la thèse méthodologique impliquée dans son approche explicative et que Marx, inspiré par Feuerbach, a magnifiquement formulée : "C'est l'homme qui fait la religion", puisqu'elle affirme primordialement l'inverse, à savoir que "c'est la religion qui fait l'homme" et qu'elle ajoute, au surplus, d'une manière logique, dans son optique, que la religion fait aussi la croyance qu'à l'homme en elle. La première affirmation l'éloigne de toute explication positive ou scientifique puisque cette dernière contredit radicalement la conscience qu'elle a de soi et qui est constitutive de son essence - à savoir qu'elle se déploie sur un plan qui transcende la vie empirique ; et c'est pourquoi (...) la distinction subtile faite par Hume entre une problématique de l'origine de la religion et celle de son fondement, ne tient pas vraiment ici, même si elle est séduisante : la mise en évidence de l'origine humaine de la religion équivaut à sa réfutation, donc à la critique de son caractère supra-humain et des croyances qui lui sont associées. Quant à la seconde affirmation, elle la fait tomber dans un cercle vicieux insurmontable : la conscience religieuse s'explique devant elle-même par ce qu'elle pose ou présuppose - par une révélation qui n'a de sens que si l'on admet ce que cette même révélation affirme et qui est précisément en question, l'existence du surnaturel divin. On est bien dans une autarcie intellectuelle sourde à toute instance intellectuelle extérieure qui pourrait l'interpeller et l'ébranler dans son absolue confiance en soi.

La seule manière de briser ce cercle vicieux, conclut l'auteur, qui la rend "inapte au dialogue avec ce qui s'oppose à elle, est tout simplement d'en sortir et d'affronter l'épreuve d'une explication empirique de la religion : comprendre donc la religion à partir de son extérieur, la vie humaine dans toutes ses facettes dont elle est le strict effet. Ce déplacement opéré, les prétentions de la religion à la vérité apparaitront d'elles-mêmes, rétrospectivement, dérisoires et non fondées pour l'essentiel, sans qu'il soit besoin d'en discuter davantage sur le fond et, du même coup, une critique proprement normative pourra en être faite, s'ajoutant à la critique seulement théorique que l'explication en aura fournie, mais sans se confondre avec elle."

 

Émancipation politique et sociale

   C'est à partir d'un autre angle, complémentaire du développement non entravé de la réflexion scientifique et de l'émancipation politique et sociale par rapport à la religion, que Michel ONFRAY  entreprend son étude sur le matérialisme, à partir d'une position matérialiste. C'est à partir de l'attitude de toutes les religions par rapport au corps, à l'existence terrestre proprement dite, dévalorisée par rapport au temps infini (d'une âme, d'un étant...), et singulièrement à la sexualité. C'est sur le plan moral que se dessine toute son histoire des matérialismes, et singulièrement sur le plan de la morale sexuelle, tant il est vrai qu'elles ont toujours été attentives aux expressions de la sexualité, pour la contrôler et/ou la détourner pour des objectifs "spirituels". 

Se livrant à ce qu'il appelle un combat historiographique autour de la philosophie et des philosophes, à un combat contre des distorsions de connaissances historique réalisées au profit de l'intérêt des civilisations judéo-chrétiennes, Michel ONFRAY veut établir une contre-histoire de la philosophie européenne. A travers la restitution de ce que nous savons des gnostiques licencieux ou de l'épicurisme chrétien, des libertins baroques, des ultras des Lumières, du socialisme dyonisien ou du nietzschisme de gauche, il propose une perception de la philosophie "moins sur le principe de la ligne (hégélienne) que du rhizome (deleuzien)." Il est impossible de faire autre chose d'ailleurs que de livrer des coups de projecteurs sur des moments de l'histoire des idées matérialistes, car toutes les continuités possibles ont été détruites, par le temps ou par les autorités politique et/ou religieuses. L'histoire de toutes les hérésies au christianisme montre comment celui-ci éradique (ou essaie d'éradiquer) dans la conscience, populaire et intellectuelle, jusqu'à leur existence.

Une perspective de la philosophie hédoniste, qui ne passe pas sous le filtre de la haine du corps, constitue un élément de plus contre l'existence de la religion, en tout cas dans la perspectives des auteurs se déclarant ouvertement agnostiques ou athées. 

Tout à la construction d'une athéologie, cet auteur estime nécessaire la mobilisation "de domaines multiples ; psychologie et psychanalyse (envisager les mécanismes de la fonction fabulatrice), métaphysique (traquer les généalogies de la transcendance), archéologie (faire parler les sols et sous-sols des géographies desdites religions), paléographique (établir le texte de l'archive), histoire bien sûr (connaitre les épistémès, leurs strates et leurs mouvements dans les zones de naissance des religions), comparatisme (constater la permanence de schèmes mentaux actifs dans des temps distincts et des lieux éloignés), mythologie (enquêter sur les détails de la rationalité poétique), herméneutique, linguistique, langues (penser l'idiome local), esthétique (suivre la propagation iconique des croyances). Puis la philosophie, évidemment, car elle parait la mieux indiquée pour présider aux agencements de toutes ces disciplines. L'enjeu? Une physique de la métaphysique, donc une réelle théorie de l'immanence, une ontologie matérialiste."

 

Michel ONFRAY, Traité d'athéologie, Grasset, 2005. Pascal CHARBONNAT, Histoire des philosophies matérialistes, Syllepse, 2007. Yvon QUINIOU, Critique de la religion, La ville brûle, 2014.

 

PHILIUS

 

Relu le 6 juin 2022

 

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8 juin 2016 3 08 /06 /juin /2016 06:02

    La revue trimestrielle (plus ou moins) Tribune des athées, organe de l'Union des Athées, peu connue et peu lue, sur papier ou électronique selon les numéros, affirme calmement que les "croyants ne croient pas en dieu, mais à ceux qui leur en parlent", s'appuyant en cela sur "les derniers développements de la théologie moderne." Ceci indique bien que l'Union des athées veut réunir ceux qui refusent toute croyance et considèrent les "Dieux" comme des "mythes".

    Notre volonté de couvrir tout le champ des revues qui discutent de la religion, qui justifie cet article, passe avant la constatation que l'athéisme en tant telle ne rencontre guère d'écho en France, sauf sous forme d'arrière-fond à un agnosticisme bien plus répandu, et ceci de manière générale comme dans les milieux universitaires.

   L'Union des athée, fondée en 1970 par Albert BEAUGHON et Auguste CLOSSE, "regroupe tous ceux qui considèrent qu'une croyance, une "Vérité", est un frein, un obstacle, une porte fermée au progrès de l'esprit humain, et qu'une réflexion cohérente ne peut se fonder que sur des hypothèses qui ne sont jamais des "Vérités", et doivent toujours pouvoir être remises en question. L'athéisme est une attitude intellectuelle unissant un rationalisme large et ouvert à une liberté de pensée sans limites imposées". 

    Dirigée par Johannès ROBYN, cette revue entend réaliser une véritable réflexion sur les diverses religions, suivant leur actualité. Chaque numéro comporte une vingtaine de pages.

