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7 juin 2016 2 07 /06 /juin /2016 08:07

     Lorsque les philosophes, notamment ceux des Lumières du XVIIIe siècle, discutent des croyances - en fait des croyances religieuses mais pas toujours seulement, existe la distinction sous-jacente entre croyance raisonnée, où la foi fait l'objet de spéculations intellectuelles parfois hautement élaborées et croyance "populaire", étant donné que dans leur esprit les masses non éduquées ont des croyances qui s'apparentent à des superstitions. Sous-jacente, car elle n'est souvent pas mentionnée dans leurs textes, ceci à des fins parfois polémiques ; beaucoup plus  présentes et intenses dans la littérature clandestine. Toutefois, de manière générale, les philosophes s'attaquent autant aux deux formes de croyance, avec une préférence à celle des élites religieuses.

 

Croyance et superstition selon HUME

   Ainsi, pour HUME, le phénomène de croyance, quelle qu'en soit la modalité, se définit par la vivacité de l'idée à laquelle on croit. Mais la vivacité caractérise en propre les impressions, non les idées qui n'en sont que les copies : le concept d'"idée vive", qui manifeste tout ce que la croyance a d'outrancier, dépend donc d'un mécanisme psychologique singulier.

Philippe SALTEL indique que pour HUME, "la croyance est l'opinion, qu'accompagne une certitude objective en lieu et place de la certitude démonstrative qui caractérise la connaissance au sens strict. La doctrine lumineuse des impressions et des idées fournit un moyen d'expliquer cette certitude comme vivacité : il convient donc de placer au premier rang de nos croyances la conviction que les objets sensibles existent, puis le souvenir que nous en avons. ("Croire, c'est en ce cas éprouver une impression immédiate des sens ou la répétition de cette impression dans la mémoire" - Traité de la nature humaine). 

Des idées de la mémoire, dont la force est issue d'une conservation de la vivacité impressionnelle (ce qui les distingue des idées de l'imagination), nous pouvons passer à la compréhension de toutes les autres idées vives : le principe en conduit Hume à supposer une opération de transfert, sous l'influence de la disposition en laquelle l'esprit se trouve et des principes d'association. Ces derniers relient une impression présente, toujours singulière, à l'idée d'une autre (par ressemblance, contigüité ou causalité), et contribuent à fournir à cette dernière une part de la force qu'a sur l'esprit la première. Ce mécanisme, le transfert de vivacité, ne requiert finalement rien d'autre que la proximité d'une impression immédiate et d'une idée pour s'appliquer : il rend ainsi compte d'une différence qualitative entre les idées, de sorte que l'on peut ramener la croyance au fait que certaines d'entre elles sont éprouvées d'une autre manière que les autres. De cette qualité particulière des idées vives, Hume s'explique dans les premières pages de l'Appendice au Traité."

La croyance occupe une place centrale dans la pensée de HUME. "D'une part, explique Philippe SALTEL, elle participe à la réforme des distinctions entre différents genres de raisonnement ; d'autre part, son mécanisme rend compte aussi bien des inférences empiriques (où l'analyse de la croyance causale conduit à celle des effets de la coutume), que des caractères propres de la conviction religieuse et des techniques subtiles qui permettent de l'affermir et de l'encourager chez les fidèles. C'est évidemment l'un des traits les plus marqués de la philosophie humienne que de placer sur une même ligne d'analyse connaissance du monde et religion, par exemple croyance causale et croyance aux miracles." (Traité sur la nature humaine, Enquête sur l'entendement humain, Histoire naturelle de la religion).

 

La place des miracles

        L'appui de cette croyance réside, même chez de nombreux philosophes, sur les miracles, dont la réalité est défendue par les uns, déniée par les autres.

