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7 août 2019 3 07 /08 /août /2019 07:15

   Basil Henry LIDDELL HART est un officier d'infanterie britannique, historien et stratège militaire. Il est considéré, avec J.F.C. FULLER, comme l'un des théoriciens militaires britanniques les plus influents. Doté d'une capacité d'analyse hors du commun, ses théories sont influencées par son expérience personnelle, mais ses opinions tranchées sont la cause d'une carrière qui connait beaucoup d'avatars. Ainsi, après avoir connu des succès littéraires et le respect des militaires dans les années 1920 et 1930, LIDDLET HART est banni du cercle politico-militaire britannique lors de la Deuxième Guerre Mondiale et ne revient au premier plan que dans les années 1950 et 1960.

 

Une carrière militaire puis littéraire contrastée

  Étudiant au Corpus Christi College de l'Université de Cambridge en 1913, il est durant la Première Guerre Mondiale officier d'infanterie et participe aux batailles d'Ypres et de la Somme. Cette expérience le marque profondément, et devient toute sa vie un critique virulent des théories de CLAUSEWITZ qu'il juge indirectement responsable des horreurs de la guerre. Si cette opinion est jugée contestable, elle démontre cependant l'importance qu'il attribue aux stratèges (alors même que CLAUSEWITZ est très peu lu en Angleterre) et à leur capacité à façonner le cours de la guerre et de l'Histoire.

Il quitte l'armée en 1927 et travaille comme spécialiste des questions militaires pour le Daily Telegraph et le Times. S'il choisit le Daily Telegraph, c'est qu'il veut faire de cette position une rampe de lancement pour la modernisation de l'armée. Il développe alors sa théorie de l'approche indirecte, qui privilégie le harcèlement des lignes de ravitaillement et le contournement plutôt qu'une attaque frontale des positions ennemies. Il écrit également des biographies de militaire dont celles du général William Tecumseh SHERMAN ou de Thomas Edward LAWRENCE, deux adeptes de l'approche indirecte.

Sa carrière dans les milieux militaires connait une éclipse, pour une part par la sympathie active qu'il éprouve envers le génie militaire allemand. Il a d'ailleurs une relation épistolaire et éditoriale suivie avec le général ROMMEL, dont il publie après la Seconde Guerre Mondiale les carnets. Sa pensée stratégique suit et même souvent précède l'évolution technologique des armées. Au sortir de la guerre, LIDDEL HART s'intéresse tout naturellement au rôle du fantassin, puis délaisse rapidement ce sujet pour celui de la motorisation des armées. Il devient un apôtre de la guerre mécanisée en même temps qu'il développe sa fameuse stratégie indirecte. Ses théories ont souvent un aspect doctrinaire, mais il se montre capable de changer d'opinion, ce qu'il fait à plusieurs reprises.

L'argumentation passionnée de LIDDELL HART en faveur de la mécanisation de l'armée de terre doit être restituée dans le contexte de son désir de limiter le potentiel destructeur de la guerre et de modérer sa conduite. Dans l'avenir, le maniement d'armées plus mobiles, plus légères et plus mécanisées nécessiterait de plus grandes compétences et un jugement avisé, d'où la nécessité de remettre à l'honneur les qualités de stratège. A terme, les armées devraient être commandées par des hommes plus jeunes et plus agiles, au plan physique et intellectuel, que ceux de la génération qui avait commandé en 1914-1918.

Vers la fin des années 1930, il s'intéresse de plus en plus à la politique étrangère de la Grande Bretagne, devenant l'apôtre d'une approche défensive, qui peut, selon lui, tirer plus de bénéfices des innovations technologiques qu'une stratégie offensive (The Defense of Britain, 1939). Comme il encourage le rapprochement avec l'Allemagne, méfiant envers la France contre laquelle il fait preuve d'un grand chauvinisme, et qu'il se trompe et sur les intentions d'HITLER et sur la question stratégique défensive/offensive - beaucoup estiment à l'état-major qu'il les a induit en erreur - il devient isolé tant auprès de l'opinion publique que des instances militaires.

Après la Seconde Guerre Mondiale, tout en développant une activité éditoriale (Les généraux allemands parlent, 1948), il écrit sur les deux conflits armés mondiaux. Ses textes influencent alors largement l'historiographie du conflit mais sont aujourd'hui controversés.

