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12 mai 2021 3 12 /05 /mai /2021 09:32

    Comme pour les classes sociale, rappelle Jean-Pierre DURAND, Karl MARX reporte sans cesse la rédaction d'une théorie de l'État ; elle existe toutefois de façon éparse dans ses textes et dans ceux d'ENGELS. Mais surtout, les héritiers, et en premier lieu LÉNINE, ne cessent de tenter de parachever l'oeuvre de MARX, les uns en affinant ses thèses et en les modernisant, les autres en traitant plus particulièrement de la dictature du prolétariat ou de la transition du capitalisme vers le communisme. Cet aboutissement de l'histoire dans le communisme n'est pas la moindre des interrogations que pose l'ensemble de l'oeuvre de MARX et d'ENGELS : eschatologie ou déduction scientifique? Certains pourront affirmer que l'histoire a déjà tranché ; mais est-ce si simple?

Il y a lieu de partager cette interrogation au vu des luttes autour de l'État, entre tentatives de faire du dépérissement de l'État une étape obligée vers le communisme, (détournées par le néo-libéralisme pour faire place aux marchés), et tentatives de restauration des prérogatives de l'État pour la sauvegarde des acquis des luttes sociales. La mondialisation, réalisée ou rêvée, relance les questionnements sur le rôle de l'État et le sens de son existence...

 

L'État de la domination d'une classe

   Dans La guerre civile en France, MARX écrit son analyse de l'État qui se décline selon plusieurs angles dans toute son oeuvre : "Au fur et à mesure que le progrès de l'industrie moderne développait, élargissait, intensifiait l'antagonisme de classes entre le capital et le travail, le pouvoir d'État prenait de plus en plus le caractère d'un pouvoir public organisé aux fins d'asservissement social d'un appareil de domination d'une classe. Après chaque révolution, qui marque un progrès de la lutte des classes, le caractère purement répressif du pouvoir d'État apparaît de façon de plus en plus ouverte". Ainsi, l'État n'est pas extérieur ou au-dessus de la société, il est un produit de la société à un stade déterminé de son développement. Pour MARX, si l'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire des luttes de classes, pour les mêmes raisons, l'État ou les différents États qui se sont succédé dans l'histoire, ont toujours été ceux de la domination d'une classe sur les autres, dans le but de maintenir - souvent par la violence (L'Anti-Dühring) - l'ordre social. D'où l'idée d'une disparition de l'État dans une société sans classes, le communisme, avec quelques difficultés sur les moyens d'y parvenir.

 

Le dépérissement de l'État

    Le principe d'une "administration des choses" qui remplacerait le "gouvernement des personnes" contient à lui seul le programme communiste. L'État n'est pas aboli, il s'éteint. De même, la démocratie, l'une des caractéristiques de la république bourgeoise, n'a plus sa raison d'être puisque l'État a disparu. La disparition de la démocratie peut à première vue paraitre étrange, mais les hommes apprennent progressivement à des règles élémentaires de la vie en société, connues depuis des siècles...

En fait autant Le Capital et d'autres ouvrages décrivent les choses telles qu'elles sont dans leur réalité crue, autant le communisme lui-même ne fait pas l'objet de très grandes précisions...

Et comme Raymond ARON l'écrit, dans sa critique du marxisme, l'avènement du communisme suppose que les gestionnaires ou les dirigeants du plan prennent des décisions correspondant aux intérêts de tous ou aux intérêts suprêmes de la collectivité, en admettant qu'ils puissent être définis. De plus, cela suppose que les rivalités existantes n'aient qu'un fondement économique (auquel la propriété collective des moyens de production met fin), ce qui est loin d'être prouvé tant que rien n'indique que d'autres rivalités devenues tout aussi importantes n'émergent pas. On touche là un questionnement sur la fin de tous les conflits - dont d'ailleurs tous ne sont pas économiques...  LÉNINE, confronté directement au problème, tente de le résoudre au moins théoriquement, mais il faut bien se rendre compte que dans son rôle dans les conflits bien concrets en Russie, le lien de causalité théorique entre le développement des forces productives et la fin de la division du travail a peine à s'imposer...