PASCAL, qui se met en retrait de certaines polémiques à propos de miracles physiques de son époque, préfère disserter sur les prophéties, qui sont "les seuls miracles subsistants qu'on peut faire" (Pensée 593). Le plus éclairant miracle n'est-il pas cette subsistance même qui des patriarches et des prophètes achemine à la réalisation en Jésus-Christ de tout ce qui avait été annoncé en figure? On conçoit pourquoi les prophéties sont la plus grande preuve de Jésus-Christ : "l'événement qui les a remplies est un miracle subsistant depuis la naissance de l'Église jusqu'à la fin" (Pensée 335). 

Autrement, à son époque, l'Église fait propager l'existence et célébrer un certain nombre de miracles. Elle s'appuie, comme PASCAL, sur la définition de THOMAS D'AQUIN, citant AUGUSTIN : quelque chose d'ardu et d'insolite qui dépasse la puissance de la nature et l'attente de celui qui en est le témoin étonné. Il est ardu parce qu'il dépasse le pouvoir de la nature... insolite parce qu'il est produit en dehors du cours naturel des choses ; il surpasse la puissance de la nature, non seulement en raison de la substance même du fait accompli, mais à cause de la manière dont il est produit et de l'ordre de sa réalisation. Cette définition est reçue tant par les libertins que par les croyants, tandis que le rationalisme conquérant dissipe les enchantements et prodigues de la Renaissance. POMPONAZZI, CARDAN, VANINI, NAUDÉ, PATIN sont passés par là ; et, quand intervient le 24 mars 1656, l'extraordinaire guérison de Marguerite PÉRIER, extrême sera la prudence de Port-Royal, dans la reconnaissance du fait d'une part, dans l'interprétation d'autre part d'un prodigue, où l'on serait tenté de voir un signe de Dieu en faveur de l'abbaye en butte à la persécution des autorités civiles et religieuses. Que le fait "dépasse la puissance de la nature" distingue certes le miracle, sans pour autant permettre de l'investir d'un sens déterminé : faveur divine aux tenants de Jansénius ou appel à la conversion? (Pierre MAGNARD).

    MALEBRANCHE prend les Miracles d'une manière toute différente, car son occasionnalisme ruine l'idée de nature au profit d'un "miracle perpétuel", puisque pour lui les relations de causalité ne se fondent plus dans la nature des choses mais dans l'intervention incessante et arbitraire de la volonté divine. Du coup, le concept de miracle est réexaminé de façon profonde. Il n'est pas produit par une cause surnaturelle, puisqu'il n'existe pas de causes naturelles véritables, et que seul DIeu produit tous les phénomènes (Causes occasionnelles). Ce qui caractérise un miracle n'est donc plus sa cause mais son rapport à la légalité naturelle. Il distingue donc ce qui est mlraculeux pour nous et ce qui l'est en soi : "Miracle est un terme équivoque. où il se prend pour marquer un effet qui ne dépend point des lois générales connues aux hommes, ou plus généralement, pour un effet qui ne dépend d'aucunes lois, ni connues ni inconnues" (Méditations chrétiennes et métaphysiques). Cette philosophie lui est reprochée notamment par LEIBNIZ, contre cette ruine de l'idée de nature. Il prolonge de cette manière la destruction, amorcée de la Renaissance, de l'idée d'ARISTOTE et de toute la scolastique de la nature, qui donne à la nature la puissance causale immanente au monde : elle n'est plus que la réceptrice passive de la volonté de Dieu. (Philippe DESOCHE)

 

Les sciences de la perception et les croyances

   Passé le XVIIe siècle, la problématique de la croyance est surtout prise en charge par les sciences de la perception, de la psychologie et plus loin, de la psychanalyse. Mais même dans une époque où la philosophie repousse l'idée de miracle, l'articulation entre la foi et la connaissance, le croire et le savoir - même au sein de la psychanalyse - n'est pas aussi simple que pourrait faire croire le recul général de l'esprit religieux. 