  Dans la Tribune des athées, au n°144, de 2014/1, consacré à l'Islam, Michel THYS propose, dans un article touffu et très référencé, des éléments de débats sur "une manière différente de promouvoir l'athéisme?". Il se pose la question de savoir pourquoi "au niveau mondial la majorité des humains persiste à croire en un dieu qui n'a pourtant jamais donné le moindre signe concret et indéniable de son existence réelle (...)". Il tente de comprendre alors que, comme l'Observatoire des religions et de la laïcité de l'université Libre de Bruxelles le confirme dans son rapport de 2012, dans la  plupart des pays intellectualisés, la religiosité est en chute libre, elle persiste et même se développe en terre d'Islam. Plusieurs contributions alimentent ce débat avant d'aborder plusieurs sujets de manière plus courte (par exemple un hommage à Jean MESLIER (1664-1729).

 

Tribune des athées, Maison des associations, 15 passage Ramey BP 64, 75018 Paris.

  

Relu le 10 juin 2022

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7 juin 2016 2 07 /06 /juin /2016 08:07

     Lorsque les philosophes, notamment ceux des Lumières du XVIIIe siècle, discutent des croyances - en fait des croyances religieuses mais pas toujours seulement, existe la distinction sous-jacente entre croyance raisonnée, où la foi fait l'objet de spéculations intellectuelles parfois hautement élaborées et croyance "populaire", étant donné que dans leur esprit les masses non éduquées ont des croyances qui s'apparentent à des superstitions. Sous-jacente, car elle n'est souvent pas mentionnée dans leurs textes, ceci à des fins parfois polémiques ; beaucoup plus  présentes et intenses dans la littérature clandestine. Toutefois, de manière générale, les philosophes s'attaquent autant aux deux formes de croyance, avec une préférence à celle des élites religieuses.

 

Croyance et superstition selon HUME

   Ainsi, pour HUME, le phénomène de croyance, quelle qu'en soit la modalité, se définit par la vivacité de l'idée à laquelle on croit. Mais la vivacité caractérise en propre les impressions, non les idées qui n'en sont que les copies : le concept d'"idée vive", qui manifeste tout ce que la croyance a d'outrancier, dépend donc d'un mécanisme psychologique singulier.

Philippe SALTEL indique que pour HUME, "la croyance est l'opinion, qu'accompagne une certitude objective en lieu et place de la certitude démonstrative qui caractérise la connaissance au sens strict. La doctrine lumineuse des impressions et des idées fournit un moyen d'expliquer cette certitude comme vivacité : il convient donc de placer au premier rang de nos croyances la conviction que les objets sensibles existent, puis le souvenir que nous en avons. ("Croire, c'est en ce cas éprouver une impression immédiate des sens ou la répétition de cette impression dans la mémoire" - Traité de la nature humaine). 

Des idées de la mémoire, dont la force est issue d'une conservation de la vivacité impressionnelle (ce qui les distingue des idées de l'imagination), nous pouvons passer à la compréhension de toutes les autres idées vives : le principe en conduit Hume à supposer une opération de transfert, sous l'influence de la disposition en laquelle l'esprit se trouve et des principes d'association. Ces derniers relient une impression présente, toujours singulière, à l'idée d'une autre (par ressemblance, contigüité ou causalité), et contribuent à fournir à cette dernière une part de la force qu'a sur l'esprit la première. Ce mécanisme, le transfert de vivacité, ne requiert finalement rien d'autre que la proximité d'une impression immédiate et d'une idée pour s'appliquer : il rend ainsi compte d'une différence qualitative entre les idées, de sorte que l'on peut ramener la croyance au fait que certaines d'entre elles sont éprouvées d'une autre manière que les autres. De cette qualité particulière des idées vives, Hume s'explique dans les premières pages de l'Appendice au Traité."

La croyance occupe une place centrale dans la pensée de HUME. "D'une part, explique Philippe SALTEL, elle participe à la réforme des distinctions entre différents genres de raisonnement ; d'autre part, son mécanisme rend compte aussi bien des inférences empiriques (où l'analyse de la croyance causale conduit à celle des effets de la coutume), que des caractères propres de la conviction religieuse et des techniques subtiles qui permettent de l'affermir et de l'encourager chez les fidèles. C'est évidemment l'un des traits les plus marqués de la philosophie humienne que de placer sur une même ligne d'analyse connaissance du monde et religion, par exemple croyance causale et croyance aux miracles." (Traité sur la nature humaine, Enquête sur l'entendement humain, Histoire naturelle de la religion).

 

La place des miracles

        L'appui de cette croyance réside, même chez de nombreux philosophes, sur les miracles, dont la réalité est défendue par les uns, déniée par les autres.

PASCAL, qui se met en retrait de certaines polémiques à propos de miracles physiques de son époque, préfère disserter sur les prophéties, qui sont "les seuls miracles subsistants qu'on peut faire" (Pensée 593). Le plus éclairant miracle n'est-il pas cette subsistance même qui des patriarches et des prophètes achemine à la réalisation en Jésus-Christ de tout ce qui avait été annoncé en figure? On conçoit pourquoi les prophéties sont la plus grande preuve de Jésus-Christ : "l'événement qui les a remplies est un miracle subsistant depuis la naissance de l'Église jusqu'à la fin" (Pensée 335). 

Autrement, à son époque, l'Église fait propager l'existence et célébrer un certain nombre de miracles. Elle s'appuie, comme PASCAL, sur la définition de THOMAS D'AQUIN, citant AUGUSTIN : quelque chose d'ardu et d'insolite qui dépasse la puissance de la nature et l'attente de celui qui en est le témoin étonné. Il est ardu parce qu'il dépasse le pouvoir de la nature... insolite parce qu'il est produit en dehors du cours naturel des choses ; il surpasse la puissance de la nature, non seulement en raison de la substance même du fait accompli, mais à cause de la manière dont il est produit et de l'ordre de sa réalisation. Cette définition est reçue tant par les libertins que par les croyants, tandis que le rationalisme conquérant dissipe les enchantements et prodigues de la Renaissance. POMPONAZZI, CARDAN, VANINI, NAUDÉ, PATIN sont passés par là ; et, quand intervient le 24 mars 1656, l'extraordinaire guérison de Marguerite PÉRIER, extrême sera la prudence de Port-Royal, dans la reconnaissance du fait d'une part, dans l'interprétation d'autre part d'un prodigue, où l'on serait tenté de voir un signe de Dieu en faveur de l'abbaye en butte à la persécution des autorités civiles et religieuses. Que le fait "dépasse la puissance de la nature" distingue certes le miracle, sans pour autant permettre de l'investir d'un sens déterminé : faveur divine aux tenants de Jansénius ou appel à la conversion? (Pierre MAGNARD).

