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25 juillet 2008 5 25 /07 /juillet /2008 12:39
   
    Voilà une vraie étude de sociologie militaire! Plutôt que de traiter à longueur d'ouvrages de l'évolution des choses militaires, en insistant sur les guerres ou l'évolution des corps d'armées et des armements,  Raoul GIRARDET a choisi de comprendre l'histoire sociale et l'histoire des mentalités de cette société plus ou moins fermée que constitue en France, la société militaire.
   L'histoire de ces hommes et de ces familles qui traversent la révolution, l'empire, la restauration, la république, la vision que l'on a du rôle de l'armée dans la société globale, l'évolution de l'esprit militaire, depuis les soldats de la liberté de 1789 jusqu'à l'épreuve algérienne, en passant par les deux guerres mondiales, sont bien décrites dans ce livre... Enthousiasme, méfiance, antipathie, fièvre irraisonnée alternent dans la société militaire comme dans l'ensemble de la société. Parfois l'armée est au diapason de la l'ensemble de la société, parfois elle en est à l'opposé idéologique... En deux grandes parties, la vieille armée et l'armée nationale, l'auteur s'appuie autant sur des études historiques d'ensemble, des mémoires et des témoignages qui traversent toute la hiérarchie, pour comprendre les soubresauts de la conscience militaire.
  C'est une étude intéressante pour qui veut appréhender l'évolution des mentalités militaires, même au-delà de la période que s'assigne l'auteur. Autant pour les évolutions des mentalités militaires en général, qui ne sont pas les mêmes en temps de guerre et en temps de paix, que pour se faire un idée de ce que peuvent vivre tout le corps d'armée français dans le début du XXIème siècle. Il existe bien entendu de nombreuses autres études, mais pour commencer, on ne saurait trop conseiller de consulter l'ouvrage de Raoul GIRARDET.
 
    De 1815 au contemporain le plus immédiat, écrit l'éditeur (en quatrième de couverture), l'armée s'était de plus en plus identifiée à la nation. "Celle des années 2000 représentera peut-être un corps d'élite au sein d'une armée d'Europe. On imagine les soubresauts et les déchirements que cette évolution implique. Après être passée de la vie de garnison dans les provinces sous la Restauration à la remobilisation sous le second Empire, de la tragédie de la guerre perdue à l'aventure coloniale, elle traverse un XXe siècle non moins bouleversé : la victoire en 18, la défaite en 40, les guerres successives - contre l'Allemagne, en Indochine, en Algérie - jusqu'au saut dans l'inconnu que représente la professionnalisation d'aujourd'hui. Analysant ce qui distingue du reste de la société française ce groupe fermé, aux valeurs, au mode de vie et de recrutement propres, Raoul GIRARDET montre, dans une fresque d'une exceptionnelle qualité, tout ce qui compose le tissu si particulier de cette communauté."
Dans cette réédition d'un ouvrage paru en 1953 et amplifié depuis, l'auteur se montre, avec un attachement à certaines valeurs (patriotisme, tradition), très lucide. Il participa à la revue monarchiste La Nation française, dirigée par Pierre BOUTANG.
 
    Pour Raoul GIRARDET (né en 1917), historien et universitaire français (Institut d'Etudes Politiques de Paris, Ecole Nationale d'Administration, Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr, Ecole Polytechnique...), "au même titre que l'école, le principe de la conscription, l'obligation du service sous les armes ont constitué l'un des facteurs essentiels de ce grand mouvement unificateur qui, au-delà de ses lacunes et de ses failles, a dominé l'évolution même de la société française au cours des deux derniers siècles". L'auteur s'interroge dans sa conclusion sur un risque de repli, voire d'enfermement corporatiste dont il semble nécessaire d'en comprendre l'urgence, mais aujourd'hui, qui le prendra en compte? Au moment de l'élaboration d'un nouveau livre blanc sur la Défense, au début d'une nouvelle présidence de la République, ce questionnement reste vif.
 
    Raoul GIRARDET est aussi l'auteur de plusieurs autres ouvrages : Pour le tombeau d'un capitaine (Editions de l'Esprit nouveau, 1962), La Crise militaire française (1945-1962) (Armand Colin, 1964), Le Nationalisme français (1971-1914) (Armand Colin, 1966), L'idée coloniale en France de 1871 à 1962 (La Table Ronde, 1972), Mythes et mythologies politiques (Seuil, 1986), Problèmes militaires et stratégiques contemporains (Dalloz, 1988), Singulièrement libre, entretien avec Pierre ASSOULINE (Perrin, 1990), Nationalismes et nation (Complexe, 1995).
 

   Raoul GIRARDET, La société militaire de 1815 à nos jour, Librairie académique Perrin, collection Agora, Pocket, 2001, 340 pages.
 
Complété le 19 juillet 2012
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27 mai 2008 2 27 /05 /mai /2008 14:36

       Préfacé par Antoine DANCHIN, généticien à l'Institut Pasteur et publié par les Editions Syllepse, ce gros livre (un pavé de 890 pages) sera utile pour tous ceux qui s'intéressent à la notion d'information. Cette notion est si largement utilisée dans nombre de disciplines, qu'une explication sur le conflit serait aujourd'hui impossible sans elle.
Etude historique sur la mise en place des réseaux informatiques (guerres chaudes et guerre froide y ont beaucoup contribué), c'est aussi une exploration de champs aussi divers que la physique quantique, la théorie du signal, la thermodynamique, les mathématiques, la biologie moléculaire... Découpé en de multiples contributions et agréablement mis en page malgré l'aridité du sujet au premier abord (et seulement au premier abord...), ce livre constitue une véritable encyclopédie de la révolution de l'information du XXème siècle.