  Ainsi Sophie de MIJOLLA-MELLOR, loin de repousser le système de la croyance dans l'anormalité et la maladie mentale, trouve naïf "d'opposer croire et savoir, à partir de l'image d'un développement de la psyché qui irait du narcissisme des débuts ou des croyances animistes, à une attitude religieuse dans le prolongement de la relation de l'enfant au père, et culminerait dans le vécu adulte de la science qui serait en quelque sorte le signe de la maturité psychique. Car ce n'est pas si simple : la raison, elle même, tire son origine de l'organisation mythique, premier effort pour penser le monde, qu'il s'agisse des sociétés ou de l'enfant. Cela n'implique en rien que la théorie ait perdu sa valeur épistémologique ou ait à s'imposer aux dépens de la rationalité, mais souligne que le mouvement affectif de l'adhésion qui accompagne la certitude obtenue à l'issue d'une démonstration, relève lui aussi du croire. De la même manière que les enfants produisent des théories sexuelles pour lesquelles ils éprouvent une préférence de nature pulsionnelle, de même le théoricien tient à ses constructions parce qu'elles traduisent un fonds inconscient qui lui est propre - ou en sont issues -, et c'est à lui qu'adhèrent ceux qui vont le suivre.

Et quant à la foi, elle n'est pas installée dans la certitude, mais s'interroge, s'éprouve, se perd et se retrouve. Pour l'une et pour l'autre, les dogmes, voire les superstitions et, en tout cas, l'aliénation au pouvoir d'un autre supposé détenir la vérité, serviront de mécanismes de défense, chacune dans son camp et à sa manière. Prendre au sérieux le "besoin de croire" est une nécessité, car parmi ses issues diverses - l'art, la croyance religieuse, ou l'adhésion à une théorie - certaines, comme l'aliénation idéologique ou la conviction délirante, sont dangereuses."

  L'impossiblité de la preuve de l'existence de dieu ou d'une dimension divine, les liens entre sentiment océanique et croyance religieuse, le cramponnement à l'image du Père, la représentation de Dieu, tout cela est repris par la psychanalyse depuis sa fondation, sur un fond d'agnosticisme.

L'origine de la représentation de Dieu se trouve dans l'énigme par excellence de la mort, et dans les modalités de sa représentation telles que FREUD les examine, qui se présente comme autant de tentatives de déni de l'anéantissement que comporte l'expérience de la mort, celle d'autrui étant toujours par anticipation celle du sujet lui-même. Passer de l'irreprésentable de la mort à la représentation tout aussi irréprésentable de Dieu, c'est passer du non-être au sur-être dans une dialectique quasi naturelle. L'expérience de la mort doit être déniée parce que, nécessaire, elle est cependant irrationnelle et incompréhensible. 

Si l'on suit Sophie de MIJOLA-MELLOR, "la religion apparait à FREUD comme une "névrose de l'humanité" (L'homme Moïse et la religions monothéiste. Trois essais). C'est à ce titre qu'il entreprend de l'étudier, non pas dans une visée comparable à celle qu'il aurait pu avoir pour des créations humaines comme celles de l'art, de la littérature ou même de la philosophie, mais à proprement parler dans un but thérapeutique et, à plus longue vue, prophylactique. Son intérêt pour la mise en question de la religion rejoint et, à la limite, se confond avec son combat militant pour dire la "vérité" aux enfants sur les choses du sexe et de la naissance. Dans l'un et l'autre cas, les fables qui sont données à entendre sont, d'après lui, néfastes et ce n'est pas la vertu dormitive de cet "opium du peuple" qu'il redoute, mais les effets d'une toxicomanie qui priverait l'individu de sa capacité de pensée, voire de sa liberté. 

