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6 avril 2021 2 06 /04 /avril /2021 15:43

      Jean-Pierre DURAND rappelle que "la théorie marxiste de l'exploitation repose sur la contradiction entre travail et capital, eux-mêmes constitués en classes sociales antagonistes, le prolétariat et la bourgeoisie. Karl MARX a complété cette thèse de la polarisation sociale par un exposé plus complexe dans ses écrits politiques : ce sont au moins sept classes et fractions de classes qui s'opposent et s'allient.

L'État est le garant de l'ordre économique et social capitaliste à travers le maintien de la propriété privées des moyens de production : en ce sens, il est l'État de la domination d'une classes. MARX envisage son dépérissement dans la société communiste après que le prolétariat s'en sera emparé pour imposer sa dictature sur la classe bourgeoise.

L'avènement du communisme pose la question théorique de la fin de l'histoire et du devenir des luttes des classes dans celui-ci. N'y-a-t-il pas, dans cette nouvelle harmonie sociale caractérisant le communisme, l'influence de l'évolutionnisme des sciences de la nature qui a tant marqué les sciences sociales du XIXe siècle?"

En posant cela, notre auteur entend faire comprendre à la fois le contexte de l'émergence de la pensée marxiste et l'entreprise de lectures renouvelées de celle-ci, par tant de "compléments" théoriques de maints continuateurs de MARX.

 

Classes et rapports de classes

  Comme l'écrit Ralph DAHRENDORF, un siècle après MARX (Classes et conflits de classes dans la société industrielle, Mouton, 1972), "le concept de classe n'est jamais demeuré longtemps inoffensif. Appliqué en particulier aux êtres humains et à leurs conditions sociales, il s'est toujours révélé singulièrement explosif". Concept important pour MARX qui lui réserve le dernier chapitre du Capital, il faut constater que ses principaux textes sur la question sont loin d'être homogènes. Pour Jean-Pierre DURAND, cela laisse entrevoir un certain embarras théorique.

Si le concept de classes provient historiquement du classement, soit de la constitution de groupe d'objets et de groupes d'individus (les groupes sociaux), MARX et ENGELS pensent les classes qu'en rapport les unes aux autres. Ainsi, le concept de rapport de classes est constitutif du concept de classes. La subordination des individus à une classe déterminée ne prend fin qu'avec l'avènement du communisme, là où la classe dominante ne défend plus les intérêts particuliers (de classe) mais les intérêts généraux de toute la société.

Le rapport de classes étant consubstantiel à la définition de la classe, on comprend pourquoi, par exemple, la paysannerie parcellaire française ne saurait constituer une classe. La classe sociale, pour exister réellement, se dote d'une organisation politique. Notons aussi que cette subtilité échappe à maints commentateurs de MARX qui passe par dessus elle afin de s'interroger (souvent de manière polémique) sur le caractère de classe de telle ou telle catégorie sociale.

Les textes de MARX sur les classes sociales sont en fait de deux natures différentes et semblent alors inconciliables tant ils affirment des thèses qui peuvent apparaître divergentes (ce qu'a souligné Raymond ARON, dans Les étapes de la pensée sociologique, Gallimard, 1972). Dans les textes politiques comme Les luttes de classes en France 1848-1850 ou Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, ce sont six à sept classes et fractions de classes qui sont décrites, tandis que dans les textes plus théoriques relevant de la critique de l'économie politique n'apparaissent que trois classes, avec surtout la thèse de la polarisation des classes sociales. En particulier, à la fin du Capital où devait figurer sa théorie des classes sociales, MARX fonde trois classes, les ouvriers salariés, les capitalistes et les propriétaires fonciers, à partir des trois types de revenus : le salaire, le profit et la rente foncière, issus respectivement de la mise en valeur de la force de travail, du capital et de la propriété foncière. Ces trois classes sociales sont constituées comme telles à travers les rapports qu'elles entretiennent : ouvriers/capitalistes où la vente de la force de travail des premiers conduit au profit réalisé par les seconds ; capitalistes/Propriétaires fonciers où les premiers (exploitants agricoles non propriétaires des terres travaillées par les ouvriers agricoles) versent aux seconds la rente foncière qui est une partie de plus-value réclamée par les propriétaires fonciers aux capitalistes. Ce même texte précise qu'il s'agit des "trois grandes classes" tandis qu'il énumère un peu plus loin les variétés d'intérêts et de situations, à l'intérieur de ces mêmes classes. C'est au fondement théorique du concept de fractions de classes tant utilisé dans les textes politiques relatifs aux révolutions françaises.