 

La dictature du prolétariat

  De la même manière que le passage du féodalisme au capitalisme a été fort lente, le passage du capitalisme au communisme ne saurait être immédiat et il y a, à partir de MARX, un véritable débat sur la transition entre les deux modes de production.

D'emblée, on peut écrire que l'expérience historique lui donne raison contre toutes ces générations de "marxistes" ou de "communistes" qui, avec l'injonction de leur propagande, affirmait le contraire. De l'URSS à la Chine populaire, tous ceux qui croyaient baptiser communiste leur régime politique, qu'ils soient de bonne ou de mauvaise fois (les derniers étant sans doute bien plus nombreux que ces premiers), ont sont pour leur frais. En misant souvent surtout sur la violence pour imposer leur version du communisme, ils ont risqué de faire passer par pertes et profits les idées générales émises par MARX.

   Le débat porte en fait sur deux étapes étroitement confondues que l'on peut distinguer pour l'analyse : celle de la révolution, par laquelle le prolétariat remplace la bourgeoisie comme classe dominante (en s'emparant des moyens de production et de l'État), et celle de la dictature du prolétariat, processus long durant lequel ce dernier transforme la production et l'État selon ses intérêts de classe, pour aboutir au communisme. La phase transitoire est celle du socialisme.

Cette double question a occupé MARX dans la Ière Internationale des travailleurs contre les anarchistes ou contre les réformistes, puis dans le Parti social-démocrate allemand contre les partisans de Ferdinand LASSALE (1825-164), socialiste réformiste de tendance nationaliste (Critique du programme de Gotha, 1875). Au début du XXe siècle, il est au coeur des écrits des socialistes européens et de ceux de LÉNINE (L'État et la Révolution, 1917) toujours en lutte contre les réformistes ou les "gauchistes" (La maladie infantile du communisme. Le "gauchisme", 1920). Le même débat et les mêmes désaccords conduisent à la scission des partis ouvriers  en "partis révolutionnaires" (communistes) "partis réformistes" (socialistes ou sociaux-démocrates). Durant les années 1960, les affrontements théoriques reprennent de plus belle, en particulier en France, en Italie et en Amérique latine, sur les modalités de la révolution (insurrection populaire ou voie pacifique, via le suffrage universel). En même temps, le débat s'approfondit sur la transition vers le communisme à partir, non pas seulement des pays du socialisme réel d'Europe et d'Asie, mais surtout des pays nouvellement indépendants (algérie, Congo, Corée du Nord, Égypte...) ou ayant réalisé leur révolution (Cuba, Chili...).

Chez MARX, la dictature du prolétariat possède des aspects assez différents selon les textes : plutôt jacobine et centralisée dans la Critique du programme de Gotha ou dans le Manifeste du Parti communiste, elle apparaît plus décentralisée dans La guerre civile en France, qui rend compte de la Commune de Paris. Pour MARX, la tentative de révolution de 1871 exemplaire à plus d'un titre : d'une part, tous ses membres sont élus au suffrage universel et reçoivent un salaire d'ouvrier ; d'autre part, ils sont révocables et liés par le mandat impératif de leurs électeurs. En supprimant l'armée permanente (remplacée par le peuple en armes) et le fonctionnarisme d'État, la Commune réduit d'autant deux grandes sources de dépenses. Par ailleurs, elle abolit le travail de nuit des compagnons boulangers ainsi que, plus généralement, les amendes infligées aux ouvriers par les employeurs ; elle loue aux ouvriers les fabriques abandonnées par les capitalistes. Telles étaient les mesures indiquant la tendance de l'action d'un gouvernement du peuple par le peuple.