 

   Nous pouvons lire dans la présentation de ce livre que "la notion d'information est une des plus importantes notions en jeu dans les sciences et les technologies, eu égard au très large spectre de ses utilisations et de ses terrains d'application. Nonobstant le passé "analogique" de ces technologies, le 0 et le 1 des ordinateurs numériques symbolisent cette prégnance, cette omniprésence. Une telle diversité impliquait l'ampleur panoramique qui caractérise ce livre. A travers la mise en évidence de l'importance du contexte historique dans lequel toute activité scientifique s'inscrit, Jérôme SEGAL aborde, notamment, la place de l'eugénisme dans l'oeuvre de Fisher, les différents types d'organisation de la recherche dans l'entreprise Siemens et les Bell Labs, l'importance des recherches militaires pendant la seconde guerre mondiale et leurs liens avec le monde universitaire et industriel, le rôle des fondations américaines, le contexte politique de la France d'après 1945, le poids de la guerre froide dans l'établissement des premiers réseaux informatiques, ou encore le cadre dans lequel s'inscrivent les différents discours sur l'unité des sciences. De même, il explore des champs disciplinaires fort distincts : physique quantique, théorie du signal, thermodynamisme, mathématiques, biologie moléculaire, linguistique, informatique, etc. Ainsi la notion d'information peut être qualifiée de cruciale et considérée comme indispensable pour comprendre l'histoire scientifique et technologique du 20e siècle. En regard de son énorme fécondité conceptuelle et pratique, cette période a constitué, de ce point de vue, le formidable socle de notre 21e siècle, à peine advenu et déjà si gros des promesses fondées ou aberrantes d'une "société de l'information et de la communication" qu'il faut résolument apprendre à connaître et à maîtriser".

Jérôme SEGAL, maître de conférences en histoire des sciences et épistémologie à l'UFM de Paris et chercheur au Centre Cavaillès de l'Ecole normale supérieure de Paris, livre ici une somme dont on peut difficilement se passer et de par l'abondance de notes et de références bibliographiques, permet d'aller plus loin sur de nombreux aspects.

 

     L'auteur est également critique à nonfiction.fr et coordinateur depuis 2011 du Collège doctoral d'histoire et de philosophie des sciences à l'Université de Vienne.

 

   

 

 

Jérôme SEGAL, Le Zéro et le Un, Histoire de la notions scientifique d'information au 20e siècle, Editions Syllepse, Collection Matériologiques, 2003, 890 pages.

 

 

Complété le 2 juillet 2012

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23 mai 2008 5 23 /05 /mai /2008 13:36
      Dans sa préface, l'auteur, actuel directeur de recherches à l'Institut National d'Etudes Démographiques (INED), circonscrit d'emblée son sujet surtout à la violence criminelle. Située en Occident, de 1800 à nos jours, cette violence criminelle a de multiples aspects, dont la perception de l'insécurité de l'opinion publique.
Ce paradoxe, la montée du sentiment de l'insécurité au moment où en Occident l'insécurité réelle diminue jusqu'à devenir presque insignifiante par rapport aux violences qui subsistent en Afrique, en Amérique Latine, en Asie, est alimenté par la logique du pouvoir, l'obsession électoraliste de certains milieux politiques. Le rôle des médias est mis en exergue dès l'introduction, cette orchestration quasi-permanente des faits divers, à l'impact social démesuré. "Le mot violence est arrivé à désigner un peu n'importe quoi, tout heurt, toute tension, tout rapport de force, toute inégalité, toute hiérarchie".
   Jean-Claude CHESNAIS constate : "L'homme paie sa plus grande sécurité objective par une plus grande insécurité subjective, un sentiment d'enfermement, de "violence", d'écrasement de sa liberté". Alors que "la vraie violence, la violence barbare - celle qui meurtrit les corps et sème la mort - est ailleurs".
   
