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12 octobre 2019 6 12 /10 /octobre /2019 11:48

     Christine de PIZAN ou Christine de PISAN, est une philosophe et poétesse française, de naissance vénitienne. Elle est considéré comme la première femme écrivain de langue française ayant vécu de sa plume. Son érudition la distingue des écrivains de son époque, hommes ou femmes. Auteure prolifique, elle compose des traités de politique, de philosophie et des recueils de poésie, notamment entre 1400 et 1418. Elle est souvent citée par les auteures féministes. Elle est remarquée pour ses études sur la situation de la France de son époque.

 

Une femme à l'encontre des préjugés de son temps

    Son père Thomas de PIZAN (Tommaso di Benvenuto da PIZZANO), médecin réputé et conférencier d'astrologie (à cette époque médecine et astrologie vont souvent de pair, dans les études comme dans les professions) à l'université de Bologne, est appelé à Paris par Charles V en 1386. Plongée dans l'univers de la cour royale, Christine PIZAN, qui a hérité de son père son goût pour les études, profite de l'instruction dispensé par son père, dans la mesure du possible (la grammaire plutôt que les sciences...), et subit l'éducation donnée alors aux jeunes filles de la noblesse. Elle commence vite à composer des pièces lyriques très admirées. Mariée (1380) par son père à Étienne CASTEL, lequel, homme savant et vertueux, notaire du roi, éloigné de la cour après la mort du roi (la même année), meurt en 1387, la laissant veuve. Ne se remariant pas malgré sa détresse matérielle (attirant sur elle de ce fait méfiance et racontars), elle élargit le champ de ses études (1390-1399) et à partir de sa rencontre avec le livre de BOÈCE en octobre 1402, se converti à la philosophie et aux sciences. Elle s'intéresse à l'Histoire, domaine fort peu prisé, et à la poésie, et grâce aux commandes et à la protection de puissants comme Jean de BERRY et le duc Louis 1er d'Orléans, elle conquis une place dans le monde des courtisans, des savants, des hommes cultivés et des gens de pouvoir, que ce soit dans l'Église ou dans les cercles politiques (souvent les mêmes...). Se cantonnant à l'écriture, et n'affichant pas d'ambitions politiques particulières, elle convainc par ses convictions et son érudition peu commune pour l'époque, même parmi les hommes. Elle discute ainsi avec Jean de GERSON (1364-1429) menant une carrière ecclésiastique autant que politique, qu'elle soutient dans la querelle sur le Roman de la Rose de Jean de MEUNG. Lors de cette querelle, elle polémique avec de grands intellectuels comme Jean de MONTREUIL (1354-1418), admirateur de la culture antique, et qu'on désigne souvent comme le premier humaniste français, ou encore GONTIER et Pierre COL...

  Dans la première décennie du XVe siècle, Christine de PIZAN est une écrivaine renommée, en France comme ailleurs en Europe. Elle ne peut malgré son souci de rester en dehors des conflits directement en prise avec les problèmes de succession royale, éviter les choix politiques. En 1418, au moment de la terreur bourguignonne, elle trouve refuge dans un monastère. La victoire à Orléans de Jeanne d'ARC lui redonne l'espoir ; elle rédige en son honneur le Diété de Jeanne en 1429, avant de mourir peu de temps après.

   Christine de PIZAN est d'abord poétesse et c'est grâce à ses oeuvres de poésie qu'elle se faite connaitre et assure en même sa subsistance. Organisés dans des recueils, ses poèmes s'inspirent directement de son expérience personnelle. Elle est au sommet dans la littérature de l'art de la ballade. Des aspects pré-féministes y percent parfois, renforcés nettement dans ses écrits didactique et éducatif. Il met l'accent sur la fonction éducative des femmes et certains considèrent son intervention dans la polémique à propos du Roman de la Rose comme un manifeste, sous une forme primitive, du mouvement féministes (Epistre ou Dieu d'Amours (1399), Dit de la rose (1402), critique de la seconde partie du Roman de la Rose. Elle écrit également dans des domaines alors considéré du domaine réservé aux hommes, sur le religieux et le militaire.

 

Une écrivain prolifique dans le domaine de la stratégie

   Dans son enfance, elle suit son père, astrologue de renon, qui part pour la cour de France peu après la naissance de sa fille. Sa vie est marquée par les troubles politiques et religieux liés à la guerre de Cent Ans, notamment la débâcle d'Azincourt de la chevalerie française devant les archers anglais. Elle subit également les conséquences des guerres civiles de Bourgogne et d'Orléans.

Toute son oeuvre est dominée par la force d'un patriotisme d'avant la lettre qu'elle perçoit comme l'unique remède aux nombreux maux qui frappent le pays. C'est dans ce contexte d'insécurité qu'elle rédige son traité de stratégie, Le Livre des faits d'armes et de la chevalerie, en 1409. Peu après, elle écrit ses Lamentations sur les maux de la guerre civile (1410) et le Livre de la paix (1412).

Le Livre des faits d'armes est avant tout une récapitulation de la pensée stratégique classique que l'auteur amalgame aux doctrines contemporaines sur l'éthique de la guerre. Christine de PISAN subit l'influence des Anciens comme Flavius VÉGÈCE, Jules FRONTIN et Valerius MAXIME, et celle d'auteurs contemporains comme Honoré BONET, auteur de L'Arbre des batailles (1388). Il est divisé en 4 parties, les deux premières étant consacrées aux stratèges romains avec quelques allusions aux événements contemporains. Les deux dernières parties traitent des lois qui gouvernent civils et militaires et des lois qui régissent les relations entre nations. Les passages les plus intéressants de ce traité sont composés sous forme de dialogues entre Christine de PISAN et des contemporains anonymes. L'analyse commence par un débat sur la guerre juste. L'auteur dresse ensuite le portrait du commandant idéal et suggère que sa présence sur les champs de bataille n'est pas toujours indispensable. Cette admiratrice de Jeanne d'ARC s'intéresse également à l'éducation militaire des jeunes hommes, qui, pense-t-elle, doit être accompagnée d'une forte discipline. Elle fait la distinction entre les jeunes gens d'origine aristocratique et les autres. Les premiers doivent être entrainés à l'art de la chevalerie, les seconds au tir à l'arc. Suit une analyse sur les fortifications et les sièges qui décrit en détail l'état de la technologie militaire du début du XVe siècle. L'intérêt de son ouvrage est qu'elle minimise l'approche ritualisée et individualiste du combat, incarnée par les exploits du chevalier, au profit d'une conception plus pragmatique de la guerre, marquée par la discipline, la cohésion et la loyauté envers le prince.  Ce constat annonce déjà, même timidement, les changements qui interviennent plus tard au cours du siècle suivant et qui aboutissent aux réformes proposées par MACHIAVEL. (BLIN et CHALIAND)

 

Une oeuvre oubliée et redécouverte

    Son oeuvre, dans l'ensemble, est ensuite oubliée, mais est redécouverte à la Renaissance, utilisée également, avant de retomber de nouveau dans l'oubli, comme appartenant à une époque aux critères techniques et esthétiques révolus. Elle n'est pas ignorée, mais plus très accessible directement.

C'est seulement au XIXe siècle et dans les premières années du XXe que sont exhumées ses ouvrages et certains bénéficient d'une édition permettant d'atteindre un public plus large que celui des érudits. Ses textes sont commentés surtout pour sa qualité poétique et sa loyauté envers le royaume, source pour certains du patriotisme (surtout pour les historiens de la moitié du XIXe siècle). A la fin du XIXe siècle, c'est surtout à partir des cercles féministes que son oeuvre, de manière assez sélective d'ailleurs, est diffusée et commentée. Dans les premières années du XXe siècle, des études tendent à donner d'elle et de ses écrits un portrait plus précis, plus "neutre", replacé dans son contexte historique, débarrassé de ces liaisons anachroniques entre l'époque de l'auteure et l'époque des contemporains.

Pendant la seconde guerre mondiale, la Résistance utilise la figure de Christine de PIZAN, de même que Jeanne d'ARC est évoqué dans les rangs de la Résistance par les oeuvres d'ARAGON ou de Jules SUPERVIEILLE, dans un parallèle entre la France déchirée par la guerre de Cent Ans et le pays occupé et coupé par la ligne de démarcation...

A partir des années 1980, son oeuvre connait un regain d'intérêt, mesurable par le nombre de travaux qui sont consacrés à ses livres. Les études sur le Moyen Âge et les études féministes se conjuguent pour lui donner une place dans la culture officielle. La Livre de la Cité des Dames prend une dimension fondamentale à cet égard. Il est traduit en Français moderne en 1986 par Thérèse MOREAU et Éric HICKS. Le développement de la gender history contribue aussi au succès de l'oeuvre de Christine de PIZAN.

 

Christine de PIZAN, Poésies diverses composées entre 1399 et 1402 ; Epistre au Dieu d'amours, 1399 ; Le Chemin de longue estude, 1403 ; La Cité des dames, 1404-1405 ; Le Livre des trois vertus à l'enseignement des dames, 1405 ; Le Livre de la paix, 1414... Tous ces ouvrages, écrits en vieux Français, sont disponibles au site de la BNF.

Maurice ROY (éd.), Oeuvres poétiques de Christine de Pizan, Firmin-Didot, 1886-1896. Mathilde LAIGLE (éd.), Le livre des trois vertus de Christine de Pisan et son milieu historique et littéraire, Honoré Champion, 1912. Suzanne SOLANTE (éd.), Le livre des Fais et bonnes meurs du sage roy Charles V, H. Champion, 1936-1940. Charity Cannon WILLARD (éd.), Le livre des trois vertus, édition critique, introduction et notes de CCW, texte établi en collaboration avec Eric HICKS, Honoré Champion, 1989. Thérèse MOREAU (éd.), La Cité des dames, texte traduit par TM et EH, Stock, collection Moyen Âge, 2005. 

Ernest NYS, Christine de Pisan et ses principales oeuvres, Bruxelles, 1914. Régine PERNOUD, Christine de Pisan, Paris, 1982.