Selon MARX, la France de la monarchie de Juillet serait constituée d'au moins 7 classes et fraction de classes qui vont faire et défaire leurs alliances durant les grands conflits de février 1848 au coup d'État du 2 décembre 1851 (Le 18 brumaire de Louis Bonaparte). Leur énumération n'a pas tant d'intérêt en soi que pour la méthode d'analyse sociologique des classes sociales qu'elle sous-tend : MARX va sans cesse des parties (les classes et fractions de classes) au tout (les rapports entre classes) pour expliquer les contenus (économiques, sociaux, idéologiques, etc) et les frontières de chacune des classes et fractions de classes.

Nombre d'auteurs par la suite vont s'essayer à cet exercice, notamment dans les années 1930 et 1960 (notamment dans la littérature - souvent polémique et épousant les conflits idéologiques à l'intérieur de la sphère marxiste - très à la frontière entre le politicien et l'économique). Il distingue ainsi l'aristocratie financière, la bourgeoisie industrielle, la petite-bourgeoisie, la classe ouvrière, le lumpenproletariat, la paysannerie parcellaire, les grands propriétaires fonciers.

       Dans la théorie de MARX, la lutte des classes, moteur de l'histoire du capitalisme, est celle qui oppose la classe ouvrière aux capitalistes. La rivalité et les conflits entre grande propriété foncière et capital ne sont qu'un phénomène secondaire. La thèse de la polarisation si souvent affirmée donne les premiers rôles à la classe ouvrière et aux capitalistes. Les classes intermédiaires, comme la petite-bourgeoisie, étant ruinées, "tombent dans le prolétariat : d'une part, parce que leurs faibles capitaux ne leur permettent pas d'employer les procédés de la grande industrie, elles succombent dans leur concurrence avec les grands capitalistes ; d'autre part, parce que leur habileté technique est dépréciée par les nouvelles méthodes de production. De sorte que le prolétariat se recrute dans toutes les classes de la population" (Manifeste du Parti communiste). Ces classes moyennes sont paradoxales : d'une part, elles apparaissent politiquement conservatrices et réactionnaires ; d'autre part, se sachant menacées par le développement industriel, elles abandonnent leur propre point de vue politique pour adopter celui du prolétariat. A travers cette dernière alliance, l'éducation ouvrière se trouve renforcées, si bien que la bourgeoisie fourbit des armes contre elle-même.

 

Le conflit central entre ouvriers et capitalistes

    Pour MARX, le capitalisme s'organise autour d'un conflit central, entre détenteurs des moyens de production et propriétaires de leur seule force de travail, exploités par les premiers. Selon cette thèse de la polarisation des classes sociales, la petite-bourgeoisie est appelée à disparaitre, absorbée par le prolétariat, tandis que celui-ci ne cesse de s'appauvrir : on retrouve ici la thèse de la plus-value relative selon laquelle les améliorations techniques dans la grande industrie et l'accroissement de la productivité d'une fraction d'ouvriers de plus en plus instruits abaissent le coût des marchandises entrant dans la reproduction de la force de travail, donc réduisent singulièrement le coût de la force de travail. Ainsi, "le travailleur devient un pauvre et le paupérisme s'accroit plus rapidement encore que la population et la richesse (Manifeste du Parti communiste).

    Ce paupérisme ne doit pas être compris, écrit Jean-Pierre DURAND, comme absolu, car MARX envisage une augmentation réelle du niveau de vie de la classe ouvrière, justement à travers la production à des prix de plus en plus bas des biens entrant dans la reproduction de la force de travail. Toutefois, cette augmentation du niveau de vie de la classe ouvrière reste en deçà de l'accroissement global des richesses (Travail salarié et capital). C'est la thèse de la paupérisation relative que l'on trouve exprimée.