 

État et Révolution

    Pour LÉNINE, en pleine lutte politique contre ses adversaires de classe et contre ses ennemis politiques dans le Parti social-démocrate, la question de la démocratie durant la dictature du prolétariat se pose de façon violente : "Démocratie pour l'immense majorité du peuple et répression par la force, c'est-à-dire exclusion de la démocratie pour les exploiteurs, les oppresseurs du peuple : telle est la modification que subit la démocratie lors de la transition du capitalisme au communisme" (L'État et la révolution, 1917, réédition 1969 par les Éditions du Progrès, Moscou). Ces principes posés, leur mise en oeuvre n'est pas aussi évidente qu'il y parait, car non seulement les fonctions sociales de l'État transitoire sont complexes et en perpétuelle évolution, mais les hommes sont issus du capitalisme et formés par celui-ci à ses méthodes de commandement pour des objectifs devenus différents. En fait, le social et, plus généralement l'économique et les rapports sociaux ne se gèrent ni ne se transforment aussi facilement que l'avaient imaginé MARX et ENGELS et plus tard LÉNINE. Ce dernier, après quelques années de gouvernement, dut en particulier transformer (certains écriront trahir...) de fond en comble sa conception de la dictature du prolétariat en prenant conscience de l'importance et de la complexité des techniques de commandement, de gestion, de comptabilité et bien sûr de production, jusqu'à recruter des spécialistes capitalistes (occidentaux) pour faire fonctionner l'appareil de production soviétique. On peut invoquer le "retard" industriel et économique de l'URSS naissante pour expliquer le recours au taylorisme dans les usines soviétiques ou pour justifier la Nouvelle Politique Économique (NEP) mise en place en 1921. Mais on peut aussi invoquer la surestimation par LÉNINE des capacités des hommes à diriger le changement économique et social, c'est-à-dire à faire leur histoire.

Le politique ne peut pas tout et ne meilleure connaissance scientifique de l'État et du politique est apparue comme une priorité pour les continuateurs de MARX. Ou, pour le dire autrement, peut-on réduire aussi facilement l'ordre politique à l'ordre économique, comme le fait MARX lorsqu'il considère qu'a lieu le dépérissement de l'État à partir du moment où s'imposent la propriété collective des instruments de production et de planification? Notons que cette manière de poser le débat, comme le fait ARON, met entre parenthèses deux éléments. D'une part la Russie est sans doute le dernier lieu du capitalisme auquel MARX a pensé pour la révolution et pour le communisme. Il avait bien plutôt en tête les contrées déjà développées à son époque, soit la France, l'Allemagne ou l'Angleterre, ou même les États-Unis. D'autre part, il n'a jamais prôné cette sorte de raccourci, qu'ont pris des révolutionnaire de la future Union Soviétique, de suppléer les difficultés structurelles à l'aide de l'usage systématique de la violence : répression des éléments adverses des classes ouvrières et paysanne, formation de circuits économiques captifs à coup de maillage du pays de camps de travail, concentration de la démocratie en marche aux mains d'un Parti... Par ailleurs, MARX et ses continuateurs ont travaillé amplement la théorie de l'État.

 

Histoire et lutte des classes

     Pour MARX et ENGELS, l'histoire est faite de modes de production qui se succèdent, de manière non linéaire et non nécessaire. C'est-à-dire que telle formation sociale n'aura connu le mode de production asiatique, telle autre aura échappé au mode de production esclavagiste, etc. La transition d'un mode de production dominant une formation sociale à un autre a lieu par la décomposition du premier et par l'émergence de nouvelles conditions techniques et sociales de production. La question posée devient : pourquoi un mode de production disparait-il? Quel est donc le moteur de la dynamique sociale et historique? C'est la contradiction, entre rapports de production et développement des forces productives, qui fonde le mouvement de l'histoire. Autrement dit, le développement des forces productives et les transformations des rapports de production s'étayent mutuellement - dans leur contradiction - pour produire le changement social et technique, c'est-à-dire l'évolution historique. La conception marxiste de l'évolution historique apparaît donc comme une théorie endogène, au sens où la théorie économique et sociale de MARX ne fait pas entrer comme facteur déterminant explicatif des causes autre qu'économiques et sociale, à la différence de nombre d'autres théories qui font entre le climat ou la technique comme facteur explicatif e l'histoire (DURAND et WEIL, Sociologie contemporaine, Vigot, 1989, réédition 2006).