Simone ROUX, Christine de Pizan, Femme de tête, femme de coeur, Payot & Rivages, 2006. Françoise AUTRAND, Christine de Pizan, Fayard, 2009.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016.

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31 août 2019 6 31 /08 /août /2019 12:51

   Horatio NELSON est un amiral britannique, connu pour avoir défait la flotte française à Trafalgar, bataille à l'issue de laquelle il perd la vie.

 

Une carrière navale brillante

    Entré très jeune dans la marine, Horatio NELSON participe à de nombreux voyages. Déjà, lors d'une mission scientifique dans l'océan Arctique (1773), il échappe de justesse à la mort. En 1777, il réussit son examen d'officier et est promu capitaine deux ans plus tard, à l'âge de 20 ans. Il assume son premier commandement lors d'un affrontement contre les Espagnols au large des côtes du Nicaragua d'où il sort vainqueur sur le plan militaire mais où il voit sa flotte décimée par la fièvre jaune. De retour en Angleterre en 1783, il traverse une période difficile qui comprend cinq années d'inactivité.

En 1793, sa carrière reprend quand il devient le commandant de l'Agamemnon à bord duquel il participe à la défense de Toulon, où il affronte pour la première fois NAPOLÉON BONAPARTE. Un peu plus tard, il participe au siège de Calvi (1794), où il perd on oeil.

Sous les ordres de John JERVIS, qui commande la flotte anglaire et qui voit en lui un grand stratège maritime, NELSON établit sa réputation lors de la bataille du cap Saint-Vincent (février 1797), au cours de laquelle il résiste seul face à la flotte espagnole, après une erreur de JERVIS. Promu contre-amiral, il est commandant en chef lors de la bataille de Ténériffe (juillet 1797), mais il doit être amputé d'un bras en plein combat. C'est au cours de l'année suivante que NELSON donne la pleine mesure de son génie guerrier, lors de la bataille du Nil (Aboukir), sa plus grande victoire après celle de Trafalgar. A la tête d'une escadre en Méditerranée, NELSON est chargé de la surveillance de la flotte française qui fait ses préparatifs pour une expédition dont la destination est inconnue des Anglais. Par malchance, il est absent au moment où les navires français quittent les côtes françaises pour l'Égypte. Il part précipitamment sans ses frégates d'accompagnement qui ont été endommagées lors d'une tempête. Après une longue poursuite, il surprend l'escadre française dans le port d'Aboukir, à l'embouchure du Nil. Au cours d'une opération nocturne où il opère pat attaques successives, NELSON concentre ses efforts sur chacun des vaisseaux ennemis. Mal disposés par BRUEYS, les navires français sont incapables de répondre à cette offensive. En l'espace d'une nuit, NELSON anéantit l'escadre française et assure à l'Angleterre la maîtrise de la Méditerranée.

La nouvelle de cette victoire se propage rapidement dans toute l'Europe et il a droit à un accueil triomphal lorsqu'il jette l'ancre à Naples. Obligé de se replier sur la Sicile, il soutient le roi FERDINAND lorsque celui-ci entreprend sa reconquête de Naples (1799). Peu après, il tombe en disgrâce auprès des autorités britanniques qui sont néanmoins contraintes de faire appel à lui lors de la bataille de Copenhague (1801) au cours de laquelle il anéantit la flotte danoise après avoir commis un acte de désobéissance qui lui assure la victoire. Indiscipliné - et atypique des officiers de son temps, notamment sur le plan de la considération des marins à bord des navires comme de leur avenir une fois à terre -  et connu depuis longtemps pour cette caractéristique, Horatio NELSON subit d'ailleurs tout au long de sa carrière militaire une sorte d'évolution en dents de scies, faites de triomphes impossibles à nier par la hiérarchie et de disgrâces subies lorsqu'il semble qu'on ait plus besoin de lui, successions de périodes courtes, au cours desquelles d'ailleurs il affine sa stratégie.

Au cours du printemps de l'année 1803, après une période de calme, NELSON est placé à la tête de la flotte anglaise en Méditerranée, où NAPOLÉON, contrairement à une légende tenace, est loin de négliger les efforts pour remettre sur pied une flotte puissante. Avec la rupture de la paix d'Amiens et alors que NAPOLÉON prépare une nouvelle campagne militaire, il est chargé d'assurer le contrôle de cette mer et, surtout, d'empêcher les navires de Brest de rejoindre ceux de Toulon, puis ceux de la flotte espagnole, éventualité qui aurait peut-être fourni à l'Empereur des Français les moyens d'envahir l'Angleterre. Ayant placé John ORDE devant Cadix, NELSON suit les mouvements de l'escadre française commandée par LA TOUCHE-TRÉVILLE, puis, après la mort de celui-ci, par Pierre VILLENEUVE. lorsque VILLENEUVE parvient à s'extraire de Toulon, NAPOLÉON décide de réunir sa flotte aux Antilles, puis de l'envoyer dans le couloir de la Manche défendu par William CORNWALLIS. Cependant, le plan de NAPOLÉON ne fonctionne pas comme prévu, l'améral Honoré GANTEAUME ne parvenant pas à sortir de Brest aussi facilement que VILLENEUVE. Après une longue poursuite entre NELSON et VILLENEUVE, l'escadre française choisit de revenir vers la France ; NAPOLÉON se voit dans l'obligation de modifier sa stratégie et, surtout, de renoncer à envahir l'Angleterre. VILLENEUVE rejoint Cadix au mois de juillet (1805) alors que NELSON, de retour en Angleterre, élabore tranquillement son plan de bataille avant de repartir en mer le 15 septembre, à bord du Victory. (BLIN et CHALIAND)

 

La bataille de Trafalgar, un modèle de stratégie maritime

Le 9 octobre, NELSON écrit un Mémoradum, devenu célèbre, dans lequel il annonce sa stratégie. Disposant sa flotte sur deux lignes, à la tête desquelles figurent COLLINGWORTH et lui-même, il préconise une tactique audacieuse visant à diviser la flotte franco-espagnole tout en concentrant ses propres efforts sur chaque navire ennemi. l'objectif est l'anéantissement complet de la flotte adverse. Conscient qu'aucun plan préétablit ne peut prendre en compte les effets du hasard, il exhorte ses troupes à garder un moral de vainqueur tout au long des combats.

Le 20 octobre, VILLENEUVE quitte Cadix en direction de Gilbraltar, NELSON prenant soin de ne pas se montrer. Le lendemain matin, alors que, face au cap Trafalgar, il se trouve en légère infériorité numérique par rapport à la flotte franco-espagnole, NELSON parvient à couper la ligne ennemie et, grâce à la disposition de ses navires en deux colonnes, réussit à morceler une flotte en petits groupes isolés les uns par rapport aux autres. La manoeuvre risquée des Anglais - les navires de tête, dont le Victory, sont dans une position très vulnérable, à la merci d'un mauvais vent - réussit magistralement. Les vaisseaux français et espagnols ne forment plus qu'une longue ligne désordonnée et trop espacée. Les Anglais peuvent désormais détruire les navires ennemis les uns après les autres. NELSON, qui se trouve à la pointe du combat, est blessé mortellement alors que la moitié de la flotte adverse est déjà détruite. Sa victoire, éclipsé momentanément par la nouvelle de sa mort, délivre l'Angleterre de la menace d'invasion et lui confère une suprématie maritime qu'elle conserve pendant près d'un siècle et demi. (BLIN et CHALIAND)

 

La "Nelson Touch"

L'amiral NELSON est reconnu de son vivant pour ses talents de meneur d'hommes, au point que certains parlaient de Nelson Touch, distinction forte qui le distingue d'ailleurs de la caste militaire maritime quant à un certain mépris de la soldatesque et des marins. Il est respecté comme quasiment aucune autre figure militaire dans l'histoire britannique, hormis MALBOROUGH et WELLINGTON. La plupart des historiens pensent que la capacité à galvaniser ses officiers supérieurs comme ses marins et ses qualités de stratège et de tacticien, expliquent ses nombreuses victoires.

Son souci du bien-être de ses hommes est une caractéristique tout à fait inhabituelle pour les normes contemporaines. Il a appuyé énergiquement la The Marine Society, la première organisation de charité pour les marins, où il siégeait au conseil et qui avait formé et habillé environ 15% des hommes ayant combattu à Trafalgar. Cette Nelson Touch le rendait populaire bien au-delà du cercle de la Marine, de bonnes franges de l'opinion publique anglaise. D'ailleurs, cette popularité générale explique peut-être l'agacement et une certaine hargne de la hiérarchie maritime à son égard, qui le place en disgrâce tant qu'elle le peut, qui n'appréciait guère ni son indépendance d'esprit ni son indiscipline notoire.

 

 

Horatio NELSON, The Trafalgar Memorandum, Londres, 1805, British Museum On peut lire ce texte dans l'Anthologie Mondiale de la stratégie, Robert Laffont, collection Bouquins, 1990. Une réédition en Anglais existe, broché chez Forgotten Books, de 2018.

Julian CORBETT, Campaign of Trafalgar, Londres, 1910. Christophe LLOYD, Nelson and Sea Power, Londres, 1973. Alfred Thayer MAHAN, The life of Nelson, the Embodiment of the Sea Power of Great Britan, Londres, 1897. Michèle BATTESTI, Trafalgar, les aléas de la stratégie navale de Napoléon, Economica, 2004. Roger KNIGHT, L'amiral Nelson, Presses Universitaires du Septentrion, 2015.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016.

 

 

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27 août 2019 2 27 /08 /août /2019 15:22

    Blaise de Lasseran de MASSENCOME, seigneur de Monluc, dit Blaise de MONTLUC, est un officier français, parvenu maréchal de France au bout de sa carrière en 1574 et un mémorialiste du XVIe siècle. Serviteur de 5 rois de France (François 1er, Henri II, François II, Charles IX et Henri III), il participe aux guerres d'Italie et aux guerres de religion. Principalement connu pour ses Commentaires qui couvrent une vaste période et publié en 1592, Blaise de MONLUC est considéré comme l'un des premiers théoriciens de la guerre de l'ère moderne.

