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1 janvier 2020 3 01 /01 /janvier /2020 09:01

    Les Quakers, ou Société religieuse des Amis, mouvement religieux fondé en Angleterre au XVIIe siècle, font partie de cette grande dissidence de l'Église anglicane. Les historiens s'accordent à désigner George FOX comme le principal fondateur ou le plus grand meneur des débuts du mouvement. Mouvement qui s'est répandu dans les pays de colonisation anglaise. Avant au XXe siècle de se développer, avec un fort prosélytisme, en Amérique Latine et en Afrique. 350 000 fidèles quakers se déclarent dans le monde d'aujourd'hui, mais les chiffres varient (de manière certaine, 220 000 de par le monde, dont 120 000 en Amérique du Nord et moins de 25 000 en Europe)

  Durant les toutes premières années, les quakers se voient, à l'instar d'autres groupes religieux, comme un mouvement de rénovation de la vraie Église chrétienne, se débarrassant de tout credo propre et de toute organisation hiérarchique. C'est la "lumière intérieure" qui guide le quaker dans ses pensées et dans ses actions, et nombre d'entre les quakers se disent non-théistes.

   Même animés d'un esprit pacifique et de fraternité, les quakers ne sont pas exempts de nombreux conflits, à commencer, dans les débuts du mouvement, avec les autorités religieuses officielles, et entre différentes sensibilités. Le mouvement doit faire face très tôt aux persécutions, tant en Angleterre que dans les colonies. Robert BARCLAY pose en 1666 dans son Apologie de la véritable théologie chrétienne ainsi qu'elle est soutenue par le Peuple, les bases théoriques du mouvement.

Dans le grande mouvement d'émigration forcée vers les colonies, les Quakers fondent notamment la Pennsylvanie (William PENN, 1682), avec une constitution qui sert ensuite de base à celle des États-Unis. Cet État est un refuge pour tout monothéiste persécuté, même non quaker, caractérisé par le refus de l'esclavage et une attitude particulière envers les autochtones et les européens non anglais, avant d'être au courant du XVIIIe siècle, un État comme un autre, avec toutes ses caractéristiques régaliennes.

    La Société Religieuse des Amis connait au XVIIIe siècle de nombreux schismes. James et Jane WARDLEY fondent en Angleterre une bande dissidente, les shakers ou "shaking quakers", mouvement qui prospère ensuite aux États-Unis après le départ de plusieurs de ses membres, emmenés par la charismatique Ann LEE, en partie en réaction d'ailleurs de l'évolution générale des quakers par rapport aux autorités politiques et militaires. Au XIXe siècle, les quakers en Irlande et aux États-Unis vivent aussi plusieurs schismes.

   Si égalitarisme, pacifisme, simplicité de vie et de croyances, souci de l'éducation et intégrité, comme engagement extérieur, caractérisent l'ensemble des quakers, des différences notables existent entre hicksites-orthodoxes (rassemblés en 1827, autour du discours de Elias HICKS, unitarien), gurneyites-wiburites (autour de Joseph John GUERNEY et John WILBUR, issus de débats houleux autour d'un rapprochement avec les autres Églises chrétiennes, en 1842), beanites (opposés au développement du courant évangélique, autour de Joel BEAN, dans l'Ouest des États-Unis) et d'autres quakers qui se considèrent beaucoup plus comme universalistes, agnostiques, et même parfois athées ou non-théistes, devenus nombreux dans la seconde moitié du XXe siècle.    

   La Société des Amis est traditionnellement structurée en "Assemblée" dites locales, mensuelles, trimestrielles et annuelles, qui correspondent à des zones géographiques de tailles croissantes, avec une forte autorité décisionnelle dans les Assemblées mensuelles et annuelles.

 

Des principes communs

   Les Quakers croient à la présence en chque homme d'une "semence ou d'une lumière divine" qu'il doit retrouver dans la méditation silencieuse. Le culte est donc, chez eux, en principe, car il y des variantes, entièrement spontané. Les exhortations que chacun des participants est libre de faire doivent être le fruit de la communion réussie avec la lumière d'en-haut, dans le silence. Le même Esprit qui a inspiré la Bible peut inspirer tous les croyants. Les quakers ne connaissent pas d'autre canal à la grâce divine que celui de cette inspiration directe. Aussi rejettent-ils tous les sacrements, même le baptême et la Cène. Chaque acte du chrétien doit être un signe de la grâce de Dieu pour lui-même et pour les autres hommes. A ces conceptions il faut relier la pratique de la conduite des affaires de la Société dans les réunions (meetings) mensuelles, trimestrielles ou annuelles, dans lesquels réside l'autorité en matière de foi et d'administration. Tous les quakers, hommes ou femmes, y participent à égalité. Les "Anciens" n'y jouissent d'aucun pouvoir particulier, à partit l'autorité morale qu'ils peuvent s'être acquise. Les décisions ne sont pas prises à la majorité des voix, mais à l'unanimité. Il s'agit d'arriver à dégager the sense of the meeting (le sentiment de l'assemblée), ce qui se fait soit naturellement, soit par recours à des moments de méditation silencieuse.

     

Premiers quakers et évolution du quakerisme

   La référence commune à tous les quakers est la vie et l'action de George FOX (1624-1691), dont la biographie est abondamment diffusée et commentée au sein des groupes, sans excès particulier, avec un grand sens de la perspective historique et du contexte sociologique. Anglican par sa famille, George FOX est choqué dès la fin du règne de Charles 1er et encore plus pendant le Commonwealth cromwellien, par l'abondance des groupements, sectes et Églises qui prétendent alors tous à la vérité et dont le formalisme et l'exclusivisme lui inspirent de l'aversion. Il devient alors un "chercheur", un homme détaché de toute appartenance ecclésiastique, en quête d'une vérité à découvrir personnellement. La mystique de Jacob BOEHME, dont les écrits viennent d'être traduits en anglais, semble l'avoir beaucoup influencé. A cela, il faut ajouter une introversion quasi maladive qui joue, chez lui, dans le sens de l'individualisme mystique. Comme beaucoup de chercheurs (seekers) de son temps, le père de la Société des Amis, participe à la fermentation antinomienne caractéristique des sectes du Commonwealth. Il n'hésite pas à interrompre les cultes de l'Église officielle pour proclamer son message, à bravers les autorités ou à les apostropher durement. Ainsi le sobriquet de quakers (c'est-à-dire de trembleurs) attribués à ses disciples vient, selon certains, du conseil qu'il aurait donné à un juge qui l'interrogeait : "Fais ton salut avec crainte et tremblement". A moins que les "Amis" n'aient été dénommés trembleurs à cause des manifestations d'émotion frénétique qui se produisaient habituellement dans leur culte et leurs prédications.

Parmi les premiers Amis, certains donnent le spectacle de véritables déviances, tel James NAYLER, qui se prend pour Jésus lui-même. Quoiqu'il en soit des liens possibles entre les quakers - pacifistes absolus et se refusant à tout serment - et certains mouvements révolutionnaires du Commonwealth, tels les diggers, les levellers et les ranters, le quakérisme se caractérise par une attitude de protestation radicale, sociale et religieuse. En rejetant le voussoiement, les formules et les gestes de politesse, les appellations traditionnelles des jours de la semaine, en refusant même de donner aux églises d'autre nom que celui de "maisons à clocher", les premiers quakers mettent en cause toutes les relations sociales et religieuses de l'époque et du lieu, de même qu'ils dénoncent, avec toutes les branches de la Réforme radicale, le lien entre la culture de la société globale et le christianisme.

      Cette attitude de contestation radicale vaut au quakérisme d'être persécuté, et parfois, amalgamé à d'autres mouvances, plus violentes d'ailleurs. De 1650 à 1689, plus de 3 000 de ses disciples connaissent l'emprisonnement, la torture, les vexations ; 300 à 400 d'entre eux sont morts en prison. L'Amérique du Nord est leur secours, où se déploie l'extraordinaire fortune de l'État quaker, la Pennsylvanie, le "pays sans armée", qui demeure, de 1682 à 1756, sous la responsabilité des Amis.

Après l'époque exubérante des commencements, les quakers passent par une longue période de repli, caractérisée par la sclérose de la pensée. De ce phénomène témoigne déjà, au sein de la première génération, Robert BARCLAY, dont l'Apologie de la véritable religion chrétienne (Londres, 1713) est un exposé en forme scolastique d'une doctrine mystique. La non-mondanité quaker devient vite aussi une simple affaire de conformisme à des modèles vestimentaires et autres. Les infractions en ce domaine sont alors sévèrement punies, en particulier par l'excommunication. Ce fait et le manque de prosélytisme - mais aussi les divisions introduites au sein du "monde" quaker - expliquent qu'aujourd'hui le nombre des quakers soit si minime.

Le regain postérieur d'activité ne suffit pas à rendre attractive la vie quaker et à faire de la Société religieuse des Amis une force politique, religieuse ou sociale. Si les Amis ont joué un rôle de pionniers dans l'utopie sociale et politiques, ils se sont distingués dans l'éducation, mais aussi par leur aptitude à bâtir d'énorme fortunes charitables et sociales et par leurs convictions pacifistes. Aujourd'hui, les quakers jouent encore un certain rôle sur le plan diplomatique.  Ils collaborent aujourd'hui avec le Conseil Oecuménique des Églises et sont partisans d'une coopération à la base des chrétiens plus que de l'unité (bureaucratique) visible des Églises. (Jean SÉGUY)

 

Une notoriété qui perdure

    Loin de certaines manifestations exaltées de la foi de l'époque des fondations, les activités des quakers sont parfois importantes comme lors de l'aide alimentaire apportée en Allemagne après les deux guerres mondiales (secours quaker) ou de portée à long terme comme les activités diplomatiques. Les diplomates en général connaissent le plus souvent le mouvement quaker grâce à des organisations créées dans le but de faciliter les contacts informels, non officiels et par les actions de médiation entreprises sur le terrain. Entre 1952 et 1974, plus de 2 000 diplomates ont participé à des rencontres organisées à leur intention. La première conférence a eu lieu à Clarens dans le canton de Vaud en Suisse (voir afsc.org).

L'activité des quakers (qui n'ont toutefois pas de liens avec la marque de céréales Quaker Oats) est connue notamment par voie littéraire et cinématographique : VOLTAIRE déjà les fait connaître dans ses Lettres philosophiques en 1734. Les quakers sont bien connus aux États-Unis par leur "sainte expérience" dans l'État fondé par eux de Pennsylvanie et par leur implication dans les conclusions constitutionnelles de la révolte contre l'Angleterre. Si les quakers se sont ouverts au monde moderne et ont abandonné pour la plupart les comportements qui les rendaient très visibles par rapport à leurs contemporains (habillements, manière de parler, alimentation...), leur implication dans les mouvements anti-esclavagistes, contre la peine de mort, dans le monde pénitentiaire et dans l'éducation, pour la paix dans le monde et la place des femmes dans la société demeure une constance : ils alimentent - souvent discrètement - de multiples réseaux de contestation et de réforme sociales. Moins religieux (ne se disant même pas plus protestants que d'autres, vu l'évolution il est vrai des protestantismes officiels...), plus impliqués que jamais dans la société globale, les quakers exercent une véritable influence, d'autant qu'ils ne montrent généralement aucune préférence politique et qu'ils se réclament souvent d'une laïcité tolérante.

 

 

Henry VAN ETTEN, Le quakérisme, Paris, 1953 ; George Fox et les quakers, 1956. William J. WHALEN, Les Quakers : nos voisins, les Amis, Paris, 1976. Jeanne HENRIETTE-LOUIS, La Société religieuse des Amis (Quakers), Brepols, collection Les Fils d'Abraham, 2005.

Jean Séguy, Quakers, dans Encyclopedia Universalis, 2014.

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10 décembre 2019 2 10 /12 /décembre /2019 07:22

     Théodore Agrippa d'AUBIGNÉ (de son vrai nom d'AUBIGNY, retranscrit par erreur), homme de guerre, écrivain controversé et poète baroque français, connu surtout pour Les tragiques, poème héroïque racontant les persécutions subies par les protestants, dont l'oeuvre a été ignorée de ses contemporains, n'a été redécouvert qu'à l'époque romantique, notamment Victor HUGO.

   Il fait pourtant partie des chefs de guerre, stratèges et écrivains militaires - comme Gaspard de COLIGNY, François de la NOUE, et aussi le maréchal  de Saulx-Tavannes qui compose des Mémoires dont son neveu Charles de Neufchaises tire un abrégé (Instructions et devoirs d'un vrai chef de guerre, 1574) et Blaise de MONTLUC - qui s'inscrivent dans la grande tradition, par seulement protestante d'ailleurs, des guerres de religion. Calviniste intransigeant, Théodore Agrippa d'AUBIGNÉ soutient sans relâche le parti protestant, souvent en froid avec le roi Henri de Navarre, dont il est au début le campagnon d'armes. Après la conversion de celui-ci, il rédige des textes qui ont pour but d'accuser Henri IV de trahison envers l'Église. Chef de guerre, il s'illustre par ses exploits militaires et son caractère emporté et belliqueux. Ennemi acharné de l'Église romaine, ennemi de la Cour de France et souvent indisposé à l'égards des princes, il s'illustre également par sa violence, ses excès et ses provocations verbales.

    Dès le début de sa carrière, à l'exemple de son père Jean, converti au calvinisme, et qui participe au soulèvement protestant, Théodore Agrippa d'AUBIGNÉ, marqué par les massacres de la Saint-Barthélémy, tout en feignant à la Cour d'être un courtisan catholique, et même en combattant par exemple en Normandie puis à la bataille de Dormans contre les protestants, oeuvre pour que le futur Henri IV ne suive pas une politique conciliatrice envers les catholiques. Sur cet aspect, les historiens ne se déterminent pas encore sur sa bonne foi ou une certaine duplicité. En tout cas, lors de ses nombreuses missions confiés par le futur Henri IV, il se brouille avec lui à cause de son caractère emporté et intransigeant.

Après la signature de la paix de Poitiers (1577) qu'il condamne, il quitte une première fois son maître. Blessé lors d'une bataille, c'est pendant sa convalescence de deux ans, selon lui-même, qu'il aurait commencé la rédaction de son grand poème épique sur les guerres de religions, Les Tragiques.

Il retourne à la Cour de Navarre en 1579, mais perd ses illusions, pendant les guerres de la Ligue, alors qu'il s'illustre de nouveau au combat, étant nommé par Henri de Navarre maréchal de camp en 1586, puis gouverneur d'Oléron et de Maillezais, puis vice-amiral de Guyenne et de Bretagne. Après l'assassinat du duc de guise en 1588, AUBIGNÉ reprend part aux combats politiques, et représente la tendance dure du parti protestant ("Les fermes"). Comme de nombreux protestants, il ressent l'abjuration d'Henri IV, en 1593, comme une trahison. Les divergences politiques et religieuses finissent par le séparer complètement du roi. Il est écarté de la Cour, dont il se retire définitivement après l'assassinat d'Henri IV en 1610.

   C'est désormais sur le plan littéraire qu'il continue son combat : il ridiculise à l'Assemblée des églises protestantes de Saumur, en 1611, le parti des "Prudents" dans Le Caducée ou l'Ange de la paix, achève les Tragiques, et est contraint de quitter la France en 1620, après la condamnation de son Histoire universelle depuis 1550 jusqu'en 1601 par le Parlement. il se retire à Genève pour publier l'essentiel de ses oeuvres. L'essentiel de cette oeuvre est polémique, en dehors de ses sonnets, stances et odes (Le Printemps, L'Hécatombe à Diane et les Petites oeuvres mesless, Méditations sur les psaumes, poésies religieuses...). Ainsi, il cherche à discréditer les vanités de la Cour royale et la religion catholique dans la Confession du Sieur de Sancy et Les Aventures du baron de Faeneste. Il écrit ses mémoires sous le titre Sa vie et ses enfants.