    MALEBRANCHE prend les Miracles d'une manière toute différente, car son occasionnalisme ruine l'idée de nature au profit d'un "miracle perpétuel", puisque pour lui les relations de causalité ne se fondent plus dans la nature des choses mais dans l'intervention incessante et arbitraire de la volonté divine. Du coup, le concept de miracle est réexaminé de façon profonde. Il n'est pas produit par une cause surnaturelle, puisqu'il n'existe pas de causes naturelles véritables, et que seul DIeu produit tous les phénomènes (Causes occasionnelles). Ce qui caractérise un miracle n'est donc plus sa cause mais son rapport à la légalité naturelle. Il distingue donc ce qui est mlraculeux pour nous et ce qui l'est en soi : "Miracle est un terme équivoque. où il se prend pour marquer un effet qui ne dépend point des lois générales connues aux hommes, ou plus généralement, pour un effet qui ne dépend d'aucunes lois, ni connues ni inconnues" (Méditations chrétiennes et métaphysiques). Cette philosophie lui est reprochée notamment par LEIBNIZ, contre cette ruine de l'idée de nature. Il prolonge de cette manière la destruction, amorcée de la Renaissance, de l'idée d'ARISTOTE et de toute la scolastique de la nature, qui donne à la nature la puissance causale immanente au monde : elle n'est plus que la réceptrice passive de la volonté de Dieu. (Philippe DESOCHE)

 

Les sciences de la perception et les croyances

   Passé le XVIIe siècle, la problématique de la croyance est surtout prise en charge par les sciences de la perception, de la psychologie et plus loin, de la psychanalyse. Mais même dans une époque où la philosophie repousse l'idée de miracle, l'articulation entre la foi et la connaissance, le croire et le savoir - même au sein de la psychanalyse - n'est pas aussi simple que pourrait faire croire le recul général de l'esprit religieux. 

  Ainsi Sophie de MIJOLLA-MELLOR, loin de repousser le système de la croyance dans l'anormalité et la maladie mentale, trouve naïf "d'opposer croire et savoir, à partir de l'image d'un développement de la psyché qui irait du narcissisme des débuts ou des croyances animistes, à une attitude religieuse dans le prolongement de la relation de l'enfant au père, et culminerait dans le vécu adulte de la science qui serait en quelque sorte le signe de la maturité psychique. Car ce n'est pas si simple : la raison, elle même, tire son origine de l'organisation mythique, premier effort pour penser le monde, qu'il s'agisse des sociétés ou de l'enfant. Cela n'implique en rien que la théorie ait perdu sa valeur épistémologique ou ait à s'imposer aux dépens de la rationalité, mais souligne que le mouvement affectif de l'adhésion qui accompagne la certitude obtenue à l'issue d'une démonstration, relève lui aussi du croire. De la même manière que les enfants produisent des théories sexuelles pour lesquelles ils éprouvent une préférence de nature pulsionnelle, de même le théoricien tient à ses constructions parce qu'elles traduisent un fonds inconscient qui lui est propre - ou en sont issues -, et c'est à lui qu'adhèrent ceux qui vont le suivre.

Et quant à la foi, elle n'est pas installée dans la certitude, mais s'interroge, s'éprouve, se perd et se retrouve. Pour l'une et pour l'autre, les dogmes, voire les superstitions et, en tout cas, l'aliénation au pouvoir d'un autre supposé détenir la vérité, serviront de mécanismes de défense, chacune dans son camp et à sa manière. Prendre au sérieux le "besoin de croire" est une nécessité, car parmi ses issues diverses - l'art, la croyance religieuse, ou l'adhésion à une théorie - certaines, comme l'aliénation idéologique ou la conviction délirante, sont dangereuses."

  L'impossiblité de la preuve de l'existence de dieu ou d'une dimension divine, les liens entre sentiment océanique et croyance religieuse, le cramponnement à l'image du Père, la représentation de Dieu, tout cela est repris par la psychanalyse depuis sa fondation, sur un fond d'agnosticisme.

L'origine de la représentation de Dieu se trouve dans l'énigme par excellence de la mort, et dans les modalités de sa représentation telles que FREUD les examine, qui se présente comme autant de tentatives de déni de l'anéantissement que comporte l'expérience de la mort, celle d'autrui étant toujours par anticipation celle du sujet lui-même. Passer de l'irreprésentable de la mort à la représentation tout aussi irréprésentable de Dieu, c'est passer du non-être au sur-être dans une dialectique quasi naturelle. L'expérience de la mort doit être déniée parce que, nécessaire, elle est cependant irrationnelle et incompréhensible. 

Si l'on suit Sophie de MIJOLA-MELLOR, "la religion apparait à FREUD comme une "névrose de l'humanité" (L'homme Moïse et la religions monothéiste. Trois essais). C'est à ce titre qu'il entreprend de l'étudier, non pas dans une visée comparable à celle qu'il aurait pu avoir pour des créations humaines comme celles de l'art, de la littérature ou même de la philosophie, mais à proprement parler dans un but thérapeutique et, à plus longue vue, prophylactique. Son intérêt pour la mise en question de la religion rejoint et, à la limite, se confond avec son combat militant pour dire la "vérité" aux enfants sur les choses du sexe et de la naissance. Dans l'un et l'autre cas, les fables qui sont données à entendre sont, d'après lui, néfastes et ce n'est pas la vertu dormitive de cet "opium du peuple" qu'il redoute, mais les effets d'une toxicomanie qui priverait l'individu de sa capacité de pensée, voire de sa liberté. 

Qu'avons-nous fait près d'un siècle après de cette dimension authentiquement anti-religieuse de la psychanalyse? Si tout un courant, notamment en France avec Françoise Dolto parmi bien d'autres, s'est efforcé, comme l'avant fait Pfister en son temps, non seulement de concilier psychanalyse et croyance religieuse, mais de trouver des arguments qui les soutiennent réciproquement, en revanche cet aspect de la recherche freudienne n'a pas été repris avec la même intensité, loin s'en faut. A l'inverse, c'est contre une autre forme de positivisme déniant à la psychanalyse sa scientificité et la repoussant au nombre de ces croyances non démontrées, voire de ces illusions que pourfendait Freud, qu'il faut maintenant la défendre et l'illustrer. Simultanément, sous une forme différente, le fait religieux reprend une vigueur qui avait eu tendance, dans ces dernières décennies, à s'affaiblir. Qu'elles prennent le relais des idéologies passées ou qu'elles reviennent à leurs sources dans les divers fondamentalismes, les religions se laissent difficilement ignorer. Si nous pouvons légitimement considérer que le phénomène religieux a repris en ce début du troisième millénaire une ampleur qu'il avait quelque peu perdu à la fin du précédent, que pouvons-nous conserver, voire prolonger, de l'enseignement freudien à cet égard? Le phénomène de la croyance infiltre nécessairement le processus théorique, car l'adhésion aux idées n'est jamais de nature uniquement intellectuelle et implique un enthousiasme où le découvreur rejoint l'artiste, le croyant, et plus fondamentalement l'amoureux, au sens de la formule spinoziste de l'"amour intellectuel", qui n'est nullement une version édulcorée et abstraite de la passion. Les mêmes risques guettent ces diverses figures et ils se résument dans le figement dogmatique qui saisit le vif de la théorie lorsqu'il lui faut des sectateurs, ou dans le développement autistique d'intuitions qui ne parviennent ni à se transmettre, ni à s'élaborer autrement que sous des formes délirantes. Car, si la découverte peut se prolonger en théorie, la retombée de celle-ci peut, selon les circonstances, allumer de nouveaux foyers de recherche, concurrents dans tous les sens du terme, ou retomber en dogme dans lequel il faut voir non pas l'expression, mais la perversion du besoin de croire."