   La lutte universelle du prolétariat dans la contradiction entre classe ouvrière et capital ne peut qu'aboutir à la disparition d'un des deux termes de la contradiction. Dès L'idéologie allemande, MARX et ENGELS formulent cette thèse à l'échelle de l'histoire en affirmant que "la classe révolutionnaire se présente d'emblée non pas comme classe, mais comme représentant la société toute entière, elle apparait comme la masse entière de la société face de la seule classe dominante". Valable pour la bourgeoisie qui entraina la classe ouvrière dans son sillage pour vaincre l'aristocratie, la démonstration vaut aussi pour le prolétariat qui l'emportera sur la bourgeoisie. Voilà en quoi, selon MARX, la lutte du prolétariat est universelle et sera nécessairement victorieuse, malgré les vicissitudes de l'histoire. Tout le Manifeste du Parti communiste est la démonstration de cette dynamique historique de l'inéluctabilité de la révolution prolétarienne renversant l'ordre bourgeois. Et si MARX et ENGELS cherchent à doter le prolétariat d'un parti révolutionnaire, c'est pour accélérer le rythme de l'histoire qui pourrait se fourvoyer dans le socialisme idéaliste des proudhoniens par exemple. En effet, Ils savent que la situation économique d'une classe (classe en soi), et ici de la classe ouvrière (classe pour soi), ne produit pas immédiatement une conscience de classe (Misère de la philosophie). D'où la nécessité pour le prolétariat, de se doter d'une idéologie et d'un parti qui lui soient propres pour mener à bien la révolution universelle.

Comme l'a fait apparaitre la révolution de février 1848, l'universalité de la révolution bourgeoise s'est soldée par une confiscation du mouvement social au seul bénéfice de la bourgeoisie. Car "tous les mouvements historiques ont été, jusqu'ici, accomplis par des minorités ou au profit des minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement spontané de l'immense majorité au profit de l'immense majorité" (Manifeste du Parti communiste). On peut s'étonner de l'assurance avec laquelle MARX et ENGELS invalident l'universalité bourgeoise pour affirmer l'universalité prolétarienne. Pourquoi n'y aurait-il pas une fraction de classe du prolétariat qui, demain, dans un mode de production post-capitaliste, confisquerait la révolution universelle à son seul bénéfice? C'est peut-être l'affirmation tranchée de la polarisation (pour des raisons politiques) qui empêche MARX de tenir compte de la complexité du mouvement de création de fractions et de segments de classes dans la classe ouvrière et parmi les salariés en général. Car MARX décrit en plusieurs endroits ce mouvement ambigu de diversification des catégories sociales parmi les salariés, en particulier à propos de l'émergence des salariés du commerce (Le Capital, 1), qui, d'une certaine manière, préfigurent les classes moyennes du siècle suivant. Mais la thèse de la polarisation qui fait disparaitre la petite-bourgeoisie, absorbée par le prolétariat, empêche MARX de prendre en compte les mouvements centrifuges à l'intérieur de la classe ouvrière et plus généralement parmi les salariés. Pourtant, avec les concepts de fractions de classes et d'alliances utilisés dans les textes politiques de MARX, il y a tous les éléments pour construire une théorie des classes, ce que les marxistes modernes ont tenté. (Jean-Pierre DURAND)

 

Retours sur la notion de classe

   Le terme classe n'est pas d'invention marxiste. Il est parfaitement courant depuis le droit public romain, qui distingue les citoyens en plusieurs classes censitaires. Sans doute faut-il attribuer à un certain brouillage idéologique, du en partie à la conception des individus du christianisme (égaux devant le créateur, mais pas tellement au Moyen-âge notamment et dans les sociétés à ordre...) l'"oubli" de l'existence de classes sociales dans la réalité. Une certaine idéologie jacobine tend également à faire oublier que les citoyens ne sont pas si égaux que le droit veut l'affirmer. Sans compter une certaine modernité qui valorise l'individu au détriment du groupe...

   L'économie politique classique aussi bien que l'historiographie et la "science politique", sans oublier les socialistes "utopiques", comme les désignent les marxistes, étudient extensivement les classes en rapport avec la propriété, les revenus, les droits, les intérêts politiques... Jean DUBOIS (Vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872, 1962)  indique l'évolution sémantique effectuée par la rencontre de MARX avec le prolétariat.