    Cette constatation, Jean-Claude CHESNAIS l'étaye à travers de nombreux exemples et de nombreuses statistiques, en deux grandes parties, la violence privée et la violence collective.
     Dans la violence privée, il regroupe la violence criminelle (mortelle, corporelle, sexuelle) et la violence "non-criminelle" (suicide, accident).
Sur le suicide, auquel l'auteur consacre une centaine de pages (thème de prédilection pour de nombreux sociologues), on remarquera le passage sur les "malheurs de Paris" où il est fait référence à la période étudiée par Louis CHEVALIER dans "Classes laborieuses, classes dangereuses". La misère ouvrière, beaucoup évoquée par la presse d'époque (première moitié du XIXème siècle), n'a pas provoqué de manière certaine "la plus grande tendance des jeunes ouvriers à verser dans la folie". "L'opinion est encore plus répandue, touchant la fréquence des suicides parmi les prolétaires : les suicides d'ouvriers sont un thème constant des descriptions de la population de Paris. Mais, cette fois, la démonstration est aisée. C'est que, vers le milieu du XIXème siècle, Paris connaît une avalanche de suicides, au moment même où la ville absorbe des flots d'immigrants ruraux, aussitôt condamnés, par leur nombre, à l'entassement et à la misère. Il n'est pas invraisemblable d'attribuer, en première analyse, une telle multiplication des suicides à ce surpeuplement anarchique, inhumain et au choc psychologique qu'il provoque, chez de jeunes campagnards brutalement coupés de leurs racines. L'augmentation des suicides de prolétaires peut bien, en effet, être la cause de l'augmentation générale des suicides à Paris". "Que ce soit en France ou à l'étranger, trois groupes paient un lourd tribut au suicide : les miséreux, les travailleurs indépendants non agricoles, les gens "instables" (...). En France, ils se tuent trois à quatre fois plus que les membres des professions libérales, quinze à vingt fois plus que les commerçants. Leur nombre ne fait que s'accroître : entre 1830 et 1848, la ville de Paris s'est enflée de 250 000 habitants supplémentaires." "La classe ouvrière se suicide massivement ; elle souffre plus qu'elle ne fait souffrir (...). C'est elle qui paie le plus lourd tribut à la révolution industrielle et urbaine. Le discours sur les classes dangereuses est trompeur, (...) la capitale de la France n'est pas, en réalité, plus "dangereuse" que le reste du territoire national (...)".
Jean-Claude CHENAIS souligne, avec tous les criminologues, que "la violence dont les prolétaires sont capables est le plus souvent tournée contre les membres de leur entourage direct (...) : les crimes de sang sont, en majorité, perpétrés entre soi ; elle ne vise donc guère les bourgeois (en tant qu'individus). Ce qui, à vrai dire, effraie les classes bourgeoises est l'apparente liberté sexuelle dont font preuve ces jeunes campagnards. A cette époque, un bon tiers des naissances sont illégitimes. C'est une existence sauvage, à la fois enviée et détestée, qui choque les citadins et fait oublier la véritable situation morale de la classe ouvrière..."
 A noter aussi le chapitre consacré à la violence aléatoire, entendre par là l'hécatombe routière, cette litanie ennuyeuse et monotone (90 morts pour 100 000 voitures en 1976!)
   Dans la violence collective, il place la violence des citoyens contre le pouvoir (terrorisme, grèves et révolutions), la violence du pouvoir contre les citoyens (terrorisme d'Etat, violence industrielle) et la violence paroxystique qu'est la guerre.
Pour Jean-Claude CHESNAIS, la violence primitive échappe à l'analyse marxiste (la lutte des classes à ressort économique) comme à DUHRING pour qui les luttes sociales ne s'expliquent que par un instinct universel d'agression. A leurs explications qu'il juge limitées, l'auteur n'apporte pas grand chose, même s'il s'essaie à suivre l'évolution des conflits sociaux de la société féodale aux guerres mondiales.
Il est nettement plus à l'aise lorsqu'il écrit sur le mythe et les réalités des violences dans la troisième partie de son livre.
La violence industrielle est bien mise en scène : "Le travail a, de tout temps, présenté des risques de mort plus ou moins considérables. Dans l'humanité primitive, chasseurs, pêcheurs, cueilleurs ne retiraient leur subsistance qu'au péril de leur vie. Succédant à l'époque de la petite entreprise agricole ou artisanale qui n'avait d'autre ambition que l'autosubsistance, la révolution industrielle bouleverse la signification du travail, qu'elle subordonne désormais à des objectifs de productivité ou de profit. Elle marque l'entrée dans l'ère des grands sacrifices au productivisme. Le coût humain de l'essor industriel est colossal. Ce sont des millions d'hommes qui sont arrachés à leur milieu d'origine ; des milliers qui sont blessés ou meurent dans les mines, dans les fabriques ou les usines. Cette violence-là, qu'aucune loi n'interdit, n'est pas sans lien avec la violence criminelle, que la loi sanctionne. Elle brise les corps et les énergies, elle avilit et abêtit les hommes. Elle les pousse au désespoir et à l'alcoolisme. Mais en même temps l'oppression conduit, tôt ou tard, à la révolte, brutale, sanglante : le XIXème siècle sera le siècle des grandes émeutes urbaines."
 
      L'auteur, par ailleurs, met en évidence "quelques vérité élémentaires" : "Contrairement à ce que prétendent de nombreux sociologues peu familiers avec la statistique criminelle, il existe des moyens sérieux d'apprécier l'évolution de la violence. Les principaux pays européens disposent de données chiffrées (...) fiables, depuis plus d'un siècle. (...). Ne nous lassons pas de le répéter : la violence mortelle a partout en Europe considérablement régressé. En Italie, terre classique du banditisme, le taux d'homocidité est aujourd'hui cinq fois moindre qu'à la fin du XIXème siècle. En Angleterre et en Allemagne, deux fois. En France, où l'appareil d'Etat est en place depuis des siècles, le recul, en longue période, de l'homicide a eu lieu beaucoup plus tôt ; entre 1830 et 1980, la violence mortelle est restée, en dehors des périodes de guerre, à peu près constante. Ces constatations ont valeur générale : désormais très faibles, ils (les  morts par homicide) sont du même ordre que la mortalité par incendie, et cinq à dix fois moins fréquents que les accidents domestiques. Cette mortalité-là est aussi évitable, mais qui songerait à mener une campagne tapageuse sur ces morts domestiques, si discrètes?"
   
    Jean-Claude CHESNAIS ne cesse donc dans tout son ouvrage de demander que l'on revienne aux réalités, au-delà des impératifs du "marché de la peur" et c'est salutaire. Il termine d'ailleurs sur un appel à la solidarité contre les "lobbies militaires" qui, à l'époque (en 1981) menaçaient toujours de plonger le monde dans une violence définitive.
   Une annexe riche donne des tableaux (taux d'homicidité, pays développé, 1970-1980...), des petits textes d'analyses (la torture dans le monde industriel...) qui complètent bien son propos.
 
 


     Jean-Claude CHESNAIS, Histoire de la violence en Occident de 1800 à nos jours, Robert Laffont, collection Pluriel, 1981, 497 pages. Il s'agit de l'édition revue et augmentée du livre paru en 1979 (date à vérifier).