 

De la superstition

    La superstition, plus que la croyance, est entourée d'un débat de positionnements des autorités religieuses et même politiques. Qualifier de superstitions des croyances non orthodoxes est un moyen pour des autorités ecclésiastiques de limiter, et de réprimer au besoin, tout ce qui sort de la vérité religieuse. Nommer et identifier les superstitions fait partie des préoccupations inquiètes des autorités politiques qui y craignent le développement de désordres et de contestations. Par ailleurs, un grand nombre de philosophes relèguent la religion, au moins la religion "populaire", au rang de superstition.

  Ce terme même de superstition, emprunté au latin superstitio, "attitude de crainte ou de crédulité irrationnelle, croyance ou pratique non orthodoxe", est utilisé tardivement (vers 1375 au sens de culte de faux dieux), à une époque où l'Église se soucie plus des fondements  intellectuels (et non plus seulement textuels, soit à travers des lectures littérales de la Bible) de sa propre doctrine. Ce terme superstitio dérive lui-même de superstare, "se tenir au-dessus", qui pourrait expliquer partiellement le sens ancien de supertitiosus, "devin, prophètique et superstitio, "puissance, don d'omniprésence (du devin).

    Le débat à forte résonance religieuse (voir ce qui agitent les différentes institutions religieuse inquisitoriales) et même sociopolitique attire sur le tard les attentions des chercheurs en linguistique. Émile BENVENISTE (le vocabulaire des institutions indo-européennes, Éditions de Minuit, 1969) établit une recherche linguistique serrée autour du "couple religion-superstition", doublée d'une analyse du vocabulaire censée permettre la saisie sous-jacente des significations à l'oeuvre dans la constitution des institutions européennes. Il critique d'abord Walter OTTO qui rapprochait superstitio d'ektasis (car BENVENISTE pense, entre autres, que sorcellerie et magie n'ont aucun rapport à l'extase) et MILLER-GRAUPA qui, tout comme précédemment SCHOPENHAUER, avait rattaché superstitio à la croyance au démon, "conception purement gratuite" pour BENVENISTE. Selon lui, superstitio (propriété d'être présent) "est souvent associé à hariolatio "prédiction, prophétie", fait d'être "devin" ; plus souvent encore supertitiosus s'apparente à un don de seconde vue donnant un accès au passé (et non au futur) comme si on y avait été présent (témoin). Par la suite, les Romains attribuèrent à superstitio une valeur péjorative due au dédain rationaliste qu'ils avaient à l'égard des sorciers, magiciens et autres devins. Dès lors, aux dire de BENVENISTE, superstitio est référé à une forme dégradée, pervertie de la religion, antithèse de religio (scrupule religieux, culte authentique).

    Ce socle linguistique dans cette ultime acception sera adopté par les Pères de l'église jetant l'anathème sur les cultes païens réduits à des expressions immondes et rejetées comme hérésies. De fait, dès l'époque médiévale, la superstition, la magie et la sorcellerie sont opposées par les théologiens à l'orthodoxie religieuse : on peut même parler d'une triple intrication médiévale de ces trois occurrences, par définition distinctes. Le marquage religieux est saillant  et les Pères de l'Église ont regardé les superstitions comme des scories du paganisme. ainsi que des inventions du démon pour recruter des adorateurs.

A travers les oeuvres de l'abbé Jean-Baptiste THIERS (Traité des superstitions selon l'écriture sainte, 1679), le dictionnaire de FURETIÈRE (1690), se renforcent ces sens péjoratifs. 

Ensuite, la fin du XVIIIe siècle voit l'apparition de la médecine aliéniste initiant un vaste mouvement d'appropriation du domaine religieux. A la suite de PINEL et d'ESQUINOL, FODÉRÉ propose même dans son Traité du délire (1817) une mélancolie superstitieuse (englobant la manie de prophétiser!) condensant passions et croyances religieuses, sorte de "carrefour heuristique" annonçant des entités nosographiques multiples quadrillant les thématiques ascétiques, mystiques, démoniaques... métabolisées peu ou prou par la future psychiatrie.

Au XIXe siècle, deux grands ensembles peuvent être repérés :

- une définition propre à la théologie catholique et son apologétique, où la superstition "est un culte faux et déréglé rendu à Dieu ou à la créature, saint Augustin l'appelle le culte et le triomphe des démons. Le Concile de Trente dit que c'est la fausse imitation de la piété..." (GUILLOIS, 1836). Au catalogue général des superstitions figurent pêle-mêle kabbalisme, talismans et amulettes, divination, cartomancie, oniromancie (ou divination par les songes), nombre 13, magnétisme animal, magiciens, sorciers, devins, sabbat, grimoires, revenants, vampires, lycanthropes, fées ou dames blanches, farfadets, lutins, juif errant... selon l'abbée GUILLOIS, mais aussi d'après le Dictionnaire infernal dans ses versions autorisées (1844-1863) du désormais converti Collin de PLANCY (réédité en 1993 aux éditions Slatkine)... Bref tout le folklore qui fait la joie d'une grande partie de la littérature et du cinéma fantastiques depuis leurs origines, surtout présent dans les pays où précisément la religion est fortement présente, en pays protestant anglo-saxon... Maurice BLONDEL précise plus tard (dans Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF, 2002) : "à l'inverse de l'homme religieux, le superstitieux veut avoir Dieu à soi sans être à lui, et capter les forces mystérieuses pour des fins égoïstes et par des procédés naturalistes". En fait, "la superstition et l'irréligion constituent les deux pôles autour desquels se distribuent les péchés contraires à la religion" (Claude LANGLOIS, La dépénalisation de la superstition d'après la Théologie morale de Mgr Gousset (1844) dans Homo religious, Autour de Jean Delumeau, Fayard, 1997). 

- La seconde définition des superstitions, plus générale et populaire, est alimentée par la recrudescence des sciences occultes, l'émergence des pratiques spirites dans la société, et l'apparition plus tardive de la métapsychique : "croyance irrationnelle à l'influence, au pouvoir de certaines choses, de certains faits, à la valeur heureuse ou funeste de certains signes (Trésor de la langue française (1789-1960), Gallimard, 1972).

  "C'est dans cette seconde aire sémantique que s'inscrit FREUD, explique Stéphane GUMPPER, docteur en psychologie clinique et psychopathologique à l'Université de Strasbourg, en consacrant le chapitre 12 de sa Psychopathologie de la vie quotidienne (1901) aux aspects suivants : "Déterminisme, croyance au hasard et croyance superstitieuse". Initialement, on peut supposer la subsistance d'un reliquat d'un transfert in-analysé de FREUD à FLIESS, autour de la numérologie, caractérisé par des opérations de calcul visant à déterminer par exemple l'année de la mort de Freud... ce qui ne fut pas sans effet sur ce dernier! Toutefois, dans son chapitre, il tente de marquer une première distinction entre paranoïaque (qui rejette les motivations inconscientes qu'il projette en les appliquant aux manifestations d'autrui, la catégorie du fortuit n'existant plus) et homme dit normal auquel s'identifie Freud (et qui peut admettre la validité pour partie de ses actes psychiques manqués, la catégorie du fortuit étant la plupart du temps opérante). Il oppose donc des motivations inconscientes de type interne qui sont analysées comme telles, à des convictions délirantes localisées à l'extérieur, soit déplacée sur autrui. C'est là qu'il essaie opportunément de rapprocher, à partir du mécanisme psychanalytique de la projection, sans pour autant les identifier, les paranoÏaques et les "superstitueux", afin de séparer métapsychologiquement superstition et homme normal (Freud)."