Pour autant, il ne s'agit pas de la part du MARX d'un rétrécissement : en son temps, la majeure partie des historiens qui se penchent sur l'histoire du monde, mettent en avant un plan divin, longtemps, puis l'ingéniosité des dirigeants politiques et surtout militaires, puis de moindre façon, des dirigeant économiques quand ce n'est pas du ressort du génie ou de l'inadéquation des races en conflit... Il s'agit au contraire de sa part de la prise en compte des facteurs globaux, économiques, démographiques, sociaux... de l'évolution du monde. Si rétrospectivement, on peut accuser nombre de marxistes d'avoir réduit l'histoire à l'histoire de l'économie, notamment dans les pays dits marxistes (même si leurs historiens officiels remettent à l'honneur les génies individuels, les STALINE, les MAO, etc.), c'est parce que nous connaissons maintenant (en tout cas les prenons mieux en compte) les ressorts culturels et idéologiques (notamment religieux) de cette histoire... Ces critiques faits à MARX et à des continuateurs sont sorties du contexte historique - précisément - de la marche des idées.

La lutte des classes qui, selon le Manifeste du Parti communiste, est constitutive de toute société jusqu'à nos jours et apparait comme la forme que prend la contradiction entre rapports de production et développement des forces productives. C'est parce que le niveau de développement des forces productives (dû au rapport de production capitaliste) ou bien encore leur socialisation, entre en contradiction avec les rapports de production capitalistes (accumulation à un seul pôle) que ceux-ci doivent disparaitre : la lutte des classes apparait aussi comme la manifestation de cette contradiction et comme le moyen de dépasser les rapports de production capitalistes en instaurant un nouveau mode de production. Pour MARX, le déroulement de l'histoire et, ici, la fin du capitalisme sont inéluctables.

 

La vision marxisme du communisme  

    Selon MARX, que précèdent d'ailleurs d'autres visions du communisme, le travail, libéré de l'aliénation issue de la propriété privée des moyens de production, donnera naissance à une société sans classes. En effet, le prolétariat constitué en classe dominante détruit (selon beaucoup par la violence) l'ancien régime de production et anéantit par là même les conditions même les conditions de l'antagonisme de classes. En mettant fin à celui-ci, il détruit aussi sa propre domination comme classe (Manifeste du Parti communiste). Les détracteurs de MARX, et en premier lieu PROUDHON, ont vu dans cette proposition d'une société communiste sans classes, la fin de l'histoire. Prenant appui sur la maxime du Manifeste du Parti communiste selon laquelle "l'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été qu'une histoire des luttes de classes", ces détracteurs avançaient qu'une société sans classes était une société sans histoire. MARX, au contraire, considère que continue dans le communisme, au-delà de l'antagonisme de classes qui est détruit. Tous les textes de MARX et d'ENGELS, souligne par exemple Jean-Pierre DURAND, s'accordent sur ce point, des textes philosophiques de jeunesse au Capital. La fin de l'antagonisme de classes, avec l'abolition de propriété privée et toutes les aliénations qui lui sont liées, signifie "le retour de l'homme hors de la religion, de la famille, de l'État, etc, à son existence humaine, c'est-à-dire sociale" (Manuscrits de 1844). C'est l'occasion pour MARX de définir la place de l'homme dans la société et dans la nature et de développer sa conception de l'individu en tant qu'être social. En même temps, le communisme n'est définit que par antithèse et dans la société communiste, pourront émerger d'autres conflits, d'autres tensions, d'autres contradictions, très éloignés de ceux que nous connaissons dans le régime de la propriété privée des moyens de production.