  A l'image de Philippe de CLÈVES, qui le précède d'un demi-siècle, il met à profit une expérience du combat extrêmement variée pour formuler certains principes sur l'art de la guerre.

Blaise de MONLUC est typique des grands chefs de guerre de cette époque, peu regardant sur les conséquences des méthodes utilisées pour gagner une bataille, sans pitié pour les populations, notamment des villes qu'il assiège. Moins heureux dans les guerres de religion que dans les campagnes militaires en Italie, il sait tenir compte de l'accroissement du format des armées du XVIe siècle et adopte combinaisons tactiques qui tiennent compte de l'introduction nouvelle du feu dans les combats.

 

Une longue carrière militaire

      Placé à l'âge de 12 ans comme page chez le duc de LORRAINE, il se joint plus tard à une compagnie d'archers. Simple soldat à ses débuts, il franchit tous les échelons de la hiérarchie militaire. Sa carrière coïncide avec les guerres d'Italie, et il passe près de trente ans à guerroyer dans la péninsule italienne. Fait prisonnier à Pavie en 1525, il combat en Provence, en Artois et en Catalogne. Il se distingue à la bataille de Cerisole (1544)  alors qu'il est à la tête des arquebusiers gascons. Il obtient son premier commandement par l'intermédiaire du roi de France, Henri II, qui le charge de défendre la ville de Sienne assiégée par l'armée du marquis de Marignan. Malade, il fait montre d'un talent exceptionnel de commandement et réussit à tenir la ville, malgré la famine et les bombardements, pendant près d'un an (1544-1545). Lors du siège de Thionville en 1558, il mène l'assaut final et remporte la victoire.

Il se retire dans son château, près d'Agen en 1559, mais reprend les armes trois ans plus tard pendant les guerres de religion au cours desquelles il combat du côté catholique. Il se signale à Targon et à Vergt (1562), et s'empare du Mont-de-Marsan en 1569 et de Rabastens l'année suivante. En disgrâce à partir de 1570, il est réhabilité un peu plus tard et prend part au siège de La Rochelle (1573), avant d'être nommé Maréchal de France par le roi en 1574. C'est au cours de sa disgrâce qu'il rédige ses Commentaires qui sont publiés après sa mort en 1592. (BLIN et CHALIAND)

 

Une analyse de la guerre

    Son analyse de la guerre est fondée sur sa propre expérience, et il perçoit très rapidement les conséquences qu'auront les nouvelles armes - arquebuse, mousquet, artillerie - sur la conduite de la guerre. Il est d'ailleurs l'un des premiers théoriciens modernes à favoriser l'offensive et le mouvement. Cette approche préfigure la guerre de mouvement qui voit son apogée au XVIIIe siècle. La dimension psychologique de la guerre est l'un de ses thèmes favoris. L'épreuve qu'il subit au siège de Sienne le conforte dans l'idée qu'un chef de guerre doit exhorter ses troupes et se montrer exemplaire dans le courage, la ténacité et la résolution nécessaires à la victoire.

Le deux phases distinctes de sa carrière lui font apprécier les différences entre les guerres de type classique et les guerres civiles : "Ce n'est pas comme aux guerres étrangères, où on combat comme pour l'amour et l'honneur : mais aux civiles, il faut être maître ou valet, vu qu'on demeure sous le même toit ; et ainsi il faut en venir à la rigueur et à la cruauté : autrement la friandise du gain est telle qu'un désire plus la continuation de la guerre que la fin". Son traité est l'un des premiers textes militaires modernes à être étudié par les stratèges, alors qu'auparavant seuls les manuels de l'Antiquité avaient droit de cité. (BLIN et CHALIAND) 

Ses Commentaires constituent une référence jusqu'au règne de Louis XIV.

 

Commentaires, des Mémoires très étudiés au XVIIe siècle

Ses commentaires sont les Mémoires du chef des armées catholiques pour le sud-ouest de la France, depuis le début de sa carrière militaire dans les campagnes d'Italie jusqu'aux guerres de religion. Ils couvrent la période de l'année 1521 à l'année 1576. Le long titre complet (l'usage de l'époque est dans les titres à rallonges...) est : Commentaires de messire Blaise de Monluc, maréchal de France, où sont décrits tous les combats, rencontres, escarmouches, batailles, sièges, assauts, escalades, prises ou surprises de villes places fortes : défenses des assaillies assiégées... Le texte n'est publié qu'après sa mort, en 1592.

Le texte imprimé en 1592 est un texte très remanié par son éditeur et cette version est rééditée jusqu'au milieu du XIXe siècle, avant que ne paraisse en 1864-1867 l'édition plus scientifique due au baron de RUBLE. Le texte sorti dans la collection La Pléiade est une édition critique soignée et riche de notes, mise en oeuvre par Paul COURTEAULT (1867-1950) et préfacée par Jean GIONO.

Blaise de MONLUC associe récit et commentaires, ce qui fait des Commentaires, longtemps après qu'il ne soit plus une référence pour les stratèges, pour les historiens, un inégalable répertoire des techniques de combat et de l'armement du XVIe siècle. L'édition critique permet de resituer certains faits car l'auteur fait un certain nombre d'erreurs de chronologie.

Si Jean GIONO s'est intéressé à son texte, c'est qu'il se présente souvent comme chrétien, chef de guerre efficace, impitoyable par stratégie, mais pas par nature. On sent bien sa qualité de catholique  (il parle de ses péchés commis, que la guerre lui a fait commettre), et sa qualité de noble d'épée (défendant par endroits sa caste par rapport à la noblesse de robe et aux parlementaires, aux pouvoirs croissants dans le Royaume). Il y a dans son texte également des réflexions sur les relations entre pouvoir politique et pouvoir militaire : le bon roi  est celui qui s'implique très personnellement dans les actes de pouvoir en choisissant avec discernement des hommes qui ont fait leurs preuves et qui veille à ne pas créer des pouvoirs qui nuiraient au sien et pour cela il doit multiplier les délégations de pouvoir au lieu de les concentrer. Homme de guerre avant tout, il est également un homme de la Renaissance, de cette Renaissance, très fertile en événements guerriers, mais qui a de la guerre une opinion moins glorieuse que celles des grands chefs militaires qui le précèdent. Il n'est sans doute pas l'homme inculte décrit par CORVISIER dans son Dictionnaire d'art et d'histoire militaires.

 

 

Blaise de MONLUC, Commentaires, Pléiade, 1964. Disponible sur le site de Gallica.

Jean-Charles SOURNIA, Histoire de Monluc, soldat et écrivain, 1981.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016.

 

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20 août 2019 2 20 /08 /août /2019 13:06

    John Churchill MARLBOROUGH, est un général et homme politique anglais dont la carrière s'étend sous le règne de 5 monarques du XVIIe au XVIIIe siècle. Le duc de MARLBOROUGH est l'un des principaux architectes de l'armée anglaise moderne. Ses victoires militaires font de la Grande Bretagne une grande puissance européenne, lui assurant une prospérité croissante au cours du XVIIIe siècle.

 

Une ambition au service de la Grande Bretagne

   Formé sur le continent par les armées de Louis XIV qui doivent ensuite l'affronter à maintes reprises, il prend part à partir de 1672 à de nombreuses campagnes militaires dans toute l'Europe.

Sa carrière politique connait les hauts et les bas des aléas des rivalités entre plusieurs maisons royales en Angleterre. Disgracié en 1692 par le roi Guillaume III, il est rappelé à la tête des armées anglaises lorsque Anne Stuart accède au trône en 1702.

C'est à un âge avancé (50 ans à l'époque est souvent synonyme déjà de vieillesse), qu'il entre dans la phase décisive de sa carrière, celle qui fait sa renommée.

Avec la Quadruple Alliance de La Haye, il participe à la guerre de Succession d'Espagne (1701-1713). Au côté du prince Eugène de Savoie, il remporte ses plus belles victoires à Blenheim (1704) et Audemarde (1708). Il est également victorieux à Ramillies en 1706, mais il marque le pas à Malphaquet en 1709, face à VILLARS, dans une bataille indécise qui l'oblige à changer de stratégie pour s'attaquer aux places fortes de la "frontière de fer".

Au cours de sa carrière, il conduit une trentaine de sièges, dont celui de Lille en 1708. En 1711, il tombe à nouveau en disgrâce pour avoir participé du "mauvais côté" aux affaires politiques de son pays.

 

Un stratège militaire doublé d'un politique

     MARLBOROUGH sait s'entourer d'hommes compétents et dévoués. Par tempérament, il favorise l'offensive et le mouvement, mais sait aussi conduite un siège lorsque c'est nécessaire. Il recherche la bataille qui, selon lui, doit décider de l'issue d'un conflit armé. Son souci du détail le pousse à la réorganisation de ses armées, en particulier aux niveaux de l'intendance et de la logistique. Face aux Français, il sait exploiter les possibilités offertes par le feu. Brillant tacticien, il est aussi un grand stratège qui comprend mieux que personne l'influence des facteurs économiques, politiques et psychologiques de la guerre. Il ne s'engage jamais dans une entreprise militaire sans être sûr d'en avoir les moyens. (BLIN et CHALIAND).

 

   Comme il participe aux luttes politiques de son temps, le bilan de son action, politique surtout (il est déclaré traitres au moins deux grandes fois) ne fait pas du tout l'unanimité, les opinions se partageant du coup sur son action militaire. Toutefois, la grande majorité des biographes et analystes considèrent le poids de son activité militaire comme déterminant, comme Winston CHURCHILL qui répond d'ailleurs par ses volumes à The History of England de Thomas Babington MACAULEY.