Le paranoïaque fait découler le hasard d'une pensée, il recherche une motivation intérieure et s'essaie à l'interprétation de l'inconscient ; alors que le superstitieux projette à l'extérieur une motivation intérieure, tâchant d'interpréter grâce à un événement le hasard, avec la certitude d'accéder non à l'inconscient, mais à une chose cachée qui lui est dissimulée...

"L'interprétation psychanalytique n'épuise pas le sujet de la superstition, poursuit-il, qui se veut opérante depuis la nuit des temps dans diverses civilisations, et traversant de multiples traditions religieuses. Si les sciences occultes se sont constituées en partie de ce que les sciences dites officielles ont rejeté et écarté, nommément des "superstitions", la parapsychologie s'est également intéressée à ces questions. Toutefois, en périphérie, dans notre lien social, diverses expressions modernes ou postmodernes sont alimentées par des superstitions : lorsqu'elle sont fondées car finalement vérifiées, elles perdent cette appellation : non prouvées, il sera question de théories "conspirationnistes" ou encore d'essais pseudo-scientifiques tel le Code secret de la Bible (Elyaphu RIPS), basé sur des interconnections de mots et phrases cachés dans le texte de l'Ancien Testament, et révélant tous les événements de l'humanité passée, présente et à venir... depuis que Dieu s'est adressé à Moïse. Actuellement, les divers savoirs sont placés sur des plans de quasi-équivalence idéologique, induisant une concurrence et une opposition des théorisations où les superstitions sont la plupart du temps situées dans un champ disciplinaire concurrent pour mieux y être disqualifiées : la réciproque étant également opérante, dans la confusion la plus totale d'une société en quête de repères mais à qui les places d'exception structurant le lien social de jadis font cruellement défaut, sauf à vouloir en constituer de nouvelles. (Stéphane GUMPPER)

 

Stéphane GUMPPER, Superstition ; Sophie de MIJOLLA-MELLOR, Croyances, dans Dictionnaire de psychologie et psychopathologie des religions, Bayard, 2013. Philippe SATLEL, Hume ; Philippe DESOCHE, Malebranche ; Pierre MAGNARD, Pascal, dans Le Vocabulaire des philosophes, tome II, Ellipses, 2002.

 

PSYCHUS

 

Relu le 11 juin 2022

 

   

 

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6 juin 2016 1 06 /06 /juin /2016 16:19

     Organe de l'Union Rationaliste fondée en 1930, mise sur pied sous l'impulsion notamment de Paul LANGEVIN (1872-1946), philosophe des sciences et pédagogue, "pour faire connaitre dans le grand public l'esprit et les méthodes de la science", la revue, conjointement avec Raison présente, se donne pour but "de promouvoir le rôle de la raison dans le débat intellectuel comme dans le débat public, face à toutes les dérives irrationnelles. Elle lutte pour que l'État reste laïque, assume sa fonction de protection des jeunes contre toute forme d'endoctrinement, et garantisse à l'école publique son prestige et son entière indépendance à l'égard des idéologies." 

    Éditée par les Nouvelles éditions rationalistes, la revue bimestrielle a pour rédacteur en chef depuis 2012 Alain BILLECOQ, spécialiste de l'oeuvre de SPINOZA (voir Les combats de Spinoza, Ellipses, 1997). Dans son comité de rédacteur, on note les noms de Philippe DAIGREMONT, Jean-Pierre KAHANE et Gerhardt STENGER. Il est soutenu comme dans beaucoup de revues aujourd'hui par un comité de lecture.

   Dans son numéro 640 de janvier-février 2016, les Cahiers Rationalistes abordent "le nécessaire débat d'idées, la France en quête de raison et d'humanisme : propositions pour une éthique des Lumières renouvelée, Débats "lumière/matière" à travers la peinture du 17e et 19e siècle en Europe occidentale, ainsi que la Journée du droit des femmes dans sa rubrique régulière Radio. Des émissions ont lieu régulièrement à France culture (et sur Radio libertaire), animée par l'Union Rationaliste. 

  La revue est la seule revue de réflexions en France sur les questions religieuses qui adoptent une posture rationaliste, et plus largement une position agnostique combattante. Ses deux axes sont La science, la société et la culture ; et la laïcité, la liberté d'expression et la morale. Pour la revue, "la défense de la laïcité est étroitement liée à celle de la liberté d'expression, au respect des conditions qui permettent aux hommes et aux femmes de maitriser leur destin. Nous ne pouvons accepter que le rôle de l'enseignement public laïque soit subverti par de multiples agressions. Nous refusons la suprématie d'une morale révélée sur une morale laïque, produit de l'histoire dans nos sociétés. Nous dénonçons les tentatives d'instrumentalisation de la laïcité à des fins partisanes et xénophobes."

   La revue a une revue soeur, Raison présente. trimestrielle, fondée par Victor LEDUC et dirigée actuellement par Guy BRUIT, Gabriel GOHAU et Christian RUBY.

 

Cahiers rationalistes, Union rationaliste, 14, rue de l'Ecole Polytechnique, 75005 Paris. www.union-rationaliste.org.

 

Relu le 12 juin 2022

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5 juin 2016 7 05 /06 /juin /2016 12:52

     Les publications qui traitent du religieux ne sont pas toutes l'émanation plus ou moins lointaine de préoccupations religieuses. Très tôt, les intellectuels agnostiques, athées et/ou matérialistes ont exprimé leur opinion sur tous les aspects des religions, et l'ont fait notamment dans des feuilles paraissant régulièrement, dans des bulletins ou dans des revues depuis notamment en Occident au XVIIIe siècle, d'abord de façon anonyme, ésotérique et/ou clandestine, puis de façon de plus en plus ouverte, même si elles ont été (et parfois le sont encore) censurées, poursuivies, détruites par toutes sortes d'autorités civiles, religieuses et même... militaires (on songe là à certains pays d'Amérique Latine...).

 

En France, la réalité de la laïcité influence profondément le champ des revues pensant le religieux...

     Le cas de la France est particulier en ce que l'établissement officiel de la laïcité peut faire penser que le combat des rationalistes, agnostiques, athées... est victorieux et que par conséquent il n'est plus utile d'avoir des revues de réflexion sur les religions qui adoptent ces points de vue. D'autant que nombre de revues scientifiques se chargent d'étudier les multiples aspects de toutes les religions. Mais subsiste, de manière très minoritaire, un certain nombre de revues qui continuent de combattre les croyances religieuses et surtout leurs incursions dans les débats politiques, moraux et scientifiques. Aucune des revues universitaires actuelles n'adopte le point de vue anti-religieux. 