                                                                                              SOCIUS
 
Relu le 16 juin 2020
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16 mai 2008 5 16 /05 /mai /2008 13:11
          Au fondement de toute étude sur la société et aux origines mêmes de la sociologie - tant chez Emile DURKHEIM (1858-1917) que chez Gabriel TARDE (1843-1904) - se trouve la question du normal et du pathologique. En partie parce que le modèle scientifique choisi, biologique, a beaucoup fait pour comparer le corps au corps social, les cellules aux individus, afin de parvenir à faire une étude de la société comme totalité et non simplement une étude des relations inter-individuelles. Ce n'est pas un hasard si les deux "fondateurs" de la sociologie, rivaux sur la scène intellectuelle de l'époque, commencent leurs travaux par la criminalité.
          
        Pour ce qui concerne Emile DURKHEIM, tout le début de son livre "De la division du travail social" commence par des considérations sur le crime. Dans "Les règles de la méthode sociologique", figurent en bonne place celles relatives à la distinction entre le normal et le pathologique.
Il écrit, en 1895 : "Nous pouvons donc formuler les trois règles suivantes :
1- Un fait social est normal pour un type social déterminé, considéré à une phase déterminée de son développement, quand il se produit dans la moyenne des sociétés de cette espèce, considérées à la phase correspondante de leur évolution.
2- On peut vérifier les résultats de la méthode précédente en faisant voir que la généralité du phénomène tient aux conditions générales de la vie collective dans le type social considéré.
3- Cette vérification est nécessaire, quand ce fait se rapporte à une espèce sociale qui n'a pas encore accompli son évolution intégrale.
(...) S'il est un fait dont le caractère pathologique parait incontestable, c'est le crime. Tous les criminologistes s'entendent sur ce point. S'ils expliquent cette morbidité de manières différentes, ils sont unanimes à la reconnaître. Le problème, cependant, demandait à être traité avec moins de promptitude.
(...) Faire du crime une maladie sociale, ce serait admettre que la maladie n'est pas quelque chose d'accidentel, mais au contraire, dérive, dans certains cas, de la constitution fondamentale de l'être vivant ; ce serait effacer toute distinction entre le physiologique et le pathologique. Sans doute, il peut se faire que le crime lui-même ait des formes anormales ; c'est ce qui arrive quand, par exemple, il atteint un taux exagéré. il n'est pas douteux, en effet, que cet excès ne soit de nature morbide. Ce qui est normal, c'est simplement qu'il y ait une criminalité, pourvu que celle-ci atteigne et ne dépasse pas, pour chaque type social, un certain niveau qu'il n'est peut-être pas impossible de fixer (...)
(...) Le crime est donc nécessaire ; il est lié aux conditions fondamentales de toute vie sociale, mais, par cela même, il est utile ; car ces conditions dont il est solidaire sont elles-mêmes indispensables à l'évolution normale de la morale et du droit.
(...) Ce n'est pas tout. outre cette utilité indirecte, il arrive que le crime joue lui-même un rôle utile dans cette évolution. Non seulement il implique que la voie reste ouverte aux changements nécessaires, mais encore, dans certains cas, il prépare directement ces changements. Non seulement, là où il existe, les sentiments collectifs sont dans l'état de malléabilité nécessaire pour prendre une forme nouvelle, mais encore il contribue parfois à déterminer la forme qu'ils prendront. Que de fois, en effet, il n'est qu'une anticipation de la morale à venir, un acheminement vers ce qui sera!"

  L'enjeu est considérable pour qu'il termine ce chapitre par "Pour que la sociologie soit vraiment une science de choses, il faut que la généralité des phénomènes soit prise comme critère de leur normalité."
"Le devoir de l'homme d'Etat n'est plus de pousser violemment les sociétés vers un idéal qui lui parait séduisant, mais son rôle est celui du médecin ; prévient l'éclosion des maladies par une bonne hygiène, et quand, elles sont déclarées, il cherche à les guérir.  
Conscient de "l'énormité" de ce qu'il écrit, en regard des réactions hostiles de certains milieux, et de certaines interprétations tendancieuses, Emile DURKHEIM enrichit la fin de son chapitre par une note : "De la théorie développée dans ce chapitre, on a quelquefois conclu que, suivant nous, la marche ascendante de la criminalité au cours du XIXème siècle était un phénomène normal. Rien n'est plus éloigné de notre pensée (...) Toutefois, il pourrait se faire qu'un certain accroissement de certaines formes de la criminalité fût normal, car chaque état de civilisation a sa criminalité propre. Mais on ne peut faire là-dessus que des hypothèses."  En pleine fin du XIXème siècle aux conflits nombreux qui opposent, parfois violemment, la classe ouvrière au patronat, on conçoit cette prudence chez quelqu'un qui reste par ailleurs un catholique convaincu.
    