Le duc de MALBOROUGH, premier du nom, est reconnu dans l'ensemble comme dévoré d'ambition, recherchant sans relâche la richesse, la puissance et l'ascension sociale, tout comme d'ailleurs presque tous les hommes d'État de son époque, qi cherchent à fonder des lignées et à amasser de l'argent aux dépens du public et parfois directement de la Couronne. Pour George TREVELYAN (England Under Queen Anne, longmans, Green and Co, 1930-1934, 3 volumes) , le comportement de MALBOROUGH pendant la révolution de 1688 témoigne de son "dévouement à la liberté de l'Angleterre et à la religion protestante". Mais sa correspondance continue avec SAINT-GERMAIN n'est pas en son honneur. Bien qu'il n'a jamais souhaité une restauration jacobite, son double jeu fait que ni Guillaume III, ni George 1er ne lui ont fait entièrement confiance. En fait, on peut se demander si, à rebours d'une certaine lecture de l'histoire, le duc n'a pas considéré ces monarques comme de simples pièces dans un empire propre à construire... En fin de compte, sa réputation repose plus sur ses hauts faits militaires et ses visions de la stratégie et de la tactique que sur des qualités de manoeuvrier politique ou de courtisan. Cependant, selon CHANDLER, il est des rares personnages anglais de son époque à comprendre le sens et les enjeux de la guerre de Succession d'Espagne ; le conflit en Europe entre Espagne et Angleterre (avec ses enjeux religieux sous-jacents) trouvant sa résolution à travers la question de la Flandre.

S'il ne laisse pas d'oeuvres élaborées écrites directes et si ce sont ses contemporains qui rapportent ses faits et gestes, ce sont ses correspondances (disséminés dans plusieurs Bibliothèques nationales et Bibliothèques royales), comme pour d'autres généraux de son époque, qui permettent de comprendre directement ses vues politiques et militaires.

  Pour les citoyens francophones surtout, le personnage est connu surtout à travers la chanson traditionnelle Malbrough s'en va-t-en guerre. La chanson, connue depuis 1791 (par BEAUMARCHAIS), a eu une vogue immense (et de nombreux dérivés). Son origine, recherchée au XIXe siècle par l'Académie des sciences morales et politiques, serait due à l'épopée du comte Galéran de MEULAN, appartenant à l'armée des Croisés lors du siège de Saint-Jean-d'Acre en 1190... et est perpétuellement "modernisée" au cours des temps (notamment pour le duc de Guise en 1563(www.france-pittoresque.com, 1er décembre 2015) Comme beaucoup de chansons populaires, à l'instar des romans (par exemple les contes de la Table Ronde), cette chanson fait partie des comptines populaires tendant à faire peur ou à rassurer...

 

 

David CHANDLER, Marlborough as Military Commander, Londres, 1973. Winston CHURCHILL, Marlborough, his life and Times, 6 volumes, Londres, 1933-1938.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016.

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16 août 2019 5 16 /08 /août /2019 12:48

   Douglas MAC ARTHUR, officier supérieur des États-Unis, est l'une des figures militaires les plus flamboyantes du XXe siècle. Il est l'un des rares à s'être distingué dans trois conflits armés importants : les Première et Seconde Guerres Mondiales et la Guerre de Corée.

 

Une carrière militaire de premier plan

  Sorti major de l'académie militaire de West Point en 1903 avant d'être envoyé dans le génie aux Philippines, où son père avait été gouverneur, il est affecté auprès de ce dernier à Tokyo comme observateur lors du conflit entre les Russes et les Japonais. Il prend connaissance avec le Japon dont il est l'un des meilleurs observateurs américains.

Durant la Première Guerre Mondiale, il est aide de camp auprès du président Théodore ROOSEVELT. Il est chargé, après l'entrée en guerre des États-Unis, d'organiser une division spéciale de la Garde nationale, la division "arc-en-ciel" avec laquelle il se rend en France et prend part à l'offensive de la Marne durant l'été 1918. Promu général de brigade, il dirige sa division vers Sedan (novembre 1918), et puis participe à l'occupation d'une partie de l'Allemagne après l'armistice.

Durant l'entre-deux-guerres, MACARTHUR accède au poste de chef d'état-major de l'armée américaine, puis organise l'indépendance des Philippines avant de prendre sa retraite en 1937. De 1930 à 1935, il est le chef de l'état-major général ; c'est à ce titre qu'en 1932, il réprime par la force la manifestation des anciens combattants venus à Washington réclamer le versement de leurs pensions.

Alors que l'entrée en guerre des États-Unis est imminente, il est rappelé par Franklin ROOSEVELT pour prendre le commandement des forces américaines en Extrême-Orient. Face aux Japonais, il entame une résistance farouche mais se voit contraint d'abandonner ses bases aux Philippines. Débarquant en Australie le 11 mars 1942, il lance cette phrase célèbre, sachant très bien organiser une campagne de presse (laquelle est très demandeuse par ailleurs...) : "Je reviendrai!". Commandant le secteur du Pacifique Sud - Chester NIMITZ commande le secteur Nord - il prépare la contre-offensive en Nouvelle-Guinée d'où il parvient à repousser les forces japonaises, avant de déclencher une offensive de grande envergure avec NIMITZ sur le centre du Pacifique. Le 20 octobre 1944, MACARTHUR s'empare des Philippines et peut ainsi clamer haut et fort au peuple philippin : "Je suis revenu!".

L'année suivante, il est commandant en chef des forces alliées au Japon où il reçoit la reddition japonaise. Durant les années qui suivent la fin de la guerre, il est chargé de superviser la reconstruction politique et économique du Japon.

En juin 1950 commence en Corée la première confrontation sérieuse de la guerre froide où s'opposent deux blocs hétérogènes et extrêmement hostiles. Il s'agit surtout du premier conflit à risque nucléaire mais qui devient en définitive un conflit "limité". MACARTHUR est choisi pour prendre le commandement des forces des Nations Unies. Après l'offensive de la Corée du Nord, dont la rapidité avait quasiment anéanti les armées du Sud avant même qu'interviennent les forces des États rassemblés sous l'égide de l'Organisation internationale, MACARTHUR parvient à endiguer l'avancée des Nord-Coréens. Le 26 septembre, le général américain tente une opération amphibie sur Inchon. La manoeuvre d'enveloppement réussit et il peut s'emparer de Séoul le 26 septembre. Le 1er octobre, il envahit la Corée du Nord, mais les 25 et 26 novembre, alors que ses troupes s'approchent du fleuve Yalou, il est surpris par les troupes chinoises qui repoussent son armée derrière le 38e parallèle. En mars de l'année suivant (1951), MACARTHUR reprend Séoul et entame une nouvelle offensive sur le Nord. Convaincu que le conflit est désormais d'une toute autre nature, le général envisage de s'attaquer, par le truchement de bombardements aériens, à des cibles sur le territoire chinois. Cependant, le général amréicain Henry TRUMAN voit les choses différemment. Commence alors un conflit ouvert - médiatique en grande partie - entre le Président et son général. Le 11 avril 1951, MACARTHUR est relevé de ses fonctions. Son retour aux États-Unis est triomphal.

Il prononce son discours d'adieu devant le Congrès américain le 19 avril avant de se retirer de la vie publique. Dans la dernière décennie de sa vie, jusqu'en 1964, il joue un certain rôle de conseil auprès des présidents et écrit ses Réminiscences, publiés après sa mort. (BLIN et CHALIAND)

 

Un cas-type de conflit entre le pouvoir politique et le pourvoir militaire

   C'est surtout durant la seconde guerre mondiale que nombre de généraux (on pense au général PATTON également) se sont livrés publiquement à une contestation des décisions du pouvoir politique, mais sans jamais déroger à un ordre direct. Si ces "discussions"" prennent autant d'ampleur, alors que la tradition de polémiques entre militaire et politique était déjà une constante de la vie politique américaine, en temps de paix comme en temps de guerre, cela est dû surtout à l'irruption de la presse, avec des moyens techniques supérieures (télévisions, radios) qui donnent à ces polémiques un caractère virulent et public. Douglas MACARTHUR s'est acquis pendant toute sa carrière militaire la réputation de dire franchement ce qu'il pense des ordres militaires du pouvoir politique. Il le fait d'autant plus que ses victoires militaires le rendent très populaire aux États-Unis. De plus, l'establishment comme l'opinion publique connaissent ses compétences d'organisateur en matière de politique institutionnelle, administrative, et économique, qu'il a l'occasion de déployer au moins à deux grandes reprises, en Allemagne après la première guerre mondiale et au Japon après la seconde. Il est fermement convaincu qu'à moins d'une gestion prudente de l'occupation, celle-ci peut être mauvaise à la fois pour l'occupant et pour l'occupé, et ce à de nombreux titres.

Sans jamais avoir eut la moindre ambition politique, il sait comment utiliser la presse pour donner à ses pensées tactiques et stratégiques le plus d'impact possible, pour influencer en dernier ressort les décisions du pouvoir politique. Parfois, la presse, comme à son habitude, va au-delà de sa pensée : elle lui prête longtemps la réflexion d'un bombardement nucléaire sur la Chine ou l'URSS, au moment des revers de la guerre de Corée. En tout cas, ses activités publiques ont un réel impact sur la politique intérieure de son pays, notamment par ses déclarations anti-pacifistes et anticommunistes.

Sa suspension en 1951 par l'impopulaire président TRUMAN, parce que le général avait communiqué avec le Congrès, entraine une large controverse et une crise institutionnelle. Les sondages indiquent alors qu'une majorité d'Américains désapprouvent cette décision. La cote de popularité du président chute, au niveau le plus bas jamais atteint par un président des États-Unis. Alors que l'impopulaire guerre de Corée se poursuit, l'administration Truman est victime d'une série d'affaires de corruption, et le président décide de ne pas se représenter en 1952. Un comité sénatorial préside par le démocrate Richard Brevard RUSSEL Jr, enquête sur la suspension de MACARTHUR. Elle conclut que "la destitution du général MacArthur était en accord avec les pouvoirs constitutionnels du président, mais que les circonstances portèrent un coup à la fierté nationale."

Au niveau de la réalité des pouvoirs entre instances civiles et instances militaires aux États-Unis, la polémique sur la stratégie en Corée a son point culminant début avril, après une lettre du général au leader des républicains de la Chambre des représentants, lorsque TRUMAN convoque entre autres le secrétaire à la défense George MASHALL et le secrétaire d'État Dean ACHESON pour discuter de la situation. Les chefs d'État-major acceptèrent la suspension de MACARTHUR sans la recommander. Si insubordination il y avait - et la discussion fur très "ouverte" à ce sujet, il n'avait pas outrepasser sa mission, et la faute, s'il y a faure réside surtout dans le fait de discuter directement avec des instances politiques autre que le président.