 

     Même lorsqu'il aborde sa carrière littéraire, Théodore Agrippa d'AUBIGNÉ continue de s'intéresser aux affaires militaires. Comme LA NOUE, il porte un intérêt particulier à la préparation de la guerre. Mais il considère la personne du maréchal de camp, équivalent du chef d'état-major et chef suprême sur le terrain, comme facteur clé de la victoire. Sa vision du chef omnipotent annonce l'ère des "grands capitaines", qui voit son apogée lors de la guerre de Trente Ans - encore unconflit de caractère passionnel - au cours de laquelle s'affrontent des figures légendaires comme GUSTAVE-ADOLPHE, MONTECUCCOLI et WALLENSTEIN. Ces généraux lèvent, organisent et entrainent leurs armées, mais ils sont également capables de mener la charge à la tête de leurs troupes au cours d'une bataille. (BLIN et CHALIAND)

 

Théodore Agrippa d'AUBIGNÉ, Les tragiques, Gallimard, 1995 ; Histoire universelle, en 11 volumes, Éditions André Thierry, Genève, Droz, 1981-2000 ; Les Aventures du baron de Faeneste, Édition Prosper Mérimée, disponible sur le site gallica.bnf.fr. ; Oeuvres, sous la direction de Henri Weber et Jacques Balibé, Gallimard, La Pléiade, 1969 ; Écrits politiques, édition jean-Raymond Fanio, Paris, Champion, 2007.

Jacques BALIBÉ, Agrippa d'Aubigné, poète des Tragiques, Presses Universitaires de Caen, 1968. Marie-Madeleine FRAGONARD, La pensée religieuse d'Agrippa d'Aubigné et son expression, Paris, Didier, 1986. Madeleine LAZARD; Agrippa d'Aubigné, Fayard, 1998.

Eugène CARRIAS, La Pensée militaire française, Paris, 1960. LA BARRE DUPARCQ, L'Art militaire pendant les guerres de religion, Paris, 1864.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016.

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22 novembre 2019 5 22 /11 /novembre /2019 07:26

     Le dirigeant religieux chrétien anabaptiste frison (Pays-Bas) Menno SIMONS, d'abord prêcheur "évangéliste" après avoir été ordonné prêtre à Utrecht, est à l'origine, selon ses adeptes, du mouvement mennonite.

 

Du ministère catholique au ministère anabaptiste

    Influencé par les idées sacramentaires des premiers réformateurs hollandais et par sa lecture du Nouveau Testament aux alentours de 1526, il émet des doute sur la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie. Rappelons que, longtemps, l'Église catholique enseigna que le corps et le sang de Jésus-Christ sont réellement présents lors de l'Eucharistie pendant la messe.

Entre 1526 et 1531, il se considère comme un prêcheur "évangélique" même s'il ne quitte pas l'Église catholique. Nommé curé à Witmarsum en 1531, il est en contact avec des disciples de Melchior HOFFMAN (les melchiorites) qui comment à appliquer le baptême de l'adulte. Même s'il ne les rejoint pas, on peut voir dans un de ses premiers écrits (La Résurrection spirituelle, 1534) que sa pensée se rapproche de celle des melchiorites.

En avril 1535, plusieurs centaines d'anabaptistes, inspirés par des messages venus de la ville de Münster, prennent le monastère d'Oldeklooster, en Frise. Après un court siège, la plupart des moines sont tués ou faits prisonniers. Et Menno SIMONS se sent responsable du désastre. Il écrit alors un pamphlet contre les dirigeants münstérites (Le Blasphème de Jan von Leyden). Même si son pacifisme a des limites (l'autodéfense est parfois nécessaire), il s'oppose au projet des leaders de Münster d'établir le royaume de Dieu sur terre par le glaive. Ce pamphlet n'est pas publié, car Münster tombe deux moins plus tard.

    En janvier 1536, Menno SIMONS quitte l'Église catholique, à la suite de ses doutes concernant les sacrements et pour diriger les fidèles anabaptiste dans une voie non-violente par rapport à leurs persécuteurs. C'est probablement au cours de cette période qu'il est rebaptisé. Par la suite, il se marie et a des enfants. Un an plus tard, il est ordonné ancien par le dirigeant melchiorite Obbe PHILIPS. A partie de ce moment, il est traqué.

En 1540, il publie Fondation de la doctrine chrétienne, livre de théologie sur les croyances et pratiques anabaptistes, vite traduit en d'autres langues. Cette publication et d'autres de Mennno SIMONS servent alors de fondations à l'anabaptisme et au mennonitisme. Les réformes radicales qui s'en inspirent sont à l'origine du développement du mouvement évangélique. Il vit un temps à Cologne, puis durant les treize dernières années de sa vie, dans le Schleswig-Holstein.

  Ses écrits sur la nonrésistance, la liberté de conscience, la discipline, la peine capitale, l'éducation et le bon usage des richesses font encore autorité dans la mouvance mennonite.

 

Donald B. KRAYBILL, Concise Encyclopedia of Amish, Brethen, Hutterites, and Mennonites; USA, JHU Press, 2010. The Complete Writings of Menno Simons, tranlated by Leonard Verduin and editited by John C. Wenger, with a biography by Harold S. Bender, Scottdale, PA, 1956. H.S BENDER and J. HORSCH, Menno Simons' Life and Writings, Scottdalen PA, Mennonite Publishing House, 1936.  Menno Simons.net

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18 novembre 2019 1 18 /11 /novembre /2019 09:45

    Les Amish (Amisch en Allemand de Pennsylvanie), communauté religieuse anabaptiste fondée en 1693 en suisse par Jokob AMMAN, sont connus pour mener une vie simple et austère, se tenant à l'écart du progrès et des influences du monde extérieur. Ils ont donc gardé une grande partie des valeurs du XVIIe siècle, et se caractérisent par une forte cohésion sauvegardée par un système d'autorité, qui est d'ailleurs contesté en son sein.

 

Une histoire marquée par la répression et l'émigration

Ils trouvent leurs racines dans les communautés anabaptistes pacifiques installés en Suisse, particulièrement dans le territoire relativement vaste à l'époque du canton de Berne. Comme ils refusent, de la même manière que d'autres communautés anabaptistes, le baptême des enfants, ils ont longtemps été en butte aux diverses autorités religieuses. Interdit par l'Édit de Spire du 4 janvier 1528, l'anabaptisme se maintient cependant dans les régions rurales où ils entretiennent des relations de bon voisinage. Ils sont même renforcés par les abus du patriarcat bernois qui provoquent un exode de certains paysans mécontents de l'Église réformée officielle vers ces groupes dissidents qui tentent de pratiquer les valeurs évangéliques.

La férocité de la répression menée par les autorités bernoises obligent divers groupes à émigrer vers Montbéliard et l'Alsace. Avant la grande émigration vers le Nouveau Monde ou les Pays-Bas à partir de la moitié du XVIIe siècle, mouvement accéléré par la répression française de Louis XIV (édit d'expulsion des anabaptistes d'Alsace de 1712), notamment grâce à l'accueil des communautés mennonites et quaker. Par la convention de foi de 1632, commune à tous les anabaptistes, des communautés amish, américaines surtout, restent soudées entre elles, même si la plupart de ces communautés n'ont finalement pas conservé leur identité Amish.

On peut écrire que l'autoritarisme manifesté par certaines responsables des communautés est la cause de nombreuses divisions non seulement entre communautés mais également à l'intérieur de celles-ci, nonobstant l'image qu'on peut en posséder de l'extérieur. Le pacifisme affiché, qui pousse véritablement les membres à refuser toute implication dans les conflits armés de leur entourage, et à pratiquer une non-violence quotidienne, fait contraste avec une certaine violence interne (basée sur l'obéissance aux aînés gardiens souvent tatillons), héritage précisément d'une société où les différends religieux se règlent de manière tranchée, rivée sur des interprétations des Évangiles.

Une premier schisme amish se déclenche à partir de 1693. Le pasteur anabaptiste Jakob AMMAN (1645-1730), provoque un débat avec l'ensemble des communautés. Il estime constater un relâchement doctrinal dans les communautés suisses, lesquelles, sous la persécution, doivent souvent leur survie au bon voisinage et aux respect de leurs voisins, alors que les Alsaciens bénéficient alors d'une tolérance totale. Il relève six points d'opposition, dont 3 concernent la discipline, estimant que la sanction d'ostracisme n'est pas suffisamment appliquée. Sur 69 pasteurs, 27 sont en sa faveur, dont 20 en provenance d'Alsace et 5 du Palatinat. La grande majorité des anabaptistes alsaciens deviennent donc amish. Vers 1700, Jakob AMMAN et plusieurs de ses partisans regrettent la division et proposent de s'excommunier eux-mêmes temporairement jusqu'à de que l'unité soit retrouvée, mais, ayant été trop vigoureux dans les débats, leur proposition est reçue avec méfiance. La notion d'exclusion totale mise en avant par les Amish est ce qui va donner à leur communauté la capacité de résister à toute intégration et à toute influence, particulièrement lorsqu'elle est regroupée dans une région isolée. En même temps, il renforce un isolement qui empêche la communauté de réellement s'étendre.

La division majeure qui a entrainé la perte de l'identité de nombreuses congrégations amish s'est produite au troisième quart du XIXe siècle. La formation de factions s'est passée à différents moments à différents endroits et son histoire n'est connue que de manière fragmentaire. En fait, le processus de fractionnement est plutôt un "tri". Les Amish sont libres de rejoindre une autre congrégation amish à un autre endroit qui leur convient mieux. Toutefois, dans les années qui ont suivi 1850, les tensions augmentent au sein des congrégations amish et autres différentes congrégations. Entre 1862 et 1878, des conférences ministérielles ont lieu chaque années à différents endroits, concernant la façon  dont les Amish doivent faire face aux tensions causées par les pressions de la société moderne. Les réunions elles-mêmes sont une idée progressiste : auparavant chaque congrégation obéissait à un responsable sans grande discussion ; pour les évêques l'idée même de se réunir pour discuter de l'uniformité est une notion sans précédent dans l'église amish, et d'ailleurs au cours des premières réunions, les évêques les plus traditionalistes décident de boycotter les conférences. Les membres les plus progressistes, comprenant environ les deux tiers des évêques sont appelés plus tard Amish Mennonites; et finalement unis avec l'Église mennonite, et d'autres dénominations mennonites, principalement au début du XXe siècle.

La situation s'est ensuite stabilisée, les groupes les plus traditionnels s'appellent Amish du Vieil Ordre. Les congrégations qui ne prennent pas parti dans la division après 1862 forment la Conférence conservatrice amish mennonite en 1910, pour finalement laisser tomber le mot "Amish" en 1957.

Parce qu'il n'y a pas à ce moment de division en Europe, les congrégations amish qui y sont restées prennent le même chemin que les Amish Mennonite en Amérique du Nord et fusionnent progressivement avec les Mennonites. La dernière congrégation amish d'Allemagne à fusionner ainsi est la congrégation d'Ixheim Amish, avec l'église mennonite en 1937. Certaines congrégations mennonites, dont la plupart en Alsace, descendent directement d'anciennes congrégations amish.

 

Une attitude traditionaliste et pacifiste persistante au XXe siècle

    En 1955, les Amish rejettent le système de protection sociale que l'État fédéral souhaite étendre aux agriculteurs, la communauté estimant pouvoir subvenir seule à ses besoins (ce qui est amplement confirmé!). En 1965, les plus de 65 ans sont exemptés par le Congrès de souscrire au régime d'assurance santé. A la fin des années 1960, ils font néanmoins une concession sanitaires en acceptant la décision des autorité de réfrigérer les cuves à lait avec des moteurs diesel (et non avec l'électricité publique, qu'ils refusent). Pendant la guerre du Viet-Nam, en 1966, le National Amish Steering Commitee défend les Amish qui refusent d'aller combattre avec la conscription, au non leur idéologie de non-violence.

Dans l'ensemble, les communautés sont fortement regroupées sous l'autorité de leur "Conseil des Anciens", avec un forte discipline, appuyée toujours sur l'arme suprême de l'excommunication et de l'exclusion sociale. Ces communautés rejettent tout ce qui peut les couper des Évangiles ou à se diviser, en particulier par l'orgueil ou la jalousie, ce qui se concrétise à la fois dans leurs habitudes vestimentaires et leur emploi du temps (travaux agricoles particulièrement intenses, entraide de réparation ou de construction...). Le plus souvent, le "Conseil des Anciens" refuse toute innovation technique ou sociale et d'entrer peu ou prou dans la société de consommation, quoique les situations diffèrent parfois d'une communauté à l'autre, notamment en ce qui concerne la liberté pour les adolescents de voisiner (dans la journée ou en soirée) avec des non-amish. Quels que soient les libertés admises (concédées surtout, souvent à contre coeur), les choix de vie sont toutefois très limités, vus les conditions draconiennes de présence sur le "territoire" de la communauté. On observe que 10% des jeunes toutefois quittent la communauté à l'issue d'une sorte de "rite de passage" consistant en une fréquentation limitée dans le temps et l'espace avec des jeunes "extérieurs"...

La fréquentation des "anglais", comme ils les appellent, produit des effets variés suivant les régions. Mais comme ceux-ci, de manière générale, ne montrent guère d'empressement à les fréquenter ni d'ailleurs à leur imposer les obligations formelles (notamment scolaire ou militaire) de l'ensemble de la société et qu'ils ne font eux-même guère de prosélytisme (à l'inverse des Quakers par exemple), les quelques 300 000 membres répartis dans 31 États des États-Unis ainsi que dans 4 provinces canadiennes, restent dans une société relativement stable. Dont les membres croissent de manière régulière depuis les années 1900, doublant tous les vingt ans, grâce à une forte natalité et un taux de rétention très élevé des jeunes élevés dans les communautés.

      La visibilité des Amish à l'ensemble des sociétés environnantes est assez faible, et réduite aux plus proches voisins, si l'on excepte une certaine popularisation (cinéma - dont le film Witness de 1985, reportages télévisés), et cela satisfait pleinement les "Conseils des Anciens". Parfois, un livre d'un ou d'une ancienne Amish reçoit un certain écho, comme celui de Saloma Miller Furlong (Pourquoi j'ai quitté les Amish, 2013, à notre connaissance non traduit en Français) qui veut dénoncer l'oppression intérieure qui selon elle régit les relations entre membres des communautés, tout en indiquant la très forte solidarité et la chaleur humaine qui les unissent.

 

Temporalités en conflit

    Sans doute est-ce dans le contraste de la perception du temps que se situe le plus grand décalage entre les communautés - rurales et agricoles - amish et la société globale américaine. Notamment dans le Vieil Ordre qui représente aujourd'hui quelques cent cinquante mille personnes appartenant à près de mille congrégations, qui forment autant d'Églises invisibles qui perpétuent la tradition d'un service religieux rotatif tenu non dans un temple mais au domicile des fidèles. C'est ce qu'étudie Fabienne RANDAXHE, de l'Université de Saint-Étienne/GRSL-CNRS/EPHE, qui condense ses observations dans un texte de 2002.

S'ils se regroupent en districts, somme toute comme bien des agriculteurs américains, les adeptes ne vivent pas dans des espaces réservés mais sont immergés au sein de la société où le communautarisme constitue le mode d'organisation commun. Ils n'en sont pas moins habités par un idéal religieux de vie agricole et de séparation du monde : "vocation, écrit-elle, qui vaut à la communauté d'être volontiers décrite comme un ordre archaïque, figé dans le temps. Mais il serait naïf de s'en tenir à cette imagerie populaire succombant à l'éternité présumée des systèmes traditionnels.