     Penser les conflits sociaux, penser le suicide, penser la criminalité comme inhérents à toute forme de société, les considérer comme normaux et entrant même nécessairement dans son fonctionnement n'a jamais cessé de garder toute son ambiguïté. C'est dire que la sociologie n'est pas une science naturelle... qu'elle est, de plein pied, dans le cadre... des conflits sociaux!
Elle garde, la sociologie, toujours une ambiguïté car derrière l'analyse sociale, il y a souvent un regard moral, que ce regard soit explicite ou implicite. On le voit très bien chez Emile DURKHEIM, où l'analyse du monde moderne par rapport à la société traditionnelle met en évidence l'affaiblissement d'une conscience collective qui fait place de plus en plus à des consciences individuelles (le progrès de l'individualisme est attesté bien sûr par nombre de sociologues par la suite). Retrouver la force des solidarités mécaniques ancestrales perdues dans la société industrielle pour remédier aux maladies sociales massives (où souvent luttes sociales et alcoolisme endémique sont joyeusement confondus par maints auteurs de seconde main) constitue une obsession dans une certaine "élite éclairée" de la société. Le développement des égoïsmes sociaux requiert des réformes sociales et Emile DURKHEIM, dans ses écrits non sociologiques (sur le socialisme ou l'éducation) propose des remèdes - en fait surtout un remède : l'organisation de corporations professionnelles, vecteurs de la formation d'une nouvelle conscience collective.
Même si l'oeuvre de DURKHEIM est très nuancée à cet égard, toute une idéologie voudrait que les conflits sociaux - assimilés parfois à de la délinquance pure et simple - soient nécessairement un symptôme pathologique. Analyser réellement les "pathologies" sociales, ce qui n'est pas l'affaire de cette idéologie-là, voir pourquoi, comme DURKHEIM et TARDE l'ont fait, c'est montrer finalement, quelque part, que s'il y a maladie, c'est la société qui est malade...
Chacun de leur côté Emile DURKHIEM et Gabriel TARDE, qui n'ont pas eu la même postérité, ont contribué à éclaircir les relations étroites qui lient les aspects dits normaux et les aspects dits pathologiques d'une société. En relativisant des notions dérivées de la biologie et empreintes de moralisme, ils ont montré des voies d'études des conflits sociaux, qui ont suivi après eux, de multiples directions.

    Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, PUF, Bibliothèque de philosophie contemporaine, 1968.


                                                                                                   SOCIUS
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8 mai 2008 4 08 /05 /mai /2008 16:00

  Une sociologie du tiers

      Georg SIMMEL (1858-1918) et Julien FREUND (1921-1993) développent la question du tiers dans le conflit souvent pensé en terme de duels, à deux protagonistes. L'intervention d'un tiers rompt la logique du duel et instaure, avec l'introduction d'un quatrième, puis de plusieurs autres acteurs des conflits, la relation de minorité à majorité, la possibilité d'alliances.
En outre, pour Julien FREUND, le conflit, surtout le conflit politique, n'a de véritable sens que lorsque les adversaires "expriment également une solidarité qui transcende la lutte elle-même". Même les luttes violentes, les guerres civiles par exemple, qui mettent en question la constitution, le régime, l'existence même de la collectivité comme unité politique, présupposent la solidarité de ces membres sous une nouvelle forme, plus satisfaisante, plus rationnelle ou plus juste.
Georg SIMMEL insiste de son côté beaucoup sur la socialisation qu'implique même le conflit. Cette problématique du conflit insiste sur la coopération des protagonistes, d'une façon que Julien FREUND reconnaît comme paradoxale.
   Julien FREUND, L'essence du politique, Dalloz, 2004; Georg SIMMEL, Le conflit, Circé, 2008.

  La sociologie de "Chicago"
     Une sociologie interactionniste, héritière du courant pragmatique américain, constitue la référence de la sociologie aux Etats-Unis.
C'est par l'étude des communautés que des auteurs comme R. REDFIELD (1897-1958), H. BLUMER qui invente l'expression en 1937, E. GOFFMAN (1922-1982) ou GARFINKEL abordent les conflits sociaux. Leur conception émiette les structures sociales en micro-structures et beaucoup d'études portent sur les multiples groupes déviants de la société américaine. Critiques du fonctionnalisme qui exagère selon eux la socialisation des acteurs en surestimant leur conformisme social, les auteurs de ce courant très large mettent en avant le flou de beaucoup de situations dans une société beaucoup plus mobile que les sociétés européennes. Prônant une ethnométhodologie, GARFINKEL veut analyser les dynamismes sociaux de l'intérieur et utiliser le savoir des acteurs eux-mêmes.
Ces démarches ignorent bien souvent (Lewis COSER) les facteurs institutionnels comme du reste le pouvoir central. En privilégiant beaucoup le vécu des acteurs, même en tentant de ne pas tomber dans les mêmes représentations qu'eux, cette sociologie fait l'impasse sur les problématiques du pouvoir.
    Edwing GOFFMAN, les rites d'interaction, Editions de Minuit, 1974; Nicolas HERPIN, les sociologies américaines et le siècle, PUF, 1973.

  Une sociologie interrelationniste
    Une des grandes questions touche à la nature des conflits collectifs - conflits inter-individuels, conflits sociaux, conflits entre collectivités ou communautés - dans l'ensemble des interrogations sur l'importance à donner aux relations individus-sociétés.
Des auteurs aussi divers que George LABICA, Raymond ARON, Georges GURVITCH, posent la question de la détermination des motivations des acteurs dans la société : multidétermination ou monodétermination. La question a surgi longtemps dans une grande partie de la littérature marxiste sur la sur-détermination de l'économie dans les comportements sociaux. Plus largement, le fait même de réfléchir à cette question - concernant les conflits entre autres - conduit beaucoup à mettre l'accent sur le symbolique, sur la représentation plutôt que sur la réalité sociale.
On notera dans ce sens les contributions de Peter BERGER et de Thomas LUCKMANN, qui élaborent le concept de construction sociale de la réalité. L'individu exprime face à la société un "stock de connaissances objectivées" commun à une collectivité d'acteurs et son action est déterminée par ce "stock" à la fois dans les deux perspectives de l'ordre institutionnel et du rôle, étant donné que les rapports de l'individu au groupe sont mouvants.
   Dans cette perspective, la délimitation d'une classe sociale d'appartenance constitue une question-clé. Georges GURVITCH élabore une définition complexe où entrent en compte la volonté d'y appartenir, le sentiment d'en faire partie, la perception des autres classes sociales comme étanches ou poreuses, la position de la classe par rapport au pouvoir...