Qu'avons-nous fait près d'un siècle après de cette dimension authentiquement anti-religieuse de la psychanalyse? Si tout un courant, notamment en France avec Françoise Dolto parmi bien d'autres, s'est efforcé, comme l'avant fait Pfister en son temps, non seulement de concilier psychanalyse et croyance religieuse, mais de trouver des arguments qui les soutiennent réciproquement, en revanche cet aspect de la recherche freudienne n'a pas été repris avec la même intensité, loin s'en faut. A l'inverse, c'est contre une autre forme de positivisme déniant à la psychanalyse sa scientificité et la repoussant au nombre de ces croyances non démontrées, voire de ces illusions que pourfendait Freud, qu'il faut maintenant la défendre et l'illustrer. Simultanément, sous une forme différente, le fait religieux reprend une vigueur qui avait eu tendance, dans ces dernières décennies, à s'affaiblir. Qu'elles prennent le relais des idéologies passées ou qu'elles reviennent à leurs sources dans les divers fondamentalismes, les religions se laissent difficilement ignorer. Si nous pouvons légitimement considérer que le phénomène religieux a repris en ce début du troisième millénaire une ampleur qu'il avait quelque peu perdu à la fin du précédent, que pouvons-nous conserver, voire prolonger, de l'enseignement freudien à cet égard? Le phénomène de la croyance infiltre nécessairement le processus théorique, car l'adhésion aux idées n'est jamais de nature uniquement intellectuelle et implique un enthousiasme où le découvreur rejoint l'artiste, le croyant, et plus fondamentalement l'amoureux, au sens de la formule spinoziste de l'"amour intellectuel", qui n'est nullement une version édulcorée et abstraite de la passion. Les mêmes risques guettent ces diverses figures et ils se résument dans le figement dogmatique qui saisit le vif de la théorie lorsqu'il lui faut des sectateurs, ou dans le développement autistique d'intuitions qui ne parviennent ni à se transmettre, ni à s'élaborer autrement que sous des formes délirantes. Car, si la découverte peut se prolonger en théorie, la retombée de celle-ci peut, selon les circonstances, allumer de nouveaux foyers de recherche, concurrents dans tous les sens du terme, ou retomber en dogme dans lequel il faut voir non pas l'expression, mais la perversion du besoin de croire."

 

De la superstition

    La superstition, plus que la croyance, est entourée d'un débat de positionnements des autorités religieuses et même politiques. Qualifier de superstitions des croyances non orthodoxes est un moyen pour des autorités ecclésiastiques de limiter, et de réprimer au besoin, tout ce qui sort de la vérité religieuse. Nommer et identifier les superstitions fait partie des préoccupations inquiètes des autorités politiques qui y craignent le développement de désordres et de contestations. Par ailleurs, un grand nombre de philosophes relèguent la religion, au moins la religion "populaire", au rang de superstition.

  Ce terme même de superstition, emprunté au latin superstitio, "attitude de crainte ou de crédulité irrationnelle, croyance ou pratique non orthodoxe", est utilisé tardivement (vers 1375 au sens de culte de faux dieux), à une époque où l'Église se soucie plus des fondements  intellectuels (et non plus seulement textuels, soit à travers des lectures littérales de la Bible) de sa propre doctrine. Ce terme superstitio dérive lui-même de superstare, "se tenir au-dessus", qui pourrait expliquer partiellement le sens ancien de supertitiosus, "devin, prophètique et superstitio, "puissance, don d'omniprésence (du devin).

    Le débat à forte résonance religieuse (voir ce qui agitent les différentes institutions religieuse inquisitoriales) et même sociopolitique attire sur le tard les attentions des chercheurs en linguistique. Émile BENVENISTE (le vocabulaire des institutions indo-européennes, Éditions de Minuit, 1969) établit une recherche linguistique serrée autour du "couple religion-superstition", doublée d'une analyse du vocabulaire censée permettre la saisie sous-jacente des significations à l'oeuvre dans la constitution des institutions européennes. Il critique d'abord Walter OTTO qui rapprochait superstitio d'ektasis (car BENVENISTE pense, entre autres, que sorcellerie et magie n'ont aucun rapport à l'extase) et MILLER-GRAUPA qui, tout comme précédemment SCHOPENHAUER, avait rattaché superstitio à la croyance au démon, "conception purement gratuite" pour BENVENISTE. Selon lui, superstitio (propriété d'être présent) "est souvent associé à hariolatio "prédiction, prophétie", fait d'être "devin" ; plus souvent encore supertitiosus s'apparente à un don de seconde vue donnant un accès au passé (et non au futur) comme si on y avait été présent (témoin). Par la suite, les Romains attribuèrent à superstitio une valeur péjorative due au dédain rationaliste qu'ils avaient à l'égard des sorciers, magiciens et autres devins. Dès lors, aux dire de BENVENISTE, superstitio est référé à une forme dégradée, pervertie de la religion, antithèse de religio (scrupule religieux, culte authentique).