"Loin de se cantonner, explique la chercheuse en sciences sociales, à un strict refus de la modernité au nom de coutumes intangibles, l'Old Order de Pennsylvanie connaît une dynamique intense au sein de sa tradition." La question de l'acceptation du progrès technique - question qui provoque en 1910 et 1966 les schismes entre Peachy Amish et New Oder Amish d'une part et Vieil Ordre d'autre part - travaille constamment ces communautés. 'Le défi industriel et urbain, le progrès technique et les contacts croissants avec l'extérieur l'y contraignent. La rencontre avec la société moderne met en regard des expériences temporelles différentes et conflictuelles. Elle conduit les adeptes en quête de limites avec le monde à concevoir un système de temps duel qui articule un slow time et un fast time, symbolisant respectivement la tradition par la lenteur et la modernité par la vitesse. Ces deux rapports au temps - symétriques - s'intègrent à celui que la tradition exprime par ses activités, groupes et liens sociaux significatifs, mais aussi à travers l'expérience et la relation à l'espace."

"Clé de voûte de l'ordre communautaire traditionnel que représente l'Old Order, l'Ordnung incarne intrinsèquement une dualité temporelle. Prise entre les coutumes anciennes et les comportements progressistes, cette règle mélange le temps présent et celui de la fondation dans une réinterprétation de la praxis. L'Ordnung s'affirme comme le garant des arts de faire ancestraux et d'un être amish authentique, fidèle descendant des premiers anabaptistes. Englobante, la discipline définit aussi bien les manières de s'habiller, de travailler, de construire sa maison, de se transporter, d'éduquer les enfants que de se divertir. Elle fait loi : les usages établis ne pas préférentiels mais ont valeur de prescription ou d'interdit formels. Elle entend ainsi assurer les particularités d'un mode de vie contre-culturel, en marge du monde et de ses errements. Transmise de génération en génération, elle met en scène la tradition. Orthodoxie appliquée qui se rêve immuable, l'Ordnung n'en admet pas moins le changement. Nombre de ses principes renvoient à un passé proche, contemporain de beaucoup d'adultes. Le XXe siècle fut riche de transformations tant à l'intérieur des maisons qu'à la ferme et dans l'artisanat amish, et des aménagements redéfinissent les savoir-faire et les conduites quotidiennes, qui intègrent les pratiques anciennes de l'Ordnung et acquièrent le statut de ce qui est traditionnel. La règle représente en ce sens un structure d'invariance qui travestit le changement. En garantissant que les formes renégociées des comportements de l'être amish regagnent l'éternité de la tradition, elle se prétend un déni du temps qui passe. Représentation mythique de la communauté, elle est la mémoire cachée de l'évolution du Vieil Ordre." Les emprunts à la modernité s'opèrent suivant une sélection qui préserve un mode de vie local (la traction à cheval, les entreprises de petite taille, les relations entre adeptes, la solidarité communautaire, l'indépendance, la surveillance mutuelle, les principes enracinés dans la règle, la pratique d'une non-violence entre les personnes également). L'adoption des innovations techniques se fait au compte-gouttes, l'électricité et le téléphone est reléguée à l'usage individuel (lampes de poche mais non installations électriques générales) ou aux frontières de la communauté (téléphones communautaires installés en bordure de ferme) et prévient l'individualisme, les interactions et les influences extérieures, l'accès sans borne aux biens matériels, les frivolités ostentatoires, rappelle le devoir d'humilité et de modestie et d'obéissance aux règles. La mémoire anabaptiste est régulièrement mobilisée dans des cérémonies simples, où sont invoqués, dans une langue vernaculaire anglo-germanique, les textes majeurs que constituent la bible en haut allemand, les rares disciplines des premiers leaders, la Confession de Dordrecht de 1632 et les deux ouvrages retraçant l'époque européenne des adeptes (le Martyr Mirror et l'Ausbund)...

Temps religieux et temps quotidien sont inséparables dans pratiquement toutes les activités, suivant un rythme saisonnier rappelé d'ailleurs par des calendriers, où voisinent astronomie, conseils agricoles et extraits des textes fondateurs diffusé simultanément et périodiquement dans toutes les communautés. Même l'esprit de rébellion - qui se manifeste dans un temps très courts de manière ouverte et ostentatoire - propre aux adolescents est encadré, organisé dans l'ensemble des rencontres entre sexes et parentés. "Le système-temps du Vieil Ordre est ainsi fondé sur l'articulation de différents paramètres. Les rapports entre les domaines respectifs des activités, des groupes sociaux, des cycles religieux et des événements historique construisent un ordre temporel d'ensemble, source de cohésion et de sens pour la vie de la communauté. (...) L'observation participante (de plus) révèle que le rapport au temps est du domaine de l'expérience, expériences des activités et des savoir-faire significatifs, de l'appartenance socio-professionnelle, du sentiment religieux, de l'histoire de la communauté à travers une mémoire collective."

C'est l'éloge du temps lente mis en pratique quotidiennement qui fait la force du collectif, le marque face au monde extérieure et fonde sa personnalité. Il s'agit d'une véritable mise en musique de l'opposition slow time versus fast time articulant l'opposition entre intérieur et extérieur. Il s'agit non seulement de valoriser pour le bien-être collectif le mode de vie traditionnel mais également de montrer divers méfaits engendrés par le monde moderne extérieur. Il y a là un effet miroir entre adeptes et "anglais", qui renforce l'emprise communautaire. Cette manière de comprendre le monde extérieur est pour les Amish une façon de reconnaître dans le Vieil Ordre un conservatoire des origines et de l'innocence des choses et des hommes. "Une telle représentation, associée à celle des adeptes comme descendants des pèlerins fondateurs  (représentation elle-même reconnue par les "anglais") des premières colonies américaines, témoigne de la volonté de faire du Vieil Ordre un lieu (réconfortant) de mémoire. Cette ambition traduit aussi la recherche d'une certaine épaisseur historique par un pays qui peut juger en manquer. La rencontre entre la tradition de l'Old Order et le monde moderne figure aussi une dialectique où l'un et l'autre univers participent mutuellement à la construction de leurs rapports au temps réciproques, où mythe et histoire se croisent sans s'exclure."

 

Steven NOLT, Histoire des amish, Excelsis, Charols, 2010. Marie-Thérèse LASSABE-BERNARD : étude historique et sociologique, Honoré Champion, 2000. Paul-Emmanuel BIRON, Les Amish. Pacifiques et radicaux, Olivétan, Lyon, 2015.

Fabienne RANDAXHE, Temporalités en regard. Le Vieil Ordre amish entre slow time et fast time, dans Annales, Histoire, Sciences Sociales, n°2, 2002. www.persee.fr

RELIGIUS

 

Complété le 22 novembre 2019

 

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11 novembre 2019 1 11 /11 /novembre /2019 13:49

      Outre le fait qu'une religion est suffisamment fragile quant à ses fondements pour qu'elle soit défendue et (violemment) - par ses représentants ou par ses fidèles - contre les prétentions d'une autre qui veut prendre tout simplement sa place dans les corps et dans les esprits comme dans tous les aspects matériels de la vie sociale. La religion chrétienne, parce qu'elle établi au Moyen-Âge ou même dès l'Empire Romain, une relation directe entre le monde terrestre et le monde des divinités (Dieu dans sa Trinité, Satan, les anges et les démons...), dans toutes les affaires de la vie quotidienne, est particulièrement exposée à des conflits (et des guerres) sur précisément ce qui fait ses fondements, sa foi et ses pratiques.

   Denis CROUZET examine précisément la problématique de Dieu en guerre au temps des guerres de religion, le cas des catholiques et des protestants. Il écrit que "chaque faction, dans le temps des guerres de religion, a dû créer ses propres repères ou marqueurs, sa symbolique spécifique, afin de placer ses violences dans ce qui était pensé comme relevant d'une attente de Dieu. Il y eut ce qu'on peut appeler un "travail" des acteurs des conflits, qui peut être spontané comme programmé, pour projeter de manière scénographique, dans le moment des violences, la nécessité de participation à une guerre qui était voulue par Dieu et donc était la guerre des hommes pour Dieu. De la sorte, la violence exercée conte l'autre, parce qu'il était ennemi de Dieu, devait être une métaphore du corps social purifié, rendu à son unité, réapproprié à Dieu. L'objectif, dans cette perspective, loin des explications sociales, économiques ou politiques qui tentent d'expliquer le phénomène de division religieuse du royaume de France dans la seconde moitié du XVIe siècle, est de montrer que les militants des confessions en guerre sont parcourus par une tension d'adhésion aux exigences de leur Dieu et qu'en conséquence leurs violences, qui s'inscrivent dans l'imaginaire de leur foi, sont des actes de foi placés existentiellement sous le regard de leur Dieu."

   Il s'agit pour cet auteur, professeur à l'université Paris-Sorbonne, de décrire les jeux catholiques de symboles et les pédagogies huguenotes mises en oeuvre dans cette période, qui éclairent les dynamismes à l'oeuvre dans ces guerres de religion.

 

Jeux catholiques de symboles

    Au moment, écrit-il, "où les huguenots, emportés par le mouvement triomphal de conversions aussi multiples que rapides, tentent de subvertir l'ordre ancien en détruisant les images et les sanctuaires, puis en mettant à mort les clercs, la guerre catholique de religion se caractérisa par un déchaînement de violences "inouïes" au regard des contemporains." Les populations et les élites (surtout sans doute les élite, mais pas seulement loin de là) ressentent comme une agression violente ce surgissement d'une autre foi chrétienne, non seulement parce que cela porte atteinte effectivement à une des puissances politique, économique et sociale de l'ordre établi (la puissance de l'Église, avec tous ces biens accumulés surtout grâce, aux dons et au commerce des indulgences), mais comme le suggère Denis CROUZET, cela attaque les fondements émotionnels et spirituels de la vie en communauté comme ceux de la représentation de la vie collective et de la vie tout court, que ce soit dans les villes ou les villages.

"C'est dans leurs gestes mêmes que les foules catholiques expriment la dynamique d'agression qui les portent à l'action, en utilisant le corps de l'adversaire pour précisément signifier que l'espace (public et privé, pour autant qu'il y ait à cette époque une séparation entre les deux...) est, par la violence qui est activée, lavé ou délivré de l'offense à Dieu qu'est l'hérésie. Le corps du huguenot, dans la geste de mise à mort par les fidèles encadrés souvent par des soldats, n'est pas statique. Il se déplace à travers la cité, le bourg ou le village, afin de rendre publique la réappropriation de l'espace dont il est l'instrument. A partir du début de l'année 1560 en effet, les scènes macabres vont se répétant, fixées pour la postérité dans l'Histoire ecclésiastique des Églises de France de Théodore de Bèze ou dans le Martyrologue de Jean Crespin." Tantôt les agressions, toujours collectives, visent un individu seul dans la foule, tantôt, à l'occasion de l'investissement d'une ville par l'armée ou d'une action d'éradication préméditée, ou d'un conflit opposant les deux communautés religieuses pour le contrôle de l'espace urbain, les huguenots sont massacrés en un nombre variable.

"La disponibilité collective à la violence et à la guerre de religion,qui exige une ritualisation et donc la création immédiate de signes, s'explique de la manière suivante : la religion "papiste", dans toutes ses expressions du milieu du siècle, est un immense appel à la destruction de l'"hérésie", à une oeuvre de justice voulue par Dieu. L'espace, par les rituels de violence, se trouve comme marqué, scellé de la justice de Dieu. En un simulacre de procession, les cadavres jonchent ainsi les villes, subissant une multitude de mutilations en des lieux choisis; par exemple le lieu des exécutions capitales. il s'agit pour les hommes violents, soldats et civils unis comme lors du massacre de Sens de 1562 ou celui de la Saint-Barthélémy en 1572, de resacraliser l'espace, d'exprimer à travers le corps de l'ennemi l'adhésion du peuple à la justice eschatologique de Dieu. Le massacre de l'hérétique participe d'une scénographie de réconciliation et d'amendement proclamant que l'espace est désormais occupé, possédé par Dieu." Il n'est pas étonnant alors que pendant ces massacres se produire un miracle, si petit soit-il, monté en épingles en quelque sorte dans une sorte de fièvre collective. "La violence, écrit encore Denis CROUZET, est alors la transcription des données élémentaires d'une culture de l'immanence."

Parallèlement aux déchîanements de la foule des fidèles, emmenée sur le moment ou pas par des autorités religieuses, est diffusé par des clercs, au moyen de l'imprimerie, cet outil même de diffusion de la Réforme, des messages qui lie le salut à la mort des réformés. C'est qu'il faut, surtout lorsque ces réformés résistent par la violence, la guerre la plus sanglante possible pour que Dieu se remette à aimer d'amour les hommes qui se sont détournés de lui, pour qu'il oublie l'infidélité et l'offense... Dans les discours, également, les clercs surtout mettent en avant les prédictions mêmes des Évangiles ou de l'Ancien Testament, pour désigner les hérétiques comme ceux dont Dieu a prédit qu'ils se sépareront de Lui, par désir de toujours satisfaire leurs corps. C'est qu'il est nécessaire, pour rendre légitime - malgré les horreurs - cette violence sanglante, de rabaisser ces hérétiques à des créatures avant tout désireuses de plaisirs corporels, dans une culture qui, précisément, faite de séparation entre esprit et corps, âme et enveloppe charnelle, qui place quasiment au centre de ses valeurs, un mépris ou un dégoût du corps en tant que tel, facteur de perdition. A une époque où l'espérance de vie est faible, où les vieillards ont parfois moins de quarante ans, il est essentiel que ces hommes donnent un sens à cette vie si courte, de mépriser ce corps - les moines flagellants constituent pratiquement des saints...- obstacle et objet uniquement d'épreuves pour la salut éternel. Il faut donc salir, déshonorer, mutiler le corps des hérétiques qui risquent de faire sombrer dans l'erreur - et au sens propre en enfer - le peuple de Dieu tout entier. Le mythe répandu sur les moeurs des réformés aident amplement à donner aux fidèles en colère à se donner bonne conscience, dans cette guerre de Dieu. Il se peut même, dans l'epsirt de beaucoup, que le caractère d'hérétique des protestants soit pire encore que celui des infidèles voués à Allah.

"A l'origine donc de la pulsion de violence, il y a une culture sacrée : celle qui est présentée aux fidèles de la religion romaine et qui les appelle à se replacer dans les traces du peuple de la première Alliance. Dieu est exalté dans les sermons pour avoir donné le droit de tuer à ceux qui sont membres de son corps mystique. La défense de l'Église commande d'urgence la mort de ceux dont la présence est représentée comme un assaut ultime de Satan. C'est un véritable combat contre le diable que, répétitivement tout au long de ces longues années d'angoisse, chaque catholique est ainsi incité à mener, pour empêcher que tous les saints temples soient mis à bas et que les saints soient massacrés : l'hérétique est le diable, calomniateur en ses paroles, et surtout homicide par sa fausseté qui fait sans cesse glisser d'autres âmes vers cette mort spirituelle que signifie l'adoration idolâtre d'un faux dieu. Tout est abomination en lui et le tuer n'est pas crime, mais pure justice, "médecine" du peuple parce qu'action préventive. (...)".

Denis CROUZET conclue alors qu'il est évident "que ce langage, par la brutalité même des images dont il use ou par la force des réméniscences qu'il évoque, a eu une efficacité. Dès 1562, des massacres comme le massacre de Sens, mais aussi à Paris les meurtres de protestants, ont un effet certain : ils ont entrainé parfois l'exode de familles vers des pays de refuge, des fuites (déplaçant, ajoutons-nous ainsi des compétences et des capacités intellectuelles et manuelles au détriment des populations catholiques et dont la France subira ensuite le contre-coups par une puissance matérielle - et spirituelles! - de ses ennemis...), mais ils ont aussi et surtout porté à l'abjuration (plus ou moins de bonne foi...) nombre de religionnaires, cassant la dynamique d'expansion de la Réforme française", provoquant là l'échec du calvinisme triomphant.

"Cette relation à l'espace n'est pas celle qui guide la gestuelle huguenote, de manière logique puisque leur Dieu est un Dieu d'absolue transcendance. Il ne peut pas avoir, en raison de cette sémiologie de l'écart qui prône l'autonomie du signifié et du signifiant, de relation à l'espace qui s'exprimerait par des signes, par une rhétorique des signes et des corps. Ce ne seront donc pas des signes qui seront inscrits dans l'espace, mais ce sera l'espace qui sera objet d'une action de "désignalétique". La violence sera une pédagogie négative, qui enseignera que c'est offense à Dieu que de croire qu'il peut être présent dans l'univers humain par le truchement d'une théorique des signes".