L'approche téléologique de MARX

  Les thèses de MARX ont été qualifiées d'eschatologiques et de téléologiques puisqu'elles traitaient des fins de l'homme, ou bien de messianiques quand elles donnent au prolétariat le rôle de libérateur de l'humanité. Car MARX a donné un sens à l'histoire et cela dans une direction absolue, le communisme ; d'autre part, en lui sonnant une signification, celle du progrès vers plus d'humanité à travers la fin de l'exploitation et de la domination. Que la transformation et l'évolution social soient endogènes ne change rien au fait qu'elles conduisent quelque part et que ce quelque part est envisageable.

Cette philosophie de l'histoire a été de tout temps débattue (en particulier par ARON, BALIBAR) et contestée parce qu'elle contient un certain déterminisme ou une nécessité historiques. A noter d'ailleurs que MARX n'est pas le seul auteur à adopter une posture téléologique. Beaucoup d'auteurs prennent d'autres éléments pour indiquer un chemin historique, à commencer par les auteurs religieux, pour prendre les premiers d'entre eux. Si MARX prend les phénomènes économiques , pour comprendre où va nécessairement l'humanité, il s'appuie sur beaucoup plus d'éléments scientifiques que ses prédécesseurs en la matière. C'est que MARX croit en la raison et dans les sciences de la nature et il pense, comme beaucoup d'autres penseurs à son époque, à l'existence de lois naturelles présidant au développement des sociétés. Il puise, là encore comme beaucoup, aux visions d'harmonie sociale qui traversent les écrits sociologiques ou ceux des utopistes socialistes de son époque. (Jean-Pierre DURAND)

 

État et Rapport salarial

   Lysiane CARTELIER, économiste, justifie la liaison opérée entre État et rapport salarial par l'idée que l'État est celui du capitalisme et non pas celui de formation pré ou non-capitalistes. Dès lors son principe de compréhension comme son rôle sont à à rechercher du côté du travail salarié, comme l'indiquent l'entrée obligée dans le salariat, la gestion qualifiée d'étatique de la force du travail ou le caractère lui aussi étatique de la soumission salariale.

Dans le cadre de cette relation principale, toutefois, on observe plusieurs façons de concevoir le rapport salarial, c'est-à-dire la contrainte au travail salarié, et par ricochet , plusieurs façons d'appréhender l'État dans le capitalisme. Différentes approches, qui ont toutes MARX comme point de départ, mais se prolongent ensuite de façon plus ou moins hétérodoxe par rapport à lui :