 Une sociologie hésitante du changement social
    Selon Jean-Pierre DURAND et Robert WEIL (Sociologie contemporaine, Vigot, 2002), les sociologues d'aujourd'hui hésitent à se lancer dans la construction d'une théorie globale, ou universelle, du changement.
La multiplicité des facteurs d'évolution d'une société mise en avant par David RIESMAN, Colin CLARK, et d'autres, ne les empêchent pas de mettre en avant très souvent le progrès technique comme facteur dominant de changement, un facteur qui ne serait pas maîtrisable directement par les acteurs sociaux. Du coup, malgré les remises en perspective de certains auteurs comme Lewis MUMFORD, une certaine sociologie dominante rendrait caduque toute une série de sociologies et même de politiques économico-sociales, en tout cas à l'échelle de la société globale, surtout si elle est vue en voie de mondialisation.
Sans parler d'une disqualification des sociologues s'inspirant de trop près des marxismes, toute sociologue désireux d'ouvrir une perspective de changement social - et plus de changement social radical - se voit aujourd'hui rappelé à l'ordre, à l'aide de multiples arguments d'où ressortent le fait que l'évolution d'une société serait plutôt le fait de facteurs exogènes qu'endogènes, et les changements climatiques n'arrangent rien de ce côté-là.
       
     Restent une multitudes de sociologies sectorielles, où nombre d'auteurs cherchent plus précisément les facteurs d'ordre et de désordre sociaux : les médias, le sport, les institutions scolaires, la défense, les arts et spectacles... domaines dans lesquels nous allons poursuivre notre petit parcours...

                                                                                                SOCIUS
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5 mai 2008 1 05 /05 /mai /2008 12:43

  La sociologie compréhensive

Max WEBER (1864-1920), père de la sociologie compréhensive, à partir d'une critique de l'illusion positiviste à la manière d'Auguste COMTE qui veut figer l'organisation sociale idéale à l'aide de concepts de la causalité qui ne sont que des idéaux-types de la réalité et non la réalité elle-même, a suscité nombre de vocations de sociologues.

Dans ses nombreuses communications et publications, Il met l'accent sur le conflit de valeurs où selon que l'une ou l'autre l'emporte, entraîne la société dans une direction et non dans une autre. Pour comprendre ce conflit des valeurs, il est nécessaire, dans la démarche propre aux sciences de la culture, de se distancier par rapport à ces valeurs, possibles préjugés qui faussent le jugement.

Axant ses travaux sur la sociologie religieuse, il tente de voir les phénomènes à l'oeuvre par les effets des croyances collectives. Mais à trop se distancier de l'objet de leur étude, les webériens ne proposent pas de changer la société. Du coup, l'approche du conflit risque de ne pas se traduire par beaucoup de changements.
     Max WEBER, L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, Presse Pocket, Agora, Plon, 2002; Le savant et le politique, 10/18 biblothèque, 2005.

 


 Une sociologie de la division du travail


     Avec Emile DURKHEIM (1858-1917), on entre de plein pied dans une vision normalisatrice de la société : la sociologie permet de distinguer entre un état normal d'une société ou d'une organisation donnée et un état normal qu'il faut éviter, entre le normal et le pathologique. Se plaignant d'une évolution morale des société modernes aux individus atteints par un dérèglement de la division du travail, il met l'accent sur le fait que l'état maladif résulte des changements profonds dans la structure de la société.

Ses études sur l'anomie sociale, sur les suicides, l'amènent à penser les conflits comme les symptômes de ces maladies. De là à penser que le conflit est une pathologie sociale... Beaucoup de ses successeurs semblent vouloir le faire, à commencer par des auteurs comme BOUDON et BOURRICAUD qui soutiennent que sa conception holiste de la société est responsable du flou qui enrobe les concepts durkheimiens. Son invention de la conscience collective, issu de ses études sur la religion, est combattue par les tenants d'un individualisme méthodologique. Il faut rendre justice à Emile DURKHEIM, car sa conception même permet de concevoir comment se structure une société, dans ses conflits mêmes.
    Emile DURKHEIM, Le suicide, PUF Quadrige, 2004; De la division du travail social, PUF, 2007.

 

 Une sociologie de l'imaginaire


    Réfléchissant sur l'expérience du monde ouvrier, Cornélius CASTORIADIS (1922-1997), le cofondateur et animateur du groupe et de la revue "Socialisme ou Barbarie", prolonge les études de Karl MARX en insistant sur les rapports à l'imaginaire des sujets sociaux et critique l'approche marxiste dominante économico-fonctionnelle. Au delà du symbolique, qui détermine des aspects de la vie en société, et partant, des aspects de ses conflits sociaux, Cornélius CASTORIADIS veut saisir l'imaginaire de la société.

Support de l'ordre social, l'imaginaire social actuel permet l'irrationalité de la rationalité du monde moderne à travers la construction de besoins artificiels ou la multiplication des crises financières. Les conflits sociaux se situent dans un espace où se rencontrent le réel et l'imaginaire, la psyché et le social-historique, mais les recherches sur les liens entre les uns et les autres sont simplement en projet dans l'oeuvre de cet auteur.
    Cornélius CASTORIADIS, l'institution imaginaire de la société, Seuil essais points, 2006; La société bureaucratique, Tome 1, Les rapports de production en Russie et Tome 2, La révolution contre la bureaucratie, 10/18, 1973.