 

Pédagogies huguenotes

    Un des grands marqueurs de la nouvelle façon d'honorer Dieu est de refuser tout ce cérémonial, toute cette magnificence qui entoure les manifestations du culte catholique, étalage scandaleux de richesses dans un environnement intellectuel empli de superstitions, de craintes et... d'ignorance pure et simple, jusque dans les Universités (où les chaires de discussion sur les anges et les démons sont mises sur un piédestral) (la Contre-Réforme sera aussi plus tard la grande réforme de la formation des clercs comme de toute la hiérarchie religieuse).

   "Les violences huguenotes, dont en premier lieu l'iconoclasme qui s'exerce surtout après 1559, peuvent s'interpréter comme des violences de la raison, imposées ou planifiées méthodiquement afin d'assurer la plus grande glorification du Dieu de l'Évangile. Elles visent à enseigner la gloire de Dieu à tous., tout d'abord dans le cadre d'une pensée optimiste qui rêve que, montrée aux hommes, la puissance de la Vérité redécouverte l'emportera irrésistiblement sur les illusions papistiques. La violence semble agir rationnellement parce qu'elle participe de l'imaginaire d'un temps qui doit voir se constituer une société d'Alliance dans la rationalité même de la toute-puissance de la Vérité. Elle épargne dans une première phase les corps : le sang catholique, même celui des prêtres auxquels l'exil est proposé dans les premières villes conquises en 1562, ne coule d'abord que peu : le temps doit faire son oeuvre, c'est dans son cours ouvert que sera parachevée la conquête des âmes égarées. Des rituels de libération sont théâtralisés, tels celui consistant à faire monter un prêtre à l'envers sur une mule (...). L'humiliation du prêtre, son déshabillage par exemple, le jet dans un bûcher de ses habites et des ornements de l'église, débarrassée elle-même de tous les éléments décoratifs, tout cela est destiné à faire disparaitre les signes de l'offense à Dieu que constitue tout ce luxe ostentatoire de l'autel, et au passage à démontrer que même ce faisant, la colère divine attendue de ces catholiques ne se manifeste pas. Il s'agit de mettre en scène la thématique d'une impuissance naturelle de ce qui n'est que matière, de celle qui est prétendûment sanctifiée. Il s'agit d'une négation des signes du Divin, qui va, dans les villes conquises, jusqu'à la dispersion des richesses du clergé, l'éradication des signes de la religion "papiste". Mais aussi, toutes ces manifestations symboliques, à force de processions à l'envers, s'accompagne de mesures politiques et fiscales dont la mise en oeuvre n'est décidément pas suivie de calamités divines, et qui possèdent en outre la faculté - à court terme - de calmer bien des conflits.

"L'Histoire, telle qu'elle à la fois proposée, relatée et vécue, se fait alors la chronique d'une fin, qui est la fin d'un monde au coeur duquel, outre "la prestaille" et le pape qui la gouverne, il y a les images et les reliques. Le culte des idoles et la vénération des corps saints relèvent, pour les calvinistes, d'une grande "titanie". L'homme qui vénère les sacralités de l'Église romaine, vit dans le mal sans le savoir. L'approche calviniste est linguistique : les mots, du fait des stratagèmes des prêtres et moines, n'ont rien à voir avec ce qu'ils nomment ; ce qui est saint pour l'Eglise romaine ne l'est que par l'effet d'un langage qui est une création de Satan, un langage qui a été saisi de folie et qui procède par folie pour exercer sa domination sur les hommes. Une rhétorique de l'antinomie. La vraie sainteté se vit dans la certitude du don gratuit du salut ; elle se vit dans la quotidienneté d'une observation des commandements de Dieu et dans la glorification de la toute-puissance divine. Elle ne procède pas de l'adoration de représentations faites dans la matière ou de corps des morts." On se rappelle que les débuts du protestantisme est marqué, en Allemagne et en France, par le refus du commerce des indulgences. Aux confessions obligatoires, avec pénitences compliquées à la clef, variables d'ailleurs suivant les classes sociales et assorties souvent de promesses de donations à l'Église, il est substitué l'observation des commandements : au lien de confesser leur transgression et de se voir absoudre, même des crimes parfois, il faut les observer.

Les modalités de ces disparitions des reliques et autres richesses de l'autel sont diverses suivant les régions, et ces variations dépendent beaucoup de la présence, dans l'espace, d'un capitaine au service du prince de Condé par exemple, défenseur du roi et de l'État, ainsi que de la volonté des magistrats urbains ou des officiers royaux sur place. L'or et l'argent peut être redistribué vers la ville ou vers l'autorité constituée, elle-même convertie, il peut être également fondu pour financer les guerres... Souvent la désacralisation est réalisée par une ritualisation plus ou moins spectaculaire et... plus ou moins rapide... Par exemple, avant d'être réutilisés, les métaux des croix et des montants des tableaux sont mélangés à des ossements animaux, au milieu de la foule... Ces mises en scène, parfois inversion des théâtres de rue pour l'édification de la foi catholique sont d'autant plus prisées qu'elles représentent un changement de l'identité même de la Cité. Les gardiens des reliques, qui étaient régulièrement montrées et inventoriées, ne sont pas bien entendus les plus heureux dans l'histoire, et ne doivent souvent leur vie qu'à une fuite plus ou moins désordonnée. C'est qu'en même temps que le pouvoir religieux change de forme, il change de mains et souvent, le pouvoir politique également, qui instaure souvent de nouvelles règles de justice et de fiscalité.

Dans un second temps cependant, la Réforme "glisse vers une violence sanglante qui n'en résulte pas moins d'une rationalité pratique. Il s'agit, face à des papistes, dont la violence retarde le triomphe attendu de la Vérité, d'utiliser la violence. Le massacre doit témoigner de la puissance même de la Vérité, permettre de prolonger l'effet démonstratif de surprise qui avait été, au tout début de la première guerre de religion, provoqué par le basculement de nombreuses villes vers l'Évangile. Il doit préserver l'utopie d'une Vérité qui s'imposerait providentiellement. La violence, terroriste et calculée, a pour fin de casser la dynamique de la réaction catholique. Elle se fixe sur les seuls moines et prêtres et ainsi autorise rationnellement l'adaptation de l'engagement réformé, qui était fondé dans l'espoir d'une lutte brève entre Dieu et Satan, à une guerre soumise aux lois de la durée et donc de la guerre. Elle recrée l'utopie d'un temps proche et toujours possible de victoire, quand auront disparu ceux qui, nommés la "peste du monde", sont rapportés être à l'origine de la violence catholique? C'est là où les calvinistes poursuivent leur oeuvre de destruction des signes marquant ou identifiant l'espace, en mettant à mort ceux qui assurent par leur langage la pérennité des signes. (...)

L'important est donc que la stratégie ou l'usage protestant d'investissement de l'espace est antinomique de l'usage catholique, projetant les données élémentaire de la force des ruptures sémiologiques qui portent en avant la rupture religieuse et qui font que le protestant est désormais muni d'instruments cognitifs qui ne sont pas ceux dont disposent les catholiques. L'espace ne se penser plus comme l'espace d'une relation à Dieu par le biais de signes, par des manifestations d'immanence auxquelles participent les violences contre les corps huguenots. Il est un espace qui doit revenir à une nudité, être épuré de tout un langage de médiation et de communication avec le divin : c'est la fonction même de la violence de rendre opératoire un système de représentations au sein duquel, hors de l'Évangile, il y a incommunicabilité des sphères humaines et divines. L'espace, dans cette nudité retrouvée, est une pédagogie de la transcendance et les rituels de violence, qui, bien souvent inaugurent la prise de possession huguenote ont pour fin de faire sortir de l'imagination des hommes la mémoire du mal qui les a éloignés de Dieu (ce qui donne, par ailleurs, à cette espace une allure austère et simple, notamment dans les temples, devons-nous écrire également). Alors que la violence catholique fait de l'espace un lieu de mémoire de la toute-puissance divine triomphant toujours de ses ennemis, la violence huguenote cherche à oblitérer la mémoire d'une grande profanation de la gloire infinie de Dieu, à lui ôter tous ses référents en détournant les fidèles d'une adoration qui ne doit être que spirituelle. Les guerres de Dieu du second XVIe siècle sont des guerres sacrées parce que, pour les protagonistes, elles activaient deux figures inconciliables de la transcendance."

  Sur cette conclusion de Denis CROUZET, on doit ajouter que par la suite, les guerres de religions, par l'enchaînement notamment des violences, si elles gardent cette dimension psycho-sociale, deviennent des phénomènes complexes où se mêlent sentiments de revanche et naissances d'esprits nationaux, le tout dans des conflits multi-dimentionnels où catholiques et protestants (ceux de France et ceux d'Espagne se combattent aussi vigoureusement que protestants anglais et allemands ou hollandais) accompagnent non seulement l'approfondissement du capitalisme marchand mais également la naissance de nationalismes de plus en plus ombrageux. L'esprit religieux - et sa problématique des signes religieux -  a tendance à se noyer dans d'autres considérations et d'autres enjeux, où l'on peut voir par exemple de grands financiers protestants favoriser tour à tour, maisons royales ou impériales catholique et protestante, suivant des logiques commerciales parfois compliquées et... versatiles.

 

Denis CROUZET, Dieu en guerre au temps des guerres de religion : catholiques et protestants, dans Guerre et Religion, Sous la direction de Jean BAETCHER, Hermann, 2016.

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9 novembre 2019 6 09 /11 /novembre /2019 08:43

   Issu du courant pacifiste et communautaire de l'anabaptisme du XVIe siècle, l'huttérisme revêt une valeur sociologique exemplaire par la rigueur avec laquelle, jusqu'à l'époque actuelle et par-delà plusieurs migrations successives qui l'ont amenée finalement en Amérique du Nord, il est resté fidèle non seulement à son idéal religion primitif, mais aussi à se structure sociale initiale, ainsi qu'au dialecte et même aux vêtements de son milieu original. Fondé en Moravie à Nikolsburg (actuellement Mikulov, dans la partie orientale de la République tchèque), par un pasteur anabaptiste tyrolien, Jakob HUTTER, torturé et brûlé comme hérétique en 1536, l'huttérisme groupe des milliers de frères répartis dans des fermes communautaires, d'où est bannie la propriété privée et dans lesquelles le chef distribue le travail. Aujourd'hui, ce mouvement subsiste surtout au Canada (pour les trois-quart) et aux États-Unis (pour un quart) où environ 50 000 adeptes vivent en circuit fermé dans des communautés agricoles. Les huttériens sont divisés en deux groupes, les vieux huttériens et les nouveaux huttériens, ce derniers ayant été excommuniés par les premiers.

 

Le contre-exemple de la révolte de Münster

    La volonté de retour aux valeurs du christianisme originel qui travers tout le protestantisme et ses différents courants, dont l'anabaptisme ne doit pas faire oublier la tendance de fond, très visible dans certaines fractions de l'huttérisme, d'imposition autoritaire de manières de penser, y compris par la violence. C'est ainsi que la révolte de Münster peut se comprendre, entre aspirations spirituelles collectives d'assurer le salut (qui ne peut être que collectif et pas seulement individuel) et habitudes des relations de domination à l'intérieur des groupes religieux, même les plus progressistes. Cette révolte dans la ville allemande de Münster en Westphalie, de février 1534 à juin 1535 constitue une tentative de la part des anabaptistes d'établir une théocratie. Sous la conduite de Jean de LEYDE, qui prétend être directement inspiré par des visions divines, la ville est alors administrée sous la terreur alors que la polygamie est légalisée. La ville est reprise par les armes en juin par son ancien archevêque et les meneurs mis à mort. Cet épisode de la révolte de Münster n'a pas seulement laissé une image déplorable de l'anabaptisme, communauté religieuse engagée dans son immense majorité dans une non-violence absolue, il constitue pour ses adeptes-mêmes un avertissement sur des tendances de fond auxquelles tout fidèle doit être vigilant. Loin d'occulter cet épisode, maintes autorités religieuses conçoivent même cet épisode comme le contre-exemple de ce que doit faire la communauté pour assurer le salut individuel et collectif. La révolte de Münster marque un tournant dans l'histoire du mouvement anabaptiste qui pouvait alors aller un peu dans tous les sens. Il n'aura à et ne voudra plus jamais assumer le pouvoir politique ou civil et adopte des mesures strictes pour réprimer toute tentative en ce sens (notamment par l'exclusion). En août 1536, les dirigeants des différents groupes anabaptistes se réunissent à Bocholt dans une tentative de maintenir l'unité. La réunion comprend adeptes de Batenberg (de disciples de Jan van BATENBERG qui conserve les vues millénaristes de l'anabaptisme de Münster, polygamie et usage de la force), survivants de Münster, David JORIS et ses sympathisants et anabaptistes non-violents. Lors de cette réunion, les principaux différends entre les groupes sont le mariage polygame et l'usage de la force contre les non-croyants. La réunion n'empêche pas la fragmentation de l'anabaptisme.

Certains anabaptistes non-violents trouvent comme chef Menno SIMONS et les frères OBBE et Dirk PHILIPS, des dirigeants anabaptistes hollandais qui répudient la pensée radicale des anabaptistes de Münster. Et qui prend le nom de Mennonites. Ils rejettent toute utilisation de la violence et prêchent une foi basée sur l'amour de l'ennemi et la compassion. Mais la grande majorité reste dans le cadre des communautés huttérites, même si, c'est bien évident dans le contexte de violences et de destructions propres aux guerres de religion qui traversent alors l'Europe, il est bien difficile de retracer son histoire mouvementée... De 1536 à 1542, l'autorité reconnue au sein de la communauté est exercée par Hans AMON. Peter RIEDEMANN est à l'époque un théologien important, auteur de deux témoignages de la foi qui sont devenus des classiques du mouvement huttérite.

Les différents représentants huttériens après Peter RIEDMANN sont Andreas EHRENPREIS (de 1639 à 1669), Tobias BERSCH (1694-1701), Jakob WOLMAN (1724-1734), Jergi FRANK (1734-1746) et Zacharias WALTHER (1746-1761). Ce dernier abandonne ensuite la vie selon les préceptes huttériens pour rejoindre l'Église catholique). Ensuite, on entre dans une autre période...

 

Organisation et principes de la communauté huttérite

     Les huttérites se distinguent des autre anabaptistes par la pratique de la communauté des biens. Du simple partage du début de leur histoire, ils ont évolué vers une mise en commun de la propriété et de la production. La vie quotidienne se fait en commun. Les repas sont pris ensemble. L'éducation des enfants est également le souci de tous. On retrouve bien entendu ce genre de vie, à des degrés divers dans beaucoup de communautés, mêmes non religieuses.

   Quatre motivations sont à l'origine de cette mise en commun :

- l'idée que la communauté des fidèles rétablit un état paradisiaque supposé où la propriété est absente ;

- elle est à l'image de l'amour fraternel qui unit le Père et et Fils ;

- elle s'appuie sur un principe mystique, la résignation, par laquelle le fidèle ne peut plus désirer posséder et s'abandonne à la Providence ;

- c'est la destruction de tous les désirs égoïstes des hommes. Les huttérites prennent très au sérieux tous les avertissements que l'on peut trouver dans la Bible contre le désir et la jalousie.