- une conception classique dans le marxisme consiste à partir de la notion de force de travail comme marchandise particulière, à penser le rapport salarial comme un rapport marchand, ou encore comme un rapport d'échange entre équivalents. le rapport salarial est alors décrit comme rapport d'achat-vente d'une marchandise, la force de travail, que le salaire (direct) rémunère à sa valeur (quotidienne). Quant à l'État, dans cette problématique, il est introduit en second, comme adjuvant au processus d'accumulation et son rôle consiste, soit à consolider l'entrée obligée  dans le salariat (rôle de la législation "sanguinaire"), soit, plus généralement, à atténuer les contradictions qui opposent la mise en valeur du capital privé et les besoins de reproduction de la force de travail. S'inscrivent dans cette perspective de la reproduction sociale, les analyses contemporaines de la gestion étatique de la force de travail (S. de BRUNHOFF), de la socialisation du salaire (A. CAPIAN) et de la régulation (R. BOYER, A. LIPIETZ). La montée du salaire indirect, caractère essentiel du rapport salarial aujourd'hui, est ainsi présentée comme l'expression d'une prise en charge progressive par l'État de tout rôle requis par le fonctionnement du système, de toute exigence de la reproduction sociale. Ces analyses fondamentales rencontrent deux limites, qui expliquent le développement d'une démarche hétérodoxe. La première est qu'il ne suffit pas de constater la nécessité pour une marchandise d'être gérée de façon centrale socialisée, non privée, pour en déduire que l'État est le principe obligé de sa gestion. La constatation de la nécessité n'épuise pas la question de l'État. Elle invite également à ne voir en lui qu'un gestionnaire pour le compte du capital (ce qui ne permet pas de comprendre en des termes radicalement différents de ceux d'un capitaliste, même si l'idée d'autonomie relative tempère largement ce déterminisme). D'autre part, deuxième limitation, la problématique de la Reproduction/Régulation rencontre toute la critique, menée aujourd'hui de l'intérieur même du marxisme, et concernant le statut de la force de travail (B. LAUTIER et R. TORTAJADA; G. BEBETTI et J. CARTELIER). Intégrer ces critiques ne permet plus de voir dans l'État un simple pri,cipe d'intervention sur la valeur de la force de travail et consistant, par exemple, à contribuer, par le salaire indirect, à sa reproduction pour une valeur supérieure à sa valeur quotidienne (et dite précisément valeur de reproduction). La question de l'État est alors posée en termes de socialisation des producteurs et le rapport salarial, mode de socialisation propre au capitalisme, est pensé en termes de soumission, donc d'inéquivalence et non plus en termes d'échange entre équivalents.

- Beaucoup s'accordent depuis les études de WALRAS à penser que l'échange de suffit pas à socialiser les producteurs, et qu'il faut bien admettre l'existence d'un secrétaire de marché. On admet également dans cette seconde approche que postuler, comme le fait MARX, la socialisation par le salariat en même temps que la théorie de la marchandise particulière, pose problème. Si donc, ni la "main invisible" ni les relations achat-vente de marchandises ne suffisent à expliquer l'incorporation obligée dans le salariat, il reste à le concevoir comme un rapport de soumission et à spécifier cette soumission, au-delà d'une simple logique de répression, violente ou consentie. Le rapport salarial est alors présenté comme :

. le mode capitaliste de socialisation (L. CARTELIER) ;

. qui opère par une soumission spécifiée d'abord comme monétaire car le travail salarié est du "temps vendu" (B. LAUTIER), c'est-à-dire du temps séparé des autres activités au moyen de l'argent ;

. et par une soumission centralement codifiée et qui fait apparaitre l'État comme condition d'existence de la société en deux classes.

    L'objet de la vente en effet n'est pas identifiable a priori. Il ne s'agit que d'une promesse de travail, dont les modalités précises (temps, intensité, paiement...) n'ont aucune existence privée, et ne trouvent leur sens qu'une fois codifiées par une autorité centrale et inscrites dans une relation de soumission, qui prend la forme du salariat. L'État est donc bien au coeur de l'instauration et de la consolidation du rapport salarial en ce que sont rôle consiste à soumettre le collectif des producteurs à des règles identiques (R. DELORME et C. ANDRÉ). Mode de reproduction de la contrainte au travail et détenteur du monopole de la contrainte, l'État fonde le rapport salarial comme rapport de soumission privé et social. Quant à la soumission en cause ici (ou socialisation inégalitaire) elle ne signifie pas une soumission en général, à un pouvoir issu d'une violence historique et qui se perpétuerait aujourd'hui, bien que sous d'autres formes. Elle est définie comme étatique au sens où État et salariat sont les deux faces du même ordre productif. (Lysiane CARTELIER)

 

Lysiane CARTELIER, État/Rapport salarial, dans Dictionnaire critique du marxisme, Sous la direction de LABICA/BENSUSSAN, PUF, collection Quadrige, 1999. Jean-Pierre DURAND, La sociologie de Marx, La Découverte, collection Repères, 2018.

 

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