Faisant de la spiritualité religieuse le centre de leurs articles, en dehors d'options idéologiques précises, les revues des mouvances antireligieuses n'attirent que peu de signatures même si leur parution régulière témoigne d'une vitalité persistante. Des publications qui se déclarent ouvertement a-religieuses ou contre-religieuses, par ailleurs, notamment dans la mouvance communiste ou dans la mouvance anarchiste, ne se penchent pas seulement sur les phénomènes religieux, mais abordent toutes sortes d'autres sujets, comme La Pensée libre, à ne pas confondre avec l'émanation des libre-penseurs, La Raison par exemple.

 

La Raison, revue de la Libre pensée

  Prenons précisément cette revue, La Raison, revue de La Libre pensée, qui milite pour la laïcité. Apparue en 1890, alors hebdomadaire, avec pour directeur Victor CHARBONNEL, La Raison est directement à l'origine en 1902 de l'Association nationale des libre-penseurs de France, qui agit parallèlement à la fédération française de la Libre Pensée dont la revue est issue. La Libre pensée repose sur quatre principes : anticléricalisme, antidogmatisme, antimilitarisme et refus de toute oppression économique. La commission exécutive, au plus fort de l'activité de l'Association comme de La Raison, comprend des dreyfusards, comme Alphonse AULARD, des radicaux, comme Ferdinand BUISSON, des socialistes, comme Jean ALLEMANE, Aristide BRIAND, Marcel SEMBLAT et des anarchistes comme Sébastien FAURE. 

   La postérité de La Raison est plutôt intermittente, au gré des scissions et divisions au sein de la "famille" des Libre-penseurs : de 1933 à 1936, elle est l'organe de la Fédération anarchiste de Normandie ; en 1943 à Toulouse un réseau anarchiste dans le Midi de la France parait le journal La Raison, "organe de la Fédération Internationale Syndicaliste Révolutionnaire" ; de 1946 à 1955, la Fédération nationale des libres penseurs de France et l'Union français de la Libre pensée publient La Raison militante, toujours éditée aujourd'hui par l'Association des Libres penseurs de France (ADLPF) ; et en 1956, André LORULOT et Jean COTEREAU fondent La Raison, "organe d'action laïque et de propagande rationaliste", toujours édité par la Fédération nationale de la libre pensée.

    Cette dernière revue est disponible par infographie sur internet (issuu.com). Les militants de la FNLP sont toujours actifs sur des actions ponctuelles, par exemple contre l'utilisation d'argent public pour les crèches de Noël. Conformément à la loi de séparation des Églises et de l'État de 1905, la Fédération a engagé des actions dans ce sens contre les crèches de Noël dans les établissements publics. En 2014, des actions en justice ont entrainé le retrait de crèches de Noël au nom du principe de laïcité, mais n'ont pas abouti partout.

 

La Raison, La Libre pensée, 10-12, rue des Fossés Saint-Jacques, 75005 PARIS.

 

Relu le 14 juin 2022

     

 

 

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2 juin 2016 4 02 /06 /juin /2016 14:19

     Issue de l'Association pour un Islam des lumières fondée par le philosophe Malek CHEBEL, pour favoriser une meilleur connaissance de l'Islam, comme civilisation dans l'Histoire et à travers le monde, dans une approche contemporaine et proche de la vie comme elle se vit aujourd'hui, Noor se veut "le porte-voix d'initiatives, de dialogues, de réflexions, de médiations sur des sujets afférents à l'islam dans son interaction avec le monde actuel, en tentant d'être le laboratoire d'idées humanistes ou progressistes pour répondre aux défis de notre époque : la revue se donne d'abord la liberté d'un traitement libre et non conventionnel de ce sujet - l'islam - sous l'éclairage des Lumières, justement."

Malek CHEBEL, anthropologue des religions et philosophe algérien, essayiste et auteur d'ouvrages spécialisés (dont un dictionnaire du Coran), tient des conférences dans de nombreux pays d'Europe et d'Afrique. Il travaille à une vaste enquête sur l'Islam dans le monde, connu pour ses prises de position pour un Islam libéral et en faveur d'une réforme de l'Islam incluant certains aspects de la modernité politique (séparation du temporel et du spirituel, réévaluation du pouvoir des religieux...).

  Dans sa présentation, la très jeune - le numéro 1 date de princtemps 2013 - revue "sur papier et l'écrit et même l'image sonore plus tard", poursuit : "D'où ces rencontres ici ou là avec des artistes, des cheminements pour réfléchir sur la spiritualité et la laïcité, en sortant des sentiers (re)battus, en montrant comment l'intégration va vite et apporte à notre culture française de la richesse, et, dans le fond, en menant à notre manière une réflexion profonde et originale sur notre responsabilité (ou pas) d'êtres humaines à vouloir Vivre Ensemble. Pensée ici pour tous les enfants sacrifiés au nom des religions. C'est ce qu'appelle Malik Chebel, l'Alliance des subjectivités. Lui, qui est persuadé avec nous, que le réveil du racisme et la montée des radicalismes dont nous sommes les témoins sont paradoxalement signal d'un monde qui se meurt, par peur et faute de passions collectives, de projets rassembleurs.

Comme un long trait, sa ligne, son horizon, le grand soir, la revue nous conduit ici ou là, parfois pas loin - dans une salle de spectacle, toujours ouverte aux autres et sur le monde dans sa diversité, nourrie de questionnements délicats et en apparence insolubles, axée sur l'actualité sûrement plus culturelle que politique. Jamais, cependant, la politique n'en est absente, car elle est vue du point de vue de la collectivité, c'est-à-dire non partisane.

L'idée est aussi de donner envie de réfléchir autrement, en écoutant ceux que l'on n'entend peu, confinés sans cesse dans leur propre circuit de médiation : artistes entre eux, politiques entre eux, bourgeois entre eux, etc. Etre pédagogue tout en surmontant la difficulté d'y parvenir. Toujours y penser, en soutenant la tension entre grand public et public averti. S'y engager comme une marque de fabrique. ici, et dans l'esprit de la Fondation, la revue se veut comme un clin d'oeil à ces Lumières qui furent au XVIIIe siècle un véritable mouvement de fond pour réagir à l'absolutisme de la pensée (religieuse, politique et scientifique) qui paralysait tout ; aujourd'hui ce serait ce retour des extrémismes, cette peur panique de la liberté, de l'Autre, de la différence qui produit forcément le repli et des questionnements angoissés.

Car l'Islam parle désormais autant de la France, des Français et des Européens, de nos résistances à ce que nous percevons encore comme une culture étrangère, dans un monde en métamorphose, entre globalisation et nouvelles technologies, histoires d'identités en vrac. il y a des thèmes, des idées qui viendront nous aider à préciser les contours de ces sujets selon ce quelques principes arbitraires assumés : "J'aime, j'aime pas, je ressens, j'éprouve quelque chose, cela me parle, cela me plait, cela m'intéresse ou ne m'intéresse pas", en guise de sélection. Il s'agit de creuser dans cette voie pour arriver à travers un sillon que nous pourrons suivre - sans cependant jamais s'obliger à aller droit..."