    Les huttérites vivent généralement dans des communautés qui accueillent au maximum 300 personnes (à l'origine, maintenant plutôt 200). Chaque ferme est dirigée par un ancien, économe responsable de la discipline et de l'ordre économique. Chaque goupe de production a son maître qui surveille le travail, procure la matière première et s'occupe de la vente des produits. La production se faisait souvent en circuit fermé. Les matières premières étaient fournies par des coreligionnaires. Les prix étaient très bas car les frères huttériens n'était pas payés, puisqu'on ignore le salariat dans ces communautés. Leur efficacité économique leur assurait une prospérité économiques qui suscita souvent la jalousie du voisinage. Pendant la guerre de Trente ans par exemple, les seigneurs convoitent leurs fermes et se livrent parfois au pillage et à la destruction. Les huttérites acquièrent une véritable technique de la dissimulation des biens et des personnes (caves aménagées). Se cachant trop bien, ils exaspèrent les autorités, d'autant que les frères refusent de leur informer de quoi que ce soit. Établis à l'origine en Moravie, il sont interdits de territoire en 1622 par l'empereur Ferdinand II. L'errance des communautés va durer alors trois siècles.

 

Des errances en Europe à l'établissement (presque) définitif en Amérique du Nord

    Les communautés huttérites, après leur départ de Moravie se dispersent en Haute-Hongrie et Transylvanie, cheminent en Valachie (1767-1770), sous la poussée du retour du catholicisme, bien moins enclin à les tolérer que divers courants protestants, en Russie (1770-1874) (à l'appel du comte ROUMIANTSEV entre autres, pour exploiter ses immenses territoires incultes ou de Catherine II, pour coloniser les nouveaux territoires du Sud de l'empire, en leur garantissant la liberté de culte...), avant de finir d'émigrer en Amérique du Nord (depuis 1874)... Elles s'installent surtout dans le Dakota du Sud via Hambourg et New York. Au cours de la première guerre mondiale, des violences commises à l'encontre des huttérites parlant allemand, les incitent à émigrer au Canada. Là, les huttérites ont mieux traversé la crise économique que bien d'autres dans les années 1930.

Par la suite, leur population connait la croissance jusqu'à aujourd'hui. De la crise en Russie, ils ont tiré la leçon que des communautés trop importantes nuisent à la cohésion de l'ensemble. Dès lors, lorsque la colonie atteint environ 120 habitants, un autre est fondée et la moitié la rejoint.

Au cours de la seconde guerre mondiale, les huttérites sont l'objet d'une hostilité croissante ainsi que d'une législation discriminatoire. C'est la raison pour laquelle de nouvelles colonies sont également fondées aux États-Unis. Les trois groupes de huttérites se caractérisent par un degré différent d'ouverture par rapport à leur voisinage. Tous cependant vivent jusqu'à aujourd'hui relativement isolés du monde extérieur. Les huttérites sont caractérisés également par un fort sentiment familial qui privilégie les relations à l'intérieur des familles, formant de véritables "clans" (quinze familles environ...). Chaque famille appartient à l'un des trois grands groupes. Les huttériens se répartissent ainsi en Schmiedeleut (fondés sous Michael WALDNER, issus de la colonie de Bon Homme), en Lehrerleut (fondés sous Jokob WIPF, issus de la colonie d'Almspring, les plus traditionnels) et en Dariusleut (fondé sous Darius WALTER, issus de la colonie de Wolf Creek)... Il y en a d'autres, plus ou moins bien répertoriées... En tout cas, ces derniers, nommés Vieux huttérites, se distinguent des Nouveaux huttérites, car au sein des huttériens, les Bruderhöfer ou Arnoldlieut tiennent un rôle particulier. Ces communautés se sont rattachées aux huttérites pendant un temps, mais s'en sont séparés en 1995. Ils ne descendent pas des premières familles germanophones et ont été fondées en Allemagne bien plus tard dans les années 1920 par Eberhard ARNOLD et son épouse Emmy à Sannerz en Suisse... Cette présentation ne doit pas dissimuler que chaque communauté à des caractéristiques propres, et notamment par ses relations plus ou moins ouvertes sur le monde extérieur...

 

Sous la responsabilité de Marc VENARD, Histoire du Christianisme, tome VIII, Le temps des confessions, 1530-1620, Desclée de Brouwer, 1992. On doit signaler la grande qualité de l'article Wikipedia sur les Huttériens. La plus grande partie (très grande...) de la littérature consacrée aux Huttériens est en langue allemande, très peu d'écrits en Français...

 

PAXUS

 

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2 novembre 2019 6 02 /11 /novembre /2019 09:08

   Le mennonitisme, mouvement chrétien anabaptiste dissident de la Réforme protestante, est d'abord une appellation populaire que les Néerlandais utilisaient pour désigner les anabaptistes au XVIe siècle. Du nom d'un de leurs dirigeants célèbres, Menno SIMONS, prêtre catholique converti à l'anabaptisme. Et comment souvent, les membres de ce mouvement ont fini par adopter ce nom. Une grande partie de ses membres sont aujourd'hui rassemblés dans la Conférence mennonite mondiale.

 

Un protestantisme dissident

  C'est précisément à partir de l'anabaptisme pacifique dans un de ses versions néerlandaise, que Menno SIMONS (1496-1561) devient l'un des chefs de ce courant religieux, en Hollande et jusqu'en Allemagne. Son influence s'étend vite en fait, excepté la branche dite houttérienne, à l'ensemble de l'anabaptisme pacifique européen.

   L'anabaptisme pacifique né à Zurich au début de 1525, d'une scission entre ZWINGLI et certains de ses disciples, au moment de l'introduction de la Réforme dans la cité et dans le canton. Les disciples impatients, parmi lesquels Conrad GREBEL et Félix MANTZ, désirent la rupture du lien entre l'Église et l'État. Leur conception est celle d'une Église de convertis, opposant le Corpus Christi au Corpus christianum de la chrétienté médiévale. Elle trouve son expression symbolique dans le baptême des seuls adultes sur profession de leur foi, d'où leur nom de "rebaptiseurs"; puisque tous ses membres avaient déjà été baptisés enfants. Les intéressés refusent toute valeur à ce premier baptême, et refusent d'abord ce nom que les autres leur donne. Ils s'appellent "frères" entre eux et l'habitude a subsisté de désigner les anabaptistes suisses par le vocable de "frères suisses". Un strict refus de la mondanité, de l'usage de la violence et des fonctions politiques ainsi qu'une nette insistance sur l'indépendance des groupes locaux, ou assemblées, caractérisent ces dissidents. Partout le mouvement rencontre un succès certain, et dans toutes les classes sociales, spécialement chez les clercs et les intellectuels humanistes. Il attire également quelques personnes rescapées des mouvements révolutionnaire de Thomas MÜNTZER et du "royaume de Münster" ou, à celui, pacifique, de Melchior HOFMANN.

   La persécution s'abat vite sur le mouvement zurichois et sur l'anabaptisme suisse et non suisse. Elle est particulièrement ressentie en Hollande, où les anabaptistes hofmanien et de type münstérien sont assez répandus. Les pacifiques souffrent d'être confondus avec les autres, subissant ainsi le contre-coup des violences de la révolte de Münster et de son élimination, Menno SIMONS, après avoir adhéré à l'anabaptisme pacifique, en devient peu à peu l'un des chefs principaux en Hollande et dans l'Allemagne rhénane et septentrionale. Il réorganise les communautés hésitantes et son action réformatrice se fait sentir jusqu'en Suisse. Après sa mort, tous les anabaptistes pacifiques, à l'exception de la branche communautaire dite houttérienne, se rallient plus ou moins à ses principes et reçoivent progressivement le nom de mennonites. Menno Simons marque l'ensemble des communautés par son radicalisme en matière de pureté de l'assemblée et par le rôle prééminent qu'il accorde aux ministres du culte. Fruit d'une conjoncture sociale, la réorganisation mennonite des assemblées est contestée, dès le XVIIe siècle, en Hollande même, par suite des changements sociaux et politiques propres à ce pays (tolérance religieuse, participation des mennonites à la vie sociale...). Désormais, le mennonitisme hollandais connait un sort à part, acceptant la culture globale et participant aux courants théologiques les moins conservateurs. Le reste des communautés mennonites est formé, jusqu'à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, d'une majorité de cultivateurs, dont la réputation de progressisme agricole est encore bien vivante - au point de susciter d'ailleurs des appels venant de Russie... Mais, dans ces communautés rurales physiquement isolées de la société globale, la "non-mondanité" prend des aspects de formalisme, vestimentaire o autre, tandis que l'expression des croyances et le culte se sclérosent sous la direction d'anciens sans culture théologique. A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, un réveil d'inspiration piétiste-revivaliste donne à l'anabaptisme pacifique un nouveau départ, prosélytique et même missionnaire. Cependant, les Hollandais demeurent, dans l'ensemble, en marge de ce mouvement, par leurs tendances libérales en Théologie. Un retour aux sources historiques de l'anabaptisme du XVIe siècle est également amorcé.

 

De grandes migrations mennonites

    Pacifistes, les mennonites refusent, en théorie, de porter les armes et de prêter serment. Combinée avec d'autres traits culturels et sous l'influence d'autres facteurs, cette attitude les obligent à de nombreuses migrations. Au XVIIe siècle, certains d'entre eux vont se fixer en Russie. Mais leur déplacement le plus important a lieu, dès le XVIIe et le XVIIIe siècles, et surtout au XIXe, vers l'Amérique du Nord. Actuellement, près d'un tiers de leurs effectifs (environ 230 000 sur près de 645 000 en 1980) habitent cette partie du monde. Ils y sont groupés en un certain nombre de "conférences" plus ou moins conservatrices, en particulier en ce qui concerne des formes de la non-mondanité. On y rencontre les monnonites les plus résolument conservateurs, les amish, qui refusent toute forme de contacts, même ecclésiastiques, avec les autres mennonites. Leur habillement particulier a été popularisé par la photographie. D'autres mennonites moins conservateurs, d'origine russe, retiennent l'attention des observateurs par leurs méthodes de colonisation agricole et les formes de leur vie sociale.

En 1980, et à la suite d'efforts missionnaires en provenance d'Europe, mais surtout d'Amérique du Nord, il existe plus de 90 000 mennonites africains, et près de 95 000 en Asie. L'Europe et l'URSS en compte la même année 95 500 (environ 2 000 en France). En 2018, le mouvement mennonite dans son ensemble compterait 2 130 000 membres (selon la Conférence mondiale mennonite), croyants baptisés dans 86 pays. Toujours très éparpillés, et présents surtout au Canada et aux États-Unis. En Europe, c'est surtout en Suisse (Jura bernois) et en Allemagne qu'ils résident. En France, ils se concentrent surtout en Alsace.

Les mennonites, persécutés, puis vivant volontairement à l'écart du monde, ont surtout, dans l'Histoire, une réputation de grande honnêteté, de souci du travail bien fait, de progressisme agricole, de charité agissante et d'hospitalité généreuse. La recherche actuelle tend à leur reconnaître un rôle particulier dans l'expérimentation des formes de vie en commun qui ont abouti, par des cheminements divers, au coopératisme. (Jean SÉGUY)

 

Des caractéristiques culturelles multi-séculaires

    Les mennonites sont très mobiles, comme les autres groupes anabaptistes avant eux. Ils doivent en effet échapper aux persécutions politiques et religieuses qui peuvent surgir un peu n'importe où. Les jeunes mennonites cherchent à se soustraire au service militaire que veulent leur imposer les différentes terres d'accueil, à l'encontre de leur foi.

Les mennonites de manière générale refusent :

- le baptême des enfants. Ils pratiquent le baptême du croyant, adolescent ou adulte, précédé d'une profession de fois personnelle, conçue comme renaissance ;

- l'usage des armes, et donc le service militaire ;

- pour une minorité d'entre eux, beaucoup de progrès techniques (automobile, outils agricoles mécanisés, téléphone, télévision...) ;

- comme les protestants, le rôle du pasteur qui serait intermédiaire entre les croyants et Dieu. Celui-ci est seulement un dirigeant élu par l'assemblée.

Ils croient pour la majorité d'entre eux à la nouvelle naissance comme porte d'entrée au salut et dans l'Église, à la séparation de l'Église et de l'État, à l'amillénariste (car Jésus règne maintenant depuis le ciel, siégeant à la droite de Dieu le père, est et restera avec l'Église jusqu'à la fin du monde). Ils se signalent enfin dans l'obligation de diffuser la Bonne Nouvelle et font oeuvre pour cela d'un prosélytisme constant.

 

 

H.S. BENDER, Conrad Grebel, The Founder of the Swiss Brethren, Goshen, 1950. C. J; DYCK, A Introduction to Mennonite History, Scottdale, Pennsylvanie, 1967. J.M. STAYER, Anabaptists and the Sword, Lawrence, Kansas, 1972. G. WILLIAMS, The Radical Reformation, Philadelphie, 1962. René EPP, Marc LIENHARD et Freddy RAPHAËL, Catholiques, protestants, juifs en Alsace, Édition Alastia, 1992. Autour de Pierre LUGBULL, Cent ans d'éditions mennonites, 1901-2001, Éditions mennonites, 2001. Confession de foi dans une perspective mennonite, Éditions mennonites, 2014. J.W WENGLER, Qui sont les mennonites? D'où viennent-ils, Cahoers de Chrit seul, n°4/1993, Éditions mennonites, Montbéliard. On trouve beaucoup d'informations sur les groupes et communautés mennonites dans le site Internet gameo.org, voir précisément leur Encyclopédie Mennonite (en anglais).

Jean SÉGUY, Mennonites, dans Encyclopedia Universalis, 2014 ; Utopie coopérative et oecuménisme, Paris-La-Haye, 1967 ; Les Assemblées anabaptistes-mennonites de France, Paris-La-Haye, 1977.

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31 octobre 2019 4 31 /10 /octobre /2019 08:17

   L'anabaptisme est né au sein du foisonnement d'idées et de mouvements qui marque les débuts de la Réforme en Occident au XVIe siècle. Plusieurs tentatives de réforme reçoivent alors un soutien politique et s'institutionnalise ; mais ceux qui veulent réformer l'Église en n'étant pas d'accord avec LUTHER, ZWINGLI ou CALVIN sont considérés comme des dissidents.

 

Diversité de l'anabaptisme

Pour des raisons polémiques, ces dissidents protestants sont souvent qualifiés en bloc d'anabaptistes, de rebaptistes... notamment parce qu'ils se caractérisent par le refus des règles du baptême tel que le conçoit la Chrétienté en général à cette époque. Les historiens actuels relèvent toutefois la multiplication et la variété de cette "aile gauche de la Réforme" ou "Réforme radicale", et distinguent entre révolutionnaires, spiritualistes, anabaptistes et antitrinitaristes (ceux qui refusent le dogme de la Sainte Trinité), là où l'on voyait un ensemble dissident homogène. L'anabaptisme proprement dit regroupe divers mouvements apparus dans les années 1520-1530 en plusieurs régions de l'Europe.

C'est autour de ZWINGLI que le premier anabaptisme structuré voit le jour en Suisse. S'inspirant d'idées venant de LUTHER, ZWINGLI, ÉRASME, CARLSTADT ou du mouvement paysan de 1524-1525, des hommes comme Conrad GREBEL, Félix MANTZ et Balthasar HUBMAIER en viennent à rejeter le baptême des enfants et à former l'idée d'un Église "préconstantinienne" (d'avant la conversion de l'empereur Constantin et de l'établissement du christianisme comme religion officielle), composée de membres à l'engagement chrétien délibéré. Partageant le "sola scriptura" et le "sola fide" de la Réforme, ces anabaptistes suisses rejettent la symbiose entre l'Église et l'État, que les réformateurs ne mettent pas en question. Ce rejet s'accompagne d'une éthique et d'une écclésiologie christocentriques et communautaires, prônant la pratique de la "Nachfolge Christi" (imitation de Jésus-Christ), et, le plus souvent, un retour à la "non-violence" chrétienne.

Une série de disputes théologiques avec ZWINGLI ne permettent pas de venir à bout de tous les désaccords. Les premiers baptêmes sur profession de foi ont lieu à Zurich en janvier 1525 et aboutissent à la formation d'une Église "protestante" dépourvue de soutien politique. Cette Église ne peut survivre que clandestinement et c'est en grande partie grâce à un ancien bénédictin, Michaël SATTLER, qui rédige les sept articles adoptés par les communautés anabaptistes suisses en février 1527 à Scheleitheim, qu'elle traverse un rejet et une persécution sévères. Ces articles confessent le baptême des adultes, la nécessité d'une discipline d'Église conforme à Mathieu 15 15-18 (Évangile de Mathieu), l'impossibilité pour un chrétien d'être magistrat ou d'utiliser la violence et une séparation radicale entre l'Église et l'État.