    Ce socle linguistique dans cette ultime acception sera adopté par les Pères de l'église jetant l'anathème sur les cultes païens réduits à des expressions immondes et rejetées comme hérésies. De fait, dès l'époque médiévale, la superstition, la magie et la sorcellerie sont opposées par les théologiens à l'orthodoxie religieuse : on peut même parler d'une triple intrication médiévale de ces trois occurrences, par définition distinctes. Le marquage religieux est saillant  et les Pères de l'Église ont regardé les superstitions comme des scories du paganisme. ainsi que des inventions du démon pour recruter des adorateurs.

A travers les oeuvres de l'abbé Jean-Baptiste THIERS (Traité des superstitions selon l'écriture sainte, 1679), le dictionnaire de FURETIÈRE (1690), se renforcent ces sens péjoratifs. 

Ensuite, la fin du XVIIIe siècle voit l'apparition de la médecine aliéniste initiant un vaste mouvement d'appropriation du domaine religieux. A la suite de PINEL et d'ESQUINOL, FODÉRÉ propose même dans son Traité du délire (1817) une mélancolie superstitieuse (englobant la manie de prophétiser!) condensant passions et croyances religieuses, sorte de "carrefour heuristique" annonçant des entités nosographiques multiples quadrillant les thématiques ascétiques, mystiques, démoniaques... métabolisées peu ou prou par la future psychiatrie.

Au XIXe siècle, deux grands ensembles peuvent être repérés :

- une définition propre à la théologie catholique et son apologétique, où la superstition "est un culte faux et déréglé rendu à Dieu ou à la créature, saint Augustin l'appelle le culte et le triomphe des démons. Le Concile de Trente dit que c'est la fausse imitation de la piété..." (GUILLOIS, 1836). Au catalogue général des superstitions figurent pêle-mêle kabbalisme, talismans et amulettes, divination, cartomancie, oniromancie (ou divination par les songes), nombre 13, magnétisme animal, magiciens, sorciers, devins, sabbat, grimoires, revenants, vampires, lycanthropes, fées ou dames blanches, farfadets, lutins, juif errant... selon l'abbée GUILLOIS, mais aussi d'après le Dictionnaire infernal dans ses versions autorisées (1844-1863) du désormais converti Collin de PLANCY (réédité en 1993 aux éditions Slatkine)... Bref tout le folklore qui fait la joie d'une grande partie de la littérature et du cinéma fantastiques depuis leurs origines, surtout présent dans les pays où précisément la religion est fortement présente, en pays protestant anglo-saxon... Maurice BLONDEL précise plus tard (dans Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF, 2002) : "à l'inverse de l'homme religieux, le superstitieux veut avoir Dieu à soi sans être à lui, et capter les forces mystérieuses pour des fins égoïstes et par des procédés naturalistes". En fait, "la superstition et l'irréligion constituent les deux pôles autour desquels se distribuent les péchés contraires à la religion" (Claude LANGLOIS, La dépénalisation de la superstition d'après la Théologie morale de Mgr Gousset (1844) dans Homo religious, Autour de Jean Delumeau, Fayard, 1997). 

- La seconde définition des superstitions, plus générale et populaire, est alimentée par la recrudescence des sciences occultes, l'émergence des pratiques spirites dans la société, et l'apparition plus tardive de la métapsychique : "croyance irrationnelle à l'influence, au pouvoir de certaines choses, de certains faits, à la valeur heureuse ou funeste de certains signes (Trésor de la langue française (1789-1960), Gallimard, 1972).