   Les animateurs de la revue abordent dans le n°2 de janvier 2014 des situations trouvées un peu partout, en Egypte, en Turquie et en Afrique du Sud... 

 

Noor - revue pour un Islam des Lumières, Noor Editions, 23-25, rue Jean-Jacques Rousseau, 75001 Paris.  www.noorrevue.fr.

 

Relu le 17 juin 2022

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2 juin 2016 4 02 /06 /juin /2016 10:25

      Avec La religion dans les limites de la simple raison (1793) et Le conflit des facultés (1798), Emmanuel KANT, par ailleurs croyant, influencé énormément par le protestantisme de son enfance, décide de penser la religion, la religion chrétienne ici, sur la seule base de la raison. Il met en action une réflexion critique en faveur d'une foi purement rationnelle, réflexion critique établie dans la Critique de la raison pratique (1788).

Il entend principalement examiner la religion dite révélée pour en dégager éventuellement le noyau rationnel autant que raisonnable. La "croyance d'église" doit avoir pour "suprême interprète la pure foi religieuse". Dans la préface à la deuxième édition de La religion dans les limites de la simple raison, il recourt à la métaphore suivante : deux cercles concentriques (et non extérieurs l'un à l'autre), la foi révélée des Églises est plus large que la foi rationnelle du philosophe, mais elle la contient ou doit la contenir ; il s'agit de mettre en lumière cette dernière sans laquelle la première ne saurait être acceptée. Il entend traquer les éléments d'une religion révélée qui doivent faire l'objet d'une critique radicale qui permet de savoir si elle satisfait aux impératifs d'une foi rationnelle. 

Cette religion rationnelle dans les limites de la raison est une religion essentiellement morale : elle consiste en la pratique de la vertu telle que notre raison nous la commande, donc en actes moraux et la seule législation que nous impose Dieu, si on veut l'honorer, est une législation morale qui est en l'homme avant toute considération religieuse. "La religion ne se distingue pas en quelque point de la morale par sa matière, c'est-à-dire son objet" (Le conflit des facultés).

On peut se demander, comme Yvon QUINIOU, ce qui distingue la religion de cette pratique morale prise en elle-même ; la réponse est mince mais suffisante pour assurer que l'on est sur un terrain religieux : "La religion (considérée subjectivement) est la connaissance de tous nos devoirs comme commandements divins" (toujours dans Le conflit des facultés). "sachant, poursuit le docteur français en philosophie, que la connaissance de ces devoirs n'a nul besoin de cette "connaissance" religieuse au second degré pour les appréhender, qu'elle la précède, qu'elle est fondée sur la simple raison humaine et, qu'au surplus, elle est à l'origine de la foi rationnelle elle-même.

C'est donc un élément subjectif, touchant à la conscience réflexive, qui seul intervient pour distinguer le croyant authentique, doté d'une "foi morale", de l'agent moral ordinaire, sachant, on peut le dire tout de suite, que cet élément de "connaissance" ou de "reconnaissance" réflexive concernant l'origine ultime de nos devoirs est non seulement second mais secondaire, n'ayant en tant que tel aucune valeur morale qui pourrait le rendre obligatoire. Et on peut dire de cet élément réflexif ce que Kant dit ailleurs de la "foi en des dogmes (...) qui ont dû être révélés", à savoir qu'elle "n'a aucune mérite moral". En ce sens, il n'y a pas de devoir de croire en Dieu, y compris du point de vue de la religion naturelle. Mais, tout autant, cette dimension morale de la foi assure d'emblée à la religion naturelle une universalité incontestable, tirée de l'universalité des principes moraux qui la constituent, par opposition à la multiplicité contingente des religions ou des sectes historiques."

Il ne reste de légitime dans les religions positives, passées au crible de la critique rationnelle (tous les préceptes des religions historiques recélant des principes opposés à la morale, Kant revenant souvent sur la notion du sacrifice - meurtre demandé à Abraham par Dieu, dans la Bible), que ce qui est un adjuvant, nécessaire provisoirement étant donné la finitude humaine (besoin de croire, nécessité de l'appartenance à une Eglise, besoin de rites...) au triomphe de la religion naturelle elle-même. 

  On peut voir qu'Emmanuel KANT ne sort jamais du domaine religieux dans cette critique de la religion. La religion historique est maintenue dans sa légitimité, quoique sous une forme extrêmement atténuée par rapport à ce qu'on entend habituellement par "religion". "Nous avons affaire ici, poursuit Yvon QUINIOU (c'était moins le cas avec Spinoza et surtout Hume) à un face à face entre la raison et la religion, certes critique, mais qui reste spéculatif parce qu'il fait abstraction des conditions concrètes qui engendrent la religion sous ses différentes formes. Cette génèse empirique, Kant ne pouvait pas vraiment l'envisager (même si Hume l'avait anticipée), faute de conditions culturelles qui l'auraient permise et lui auraient évité de tout passer au crible d'une raison a priori, pour une part imaginaire. Il faut donc échapper à ce face-à-face abstrait qui ne se soucie pas d'expliquer concrètement les religions, en particulier à partir de l'histoire, et recourir à une explication de celui-ci dans le cadre des sciences humaines qui suivront le siècle de Kant. (...)".

  C'est une analyse complémentaire, mais avec l'intention matérialiste en moins, qui ressort de l'étude du Vocabulaire de Kant par Jean-Marie VAYSSE. Il résume en 3 points la conception de la religion du philosophe allemand, d'après La religion dans la simple limite de la raison :

- La religion est la connaissance de nos devoirs en tant que commandement divin. La relation révélée est celle où le commandement divin fonde le devoir, alors que la religion naturelle est celle où l'on doit savoir que quelque chose est un devoir pour le reconnaitre comme commandement divin. Pour le rationaliste, qui doit se tenir dans les limites de l'intelligence humaine, seule la religion naturelle est moralement nécessaire. Toutefois, il ne nie pas la possibilité d'une révélation, puisque la raison ne saurait en décider.

- La problématique religieuse part de la théorie du mal radical, comme impuissance morale à ériger ses maximes en lois universelles. Radical ne signifie pas absolu, mais enraciné dans le coeur de l'homme, de sorte que le mal soit également déracinable. La théorie du mal conduit donc à une théorie de la conversion et de la grâce, qui permet de repenser la religion révélée. La conversion est le rétablissement en nous de la disposition primitive au bien : acte intemporel du caractère intelligible, en est, selon le schéma évangélique, une nouvelle naissance, qui doit cependant se traduire dans le temps par un progrès continu. La grâce n'est rien d'autre que la nature de l'homme en tant qu'il est déterminé à agir par la représentation du devoir. Une humanité régénérée est ainsi concevable dans une communauté éthique nommée Église, et présupposant l'idée d'un Être moral supérieur. De même que l'état de nature est un état de guerre à la façon de Hobbes, l'état de nature éthique sera une attaque permanente du mal contre le bien. Or, si le passage d'un état de nature à un état civil est le passage à un ordre juridique contraignant, celui-ci ne permet pas de produire un état éthico-civil, car le droit ne peut exiger la pureté de l'intention morale.