Un autre courant anabaptiste nait presque en même temps en Allemagne du Sud et en Autriche. Avec des meneurs comme Hans HUT et Hans DENK, cet anabaptisme reçoit à ses débuts la forte marque de la mystique rhénane. Le théologien laïc Pilgram Marpeck de RATTENBERG (1495-1556) y développe une théologie fondée sur l'humanité du Christ. Cette mouvance survit durablement surtout en Moravie, sous la direction de Jacob HUTTER. Dans les années 1530, HUTTER fonde un anabaptisme plus radicalement communautaire que le mouvement suisse et où l'on pratique la communauté des biens. Ce mouvement "huttérien" connait un âge d'or pendant la deuxième moitié du XVIe siècle, mais a beaucoup de mal par la suite à résister à la Contre-Réforme.

Un troisième courant, situé aux Pays-Bas, est fortement marqué à l'origine par la théologie millénariste et spiritualiste de Melchior HOFFMAN (1495-1543). Cette pensée rencontre un soutien populaire et contribue largement à l'affaire (ou révolte) de Münster en Westphalie (1534-1535) où, sous la direction de Berhnard ROTHMANN et de Jean de LEYDE, on cherche à établir une Réforme fondée sur une écclésiologie anabaptiste et à préparer le retour prochain du Christ (parousie). Terminée dans le sang, l'affaire sert la polémique anti-protestante de l'Église catholique et pousse les protestants à se démarquer le plus possible de toute forme de dissidence issue de leurs rangs. L'anabaptisme néerlandais survit néanmoins sous une forme pacifique, grâce à l'ancien prêtre Menno SIMONS, qui rassemble une bonne partie des "rescapés" de Münster autour d'une théologie proche de celle de l'anabaptisme suisse issu de Schteitheim.

Rejetés et persécutés aussi bien par les protestants "officiels" que par les catholiques, des milliers d'anabaptistes trouvent la mort (surtout au XVIe siècle) ou sont poussés à l'exil ou à l'émigration. Ce n'est que dans les Pays-Bas que les mennonites connaissent une assimilation culturelle plutôt paisible à partir du XVIIe siècle (le peintre REMBRANDT en est proche, voire même membre). De nombreux anabaptistes suisses, alsaciens et allemands trouvent dès le XVIIe siècle un terrain plus favorable en Amérique du Nord. Leur émigration vers les Amériques continuent jusqu'après la Seconde Guerre Mondiale. Avec l'effondrement récent du "socialisme réel" officiel, enfin, beaucoup de mennonites russes d'origine néerlandaise et allemande s'établissent aujourd'hui en Allemagne. Ainsi, les descendants spirituels des anabaptistes du XVIe siècle vivent aujourd'hui dans de nombreux pays, y compris en Afrique et en Asie. Ils se dénomment mennonites, huttériens ou amish. (Neal BLOUGH).

 

Des principes fondateurs

      Rappelons ici simplement le fondement biblique de l'anabaptisme : En Marc 16.15-16, les dernières paroles de Jésus sont : "Allez par tout le monde, et prêchez l'évangile à toute créature. Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ; mais celui qui ne croira pas sera condamné." En Actes 2.38, Pierre dit : "Repentez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, pour le pardon de vos péchés ; et vous recevrez le don du Saint Esprit". Pour les anabaptistes, ces passages démontrent clairement que le baptême s'applique aux croyants et suit la repentance et l'instruction.

Selon Matthieu 3-13-16, Jésus est allé au Jourdain vers Jean le Baptiste, pour être baptisé par lui. Dès qu'il fut baptisé, Jésus sortit de l'eau.

S'appuyant sur ces textes, les anabaptistes s'estiment être les héritiers de l'Église primitive.

La Confession de Schleitchem publiée en 1527 par les Frères suisses (avec Michael SATTLER) est la référence de pratiquement tous les groupes anabaptistes modernes, en sept traits :

- le baptême est réservé aux croyants adolescents ou adultes (baptême du croyant), c'est-à-dire aux croyants sûrs de la rédemption et qui veulent vivre dans la fidélité du message du Christ.

- la cène n'est que symbolique. C'est une cérémonie du souvenir faite avec du pain (parfois sans levain) et du vin (parfois non alcoolisé) mais il n'y a ni consubstantiation ni transsubstantiation.

- le pasteur est élu librement par la communauté et n'est pas investi du sacerdoce.

- Sont exclus de la cène tous les fidèles tombés dans l'erreur et le péché.

- La séparation du monde est totale, aussi bien religieusement que politiquement. Il s'agit de se séparer de toutes les institutions qui ne sont pas dans l'Évangile.

- Ne pas "user de l'épée", c'est-à-dire de participer à l'institution judiciaire (juge, témoin, plaignant).

- Ne pas prêter serment.

 

 

Entre spiritualisme, millénarisme, établissement du royaume de Dieu sur Terre et anabaptisme pacifique...

    L'historiographie traditionnelle, suivant consciemment ou non les points de vue polémiques de LUTHER, considère Thomas MÜNTZER (vers 1489-1525), comme le premier des anabaptistes. En fait, il semble bien qu'il n'ai jamais pratiqué le baptême des adultes, mais seulement attaqué celui des enfants. Prêtre catholique, puis ministre luthérien, il a acquis une connaissance approfondie de la mystique allemande médiévale. A cette influence s'ajoute celle d'un groupe millénariste et spiritualiste, "les inspirés de Zwickau", puis celle des hussites tchèques. Pour lui, le vrai baptême consiste en une expérience intérieure de genre ascétique. Il est également persuadé de la proximité immédiate du Royaume de Dieu. Il faut en activer la venue par les moyens violents et le recours au peuple en armes, puisque princes et prêtres se refusent à la vraie Réforme. MÜNTZER, plutôt donc spiritualiste militant, anime une société secrète la "ligue d'Allstedt" ou "ligue des élus". En 1524, il entre en conflit avec l'autorité princière de la Saxe et, en 1525, après avoir été mêlé à des désordres sociaux et politiques à Mühlhausen (thuringe), il rejoint la révolte des paysans allemands et rédige peut-être leur Manifeste. Fait prisonnier à Frankenhausen, où s'effondre la révolte paysanne, il est décapité en mai 1525.

    Le Souabe Melchior HOFMANN, millénariste convaincu, n'en est pas moins anabaptiste au sens strict du mot. Fourreur de son métier, autodidacte en religion, il s'est imprégné de la mystique médiévale allemande autant que de Bible. Séduit par les idées de LUTHER, il les amalgame à ses propres spéculations eschatologiques. Il prêche son message, de son propre chef, sur les bords de la Baltique, en Scandinavie, puis dans la vallée du Rhin et en Hollande. D'abord favorablement accueilli par les autorités civiles et religieuses, il finit par être repoussé partout, à causes de ses idées eschatologiques et de sa prétention à être un personnage messianique, annonciateur du millénium. En 1530, rencontrant à Strasbourg des anabaptistes pacifiques, il reçoit d'eux le baptême sur profession de foi.

Désormais, il ne cesse alors de prêcher son interprétation de l'Évangile. Il insiste sur la nécessité de la conversion et l'attente passive de la parousie (ou retour du Christ). Le baptême est, pour lui, le sceau des élus en vue du millénium. Ce dernier est fixé par HOFMANN à plusieurs dates différentes et à Strasbourg de plus (cela rappelle les "prédictions" successives de certaines sectes chrétiennes...). A sa mort en prison dans cette ville, il a rassemblé un très grand nombre de fidèles dans la vallées du Rhin, surtout en Hollande.

     L'affaire ou plutôt la révolte de Münster, connue sous le nom de l'"affaire du Royaume de Dieu à Münster" se rattache aux conséquences de la prédication d'HOFMANN d'une part, et aux circonstances socio-religieuses propres à l'introduction de la Réforme dans cette ville d'autre part. Bernard ROTHMANN, le prêtre catholique responsable du passage de la cité au luthérianisme (1532), se convert en effet (1533-1534) à l'anabaptisme hofmannien. Dès mars 1534, la ville se trouve sous l'influence à peu près complète des anabaptistes, dont beaucoup sont venus d'autres régions d'Allemagne et de Hollande. Jean MATTHIIJS, chef du mouvement hollandais, s'éloignant des préceptes de HOFMANN, parle désormais de détruire les impies par les armes, et voit en Münster la future Jérusalem céleste (phénomène récurrent par ailleurs, beaucoup de prédicateurs pensent que LEUR ville est la ville élue...). Il organise la ville - d'ailleurs assiégée par les troupes du prince-évêque - sur les bases d'une totale communauté des biens. Mais il périt le 4 avril 1534, dans une escarmouche, sous les murs de la cité. Il est remplacé par Jean de LEYDE, autre hollandais. Celui-ci s'empare de l'ensemble des leviers de commande de la ville et, se donnant le titre de "Roi de justice", établit une véritable théocratie fondée sur une lecture de l'Ancien Testament qui ramène jusqu'à la polygamie. Toute l'affaire se termine dans la sang et les ruines, en juin 1535 quand les troupes de l'évêque reprennent la ville. Jean de LEYDE finit sur le bûcher et quelques rescapés de cette aventure finissent par se joindre à des formes "pacifiques" ou parfois "spititualistes" de l'anabaptisme. Cette révolte constitue pour les autorités un pivot majeur de leur propagande politique et religieuse, selon leur orientation contre les Protestants de manière globale  ou contre les Catholiques, soupçonnés d'avoir aidés les rebelles... D'un retentissement certain dans de nombreux pays (n'oublions pas alors que les nouvelles circulent de plus en plus vite, par la multiplication des ateliers d'imprimerie..), cette révolte radicalise l'opposition entre Catholiques et Protestants en même temps qu'elle polarise certaines répressions contre les Portestants dissidents, qu'ils soient violents ou pas, suivant un mécanisme banal d'ailleurs.

    L'anabaptisme pacifique est le seul des mouvements anabaptistes du XVIe siècle à avoir une descendance aujourd'hui, dans les assemblées dites mennonites. Cette branche de la réforme radicale né à Zurich, on l'a déjà écrit, en 1525, d'un schisme entre ZWINGLI, réformateur du canton, et certains de ses disciples. Avec les hommes et les mouvements précédents, on a affaire, sur le terrain protestant, à des résurgences de mysticisme médiéval plus ou moins intégrés à des problématiques luthériennes ; ici, par contre, on se trouve en face de la première dissidence protestante portant à leurs conséquences radicales les principes des réformateurs, même si les influences médiévales s'y retrouvent également. L'originalité de l'anabaptisme pacifique tient à la façon dont il restitue le modèle de l'Église qu'il tire d'une partie du Nouveau Testament. L'Église est pour lui la communauté locale visible des convertis, n'y sont admises, sur profession de foi, que les personnes qui ont décidé de répondre avec fidélité à la prédication de l'Évangile. L'État n'a rien à faire avec ces assemblées, qui lui refusent le droit de toute intervention dans le domaine religieux. Vis-à-vis du monde, l'anabaptisme pacifique prend ses distances par la non-mondanité. Celle-ci consiste dans le refus du serment, de la guerre, de la participation à la vie politique... et dans la simplicité de vie. Pacifique autant qu'il est possible, l'anabaptisme zurichois n'en est pas moins sévèrement persécuté. Il passe pour révolutionnaire parce qu'il se soustrait à la juridiction de l'État en matière religieuse. Son histoire postérieure se confond avec celle du mouvement mennonite. (Jean SÉGUY)

 

 

Un mouvement religieux qui suscite l'inquiétude et la répression

    Pour beaucoup d'historiens, l'anabaptisme, sous toutes ses formes, est un mouvement des territoires impériaux (du Saint Empire Romain Germanique) de l'Europe. Il se rattache aux espoirs mis par les germanophones et les Néerlandais dans l'empereur d'Allemagne, pour effectuer la réforme de l'Église. Cet espoir déçu, les partisans d'un renouveau chrétien se tournent vers les masses populaires défavorisées (anabaptismes militants et anabaptisme hofmannien) ou vers les humanistes (anabaptisme pacifique zurichois). Cette dichotomie du recrutement et de l'inspiration ne permet pas de voir dans le phénomène anabaptiste total une révolte uniquement phébéienne ni même un simple reflet de la situation économique. Il se rattache plutôt à l'ensemble des efforts des sociétés allemande et hollandaise du XVIe siècle pour se réintégrer dans le domaine religieux comme dans celui de la politique, de l'économie et de la culture. Ceci posé, il y a lieu de s'interroger sur la nature profonde de ce mouvement religieux et sur la réaction des autorités politiques et religieuses à son extension.

   En effet, l'anabaptisme s'enracine, premièrement dans cette idées que le seul baptême valable est celui de l'adulte conscient de ses engagements, dans une revendication de l'individu envers tout système d'autorité. Individus et groupes se revendiquent à partir d'une lecture de l'Évangile, mis à la disposition des classes cultivées et livré à l'ensemble des classes, pauvres notamment, dans leur langue et leur langage. La prédication se veut une prédication explicative et non une prédication d'autorité, qui par l'impressionnant développement d'une mise en scène et d'une musique ample, veut impressionner d'abord et menacer ensuite (des foudres de l'enfer par défaut d'obéissance). En plus de cette revendication protestante (contre les Indulgences, le paiement en espèces et nature du pardon des péchés, institution très lucrative, rappelons-le), se formule une exigence de retour à l'Évangile que clairement, les autorités religieuses et politiques (les mêmes souvent) piétine régulièrement par ses pratiques. Le refus de la violence, à un moment où précisément se forment les idéologies et les pratiques de monopolisation de celle-ci par l'État, le refus de la propriété privée (au moment de l'essor d'un capitalisme commercial qui se repose sur son respect), le refus enfin d'une vie basée sur la jouissance (au moment où une fraction de l'humanisme fait retour sur le corps et les jouissances terrestres), cela fait beaucoup pour des autorités de plus en plus conscientes de leurs possibilités matérielles. Et cela explique les diverses répressions qui s'abattent sur l'anabaptisme, en plus du fait qu'une partie de celui-ci réside dans des groupes particulièrement violents, avec lesquels on fait facilement, et parfois avec bonne foi, l'amalgame. Côté protestant, où la Réforme est aussi le moment d'une redistribution des richesses accumulées par l'Église catholique, l'anabaptisme conteste la légitimité religieuse et politique à partir de laquelle elle se réalise. Sur le plan des principes comme sur le plan des pratiques.

 

Claude BAECHER, Anabaptismes et mennonites, Une bibliographie française : découvrir l'anabaptisme en langue française, École iblique mennonite européenne, Bienenberg, 1992. Sous le direction de M. LIENHARD, The Origins and Characteristics of Anabaptism ; Les Débuts et les caractéristiques de l'anabaptisme, Nijhoff, La Haye, 1977. Stuart MURRAY, Radicalement chrétien, Angleterre, Excelsis, 2013. Arnold SNYDER, Graines d'anabaptisme - Éléments fondamentaux de l'identité anabaptiste, éditions Menhonites, Montbéliard, 2000. De Mennonite Encyclopedia (1955-1990), 5 volumes, Scottdale, Penn.

Jean SÉGUY, Anabaptisme, dans Encyclopedia Univesalis, 2014. Neal BLOUGH, Anabaptisme, dans Dictionnaire critique de théologie, Sous la direction de Jean-Yves LACOSTE, PUF, 2007.