Mais sans doute plus profondément, sur la politique militaire, la polémique MACARTHUR-TRUMAN eut un effet plus net sur la répartition des pouvoirs d'usage des armées nucléaires. En effet, le 5 avril 1951, le Comité des chefs d'état-majors Interarmées délivre des ordres à MACARTHUR l'autorisant à attaquer la Mandchourie et la péninsule du Shandong si les Chinois utilisaient des armes nucléaires pour lancer des frappes aériennes en Corée. Le lendemain, TRUMAN rencontre le président de la Commission de l'énergie atomique des États-Unis, Gordon DEAN, et organise le transfert de 9 bombes nucléaires Mark 4 sous le contrôle militaire. DEAN s'inquiète du fait que la décision sur la manière de les utiliser soit confiée à MACARTHUR qui, selon lui (et à raison d'ailleurs...) n'avait pas toutes les connaissances techniques de ces armes et de leurs effets. Le comité des chefs d'États-majors n'étaient pas non plus à l'aise à l'idée de lui donner et avait peur qu'il n'applique trop prématurément ces consignes. Il est alors décidé de mettre la force de frappe nucléaire sous le contrôle du Strategic Air Command. A plusieurs reprises, depuis, notamment durant la guerre froide, la question du contrôle direct des armes nucléaires est l'objet de discussions au sommet de l'État américain, avec plusieurs solutions mises en oeuvre.

   

Une oeuvre surtout polémique et mémorielle

   Douglas MACARTHUR considère son activité éditoriale dans le fil droit de ce qu'il pense être son rôle de chef militaire, support de ses activités publiques et ensuite de la défense de son action dans l'armée. C'est surtout Réminiscence, publié en 1964 qui attire l'attention car il apporte un témoignage direct sur les problématiques politiques et militaires et sur ce qui s'est passé selon lui au plus fort des polémiques et de la guerre de Corée.  Cet auto-portrait, dont le caractère hagiographique parfois peut faire douter de la validité de son témoignage. Il reste le témoignage émouvant et vibrant d'une vie entière consacrée au service de sa patrie, très conscient qu'il est de sa valeur et de son influence. Il continue d'être un document précieux, d'autant plus précieux pour les Américains que le mode biographique est parfois le seul qui leur apporte des informations sur l'histoire de leur propre pays. Aucun de ses livres n'a fait l'objet d'une édition en langue française. 

 

Douglas MACARTHUR, Reminiscences, McGraw-Hill, New York, 1964 ; MacArthur on War, New York, Duell, Sloan and Pearce, 1942 ; Revitalizing a Nation : a Statement of Beliefs, Opinions, and Policies Embodied in the Public Pronouncements of Douglas MacArthur, Chicago, Heritage Foundation, 1952.

John GUNTHER, The Riddle of MacArthur, New York, 1951. François KERSAUDY, MacArthur, l'enfant terrible de l'U.S. Army, Paris, 2014.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016.

 

 

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13 août 2019 2 13 /08 /août /2019 13:45

   Erich LUDENDORFF est un officier militaire et homme politique allemand. Militariste et conservateur convaincu, Général en chef des armées allemandes pendant la Première Guerre Mondiale (1916-1918), il soutient activement le mouvement national-socialiste dans ses débuts (années 1920), avant de s'opposer à HITLER et de se détourner de la politique pour créer, avec sa femme, un mouvement néopaïen. Il fait partie de ces officiers allemands lucides qui ont bien compris - même si c'est un peu tard - les ambitions et les impasses du projet nazi.

 

Une solide carrière militaire

   Entré à l'âge de 12 ans dans une école de cadets (ce qui n'est cependant pas exceptionnel à cet époque dans les hautes sphères sociales), il est promu officier en 1882 et affecté au grand état-major de l'armée allemande en 1895. Placé sous les ordres de SCHLIEFFEN, il travaille plus tard en collaboration étroite avec le second MOLTKE (neveu d'Helmuth Von MOLTKE) et rédige le plan d'attaque contre la France de 1914.

Il quitte le grand état-major en 1913 et se retrouve sous-chef d'état-major de la 2e armée en 1914. Il est promu quartier-maître général, titre créé pour lui, en 1916 au côté de HINDENBURG et il devient aussitôt l'un des personnages les plus influents de son gouvernement, aussi bien sur le plan militaire que sur le plan politique. Il est chargé, notamment, de négocier le traité de Brest-Litovsk avec les Bolcheviques. Après l'échec de la dernière offensive sur le front de l'Ouest en 1918, il veut signer l'armistice immédiatement. Jugé trop critique envers le gouvernement allemand, il est démis de ses fonctions. Il ne participe donc pas à toute l'entreprise de dédouanement - facilitée d'ailleurs par l'intransigeance du président américain WILSON qui ne veut traiter qu'avec du gouvernement civil - des autorités militaires sur les autorités politiques pour l'armistice et le traité de paix. Ce qui ne l'empêche pas d'être ensuite l'un des plus grands propagandistes de la fameuse thèse du "coup de poignard dans le dos".

 

Une carrière politique très à droite de l'échiquier politique allemand

    La défaite de son pays et ses déboires personnels le remplissent d'amertume et c'est dans cet état d'esprit qu'il entreprend sa carrière d'écrivain militaire et politique. Dès 1919, il publie Meine Kriegserinnerungen, puis (dans leur traduction en Français), Conduite de la guerre et politique (1922), La Guerre (1932) et La Guerre totale (1936). Actif en politique, il appuie HITLER lors du coup d'État manqué de Munich en 1923, dans des circonstances peu claires, puisqu'il lui le reproche (de l'avoir tenté, d'avoir échoué...) ensuite. En 1924, il est élu au Reichstag comme député national-socialiste.

Preuve que sa brouille avec HITLER est importante, en 1925, il cherche à le déconsidérer (tactique qu'il utilise contre tous ses adversaires internes d'ailleurs) en le poussant à se présenter dans une élection où il sait qu'il n'a aucune chance. Résultat : avec 1,1% des voix au premier tour, LUDENDORFF perd l'élection présidentielle de cette année-là, remportée par son ancien supérieure, Paul Von HINDENBOURG. LUDENDORFF ne se remettra jamais de cette défaite. Plus tard, d'ailleurs, il reprochera à HINDENBOURG la nomination d'HITLER comme chancelier d'Allemagne.

Il est accusé en 1927 d'être franc maçon, lui pourtant qui est l'auteur d'un pamphlet antimaçonnique, en Français Anéantissement de la franc-maçonnerie par la révélation de ses secrets.

Marginalisé, et ne jouant plus le moindre rôle politique, il se retire de la politique en 1928.

Il fonde alors, dès 1925, avec Mathilde SPIESS (qui devient sa femme un an plus tard), le Tannenbergbund, mouvement païen de "connaissance de Dieu", qui existe d'ailleurs toujours sous le nom de Bund für Deutsche Gotterkenntnis, et dont les membres sont parfois appelés Ludendorffer. Son retrait de la politique ne signifie pas renoncement : outre une activité éditorial très importante dans le domaine de la théorie de la guerre, il oeuvre pour l'expansion des organisations nationalistes allemandes (et anti-chrétiennes...).

 

Une vision de la guerre totale

   LUDENDORFF doit une partie de sa célébrité à sa vision exaltée de la guerre totale. Soucieux de la préparation de la guerre autant que de sa conduite, s'intéressant aux facteurs psychologiques et économiques autant qu'aux problèmes techniques et tactiques, attentif à la préparation des civils autant qu'à celle des soldats, aussi farouche dans le combat que dans pa poursuite de l'ennemi, il possède une vision intégrale de la guerre.

Il rejette le concept de guerre absolue développé par CLAUSEWITZ et lui préfère sa propre définition de la guerre totale. La nature de la guerre et le caractère de la politique ont changé, argumente-t-il, et la notion selon laquelle la guerre n'est que la continuation de la politique est rendue caduque par le nouvel environnement social et politique. A présent, "l'art de la guerre est l'expression suprême de la "volonté de vivre" nationale, et la politique doit donc être soumise à la conduite de la guerre". Ce constat se veut pratique autant qu'idéologique : l'avènement de la guerre totale est dû selon lui à l'explosion démographique et au progrès technologique. Le caractère total de la guerre implique que toutes les ressources de la nation soient exploitées simultanément pour mener le pays à la victoire. En temps de guerre, la politique s'efface devant la stratégie militaire. En temps de paix, la politique a pour but de préparer la nation à la guerre.

Le régime politique qui convient le mieux à cette vision de la guerre est de nature totalitaire. Le commandant en chef de l'armée doit être en même temps le souverain politique. Il doit posséder l'autorité suprême afin de conduire son armée et sa nation dans un effort uni et efficace. Tout le peuple participant à la guerre, l'importance des facteurs psychologiques et économiques est accrue. En temps de paix, le gouvernement doit mener une politique économique qui prépare le pays à la guerre et qui vise à établir l'autosuffisance des ressources nécessaires à la survie et au combat. Il doit aussi mener une campagne de propagande visant à motiver la population et à affaiblir le moral des autres nations. Le facteur psychologique est l'un des éléments clés de la guerre totale. La contrainte et la force ne sont pas suffisantes pour générer la cohésion et la motivation nécessaires à une société en plein effort de guerre. Il faut pour cela un fondement spirituel au niveau national que LUDENDORFF perçoit dans la société japonaise, particulièrement dans la religion shinto, qu'il prend comme modèle.

Contrairement aux autres théoriciens du national-socialisme, il se montre réticent par rapport aux théories de domination impérialiste. Il leur préfère une doctrine de guerre défensive visant en premier lieu à assurer la sauvegarde de la nation, réduite en quelque sorte à une forteresse à grande échelle. C'est seulement si un peuple se sent menacé que son âme prendre conscience d'elle-même. Les peuples acceptent de s'engager dans un combat qui met en jeu la sauvegarde de leur propre existence mais comprennent moins bien les conflits où ils jouent le rôle de l'agresseur.