- Seul Dieu peut donc régir une communauté éthique dans un règne des fins comme liaison systématique des êtres raisonnables par des lois communes, qui est royaume de Dieu où la nature et les moeurs sont harmonisés. Cette Église invisible est l'Idée de l'union de toutes les honnêtes gens sous un gouvernement divin. Elle se réalise empiriquement dans l'Église visible qui, à la différence, de l'État, doit être une association libre et non contraignante, et qui doit toujours être jugée en fonction des normes de la pure religion morale. Aussi faut-il distinguer le faux culte du vrai : si la vraie religion ne contient que des lois de la raison et si les lois de l'Église visible ne sont que des lois contingentes donnant lieu à une foi statutaire, le faux culte consistera à tenir cette fois statutaire comme essentielle. On subordonne alors la loi morale à l'observance des statuts ainsi qu'à des besoins issus de la peur et du désir, de sorte que se recréent les conditions du mal radical. 

    Olivier DEKENS explique que "il y a bien des manières d'aborder la religion kantienne, si l'on entend par là ce que Kant dit philosophiquement de Dieu et du rapport que l'homme entretien avec lui. On peut en un premier temps s'intéresser à l'aspect strictement théologique du problème, en étudiant la réfutation que Kant propose de toute preuve théorique de l'existence de Dieu, puis la fonction qu'il accorde à l'idée de Dieu dans sa philosophie de la connaissance. On peut aussi insister sur la fonction morale de la référence à Dieu, et sur la complémentarité entre morale et religion. On peut aussi mettre l'accent sur la notion de religion de la raison, en détaillant les conséquences critiques qu'une telle notion implique pour les religions révélées et les institutions ecclésiastiques. Toutes ces approches sont légitimes (...)".

Mais il insiste sur deux propositions spécifiquement kantiennes, qui donnent à son discours sur sur Dieu "une tonalité originale".

"La première affirme que la position de Dieu est l'effet d'une tendance naturelle de l'esprit humain, celle-là même que nous avons appelée (...) le désir des Idées. La seconde (...) qui définit la religion comme la connaissance de nos devoirs (moraux) comme des commandements divins. : dans les deux cas, il faut distinguer par l'exercice de la critique une forme légitime de croyance en Dieu d'une forme à la fois fausse et dangereuse de foi."

La soif de Dieu rencontre l'impossibilité d'une preuve théorique de l'existence de Dieu. Le développement de la pensée kantienne aboutit à une véritable neutralisation du théologique : Dieu n'est plus qu'Idée et le divin tel qu'il est élaboré par tout le corpus religieux des Églises a une importance en définitive secondaire dans la formulation des devoirs humains. La foi pratique n'a aucunement besoin d'un Dieu réel, elle peut se contenter, bien plus, elle doit se contenter "de l'Idée de Dieu à laquelle tout effort moral sérieux (...) visant le bien doit inévitablement aboutir" (La religion dans les limites de la raison). Pour KANT, l'essentiel est d'assurer à la loi morale une efficacité maximale dans le coeur de l'homme. Aussi, comme l'écrit Olivier DEKENS, il serait imprudent de conclure qu'il exclut le fait même de Dieu et le fait même de la religion.

 

Emmanuel KANT, La religion dans les limites de la simple Raison, Vrin, 1979. Jean-Marie VAYSSE, Kant, dans Le Vocabulaire des Philosophes, tome III, ellipses, 2002. Yvon QUINIOU, Critique de la religion, La ville brûle, 2014. Olivier DEKENS, Comprendre Kant, Armand Colin, 2005. 

 

Relu le 18 juin 2022 (malgré la chaleur et la pollution à l'ozone particulièrement intenses...)

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1 juin 2016 3 01 /06 /juin /2016 09:11

    Les Cahiers de l'Islam veulent favoriser la diffusion de contributions sur l'Islam émanant de scientifiques ou d'auteurs spécialistes, à destination d'un public d'horizons divers, spécialisés ou non, en proposant une approche pluridisciplinaire, rigoureuse et renouvelée de l'Islam, à vocation culturelle et pédagogique, dans le triple perspective :

- de valoriser et vulgariser le patrimoine spirituel et intellectuel de l'Islam ;

- de promouvoir et de contribuer à restaurer une image non altérée de l'Islam ;

- de susciter, à travers des contributions rigoureuses, des débats sur les défis et enjeux que traversent, de nos jours, les musulmans en Occident et dans les sociétés musulmanes.

      Prenant acte des manquements dans ce domaine, en prise avec les réalités et les problématiques de notre temps, utilisant aussi bien les médias et les canaux de diffusion numériques que traditionnels, il s'agit de fournir au lecteur, en toute indépendance, des clés de compréhension de l'Islam avec tant que faire se peut : objectivité, probité, respect de la pluralité et de la diversité des opinions tout en restant conforme aux principes, valeurs et éthique islamiques.

   Cette auto-présentation sur Internet (qui date de 2013) de la revue indique bien la sympathie religieuse de la revue, et son projet de pluralisme et de respect des valeurs islamiques soulève bien plus de problèmes que dans les deux autres religions monothéistes... et exige une bien forte dose de courage!

     Revue d'études sur l'Islam et le monde musulman, elle est visible surtout sur le web et forme un ensemble de revues, de livres, de conférences et de contributions qui vont dans le sens des objectifs présentés. La revue web proprement dite, éditée par l'association loi 1901 "Les Cahiers de l'Islam" date de 1995. Responsables autant du site web que de la revue académique du même nom, Djebbar AMINE, réalisateur du court métrage documentaire "Regards croisés sur l'Islam" et Lemmel PASCAL, cadre en entreprise et ancien élève de l'Institut International de la pensée islamique veulent à la fois oeuvrer pour la connaissance de l'Islam et la discussion scientifique de celui-ci.

L'Institut International de la Pensée islamique (IIIT) fondé en 1981, dans l'État de Virginie aux États-Unis, proche de l'Association des Chercheurs Musulmans en Sciences sociales se donne pour objet de défendre et de promouvoir les patrimoines intellectuels et civilisationnels musulmans. Il affirme la contribution musulmane des approches historiques, orientalistes, idéologiques et juridiques de l'Islam, en même temps que ses chercheurs entendent participer à un renouveau de l'Islam lui-même. Il s'agit de faire comprendre et de faire progresser la pensée de l'Islam, mais pas la vérité de l'Islam, comme insiste sur ce point par exemple Mohamed MESTIRI en 2003, alors directeur de l'Institut.

La Revue académique Les Cahiers de l'Islam se présente comme un périodique sous forme de livre. Ainsi le n°1-2014 porte sur la question Qu'est-ce que la philosophie arabe?  Des spécialistes s'y interrogent sur la philosophie produite "en climat islamique". Ce dossier est suivi de "Mémoire du Haji... le pèlerinage à La Mecque" vu à travers les Arts de l'Islam, la production intellectuelle et matérielle de l'époque médiévale à l'époque contemporaine et de trois recensions. 

 

Les cahiers de l'Islam, Revue d'études sur l'Islam et le monde musulman, www.cahiersdelislam.fr

 

Relu le 19 juin 2022

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