  "C'est dans cette seconde aire sémantique que s'inscrit FREUD, explique Stéphane GUMPPER, docteur en psychologie clinique et psychopathologique à l'Université de Strasbourg, en consacrant le chapitre 12 de sa Psychopathologie de la vie quotidienne (1901) aux aspects suivants : "Déterminisme, croyance au hasard et croyance superstitieuse". Initialement, on peut supposer la subsistance d'un reliquat d'un transfert in-analysé de FREUD à FLIESS, autour de la numérologie, caractérisé par des opérations de calcul visant à déterminer par exemple l'année de la mort de Freud... ce qui ne fut pas sans effet sur ce dernier! Toutefois, dans son chapitre, il tente de marquer une première distinction entre paranoïaque (qui rejette les motivations inconscientes qu'il projette en les appliquant aux manifestations d'autrui, la catégorie du fortuit n'existant plus) et homme dit normal auquel s'identifie Freud (et qui peut admettre la validité pour partie de ses actes psychiques manqués, la catégorie du fortuit étant la plupart du temps opérante). Il oppose donc des motivations inconscientes de type interne qui sont analysées comme telles, à des convictions délirantes localisées à l'extérieur, soit déplacée sur autrui. C'est là qu'il essaie opportunément de rapprocher, à partir du mécanisme psychanalytique de la projection, sans pour autant les identifier, les paranoÏaques et les "superstitueux", afin de séparer métapsychologiquement superstition et homme normal (Freud)."

Le paranoïaque fait découler le hasard d'une pensée, il recherche une motivation intérieure et s'essaie à l'interprétation de l'inconscient ; alors que le superstitieux projette à l'extérieur une motivation intérieure, tâchant d'interpréter grâce à un événement le hasard, avec la certitude d'accéder non à l'inconscient, mais à une chose cachée qui lui est dissimulée...

"L'interprétation psychanalytique n'épuise pas le sujet de la superstition, poursuit-il, qui se veut opérante depuis la nuit des temps dans diverses civilisations, et traversant de multiples traditions religieuses. Si les sciences occultes se sont constituées en partie de ce que les sciences dites officielles ont rejeté et écarté, nommément des "superstitions", la parapsychologie s'est également intéressée à ces questions. Toutefois, en périphérie, dans notre lien social, diverses expressions modernes ou postmodernes sont alimentées par des superstitions : lorsqu'elle sont fondées car finalement vérifiées, elles perdent cette appellation : non prouvées, il sera question de théories "conspirationnistes" ou encore d'essais pseudo-scientifiques tel le Code secret de la Bible (Elyaphu RIPS), basé sur des interconnections de mots et phrases cachés dans le texte de l'Ancien Testament, et révélant tous les événements de l'humanité passée, présente et à venir... depuis que Dieu s'est adressé à Moïse. Actuellement, les divers savoirs sont placés sur des plans de quasi-équivalence idéologique, induisant une concurrence et une opposition des théorisations où les superstitions sont la plupart du temps situées dans un champ disciplinaire concurrent pour mieux y être disqualifiées : la réciproque étant également opérante, dans la confusion la plus totale d'une société en quête de repères mais à qui les places d'exception structurant le lien social de jadis font cruellement défaut, sauf à vouloir en constituer de nouvelles. (Stéphane GUMPPER)

 

Stéphane GUMPPER, Superstition ; Sophie de MIJOLLA-MELLOR, Croyances, dans Dictionnaire de psychologie et psychopathologie des religions, Bayard, 2013. Philippe SATLEL, Hume ; Philippe DESOCHE, Malebranche ; Pierre MAGNARD, Pascal, dans Le Vocabulaire des philosophes, tome II, Ellipses, 2002.

 

PSYCHUS

 

Relu le 11 juin 2022

 

   

 

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