Lorsque le jeune MARX reprend à HEGEL, qui l'avait lui-même héritée des "Anglais et Français du XVIIIe siècle", la notion de société civile bourgeoise, il se trouve confronté au problème posé par le terme "féodal" de Stand par lequel HEGEL avait réinscrit dans un cadre corporatiste les "classes" de ses prédécesseurs. HEGEL n'employait Klasse que dans un écrit de jeunesse, la Realphilosophie d'Iéna (1805-1806). Dans la philosophie du droit (1820) on ne la trouve que loin dans l'ouvrage, significativement pour désigner la populace (pauvre et miséreuse, incapable d'élaborations intellectuelles) et la classe la plus riche à laquelle on peut vouloir imposer la charge directe de maintenir cette masse vouée à la pauvreté en l'état d'un mode de vie décent (par la bienfaisance-charité). Dans sa critique juxtalinéaire, MARX s'en tient à la terminologie hégélienne et c'est seulement dans l'Introduction rédigée après coup en même temps que les Manuscrits d'économie politique de 1844) qu'il entame le retour au concept de classe : "Quelle est la base d'une révolution partielle, uniquement politique? Celle-ci : une partie de la société civile bourgeoise s'émancipe et parvient à dominer l'ensemble de la société, une classe déterminée entreprend, à partir de sa situation particulière, l'émancipation générale de la société. Cette classe libère la société entière, mais seulement à la condition que la société entière se trouve dans la situation de cette classe, donc possède par exemple argent et culture, ou puisse les acquérir à son gré...". Dans L'idéologie allemande la terminologie des classes est généralisée.

Dans ce dernier ouvrage, il amorce l'examen d'un problème délicat. D'un côté, il applique systématiquement le concept de classe à toute division de la société en dominateurs et dominés qui se fonde dans l'organisation de la production, donc dans un stade déterminé de la division du travail, et d'un autre côté, il conserve la distinction entre Stand et Klasse pour tracer une ligne de démarcation entre la société capitaliste (bourgeoisie) et les sociétés pré-capitalistes. Cette difficulté vise la distinction entre des rapports sociaux à caractère de "dépendance personnelle" et des rapports impersonnels purement économiques. Ce qui est perçu en tout cas comme une difficulté - car une analyse textuelle permet tout de même de comprendre que les deux plans puissent exister - divise par exemple marxistes et populistes russes et on trouve un écho chez LÉNINE, dans la distinction entre école de classe et école de caste (Perles de la planomanie populiste, 1897). Témoin encore de cette difficulté, les discussions dans les années 1960-1970 à propos du mode de production asiatique et des formes de passage aux sociétés de classes, ou plus tard entre africanistes marxistes, en vue d'étudier la transition du colonialisme au néo-colonialisme.

A vrai dire, la distinction des sociétés divisées en états, ordres ou castes fermés et des sociétés divisées en classes économiques "ouvertes" par la division du travail, la concurrence et l'égalité formelle entre les individus est un lieu commun de l'évolutionnisme sociologique au XIXe siècle, qu'il s'agisse de MAINE, de TONNIES, de DURKEIM ou de Max WEBER (voir par exemple le livre de G. THERBORN, Science, class and society, New Left Books, 1976). Il est donc significatif qu'ENGELS (L'origine de la famille, 1884), et après lui LÉNINE (De l'État, 1919), bien que fortement marqué à l'évidence par cette idéologie, s'efforcent constamment, avec un divers bonheur..., de reconstituer ce qu'il y a au contraire de fondamentalement invariant entre le capitalisme et les formes d'exploitation antérieures, bien que la division des classes prenne, ici, une forme "personnelle" et hiérarchique, là une forme "impersonnelle" et juridiquement égalitaire. Ils montrent quel est l'enjeu : indiquer le lien interne qui relie les formes de la démocratie politique aux formes de l'extorsion du sur-travail.