 


 La sociologie critique


     L'ECOLE DE FRANCFORT, à la longue postérité malgré son hétérogénéité, à travers la théorie critique, se retrouve tout à fait dans des problématiques de conflits. D'emblée sociologie critique, elle promène l'analyse des conflits de classe, de la propriété à l'autorité, dans une superposition de leurs différents aspects.
   La dialectique de la raison (ADORNO, HORKHEIMER) est un processus où les idéaux du progrès tendent à éliminer ses propres valeurs avant même leur entrée dans la pratique sociale. Consciences de classe, formations de caractères sociaux, luttes des classes, tout cela alimente une dynamique dans le monde moderne où les individus agissent rarement en fonction de leurs véritables intérêts matériels. Le triomphe des apparences de la circulation des choses (marchandises, réalisations scientifiques...) camoufle la dynamique réelle des rapports sociaux. En clair, les consciences de classe tendent à dériver vers la négation des conflits sociaux en mettant en avant les bienfaits supposés de la société de consommation de masse, dans le temps même où l'évolution de ces conflits tendent à devenir de plus en plus préjudiciables à des classes sociales de plus en plus étendues.
  Sous la direction d'Alain BLANC et de Jean-Michel VINCENT, La postérité de l'école de Francfort, Syllepse, 2004; Max HORKHEIMER, Theodor ADORNO, La dialectique de la raison, Fallimard Tel, 2007


                                                                                                  SOCIUS

 

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2 mai 2008 5 02 /05 /mai /2008 13:36

    La sociologie marxiste : le matérialisme historique

       Point de départ de nombreuses approches du conflit, Karl MARX et Friedrich ENGELS, par le matérialisme historique, ont élaboré toute une explication du monde et une stratégie de changement global autour du primat de l'économie dans la vie des hommes.
   A travers leur théorie de la valeur travail, à la fois sur la production et l'exploitation des marchandises, et leur théorie de l'aliénation, de la domination et de l'oppression d'hommes par d'autres hommes, de classes sociales par d'autres classes sociales, ils explicitent les mécanismes économiques et sociaux des conflits, au delà des apparences idéologiques. Une méthode scientifique de la mise à jour des conflits sociaux montre la voie, par le rôle clé du prolétariat, des révolutions nécessaires. L'apport du marxisme à la compréhension est irremplaçable, même s'il doit être complété, corrigé parfois, dépassé sans doute par des approches mettant plus l'accent sur les aspects idéologiques et culturels. Sûrement car nous sommes tout de même passés d'une société industrielle à une société post-industrielle, où les services dominent dans l'économie. Processus en devenir, le capitalisme, avec ses effets pervers,  demande toujours un renouvellement de la pensée, hélas figée un temps par des systèmes totalitaires qui n'avaient de communistes que le nom. Ce renouvellement est combattu aujourd'hui par des idéologies partisanes d'un développement toujours plus explosif du capitalisme.
   Henri LEFEBVRE, dans son petit livre sur "le marxisme", au chapitre de la sociologie, montre bien la dialectique de la lutte des classes avec leurs rapports et leurs modes de production. Après son analyse du capitalisme, Henri LEFEBVRE définit le communisme, étape nécessaire après le communisme primitif, l'esclavagisme, le féodalisme et le capitalisme : "le développement sans limites internes des forces productives, le dépérissement des classes sociales, l'organisation rationnelle, consciente, contrôlée par la volonté et la pensée, des rapports de production, correspondant au niveau atteint par les forces productives".
  Cette sociologie tranche parfois avec celle d'autres sociologies qui veulent présenter une vision "objective" des conflits : elle est une sociologie de combat en faveur des classes prolétarisées, que ce soit économiquement ou culturellement.     Et après MARX, il est difficile pour des sociologues de se définir comme neutres...

   Karl MARX et Friedrich ENGELS, Le Capital, 1872-1875; Les luttes des classes en France, 1848-1850; L'idéologie allemande, 1845-1846 ; Henri LEFEBVRE, Le marxisme, Presses Universitaires de France, collection Que sais-je?, 1974.

                                                                                                           SOCIUS

     
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1 mai 2008 4 01 /05 /mai /2008 12:39

       Une sociologie du dynamisme social.

            On rentre dans une explication sociologique qui rend compte du dynamisme social avec Georges BALANDIER. Les sociétés traditionnelles (entendre avant l'industrialisation) révèlent le conflit social fondamental par leurs mythes et légendes. Loin d'être des événements exceptionnels, au contraire d'une logique sociale aux dysfonctionnements intermittents, les conflits permanents sont domestiqués en quelque sorte par les religions. Ces élaborations logico-mystiques, ces institutions organisées avec leurs rites et leurs guides, permettent une distanciation des conflits liés fondamentalement aux différences entre sexes et entre âges.
          Georges BALANDIER, Anthropo-logiques, PUF, 1974.
 

     Une sociologie de classes sociales comme acteurs sociaux.

           Alain TOURAINE, sociologue engagé à des lieux d'une pseudo analyse neutre, prolonge l'analyse de la dynamique sociale en la concentrant sur les formes modernes des conflits. Considérant les classes sociales comme des acteurs sociaux, il examine des rapports sociaux, pas seulement des rapports de concurrence, pas seulement des superpositions dans l'ordre social, ni seulement des conflits entre classe dirigeante qui dit l'histoire, fait l'historicité et s'en sert, et classes populaires qui résistent à la domination. L'opposition des intérêts, qui se maintient également dans la société post-industrielle, n'apparaît plus seulement entre capitalisme et classes ouvrières sur le plan économique, mais plus largement entre système social dominant et l'ensemble des classes dominées sur le plan culturel. Les mouvements sociaux participent au déplacement de l'enjeu des conflits. Un véritable système d'action historique met aux prises des classes sociales non seulement sur ce qu'elles sont mais aussi sur ce qu'elles pensent être. C'est par les conflits qu'une société évolue et que les différentes classes sociales de cette société évoluent, et ces conflits mêlent aspects économiques et aspects culturels.
     Alain TOURAINE, Pour la sociologie, Seuil, 1974; Sociologie de l'action, Seuil, 2000.
 