PAXUS

 

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17 octobre 2019 4 17 /10 /octobre /2019 12:49

   L'anglicanisme est d'abord propre à l'Angleterre, modèle de protestantisme qui ne modifie que partiellement le cadre ecclésiastique catholique. On peut cependant parler, même si dans les protestantismes c'est la religion qui est restée la plus proche du catholicisme, d'une dynamique protestante qui rend l'histoire culturelle et religieuse de l'Angleterre différente de celle de la France, avec notamment les phénomènes de non-conformisme qui se développent suite à sa naissance à la frontière de l'anglicanisme. Confession chrétienne présente principalement dans les pays de culture anglophone, notamment dans les anciennes colonies britanniques mais aussi sur les terres d'expatriation des Britanniques de par le monde. Appelés "épiscopaliens" aux États-Unis, à la doctrine énoncées dans les Trente-neuf articles qui ont eu longtemps une valeur impérative, les Églises anglicanes présentent de nos jours un éventail de positions doctrinales élargi et donnant lieu à de nombreuses classifications.

 

   Jean BAUBÉROT présentent trois de ses caractéristiques principales qui font des pays où  l'anglicanisme domine, des contrées à pluralisme religieux.

- La façon dont la Réforme y est introduite. Le schisme d'Henri VIII en 1534, dû au refus d'annulation du pape de son mariage, pour des raisons d'ailleurs de doctrine et de lutte de pouvoir à l'échelle européenne, aboutit à une période troublée. certains trouvent suffisante la création d'une Église dirigée par le roi (sorte de catholicisme anglican) : le roi lui-même est un humaniste érasmien. D'autres souhaitent le rétablissement des prérogatives du pape, d'autres enfin une Réforme semblable à celle du continent. Ces deux derniers groupes ne tardent pas à avoir leurs troupes, leurs idées propres (avec leurs réseaux d'imprimerie...) et leurs leaders-martyrs (Thomas MORE pour les catholiques, Thomas CROMWELL pour les protestants).

- Les allers et retours religieux, sous les règnes successifs des trois enfants d'Henri VIII. Avec Édouard VI (1547-1553), l'Église d'Angleterre devient protestante sous l'influence de Thomas CRANNER, archevêque de Canterbury, et de Martin BUCER. Le Livre de Prière (Prayer Book) de 1552 et les Quarante-Deux articles (1553) sont imprégnés de calvinisme, et des catholiques sont pourchassés. Au contraire, Marie TUDOR (1553-1558), fervente catholique, impose à son pays une recatholicisation forcée dans des conditions qui lui valent le surnom de "Marie la sanglante" et créen un sentiment antipapiste durable. Élisabeth 1er (1558-1603) instaure un anglicano-protestantisme, cherchant à rallier les modérés des deux camps, dans une vision claire de ce que doit devenir l'Angleterre, une nation en soi. Le Livre de prière de 1552 est remis en honneur avec des formules atténuées et les Trente-neuf articles de 1571 (encore aujourd'hui plateforme doctrine de l'ensemble des sensibilités anglicanes) exposent, de façon "ambigüe, des conceptions chères à la Réforme continentale et, plus précisément, calvinienne" (Richard STAUFFER, Interprètes de la Bible. Études sur les réformateurs du XVIe siècle, Beauchesne, 1980). Mais le clergé, quand il officie, doit revêtir le surplis, ce que contestent certains.

Cela favorise l'apaisement, mais la bulle d'excommunication du pape contre la "reine prétendue du royaume d'Angleterre" propageant de "pernicieuses doctrines" ranime la lutte. Les catholiques anglais sont périodiquement pourchassés et considérés comme des "traitres" : comment être un fidèle sujet de la couronne quand on l'est d'un pape qui vous a délié de votre devoir d'obéissance? Le protestantisme apparait ainsi comme le porteur de la conscience nationale anglaise.

- La création de l'anglicano-protestantisme que l'on peut définir comme une Église théologiquement protestante dans un casre ecclésiastique resté proche du catholicisme. L'émergence de cette via media à travers un mouvement de balancier amène une pluralité de tendances dans l'Église d'Angleterre. Un courant reste assez imprégné par des éléments catholiques. En revanche, se développe un zèle protestant urbain, notamment à Londres, Oxford, Cambridge. D'autres villes se montrent plus tempérées, notamment York qui protège les opposants catholiques jusqu'en 1570.

Un protestantisme militant se forge aussi dans les milieux qui ont fui les persécutions de Marie TUDOR. C'est le cas de l'Écossais John KNOX (1505-1572) qui, en Suisse, rencontre CALVIN et BULLINGER et, de retour dans son pays en 1559, prêche le calvinisme. En 1560, le Parlement écossais abolit l'"idolâtrie" et l'épiscopat et adopte la Confession écossaise inspirée par l'Institution chrétienne. L'organisation est presbytérienne. L'Angleterre voit donc, à la frontière du Nord, se développer un protestantisme plus radical que le sien. Émerge chez elle un courant puritain qui souhait une protestantisation plus poussée. Un non-conformisme limité voit le jour : des pasteurs réussissent à conserver leur bénéfice sans mettre le surplis. Parfois, des puritains radicaux forment leur propre congrégation indépendante. C'est le début du congrégationalisme - alors pourchassé - sous l'impulsion de Robert BROWNE (1550-1633). (Jean BAUBÉROT)

   Malgré la tentative de l'archevêque de Canterbury d'uniformiser la religion anglaise, de 1633 à 1640, qui cause, entre autres, la Première Révolution anglaise, après la restauration de la monarchie où se font face plus clairement deux groupes dans l'anglicanisme (Haute Église uniformisante et Basse Église ouverte largement), on en revient aux conditions définies par Élisabeth 1er. De 1643 à 1648, le Parlement anglais organise une série de rencontre à l'abbaye de Westminster pour clarifier les questions de culte, de la doctrine, du gouvernement et de la discipline dans l'Église d'Angleterre. Il en sort plutôt une conception très liée aux désirs de la Basse Église, tout en donnant à l'archevêque de Canterbury une position morale de premier plan... La Confession de foi de Westminster, réformée suivant la tradition calviniste, est rédigée en 1646 et largement adoptée par l'Église d'Angleterre, comme par l'Église d'Écosse. Elle constitue la base d'accord et des relations entre les églises presbytériennes à travers le monde. Au cours du XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe siècle, l'anglicanisme connait une phase d'intense Réveil religieux, qui voit l'émergence de l'évangélisme et aussi la fondation du méthodisme. A l'opposé, le mouvement d'Oxford emmène une partie des Anglicans  (Haute Église) vers une remise en valeur de la tradition apostolique et se forme le tractarianisme, qui devient l'anglo-catholicisme. Dans la lignée du protestantisme libéral naissant émerge encore un nouveau mouvement, qui se dénomme Broad Church.

Du XVIIe au XIXe siècle, les églises anglicanes, très prosélytes, déploient une activité missionnaire de plus en plus importante, dans toutes les colonies anglaises, et portent leur marque encore aujourd'hui sur le plan de l'organisation religieuse et sur les croyances aux États-Unis. Même si l'indépendance américaine a divers effets sur les fidèles, des structures de concertation apparaissent progressivement : la première conférence de Lambeth a lien en 1867 à l'instigation de l'archevêque de Canterbury Charles Thomas LONGHLEY. Une vingtaine d'années plus tard, les églises s'accordent sur 4 points fondamentaux qui forment une sorte de définition de l'identité anglicane. Ces accords qui demeurent aujourd'hui, sous le nom de quadrilatère de Chicago-Lambeth, forment le socle des conceptions anglicanes en matière d'oecuménisme.

   

    Religion d'État, l'anglicanisme en soi constitue une réponse à la question religieuse en Angleterre, qui resta longtemps la matrice de multiples conflits. L'anglicanisme se présente comme une solution au grand conflit entre catholicisme et protestantisme... en laissant largement ouvert l'éventail des choix des fidèles dans les prises de position théologiques ou organisationnelles. Si lors des synodes réguliers, les conférences des primats anglicans et d'autres assemblées moins importantes, qui sont le fonctionnement courant des églises ainsi regroupées, sont prises des décisions de toutes sortes, c'est de leur propre accord que les différentes composantes de l'anglicanisme adhèrent à celles-ci, au cas par cas. Ce qui fait qu'il est difficile de distinguer, face aux conflits, aux guerres, aux problèmes économiques et sociaux, des positions générales. La tolérance et le pluralisme religieux sont instaurés et garantis jusqu'à l'intérieur de plus petites unités religieuses, de la même façon que chaque fidèle est mise devant les Évangiles, personnellement. La Bible, plus que les dispositions pratiques ou les points de doctrine historiquement débattus, constitue l'élément dominant dans l'Église anglicane. Suivant leur sensibilité (Haute ou Basse Église, plus ou moins grand éloignement par rapport au catholicisme), dans la référence à la tradition anglaise que l'on fait remonter à l'évangélisation de l'Angleterre et des premiers chefs et penseurs d'Église, des positions peuvent s'exprimer dans un sens ou dans un autre, sans que cela nuise aux principes communs. C'est suffisamment répété partout, il n'y a pas de doctrine officielle en dehors des Tente-Neuf Articles.

     Dans les débats houleux sur l'ordination des femmes, de la même manière que sur le mariage des membres du clergé, chaque paroisse a son opinion et ses pratiques, même si des tensions peuvent apparaitre entre maintes unités de culte à deux extrémités des positions exprimées... L'Église d'Angleterre ne constitue plus que deux sections de l'anglicanisme, même si elles demeurent très considérées dans les débats : les provinces de Canterbury et d'York. Quand on parle d'anglicanisme, on parle d'Églises au pluriel.

C'est sur le problème des relations entre hommes et femmes dans l'Église que des ruptures, depuis le milieu des années 1970, peuvent intervenir au sein de l'anglicanisme, avec des tensions encore plus vives sur l'homosexualité et encore plus sur l'ordination d'homosexuel(le)s... En matière de conflit interne, c'est bien plus sur cette question centrale, que s'agitent maintes autorités religieuses, avec bien plus d'intensités que lorsque des questions d'objection de conscience ou des positions face à l'armement nucléaire (notamment dans les années 1980) ou même par rapport à chacune des deux guerres mondiales (où régnait d'ailleurs un très large consensus en faveur des initiatives de l'État) requerraient leur attention... A propos de l'attitude de l'Église anglicane sur l'armement, la manière de fonctionner, y compris sur le plan financier, est si décentralisée à chaque niveau de la hiérarchie qu'il peut survenir des contradictions, qui ne sont pas sans conséquences pratiques par ailleurs (il était question récemment de participation financière à Londres dans l'industrie d'armement)...

   De manière globale, sur le plan théologique ou sur le plan organisationnel, ce fonctionnement pluraliste constitue parfois un obstacle aux yeux d'interlocuteurs dans le débat oecuménique entre religions différentes. Il apparait aux yeux des biens des responsable catholiques et orthodoxes qu'il comporte des caractéristiques de relâchement...

 

J. Robert WRIGHT, article anglicanisme, dans Dictionnaire Critique de Théologie, Sous la direction de Jean-Yves LACOSTE, PUF, collection Quadrige, 2002. Jean BAUBÉROT, Histoire du protestantisme, dans Histoire des religions, Que sais-je?/Humensis, 2018.

 

RELIGIUS

 

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23 mai 2019 4 23 /05 /mai /2019 11:07

       Pour Thomas RÖMER, professeur au Collège de France, "la guerre est omniprésente dans la Bible, non seulement dans la Bible hébraïque ou l'Ancien Testament, mais aussi dans le Nouveau testament : ce dernier ne s'achève-t-il pas, dans l'Apocalypse de Jean, par une grande guerre cosmique, dans laquelle l'armée divine affronte et vainc les forces du diable! Dieu est impliqué dans les guerres humaines, y interférant ou donnant l'ordre de partir en guerre. Cet aspect, que de nombreux lecteurs de la Bible peuvent trouver chiquant, reflète cependant une conception commune aux cultures du Proche-orient ancien". Pour un regard venant de la culture chrétienne comme notre auteur, la guerre est dans la Bible hébraïque entre Histoire et Fiction, donnant souvent à celle-ci une fonction symbolique. Il rejoint d'ailleurs dans cette réflexion le regard de Pierre CRÉPON que nous avons restitué il y a un certain temps déjà, en tentant de comprendre les relations entre judaïsme et guerre, en commençant pour les commencements historiques de cette relation, la Bible. De même que pour de nombreuses autres religions, y compris monothéistes, il convient de parler au pluriel : il y a eu et il y a plusieurs judaïsmes, porteurs chacun d'une vision de la guerre et de la paix...

 

Plusieurs judaïsmes dans l'Histoire... et aujourd'hui...

   Éric SMILEVITCH, traducteur et enseignant au département d'étudeshébraïques et juives à l'Université Paris-Sorbonne, après avoir rappelé que le judaïsme est davantage une civilisation, une culture globale qu'une religion, plurimillénaire et influente depuis la Haute Antiquité, insiste sur le fait que "dans le cadre de la Torah, nul n'est philosophe ou critique de la philosophie par goût, en plus de ces engagements spirituels et moraux, mais très exactement à cause de ces engagements et pour répondre aux impératifs explicites de la Torah. Ainsi, la pratique des commandements de la Torah est susceptible d'inclure tous les domaines de la réflexion et de la pensée, même les plus théoriques. Mais inversement, la pratique des commandements de la Torah tombe sous la juridiction de l'étude. Car, une fois donnée la prophétie de Moïse, la législation du judaïsme dans tous les domaines est l'oeuvre des "sages", c'est-à-dire des savants versés dans la connaissance du judaïsme. Dès lors, l'étude et la réflexion gouvernent à leur manière l'ensemble des "pratiques" et des "usages" de la tradition, dans tous les détails juridiques, éthiques, liturgiques, etc, y compris le commandement d'étudier. En sorte que la façon dont chaque auteur ou chaque époque conçoit la tradition et ses préceptes modifie les pratiques concrètes."

Que ce soit avec le karaïsme (qui se réclame explicitement de la seule Torah écrite), le judaïsme alexandrin (de la ville égyptienne d'Alexandrie), le judaïsme espagnol ou le judaïsme babylonien, c'est toute une culture qui travers le temps et l'espace qui s'exprime, et ceci d'abord pour le "peuple juif" quel que soit sa situation au sein des différentes structures politiques, quel que soit aussi le degré d'autonomie au sein d'ensembles culturels où il est de toute façon toujours minoritaire, soit sous forme de communautés "ghetoïsées" et évitant les contacts avec les autres; soit sous forme, notamment dans maints foyers intellectuels, plus co-influencée entre judaïsme et Islam ou judaïsme et chrétienté, on ne peut qu'être frappé que la réflexion et partant, la pratique sur les problématiques de guerre et de paix, suivent des chemins singuliers et indépendants. Si dans, en suivant la périodisation (en 7 périodes) admise communément, l'époque de la Torah ("Pentateuque" en grec), qui correspond à la celle de la sortie d'Égypte jusqu'à la mort de Moïse dans laquelle la tradition situe le don de la Torah vers 1311 avant notre ère, et l'époque des prophètes et des rois (qui se déroule presque exclusivement en terre d'Israël), celle du Royaume, celle de la construction du Temple, de la scission des deux royaumes, de la destruction de ce Temple et de l'exil en Babylonie (jusqu'à 311 avant notre ère) sont propices à toute une problématique guerrière, les suivantes se révèlent surtout en creux par une sorte de distanciation d'avec tous les développements tactiques ou stratégiques, y compris sur le plan de la participation aux activités armées. Ainsi l'époque de la Mishna qui commence avec la "Grande Assemblée" et s'achève avec les derniers Tanaïm à l'époque de rabbi Juda qui dirige le Sanhédrin au IIe siècle de notre ère, l'époque des deux Gemarot ou "compléments" de la Mishna, qui donnent naissance aux deux Talmuds (dits de Jerusalem et de Babylone) (des premiers élèves du rabbi Juda au début du VIIe siècle de notre ère et qui couvre deux aires géographiques, la terre d'israël et la Babylonie, l'époque des Geonin, qui dure environ 5 siècles, des académies de Babylonie jusqu'au début du XIe siècle, l'époque des Rishonin qui se développe en Espagne, en France, en Allemagne et en Italie à partir du XIe siècle et s'achève avec l'expulsion d'Espagne en 1492 et une grande partie des A'haronin qui commence après l'expulsion d'Espagne, dans les pays d'Europe, du Maghreb et du Moyen-Orient et qui dure jusqu'à nos jours, toutes ces époques sont marquées par une sorte de mise à l'écart-sauvegarde culturelle - avec la recherche constante d'exemptions aux recrutement des armées -, par rapport à toutes les problématiques de guerre et de paix, surtout dans les périodes d'ostracisme et de persécutions - nombreuses.   