L'un des textes classiques les plus utilisés à titre de "définition" des classes sociales est probablement celui de LÉNINE, dans La grande initiative, 1919 : "Qu'est-ce que la "suppression des classes?" Toux ceux qui se disent socialistes reconnaissent ce but final du socialisme, mais tous, loin de là, ne réfléchissent pas à sa signification. On appelle classes de vastes groupes d'hommes qui se distinguent par la place qu'ils occupent dans un système historiquement défini de production sociale, par leur rapport (la plupart du temps fixé et consacré par les lois), vis-à-vis des moyens de production, par leur rôle dans l'organisation sociale du travail, donc, par des modes d'obtention et l'importance de la part des richesses sociales dont ils disposent. Les classes sont des groupes d'hommes dont l'un peut s'approprier le travail de l'autre, à cause de la place différente qu'il occupe dans une structure déterminée, l'économie sociale. Il est clair que, pour supprimer entièrement les classes, il faut non seulement renverser les exploiteurs, les grands propriétaires fonciers et les capitalistes, non seulement pour abolir leur propriété : il faut encore abolir toute propriété des moyens de production ; il faut effacer aussi bien la différence entre la ville et la campagne que celle entre les travailleurs manuels et intellectuels (...)". Au fur et à mesure du temps, les structures sociales se complexifient, notamment par l'activité de l'État, et évoluent selon les modalités que l'analyse restituent plus ou moins bien, s'agissant d'une évolution constante en cours. Il n'est donc pas étonnant que toutes les formules de classes proposées restent partielles, et du coup, que les modalités de la lutte des classes sont compliquées à appréhender, sauf, et les théoriciens et praticiens ne s'en sont pas privés, à effectuer des simplifications qui peuvent s'avérer dommages. On a les mêmes difficultés dans la définition du peuple. Et la manière dont les parties en présence et les leaders appréhendent les classes et leurs limites réciproques, tout comme les auteurs de théories politiques, s'explique (en partie) par les voies différentes que peuvent emprunter la critique de l'économie politique classique. 

La description de la pauvreté et de la richesse, comme des pauvres et des riches, prenant appui sur des points différents de... classes sociales se situant souvent les unes par rapport aux autres, dans les conditions de lutte concrètes, montre combien, dans les différents écrits de MARX et ENGELS comme de leurs continuateurs, la perception des classes est toujours dépendante d'une problématique économique. Que cette description soit absolue ou relative, que la présentation des antagonismes et de leurs conséquences soit celle d'une misère absolue et d'une richesse extraordinaire et extraordinairement concentrée, par exemple dans la présentation de la paupérisation de la classe ouvrière, et la théorie d'ensemble change de tonalité, certains diront de radicalité. Que l'expression de la situation soit souvent radicale, justement, n'est pas seulement du ressort de l'analyse économique, mais aussi, de la volonté de mobilisation sociale.

Que ce soit sur la reproduction de la classe ouvrière ou sur la constitution de la bourgeoisie en classe, Le Capital constitue toujours la référence en la matière, c'est toujours une différenciation croissante entre classes qui s'impose, doublée de la prise de conscience de cette même division par les membres de la classe ouvrière et par les membres de la classe capitaliste. L'argumentation générale qui traverse toutes ces pages est celle de la révolution industrielle (passage de la manufacture à la fabrique). Si elle ne rend pas compte de l'ensemble des "mécanismes superstructurels" - politiques, culturels - qui unifient tendanciellement la "classe dominante", de façon à y inclure à la fois les propriétaires d'une fraction déterminée du capital, engagés directement ou indirectement dans la gestion de l'accumulation, et les porteurs des différentes fonctions publiques ou privées qui concourent à la reproduction des conditions de l'exploitation, elle permet de lever l'obstacle théorique à l'analyse des nouvelles formes du capitalisme que constitue la notion de "classe superflue". Déjà dans le Capital, MARX montrait comment cette différenciation conduit à la "constitution d'une classe nombreuse de directeurs industriels et commerciaux". Avec l'émergence du capitalisme d'État - y compris dans les pays dits socialistes - c'est beaucoup plus généralement que le critère de propriété juridique du capital, sans disparaitre pour autant, doit être croisé avec les critères fonctionnels résultant de la structure d'ensemble du mouvement de l'accumulation. Dès lors, si la classe bourgeoise n'apparait pas "éternelle", il est pourtant clair que sa domination peut se maintenir sur une très longue période historique au prix de convenables métamorphoses économiques et sociologiques. (Étienne BALIBAR).

 

Étienne BALIBAR, Classes, dans Dictionnaire critique du marxisme, PUF, 1982. Jean-Pierre DURAND, La sociologie de Marx, La Découverte, 2018.

 

 

 

 

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