Au niveau de la tactique, en revanche, LUDENDORFF préconise l'offensive, et ses idées suivent les théories de la guerre éclair qui se développent un peu partout à son époque : concentration des efforts, mobilité, coordination entre artillerie, chars et avion. Toutefois, il se montre moins confiant que d'autres en ce qui concerne les effets démoralisateurs des bombardements massifs de populations. Il pense que la victoire doit être définitive et qu'elle soit s'accomplir au lieu décisif plusieurs que sur plusieurs fronts. La concentration ds forces en un point faible du front ennemi devra être d'une puissance telle qu'elle provoque la déroute complète de l'adversaire. Finalement, il insiste sur le fait que la poursuite de l'ennemi vaincu doit être implacable. (BLIN et CHALIAND)

    

   Ses idées de guerre totale sont appliquées durant la Première Guerre mondiale. Le programme de HINDENBOURG en 1916, initié par LUDENDORFF, fixant d'en haut les priorités de la production, conduisit à une augmentation spectaculaire de la production d'armement en négligeant l'agriculture. En 1918, l'Allemagne était au bord de la famine. Contrairement au corps d'officiers traditionnel, il aspire à une véritable armée de masse. Grand tacticien, ses qualités de stratège sont contestables car, en raison de sa vision étroitement militaire, il se révéla incapable d'exploiter politiquement ses succès militaires réalisés en 1917 où il avait opté, sous la pression du moment, pour une stratégie défensive à l'Ouest. Comme tacticien, il livra l'une des grandes batailles de l'Histoire, à Tannenberg (août 1914), grâce à un mouvement enveloppant et à la mobilité de ses troupes. LUDENDORFF, on l'a écrit plus haut, préconise une sorte de Blitzkrieg par la concentration des forces attaquant l'ennemi en son point faible. A l'encontre de CLAUSEWITZ, il soutient la primauté de l'offensive sur la défensive en se fondant sur un "fier sentiment de supériorité". Cette vision idéologique l'empêcha vraisemblablement d'évaluer correctement les problèmes matériels de la grande offensive à l'Ouest, le 20 mars 1918. Sa tactique de la moindre résistance visant, par une série d'attaques limitées, à trouver le "point faible" de l'adversaire s'y révéla également désastreuse. Cherchant à séparer les armées française et anglaise en poussant cette dernière vers les ports de la Manche, LUDENDORFF s'écarta finalement de son objectif initial. Il étira son front de près de 7 km plus au sud en affaiblissant l'offensive par cette dispersion. Cet épisode est finalement révélateur de sa myopie stratégique et politique qui faisait la guerre sans avoir de buts nettement définis et succomba pour cette raison, trop facilement à la fascination néfaste de la "bataille décisive". (Thomas LINDEMANN)

 

Erich LUDENDORFF, Conduite de la guerre et Politique, Berger-Levrault, 1928, 1936 ; La guerre totale, Flammarion, 1937, réédité aux Éditions Perrin, 2010 ; Souvenirs de guerre (1914-1918) - Tome I, Tome II, Nouveau Monde éditions, 2014. On trouve des extraits de La guerre totale (à partir de la traduction anglaise de 1976), dans l'Anthologie mondiale de la stratégie, Robert Laffont, 1990.

Eugène CARRIAS, La pensée militaire allemande, 1948. Hans SPEIER, Erich Ludendorff : la conception allemande de la guerre totale, dans Les Maîtres de la stratégie 2, Sous la direction d'Edward MEAD EARLE, Éditions Berger Levrault, 1980.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016. Thomas LINDEMAN, Ludendorff, dans Dictionnaire de stratégie, Sous la direction de Thierry de Montbrial et de Jean Klein, PUF, 2000.

 

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9 août 2019 5 09 /08 /août /2019 08:38

    Henry LLOYD est un stratégiste britannique (gallois), un des plus brillant du XVIIIe siècle, et un des premiers grands théoriciens de langue anglaise de la guerre. Il influence notamment Antoine Henri de JOMINI et même s'il est méconnu, y compris dans son propre pays, il figure parmi les auteurs modernes de la stratégie militaire.

 

Une vie aventureuse

     Les détails de sa vie sont très mal connus. Éclectique dans ses goûts aussi bien que dans ses activités, il sert dans nombre d'armées européennes, comme d'ailleurs beaucoup de soldats - intermittents ou de métier - à son époque. Efficace sur les champs de bataille (il faut l'être pour y survivre...), il ne l'est pas moins dans les opérations clandestines.

Après des études à Oxford, il entre dans le clergé avant d'être envoyé en France où il enseigne la géographie aux officiers français. En 1745, il quitte l'Église et s'engage dans l'armée française où il participe à la bataille de Fontenoy comme officier de génie. Sa carrière parallèle d'espion commence pratiquement au même moment. En 1748, il rejoint l'armée prussienne puis revient servir les intérêts de la France 6 ans plus tard. Peu après, il quitte à nouveau la France et combat au service de l'Autriche dans la guerre de Sept Ans.

C'est à partir de cette expérience qu'il élabore ses théories sur la guerre, qui apparaissent dans The History of the Late War with Germany (1766) puis dans ses Mémoires (1781), publiés en France sous le titre  Réflexions sur les principes généraux de la guerre (1784).

Après la guerre de Sept Ans, il tente de rejoindre les Anglais qui appuient le Portugal face aux Espagnols alliés avec les Français, puis revient en Angleterre où il se met à écrire tout en restant actif comme militaire et espion. En 1768, il part en mission clandestine pour le compte de l'Angleterre afin d'aider les Corses à repousser une invasion française et, en 1773-74, combat au service de la Russie contre les Turcs.

Vers la fin des années 1760, il écrit un ouvrage politique ambitieux "Essai philosophique sur les gouvernements" (non publié), puis un essai sur la Constitution britannique et un autre sur la finance. Au moment de la Révolution américaine, il rédige un texte sur les moyens de vaincre la France en Amérique, Rhapsody of the Present System of French Politics, of the Porjected Invasion and the Means to Defeat It.

 

Une élaboration théorique sur la guerre

   Comme GUIBERT, LLOYD subit l'influence de MONTESQUIEU dont il veut appliquer la méthode philosophique à la réflexion stratégique. Grand admirateur également de Maurice de SAXE, mais critique vis-à-vis de FRÉDÉRIC LE GRAND, il est persuadé que la science de la guerre suit un certain nombre de principes et lois invariables. Comme ses contemporains, il s'intéresse à l'organisation des armées, mais sa contribution majeure à la stratégie se situe au niveau opérationnel. Henry LLOYD est l'inventeur du concept des "lignes d'opérations" qui est repris ensuite par TEMPELHOFF, BÜLOW et, surtout, par JOMINI qui en fait la base de sa doctrine et dont la pensée stratégique domine le XIXe siècle. Indirectement, l'influence de LLOYD est donc considérable.

Le stratégiste britannique fait la distinction entre la guerre telle qu'elle fut pratiquée par les Anciens et celle conçue par les Modernes. La guerre moderne est infiniment plus complexe. Les armées du XVIIIe siècle sont de plus en plus importantes, avec un armement plus sophistiqué, et nécessitent une organisation supérieure. C'est ce constat qui l'amène à l'élaboration du concept des lignes d'opérations qui assurent aux troupes une liaison constante avec les dépôts de munitions et d'approvisionnement. L'époque où les troupes vivaient sur le terrain est révolue selon lui - constat que démentira plus tard NAPOLÉON -, et le rôle grandissant de l'arme à feu nécessite un approvisionnement constant en munitions.

La géographie physique et les considérations d'ordre climatique occupent une part importante dans son oeuvre. LLOYD, qui s'inspire de L'Esprit des lois de MONTESQUIEU, perçoit l'élément géographique comme vital dans la conduite de la guerre. Le concept des lignes d'opérations ne peut être appliqué efficacement que grâce à une excellente connaissance de la topographie. La stratégie de LLOYD s'appuie sur une approche de la guerre essentiellement défensive. La victoire est accomplie à travers le mouvement destiné à déséquilibrer l'adversaire et à diviser son armée afin de la rendre vulnérable. Les lignes d'opérations confèrent à une armée une cohésion supérieure dans le mouvement et une force de frappe vigoureuse au moment de l'offensive. En marge de sa propre doctrine stratégique, l'oeuvre de Henry LLOYD constitue la meilleure description qui est faite sur la façon dont était pratiquée la guerre au XVIIIe siècle.

 

Une postérité limitée dans son pays, plus importante en dehors

    La production britannique en matière de stratégie en tant que science est modeste et la méfiance envers la théorie persistante dans la grande île où l'on estime que les tâches de l'officier sont essentiellement pratiques. L'oeuvre de Henry LLOYD fait donc figure d'exception. Son A Political and Military Rhapsody on the defence of Great Britain and Ireland de 1790 comporte six éditions, traductions française en 1801, allemande en 1803, italienne en 1804. Son Histoire de la guerre de Sept Ans a une immense influence jusqu'au milieu du XIXe siècle. L'adaptation allemande par TEMPELHOFF de 1783 à 1787 sert de point de départ à JOMINI. Si NAPOLÉON en fait son profit (notamment de sa théorie des lignes d'opérations), il est oublié assez vite ensuite, victime de la critique trop radicale de CLAUSEWITZ. Pour Hervé COUTEAU-BÉGARIE, il mériterait d'être redécouvert.

 

Henry LLOYD, Mémoires militaires et politiques, 1801 ; De la composition des différentes armées, Liskenne et Sauvan, Bibliothèque historique et militaire, 1844 (Des extraits sont disponibles - plusieurs chapitres - dans l'Anthologie mondiale de la stratégie, Robert Laffont, Bouquins, 1990) ; Histoire des guerres d'Allemagne (campagnes de 1756 à 1759), Economica, 2001.