LIDDELL HART parvient à se réhabiliter auprès des connaisseurs de la chose stratégique, en s'intéressant de près au développement de la bombe atomique et en devenant l'un des premières stratégistes du nucléaire, avant même que naisse la nouvelle discipline dans les milieux universitaires et militaires.  Il prévoit les changements fondamentaux dans l'ordre stratégique et politique qui vont s'opérer dans les années à venir. Il comprend tout d'abord la nature de la dissuasion nucléaire ainsi que ses conséquences sur la guerre classique, la guerre limitée et la guerre froide. Il évite le piège - dans lequel tombent alors de nombreux théoriciens - d'oublier la nature de la guerre au profit de théories coupées de la réalité. Il prône  une stratégie de dissuasion et de défense, avec la conviction que le risque encouru par une attaque nucléaire, de quelque type que ce soit - est trop grave pour être hasardé. Si son point de vue est repris par d'autres, il est l'un des premiers à comprendre la nature du problème et à prévoir son développement au cours des décennies ultérieures, à commencer par la guerre de Corée.

Comme auparavant, il s'appuie sur une combinaison d'études historiques et d'analyses contemporaines. Certains concepts de stratégie qu'il avait étudiés avant 1939 - la réassurance, l'endiguement, la dissuasion et la sécurité collective - acquièrent une nouvelle pertinence à l'heure du nucléaire. Dans The Revolution in Warfare (1946), il tire les conclusions de l'existence de la bombe atomique et dans The Defence of the West (1950), il traite de certains problèmes auxquels l'OTAN tout juste créée doit faire face.

Par la suite, il développe ses théories sur l'approche indirecte, bien adaptée pour la défense de certains pays, notamment d'Israël pour les conflits de 1948 et 1956. Il rassemble autour de lui un groupe d'"élèves" originaires d'Amérique du Nord, d'Europe (dont le général André BEAUFRE) et d'Israël. Sa réputation restaurée s'accroit encore. Dans Deterrence or Defence (1960), il défend l'idée d'une réponse plus graduelle à l'agressivité des Soviétiques.

     La prescience dont LIDDELL HART aurait fait preuve en 1939-1945 a été remise en cause sur un certain nombre de points et son interprétation de la Seconde Guerre Mondiale a fait l'objet de vifs débats. Cependant, en dépit de ces faiblesses, il a contribué de façon très importante à la vie intellectuelle britannique et a fait de l'étude des conflits un domaine à part entière de la recherche universitaire. (Brian Holden REID)

 

Une théorie de l'approche indirecte en matière de stratégie militaire

    Dans son maitre-ouvrage, The Decisive Wars of History (1929, refondu en 1954 sous le titre Strategy), LIDDELL HART formule sa doctrine de l'approche indirecte, qu'il crédite de toutes les grandes victoires du passé. La perfection de la stratégie consiste alors à entraîner une décision sans combat sérieux, d'où son intérêt pour le théoricien chinois SUN ZI. Ce but doit être atteint par des actions limitées : imposer à l'adversaire un changement perturbant l'économie de ses forces, le forcer à se diviser, menacer ses lignes d'approvisionnement et de retraite. le cumul de telles manoeuvres effectuées par surprise fait naître chez l'adversaire l'impression d'être pris au piège et entraine sa dislocation psychologique. L'approche indirecte est l'antithèse de la stratégie d'anéantissement de 1914-1918.

Le stratégiste britannique définit la grande stratégie, notion anglo-saxonne, tout simplement comme la "politique de guerre" ; elle a pour but de "coordonner et diriger toutes les ressources de la nation ou d'une coalition, afin d'atteindre l'objet politique de la guerre". Elle s'apparente à la politique, au point que LIDDELL HART reconnaît que "si la grande stratégie domine la stratégie, ses principes vont fréquemment à l'encontre de ceux qui prévalent dans le domaine de cette dernière". L'illustration la plus importante est "qu'il est essentiel de conduire la guerre en ne perdant jamais de vue quelle paix vous souhaitez obtenir". C'est la simple reformulation par un anglo-saxon, selon Hervé COUTEAU-BÉGARIE, de l'axiome clausewitzien de la guerre comme continuation de la politique par d'autres moyens, sans que l'intérêt théorique du remplacement de la politique par la notion nouvelle de grande stratégie soit explicité. Les Américains préfèrent parler de stratégie nationale, qu'ils ont récemment divisée en stratégie nationale de sécurité et stratégie nationale militaire, la première correspondant à la grande stratégie.