      Sauf bien évidemment depuis le "retour" d'une partie du peuple Juif en Palestine où les réflexions légitimant la défense de l'État d'Israel occupent une grande partie du temps de l'élite intellectuelle et pas seulement religieuse.

      Auparavant, et toutes les réflexions des deux premières périodes ressurgissent alors de manière bien concrètes, il s'agit surtout de paraboles, d'analogies, d'imagerie pourrait-on dire, où les conflits intérieurs - qui ouvrent sur les relations avec Dieu - avec toutes les implications morales et sociales prennent le dessus sur toutes les considérations - très prudentes - des relations avec les autres communautés. Les problématiques de pureté et d'impureté, avec tout son cortège d'obligations rituelles, demeurent alors au coeur de la vie de chaque fidèle du judaïsme.

La tradition hébraïque, ceci étant bien précisé, est, depuis toujours, un univers de débats et de controverses, où la violence physique n'est pas toujours absente, au gré, il faut préciser encore des séparations et des retrouvailles entre les différentes populations qui composent le monde juif.

     De plus, après la période de la fin du XVIIIe au milieu du XXe, où les problématiques d'assimilation surgissent au premier plan (et elles le demeurent encore aujourd'hui...), tant de l'intérieur des communautés juives que de la part des États dans lesquels elles évoluent, se situe à notre époque un bouleversement des relations entre religion et politique, dans une remise en cause radicale jusqu'aux fondements mêmes de la tradition juive, et on l'oublie trop souvent, à partir d'elle, et de cette réflexion incessante évoquée au début, de ses origines à ses implications morales et sociétales... Dans cette période d'intenses bouleversements des communautés juives, les intellectuels qui en sont issus contribuent souvent de manière fondamentale en Occident aux avancées dans de multiples domaines, dans les sciences sociales comme dans les sciences physiques.

Au-delà de ce qu'on a pu appeler les Lumières juives, et mêmes de nombreux mouvements révolutionnaires qui influent considérablement le cours des événements, rien n'est plus comme avant dans les communautés juives, qui subissent, même dans les plus traditionalistes d'entre elles, les influences, des évolutions du monde moderne, et parfois avec une brutalité qui rappelle celles que subissent maintes communautés musulmanes...

     De cette période de bouleversements est issu un paysage moral, où il n'est plus de langue commune entre diverses parties du monde juif ; les courants spirituels qui prirent auparavant en charge l'héritage par exemple de la hagada, sont désormais en conflit ouvert et s'affrontent via des débats qui peuvent apparaitre de l'extérieur de nature exclusivement politique ou même économique... via des appareils politiques ou syndicaux qui régissent la vie d'Israël...  Aussi, lorsqu'on traite des relations entre judaïsme et guerre, il n'est pas étonnant que nombre d'auteurs se réfèrent presque exclusivement aux deux premières périodes précisées auparavant... Et dans les différentes études sur le judaïsme et la guerre, revient toujours et parfois un peu exclusivement, le thème de la guerre dans la Bible hébraïque, étant donné que plus rien dans la période contemporaine ne semble distinguer réellement les approches juives et les approches non juives de la stratégie. Soit les religieux semblent se désintéresser des questions contemporaines de guerre et de paix, soit ceux qui s'y intéressent ne semble le faire qu'en signalant, à titre historique lointain, que ces relations entre Bible et guerre, et n'en faire cas que de façon très lâche. Il est vrai que les stratèges d'Israël - qui se rattachent encore officiellement à son passé "glorieux" quand il s'agit de justifier les diverses colonisations en Palestine et dont l'État se prévaut souvent de cette filiation historique, sans compter toute une fraction du monde politique qui relie toujours projet religieux et projet politique - trouvent dans les écoles européennes, américaines et... arabes, l'essentiel de leur pensée sur la défense et les relations internationales... Il est vrai aussi que, là, on sort pratiquement, nonobstant l'opinion profonde de maints de ces stratèges, du cadre de la religion juive...

   Étant donné l'histoire et l'état des lieux du judaïsme, il est particulièrement difficile de discuter des conceptions juives de la guerre, en faisant abstraction des profondes divisions actuelles. C'est pour cela que par la suite, il convient de discuter des conceptions des différentes branches du judaïsme, étant donné que, seul, la lecture (mais, de plus, il y en a... de très différentes) de la Bible hébraïque, est le seul point commun entre elles...

 

La guerre dans la Bible hébraïque

    Elle se situe, pour Thomas RÖMER, entre histoire et fiction et cela dès le début de l'établissement des textes religieux. On a l'habitude d'opposer, explique-t-il, la guerre et la paix. "En hébreu, c'st le mot salom qui signifie "prospérité, plénitude, bien-être, paix". Il est dérivé de la racine s-l-m, attestée dans d'autres langues sémitiques, "être complet, intact, accompli" et correspond au concept égyptien de la Ma'at.

"Mais contrairement à ce qu'on pourrait penser, la guerre (milhama) dans la pensée hébraïque n'est pas l'opposé du salon ("paix, plénitude"). Guerre et paix sont toutes deux opposées au chaos, au désordre. La guerre est donc considérée comme un moyen de combattre le chaos et de rétablir l'harmonie et l'ordre. On comprend dès lors, dans certains psaumes de la Bible hébraïque, les ennemis concrets du roi d'Israël sont comparés à des forces démoniaques.". Notre auteur rappelle que dans le Proche Orient ancien, la création est un combat, voire une guerre. Il repère par exemple un héritage de cette manière de voir dans la Bible, dans le psaume 74,12-16. Où la création du monde par YHWH, le dieu d'Israêln est également la conséquence d'une guerre contre les forces chaotiques et aquatiques.

   Toujours dans le cadre de cet héritage proche-oriental, au niveau de la royauté, la guerre est vue comme moyen de "rétablir l'ordre" et comme moyen d'affirmer l'autorité et la puissance du roi qui est secouru par les dieux. "Ainsi, dans tout le Proche Orient ancien se développe une véritable idéologie de la guerre, qui se fait jour dans l'iconographie (reliefs) et surtout dans les récits de guerre qui jouent un rôle important dans la littérature royale. (...) On observe d'abord que la guerre, au moins dans la rhétorique royale, sert à rétablir la paix." Mais Thomas RÖMER, à la suite de toute une série d'études critiques sur les sources de l'histoire antique du Moyen-Orient, nous met fort justement en garde, sur la véracité des différentes inscriptions dans la pierre ou sur les rouleaux de parchemins. "Contrairement à ce qu'affirme l'inscription (ici celle trouvée en Syrie, alors région où se trouve Israël), Israël n'a pas été anéantie, au contraire, elle va entrer dans l'histoire peu de temps après la rédaction de la stèle de Mérenptah. Cela confirme le caractère hautement propagandiste des textes officiels sur la guerre." "La guerre réussie, précise-t-il, renforce l'autorité et le pouvoir du roi, d'où aussi une certaine "comptabilité" : on compte les têtes, les mains, les sexes, etc, des ennemis tués."

Cette volonté propagandiste fait que dans l'Antiquité, souvent, notamment dans la Bible, mais aussi dans l'histoire récente, où les deux groupes ou pays qui s'affrontent dans une guerre revendiquent, chacun pour soi, la victoire sur l'ennemi, brouille souvent les pistes pour interpréter l'histoire. Les récits divergents de l'abandon de Jérusalem après un siège en 701 av J.C., donnent des visions très différentes de l'histoire. Ainsi, dans la Bible, la défaite évidente de Juda a été transformée en victoire éclatante et l'idée de l'invincibilité de Jérusalem a renforce la théologie sioniste selon laquelle YHWH protège pour toujours sa montagne sainte dans cette ville oh combien revendiquée. D'intenses campagnes médiatiques mettent en relief la confirmation de passages entiers de la Bible par les découvertes archéologiques réalisées depuis le XIXe siècle dans le Moyen-Orient. Peu d'organes de presse - il faut lire la littérature grise  de l'archéologie pour s'en rendre compte - révèlent ce qu'on a surtout trouvé : au-delà de vestiges sur les sites, qui montrent le souci réel de la géographie des rédacteurs de la Bible, les inscriptions, souvent d'origines diverses, indiquent surtout des différentes visions de l'histoire de sièges ou de batailles... Et ces "révélations" jouent un rôle ravageurs dans les luttes culturelles et idéologies des différentes parties du judaïsme...

Autre éclairage de cette "manie" de manipulation de l'histoire, le livre de Josué où la conquête de Canaan. Le texte raconte une Blitzkrieg de quelques semaines, durant laquelle Josué et son armée massacrent toute la population autochtone et remportent la victoire grâce à des interventions divines. Les archéologues et les exégètes s'accordent pour dire que les récits qui se trouvent dans la première partie du livre de Josué ne reflètent pas une réalité historique - la naissance d'Israël est le résultat d'un processus de sédentarisation longue et complexe - mais qu'il s'agit d'une propagande littéraire des scribes judéens du septième siècle avant notre ère, confrontés à la propagande et à la rhétorique guerrières des Assyriens. "Face à l'affirmation des Assyriens que leurs dieux assuraient la victoire sur tous les peuples, les auteurs de la première édition du livre de Josué insistent sur le fait que YHWH a donné le pays à Israël en lui donnant la victoire sur toutes sortes de peuples qui portent souvent des noms symboliques et ne reflètent pas des peuplades historiques." Le récit du siège de Jérusalem en 2 Rois atteste cette propagande par la parole et l'écrit.

C'est d'ailleurs contre ces archéologues et ces exégètes qu'une partie du judaïsme s'insurge en rejetant en même temps toute étude historique qui ne serait pas lecture littérale de la Bible, rejetant également, pour la sauvegarde de ce qu'elle considère comme une atteinte à l'"âme du peuple juif", toute étude scientifique de quelque genre que ce soit...

    Thomas RÖMER poursuit : "Les auteurs de la première version du livre de Josué repressent cette rhétorique de la violence pour la tourner contre les Assyriens." Idem pour la chute de Jéricho (Jos. 6) où le récit qui décrit le massacre de toute une population sur ordre de Yahvé n'est pas le compte-rendu historique de la conquête de Jéricho par les tribus israélites. "En effet, de nombreuses fouilles effectuées dès les années 1950 ont démontré l'impossibilité de lire le récit de Jos 6 comme un récit historique. Ses auteurs sont identiques à ceux du Deutéronome, qui cherchaient à riposter théologiquement à la menace assyrienne."

"En affirmant la supériorité de Yhwh sur l'Assyrie et ses dieux, les auteurs de la version josianique de Jos 1-12 transforment du même coup Yhwh en un Dieu aussi guerrier et militariste que l'est Assur. C'est peut-être à l'époque de Josias qu'on a conçu pour la première fois l'installation d'Israël dans le pays comme le résultat d'une conquête militaire. Jos 1-12 est alors à lire comme un texte idéologique et non pas comme un rapport historique.

La perspective militariste de Josué est d'ailleur relativisée à l'intérieur du livre même. Après la destruction de Jérusalem et la dispersion des Judéens en Babylonie et ailleurs à la fin du VIe siècle avant l'ère chrétienne, le livre de Josué subit plusieurs rédactions qui transforment l'idéologie du livre. Dans le discours initial que Yhwh adresse à Josué, ce dernier apparaît d'abord comme un chef militaire (Jos 1, 1-7). Or l'ajout du verset 8 transforme un Josué belliqueux en un rabbin respectueux de la Torah : "Ce Livre de la Loi ne s'éloignera pas de ta bouche, tu la murmureras jour et nuit". La conquête du pays se mue ainsi en une quête de la Torah. Une autre manière de critiquer l'image d'un Dieu nationaliste et guerrier fut l'ajout de l'histoire de Rahab en Jos 2. Cette histoire est une insertion tardive car elle interrompt la chronologie de 1, 11 - annonce de la traversée du Jourdain après trois jours. L'histoire de Rahab dénonce une théologie ethnocentrique, puisque c'est une femme étrangère qui confesse Yhwh comme étant le dieu du ciel et de la terre (2, 11) et c'est elle qui sauve les espions et rend ainsi l'installation d'Israël possible. D'où la nécessité d'intégrer les autres en Israël, comme le montre l'ajout de Jos 6, 25 (...)."

    "Contrairement, poursuit-il, mettent ainsi en relief une tradition pacifiste, aux livres de Josué, de Samuel et des Rois, le terme "guerrier" est presque totalement absent du livre de la Genèse : il n'apparait qu'au chapitre 14, un texte tardif qui implique le Patriarche Abraham dans une sorte de guerre mondiale qui reflète des préoccupations proto-apocalyptiques. Et le grand exégèse Julius Wellhausen (en 1927) de déclarer : "les héros de la légende israélite se montrent peu de goût pour la guerre." Le livre de la Genèse en témoigne par divers aspects : Abraham et les Patriarches prônent l'idée d'une cohabitation pacifique, les Mohabites et les Ammonites sont présentés comme les descendants directs d'Abraham via Hagar et Qetouah, le pays des Philistins se révèle un pays d'accueil possible. Dans la Genèse, le fait que Yhwh donne ou promet le pays aux Patriarches, voire à leurs descendants, n'implique nullement la guerre. Il s'ensuit que l'origine des traditions patriarcales se situe ailleurs qu'à la cour royale. Les textes sur Abraham, Isaac et Jacob reflètent des contextes socio-économiques des campagnes. Les aueurs de ces textes prônent des échanges et une cohabitation pacifique avec les voisins de l'Est et du Sud".

   Toujours pour Thomas RÖMER, certains textes bibliques vont plus loin encore et envisagent une fin de la guerre qui se situe cependant à la fin du temps, comme le montre notamment un fameux passage, qui a été transmis dans deux livres prophétiques différents (Es2,2-4 et Mi 4,1-5). Mais il rappelle également que l'utopie de la fin de la guerre est corrigée, voire critiquée, dans les discours sur le jugement universel des nations par Yhwh, qui est annoncé en Joël 4. C'est même une guerre eschatologique qui apparaît également dans le livre d'Ézéchiel aux chapitres 38-39 avec le combat contre les forces du mal symbolisées par Gog de Magog et en Daniel 7. 

   L'étude des textes quant au moment de leur élaboration et de leur insertion progressive dans le corpus de la Bible hébraïque indique que s'ils participent à l'idéologie proche-orientale ancien, les différentes catastrophes militaires et notamment celle de 587 avant notre ère, amènent les rédacteurs à une réflexion sur la possibilité de la disparition de la guerre tandis que se maintien en même temps le concept de guerre avec l'idéologie du combat contre le chaos ou les forces du mal. Dans la série des textes des Prophètes, la critique morale du comportement des Rois se mêle d'une critique de fond contre la guerre. Ce qui montre que même dans les deux premières périodes évoquées auparavant, la réflexion sur la guerre et la paix s'avère complexe. Il existe réellement dans la Bible hébraïque des fils rouges différents qui permettent l'émergence dans différents courants du judaïsme dans les périodes suivantes, d'attitudes et de pensées qui tranchent avec le comportement général des autres peuples.

 

RELIGIUS

Thomas RÖMER, La guerre dans la Bible hébraïque, entre histoire et fiction, dans Guerre et religion, Sous la direction de Jean BAECHLER, hermann, 2016. Éric SMILEVITCH, Histoire du judaïsme, dans Histoire des religions, Que sais-je?/Humensis, 2018.

 

 

 

 

 

 

 

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