NAPOLÉON 1er, Notes inédites de l'empereur Napoléon 1er sur les Mémoires militaires du général Lloy, Bordeaux, 1901. Franco VENTURI, Le aventure del general Henry Lloyd, Rivista Storia Italiana n°91, 1979.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016. Hervé COUTEAU-BÉGARIE, Traité de stratégie, Economica/ISC, 2002.

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7 août 2019 3 07 /08 /août /2019 07:15

   Basil Henry LIDDELL HART est un officier d'infanterie britannique, historien et stratège militaire. Il est considéré, avec J.F.C. FULLER, comme l'un des théoriciens militaires britanniques les plus influents. Doté d'une capacité d'analyse hors du commun, ses théories sont influencées par son expérience personnelle, mais ses opinions tranchées sont la cause d'une carrière qui connait beaucoup d'avatars. Ainsi, après avoir connu des succès littéraires et le respect des militaires dans les années 1920 et 1930, LIDDLET HART est banni du cercle politico-militaire britannique lors de la Deuxième Guerre Mondiale et ne revient au premier plan que dans les années 1950 et 1960.

 

Une carrière militaire puis littéraire contrastée

  Étudiant au Corpus Christi College de l'Université de Cambridge en 1913, il est durant la Première Guerre Mondiale officier d'infanterie et participe aux batailles d'Ypres et de la Somme. Cette expérience le marque profondément, et devient toute sa vie un critique virulent des théories de CLAUSEWITZ qu'il juge indirectement responsable des horreurs de la guerre. Si cette opinion est jugée contestable, elle démontre cependant l'importance qu'il attribue aux stratèges (alors même que CLAUSEWITZ est très peu lu en Angleterre) et à leur capacité à façonner le cours de la guerre et de l'Histoire.

Il quitte l'armée en 1927 et travaille comme spécialiste des questions militaires pour le Daily Telegraph et le Times. S'il choisit le Daily Telegraph, c'est qu'il veut faire de cette position une rampe de lancement pour la modernisation de l'armée. Il développe alors sa théorie de l'approche indirecte, qui privilégie le harcèlement des lignes de ravitaillement et le contournement plutôt qu'une attaque frontale des positions ennemies. Il écrit également des biographies de militaire dont celles du général William Tecumseh SHERMAN ou de Thomas Edward LAWRENCE, deux adeptes de l'approche indirecte.

Sa carrière dans les milieux militaires connait une éclipse, pour une part par la sympathie active qu'il éprouve envers le génie militaire allemand. Il a d'ailleurs une relation épistolaire et éditoriale suivie avec le général ROMMEL, dont il publie après la Seconde Guerre Mondiale les carnets. Sa pensée stratégique suit et même souvent précède l'évolution technologique des armées. Au sortir de la guerre, LIDDEL HART s'intéresse tout naturellement au rôle du fantassin, puis délaisse rapidement ce sujet pour celui de la motorisation des armées. Il devient un apôtre de la guerre mécanisée en même temps qu'il développe sa fameuse stratégie indirecte. Ses théories ont souvent un aspect doctrinaire, mais il se montre capable de changer d'opinion, ce qu'il fait à plusieurs reprises.

L'argumentation passionnée de LIDDELL HART en faveur de la mécanisation de l'armée de terre doit être restituée dans le contexte de son désir de limiter le potentiel destructeur de la guerre et de modérer sa conduite. Dans l'avenir, le maniement d'armées plus mobiles, plus légères et plus mécanisées nécessiterait de plus grandes compétences et un jugement avisé, d'où la nécessité de remettre à l'honneur les qualités de stratège. A terme, les armées devraient être commandées par des hommes plus jeunes et plus agiles, au plan physique et intellectuel, que ceux de la génération qui avait commandé en 1914-1918.

Vers la fin des années 1930, il s'intéresse de plus en plus à la politique étrangère de la Grande Bretagne, devenant l'apôtre d'une approche défensive, qui peut, selon lui, tirer plus de bénéfices des innovations technologiques qu'une stratégie offensive (The Defense of Britain, 1939). Comme il encourage le rapprochement avec l'Allemagne, méfiant envers la France contre laquelle il fait preuve d'un grand chauvinisme, et qu'il se trompe et sur les intentions d'HITLER et sur la question stratégique défensive/offensive - beaucoup estiment à l'état-major qu'il les a induit en erreur - il devient isolé tant auprès de l'opinion publique que des instances militaires.

Après la Seconde Guerre Mondiale, tout en développant une activité éditoriale (Les généraux allemands parlent, 1948), il écrit sur les deux conflits armés mondiaux. Ses textes influencent alors largement l'historiographie du conflit mais sont aujourd'hui controversés.

LIDDELL HART parvient à se réhabiliter auprès des connaisseurs de la chose stratégique, en s'intéressant de près au développement de la bombe atomique et en devenant l'un des premières stratégistes du nucléaire, avant même que naisse la nouvelle discipline dans les milieux universitaires et militaires.  Il prévoit les changements fondamentaux dans l'ordre stratégique et politique qui vont s'opérer dans les années à venir. Il comprend tout d'abord la nature de la dissuasion nucléaire ainsi que ses conséquences sur la guerre classique, la guerre limitée et la guerre froide. Il évite le piège - dans lequel tombent alors de nombreux théoriciens - d'oublier la nature de la guerre au profit de théories coupées de la réalité. Il prône  une stratégie de dissuasion et de défense, avec la conviction que le risque encouru par une attaque nucléaire, de quelque type que ce soit - est trop grave pour être hasardé. Si son point de vue est repris par d'autres, il est l'un des premiers à comprendre la nature du problème et à prévoir son développement au cours des décennies ultérieures, à commencer par la guerre de Corée.

Comme auparavant, il s'appuie sur une combinaison d'études historiques et d'analyses contemporaines. Certains concepts de stratégie qu'il avait étudiés avant 1939 - la réassurance, l'endiguement, la dissuasion et la sécurité collective - acquièrent une nouvelle pertinence à l'heure du nucléaire. Dans The Revolution in Warfare (1946), il tire les conclusions de l'existence de la bombe atomique et dans The Defence of the West (1950), il traite de certains problèmes auxquels l'OTAN tout juste créée doit faire face.

Par la suite, il développe ses théories sur l'approche indirecte, bien adaptée pour la défense de certains pays, notamment d'Israël pour les conflits de 1948 et 1956. Il rassemble autour de lui un groupe d'"élèves" originaires d'Amérique du Nord, d'Europe (dont le général André BEAUFRE) et d'Israël. Sa réputation restaurée s'accroit encore. Dans Deterrence or Defence (1960), il défend l'idée d'une réponse plus graduelle à l'agressivité des Soviétiques.

     La prescience dont LIDDELL HART aurait fait preuve en 1939-1945 a été remise en cause sur un certain nombre de points et son interprétation de la Seconde Guerre Mondiale a fait l'objet de vifs débats. Cependant, en dépit de ces faiblesses, il a contribué de façon très importante à la vie intellectuelle britannique et a fait de l'étude des conflits un domaine à part entière de la recherche universitaire. (Brian Holden REID)

 

Une théorie de l'approche indirecte en matière de stratégie militaire

    Dans son maitre-ouvrage, The Decisive Wars of History (1929, refondu en 1954 sous le titre Strategy), LIDDELL HART formule sa doctrine de l'approche indirecte, qu'il crédite de toutes les grandes victoires du passé. La perfection de la stratégie consiste alors à entraîner une décision sans combat sérieux, d'où son intérêt pour le théoricien chinois SUN ZI. Ce but doit être atteint par des actions limitées : imposer à l'adversaire un changement perturbant l'économie de ses forces, le forcer à se diviser, menacer ses lignes d'approvisionnement et de retraite. le cumul de telles manoeuvres effectuées par surprise fait naître chez l'adversaire l'impression d'être pris au piège et entraine sa dislocation psychologique. L'approche indirecte est l'antithèse de la stratégie d'anéantissement de 1914-1918.

Le stratégiste britannique définit la grande stratégie, notion anglo-saxonne, tout simplement comme la "politique de guerre" ; elle a pour but de "coordonner et diriger toutes les ressources de la nation ou d'une coalition, afin d'atteindre l'objet politique de la guerre". Elle s'apparente à la politique, au point que LIDDELL HART reconnaît que "si la grande stratégie domine la stratégie, ses principes vont fréquemment à l'encontre de ceux qui prévalent dans le domaine de cette dernière". L'illustration la plus importante est "qu'il est essentiel de conduire la guerre en ne perdant jamais de vue quelle paix vous souhaitez obtenir". C'est la simple reformulation par un anglo-saxon, selon Hervé COUTEAU-BÉGARIE, de l'axiome clausewitzien de la guerre comme continuation de la politique par d'autres moyens, sans que l'intérêt théorique du remplacement de la politique par la notion nouvelle de grande stratégie soit explicité. Les Américains préfèrent parler de stratégie nationale, qu'ils ont récemment divisée en stratégie nationale de sécurité et stratégie nationale militaire, la première correspondant à la grande stratégie.

Dans ce cadre de réflexion, la stratégie indirecte est théorisée en tant que modèle supérieur par Basil LIDDELL HART, en faisant appel à une interprétation de l'expérience historique qui ne fait guère consensus. Il estime par exemple dans son Histoire mondiale de la stratégie, qu'une étude portant sur 30 guerres et 280 campagnes, de l'Antiquité jusqu'à 1914, fait conclure que dans 6 campagnes seulement "un résultat décisif fut obtenu à la suite d'un plan stratégique basé sur l'approche directe de la principale armée adverse (...)". Pour Hervé COUTEAU-BÉGARIE, le bilan est éloquant, mais pour y arriver, LIDDELL HART est obligé de donner une définition de l'approche indirecte d'une pauvreté théorique insigne : "cette approche indirecte (assure l'attaquant) de le mener sur un adversaire surpris et non préparé à lui faire face." A ce compte-là, tout plan comportant ne serait-ce qu'un embryon de manoeuvre relève de la stratégie indirecte.