Dans ce cadre de réflexion, la stratégie indirecte est théorisée en tant que modèle supérieur par Basil LIDDELL HART, en faisant appel à une interprétation de l'expérience historique qui ne fait guère consensus. Il estime par exemple dans son Histoire mondiale de la stratégie, qu'une étude portant sur 30 guerres et 280 campagnes, de l'Antiquité jusqu'à 1914, fait conclure que dans 6 campagnes seulement "un résultat décisif fut obtenu à la suite d'un plan stratégique basé sur l'approche directe de la principale armée adverse (...)". Pour Hervé COUTEAU-BÉGARIE, le bilan est éloquant, mais pour y arriver, LIDDELL HART est obligé de donner une définition de l'approche indirecte d'une pauvreté théorique insigne : "cette approche indirecte (assure l'attaquant) de le mener sur un adversaire surpris et non préparé à lui faire face." A ce compte-là, tout plan comportant ne serait-ce qu'un embryon de manoeuvre relève de la stratégie indirecte.

A vouloir systématiser ainsi les mérites de la stratégie indirecte, et ne pas voir qu'elle est surtout adaptée à celui qui opère en situation de faiblesse (mais pas forcément seulement), on obtient l'inverse du résultat recherché. L'expérience historique est si diverse qu'il serait vain de la ramener à un principe exclusif.

 

Une postérité certaine mais contestée

    D'une manière générale, la richesse des matériaux de son oeuvre est admirée, mais elle prête à contestation par ses conclusions trop tranchées et par parfois des parti-pris idéologiques. Dans son premier ouvrage par exemple, peu connu, de 1925, Paris, or The Future of War, il présente sa vision novatrice du rôle des chars mais expose aussi les risques du Royaume Uni de la suprématie française en matière d'aviation et de sous-marins, participant à alimenter le thème d'une menace française contre l'Angleterre. Il en reste ainsi sur la grande rivalité multi-séculaire entre la France et la Grande Bretagne, alors que les évolutions du monde est traversée par la grande dichotomie politique démocraties parlementaires/dictatures fascistes.

De plus, il est rendu indirectement responsable - de par son activisme vers l'état-major et le ministère de la guerre, de la faiblesse du corps expéditionnaire britannique en 1940 (recherche facile de boucs émissaires?), alors même que la manoeuvre de revers allemande constitue l'apothéose de l'approche indirecte sur le plan opérationnel. Le général Hienz GUDERIAN ne cache pas d'ailleurs sa dette envers le théoricien britannique.

Il refait surface après la Seconde Guerre Mondiale, LIDDELL HART, notamment parce que sa critique des bombardements massifs alliés est confirmée par leurs résultats décevants. Il devient l'un des premiers spécialistes de la stratégie nucléaire, dont l'effet dissuasif accroit le primat de l'approche indirecte : celle-ci se déploie à présent dans les conflits armés de basse intensité, à propos desquels il souligne l'intérêt des opérations aéroportées et amphibies.

Par ailleurs, et cela peut paraitre paradoxal, il connait un regain de succès dans les années 1980-1990, dans les milieux politiques et sociaux en recherche d'alternatives à la défense nucléaire, notamment lors de la crise des euromissiles. Ses apports alimentent des recherches sur une défense populaire à l'opposition des logiques centralisatrices des États, notamment ceux possesseurs de l'arme nucléaire.

 

Basil LIDDELL HART, Histoire de la Seconde Guerre Mondiale, Fayard, 1973 ; Stratégie, éditions Perrin, collection tempus, 1998 ; L'Alternative militaire : déterrent ou défense, La Table ronde, 1961 ; Les Généraux allemands parlent, Stock, 1948, réédition chez Perrin, 2011.

Extrait de Stratégie, Traduction par Catherine Ter SARKISSIAN, à partir de l'édition anglaise de 1960, La stratégie d'approche indirecte, dans Anthologie mondiale de la stratégie, Robert Laffont, collection Bouquins, 1990.

Brian BOND, Liddell Hart : A study in his Military Thought, New Brunswick, N.Y., 1977. L.M. CHASSIN, Un grand penseur militaire britannique : B.H. Liddell Hart, dans Revue de défense nationale, octobre 1950. Ernest LEDERREY, Le capitaine B.H. Liddell Gart, dans Revue militaire suisse, mai 1956.

Brian Holden REID, Sir Basil Liddell Hart, dans Dictionnaire de la guerre et de la paix, PUF, 2017. Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016. Hervé COUTEAU-BÉGARIE, Traité de stratégie, Economica/ISC, 2002.

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