A vouloir systématiser ainsi les mérites de la stratégie indirecte, et ne pas voir qu'elle est surtout adaptée à celui qui opère en situation de faiblesse (mais pas forcément seulement), on obtient l'inverse du résultat recherché. L'expérience historique est si diverse qu'il serait vain de la ramener à un principe exclusif.

 

Une postérité certaine mais contestée

    D'une manière générale, la richesse des matériaux de son oeuvre est admirée, mais elle prête à contestation par ses conclusions trop tranchées et par parfois des parti-pris idéologiques. Dans son premier ouvrage par exemple, peu connu, de 1925, Paris, or The Future of War, il présente sa vision novatrice du rôle des chars mais expose aussi les risques du Royaume Uni de la suprématie française en matière d'aviation et de sous-marins, participant à alimenter le thème d'une menace française contre l'Angleterre. Il en reste ainsi sur la grande rivalité multi-séculaire entre la France et la Grande Bretagne, alors que les évolutions du monde est traversée par la grande dichotomie politique démocraties parlementaires/dictatures fascistes.

De plus, il est rendu indirectement responsable - de par son activisme vers l'état-major et le ministère de la guerre, de la faiblesse du corps expéditionnaire britannique en 1940 (recherche facile de boucs émissaires?), alors même que la manoeuvre de revers allemande constitue l'apothéose de l'approche indirecte sur le plan opérationnel. Le général Hienz GUDERIAN ne cache pas d'ailleurs sa dette envers le théoricien britannique.

Il refait surface après la Seconde Guerre Mondiale, LIDDELL HART, notamment parce que sa critique des bombardements massifs alliés est confirmée par leurs résultats décevants. Il devient l'un des premiers spécialistes de la stratégie nucléaire, dont l'effet dissuasif accroit le primat de l'approche indirecte : celle-ci se déploie à présent dans les conflits armés de basse intensité, à propos desquels il souligne l'intérêt des opérations aéroportées et amphibies.

Par ailleurs, et cela peut paraitre paradoxal, il connait un regain de succès dans les années 1980-1990, dans les milieux politiques et sociaux en recherche d'alternatives à la défense nucléaire, notamment lors de la crise des euromissiles. Ses apports alimentent des recherches sur une défense populaire à l'opposition des logiques centralisatrices des États, notamment ceux possesseurs de l'arme nucléaire.

 

Basil LIDDELL HART, Histoire de la Seconde Guerre Mondiale, Fayard, 1973 ; Stratégie, éditions Perrin, collection tempus, 1998 ; L'Alternative militaire : déterrent ou défense, La Table ronde, 1961 ; Les Généraux allemands parlent, Stock, 1948, réédition chez Perrin, 2011.

Extrait de Stratégie, Traduction par Catherine Ter SARKISSIAN, à partir de l'édition anglaise de 1960, La stratégie d'approche indirecte, dans Anthologie mondiale de la stratégie, Robert Laffont, collection Bouquins, 1990.

Brian BOND, Liddell Hart : A study in his Military Thought, New Brunswick, N.Y., 1977. L.M. CHASSIN, Un grand penseur militaire britannique : B.H. Liddell Hart, dans Revue de défense nationale, octobre 1950. Ernest LEDERREY, Le capitaine B.H. Liddell Gart, dans Revue militaire suisse, mai 1956.

Brian Holden REID, Sir Basil Liddell Hart, dans Dictionnaire de la guerre et de la paix, PUF, 2017. Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016. Hervé COUTEAU-BÉGARIE, Traité de stratégie, Economica/ISC, 2002.

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5 août 2019 1 05 /08 /août /2019 14:01

   D'une famille d'officiers de robe parisiens, fils de Michel LE TELLIER qui le prépara à exercer les fonctions de secrétaire d'État à la Guerre, membre du Conseil du roi de France (1671), François Michel LE TELLIER, marquis de LOUVOIS, dévoué à Louis XIV, grand travailleur parcourant sans cesse camps et armées, mit sur pied l'armée la plus nombreuse (jusqu'à 380 000 hommes-, la mieux entretenue et l'une des plus mobiles et mieux armées de son temps.

Il n'est plein détenteur de sa charge de secrétaire d'État à la guerre qu'en 1677, mais dès 1662, il est autorisé à exercer la charge en l'absence de son père et assiste celui-ci dans l'administration de la Guerre, et on estime que vers 1670 il joue le premier rôle. Il découvre le complot de Latréamont en 1674, en pleine guerre de Hollande.

     Avec l'institution notamment de milices provinciales, il parvient à créer l'armée la plus nombreuse d'Europe et l'une des mieux organisée. Cette transformation modifie les données géopolitiques : l'armée française à elle seule est désormais supérieure à l'armée ottomane. Les mesures prises par LOUVOIS touchent des domaines au divers que l'armement (baïonnette à douille montée sur fusil permettant un ordre plus mince pour l'infanterie), la réorganisation des unités de combat (formation d'unités d'artillerie autonomes) et du génie (création d'un corps d'ingénieurs), l'administration (ordonnances sur le paiement de la solde et établissement du tableau réglant l'avancement) et la logistique (reprise du système des magasins). La nouvelle administration permet notamment un meilleur recrutement des cadres : l'Ordre du tableau ouvre le commandement aux roturiers alors que la création d'écoles militaires assure la formation continue des officiers.

Hiérarchie et discipline sont les soucis constants de LOUVOIS. S'il ne parvient pas à supprimer la vénalité des grades de colonel et de capitaine, il réprime certains abus, sévissant contre l'absentéisme des officiers, limite le pillage, généralement excusé par l'arriéré de la solde et le retard du ravitaillement. C'est un principe majeur qu'il tente de mettre en musique : ne plus faire dépendre le ravitaillement de l'armée du pays qu'elle travers ou occupe, mais mettre en place des circuits d'intendance suffisamment solides et durables.

Anti huguenot comme son père, il organise des dragonnades, avant de tenter d'en limiter les menées, pour obtenir des conversions forcées, et imposer la terreur. Cette méthode brutale obtient des résultats mais, notamment vers la fin de sa vie, s'attire nombre d'inimités.

     Rival de COLBERT, LOUVOIS s'octroie un pouvoir politique grandissant jusqu'à ce que les échecs militaires face à la Ligue d'Augsbourg lui fassent perdre, peu avant sa mort, la confiance du roi. Personnage autoritaire et même brutal, il est en grande partie responsable du bombardement de Gênes (1684) et, surtout, de la dévastation du Palatinat (1688) qui provoque la guerre de la Ligue d'Augsbourg (1688-87) où la France doit faire face à une coalition européenne. Son fils, le marquis de Barbezieux, lui succède en 1691.

   Même s'il n'est pas un grand politique, ses efforts d'administration permettent à l'armée d'être en pointe de l'art militaire de son temps.

 

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016. André CORVISIER, Dictionnaire d'art et d'histoire militaires, PUF, 1988 ; Louvois, 1983.

Camille ROUSSET, Histoire de Louvois, 1961-1963, en quatre volumes. Louis ANDRÉ, Michel Le Tellier et Louvois, 1943.

 

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3 août 2019 6 03 /08 /août /2019 17:21

     Une des premières figures de la famille LE TELLIER à parvenir au sommet de l'État en France, Michel LE TELLIER est le véritable fondateur de l'armée monarchique. Secrétaire au ministère de la Guerre à partir de 1643, il prend en charge une armée que RICHELIEU avait déjà dotée d'une solide administration.

Dans divers domaines, LE TELLIER entreprend une vaste réorganisation de l'armée : il assure l'entretien et la construction de fortifications, supprime le cumul des fonctions, améliore l'ordinaire et le logement des soldats, et, de manière générale, instaure une plus grande discipline parmi les officiers. Cet ensemble de réformes est réalisé dans un contexte de conflits avec les commandants de compagnie, véritables propriétaires de celles-ci, leur charge étant vénale et leur objectif étant bien souvent d'accroître le bénéfice de leur charge, si nécessaire par la corruption des commissaires de guerre préposé aux revues. Ils n'hésitent pas souvent à falsifier les effectifs des armées, favorisant le paiement de faux soldats de remplacement lorsque le recrutement se fait défaillant.

     C'est l'aboutissement d'une longue carrière, elle-même le bout du cheminement d'une famille commerçante parisienne. Il occupe auparavant successivement les postes de conseiller d'État au Grand Conseil en 1624, de procureur du roi au Châtelet de Paris en 1631, maître des requêtes en 1639, puis intendant de justice dans l'armée de Piémont en 1640 et intendant de justice en Dauphiné. Il est nommé secrétaire d'État à la guerre par Louis XIV en 1643 sur les conseils de MAZARIN.

Pendant la Fronde, il est chargé des négociations avec les princes et participe à la signature du traité de Rueil en 1649. Il est dans le secret de toutes les grandes affaires de l'État et on ne peut comprendre réellement cette époque charnière de la Fronde sans connaitre son rôle. Par sa modestie, sa force de travail et sa prudence, il garde la confiance du Roi. Par la suite, pendant les exils forcés de MAZARIN, il est le principal conseiller de la Reine.

Au moment où Louis XIV devient chef des armées (1661), LE TELLIER prépare le terrain à son fils dont il avait assuré dès 1655 la succession au secrétariat de la Guerre. A partir de 1662, ce dernier, appelé simplement souvent LOUVOIS travaille officiellement au côté de son père auquel il succède en 1677.

Son oeuvre reste indissociable de celle de Louis XIV. Elle se retrouve essentiellement dans les documents administratifs, souvent signé du roi, concernant les multiples dispositions visant à faire de l'armée la première d'Europe. Il s'agit d'une véritable pluie d'ordonnances signées Louis et plus bas Le Tellier qui rationalisent l'armée au début des années 1660.

Adversaire résolu des huguenots, LE TELLIER est un de ceux qui poussent LOUIS XIV à révoquer l'édit de Nantes. Il est un des rédacteurs principaux du texte de cette révocation.

 

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016.

Louis ANDRÉ, Michel Le Tellier et l'organisation de l'armée monarchique, 1906 ; Michel Le Tellier et Louvois, 1943.

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