    Une sociologie des espaces sociaux.

          Avec Pierre BOURDIEU, on aborde clairement la question de l'espace social des différentes classes sociales. Chaque classe sociale, dotée d'un capital, lequel est défini au sens large (économique, culturel...) évolue dans différents champs sociaux. Du coup, les conflits y sont reconnus, dans ces champs sociaux, comme une dimension permanente des pratiques sociales. Il y a bien lutte des classes, les agents des différentes classes sont en concurrence pour l'obtention de biens rares, de tout genre, économiques, sociaux, symboliques. Particulièrement symboliques, car c'est la domination dans ce champ qui est la plus importante. Elle assure la domination en douceur, sur la répartition des biens rares de toutes sortes. Notamment d'ailleurs dans le champ scolaire qui assure la reproduction et la légitimation de l'arbitraire culturel défini par les classes dominantes. Pierre BOURDIEU étudie les pratiques sociales de distinction, de séparation entre les diverses classes sociales qui se déroulent dans l'espace social hiérarchisé. L'espace social est finalement un champ de forces opposées et les conflits structurent la vie quotidienne de tous les acteurs sociaux, qu'ils soient collectifs ou individuels.
    Pierre BOURDIEU, La distinction, critique sociale du jugement, Les éditions de minuit, 1980; La reproduction, éléments pour une théorie du système d'enseignement, Les éditions de minuit, 2005.
 

  Une sociologie de la complexité sociale

      Edgar MORIN pose la question de l'analyse des phénomènes complexes en tenant compte de leurs dimensions contradictoires (conflit/consensus, raison/imaginaire...) et surtout de la méthode d'analyse elle-même. Se haussant à la hauteur du projet d'un DESCARTES (Discours de la méthode), il tente d'élaborer une science du complexe toute en élaborant une méthode de changement du monde. Ordre et désordre, organisation et processus de désorganisation ont tous des interactions où se rencontrent constamment antagonismes et coopérations. Tout cela - le changement réel, vers un monde meilleur ou moins mauvais - n'est possible que par l'existence d'une éthique dont il tente de cerner les termes : autonomie d'esprit, véracité, justesse et justice, intégrité, prudence et tolérance. Il rejoint alors plus des préoccupations philosophiques que sociologiques.
     Edgar MORIN, La complexité humaine, Flammarion, Champs, l'essentiel, 1994; Edgar MORIN, Sociologie, Fayard, 1984.

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30 avril 2008 3 30 /04 /avril /2008 12:22
  Quelle sociologie du conflit ?
          Une approche sociologique du conflit est inséparable d'une option psychologique, philosophique, sociale générale. Il faudrait être légèrement niais pour concevoir l'approche sociologique du conflit d'un auteur en pensant qu'il l'aborde selon une option froide, objective, à la manière d'une science exacte. Et même s'il se met à écrire qu'il cherche par son étude à rapprocher les sciences sociales des sciences de la nature, son approche signe déjà sa préférence, disons-le, politico-sociale, sa position dans la société, selon qu'il considère l'individu ou la société comme la source du conflit, suivant qu'il pense le conflit comme normal ou pathologique, suivant encore qu'il possède une "tendance naturelle" à nier ou à minorer certaines formes de conflit, à amplifier et à majorer certains autres.
    Ainsi, on peut déjà effectuer une distinction entre des sociologies du conflit et des sociologies du consensus ou de cohésion sociale, dans la mesure où les options prises apparaissent dans les prémisses des écrits des auteurs... ce qui n'est pas toujours le cas!  Appelons un chat un chat : lorsque Marx et les marxistes mettent l'accent sur la lutte des classes et qu'ils élaborent des outils de compréhension de la production et de l'appropriation des richesses, ils ne présentent pas du tout la même sociologie que lorsque Boudon et Bourricaud, par exemple, partent des interractions individuelles pour expliquer les conflits.
  
         Dans un premier temps, évoquons l'attitude des différentes sociologies vis-à-vis du conflit. Comme l'expliquent Pierre ANSART dans son "Sociologies contemporaines" (Seuil, 1998) et Pierre DURANT et Robert WEIL dans leur "Sociologie contemporaine" (Vigot, 2002), un moyen sûr de comprendre ce qui rapproche et ce qui sépare les auteurs comme Marx et Boudon est d'opposer leur analyse du conflit.

    Une sociologie dite de l'individualisme méthodologique
          Aujourd'hui, en France, une grande part de la sociologie dominante repose sur ce que l'on appelle l'individualisme méthodologique, qui fait des acteurs individuels les éléments premiers de l'analyse.
    Les comportements individuels constituent la source des conflits de tout genre. Et, dans les système d'interdépendance et d'interaction que constituent les sociétés, les conflits seraient autant de dysfonctionnements. L'agrégation des conduites des différents acteurs, dans un cadre donné (une usine, une administration, un Etat...), conduit à toute une série d'effets non désirés et pervers, parfois violents. L'analyse d'un conflit renvoie à l'analyse des motivations, des choix et des actions des acteurs. Selon Raymond BOUDON, la logique du conflit social, c'est la logique de l'interprétation des situations par les acteurs qui choisissent des degrés de coopération et de conflit souhaitable pour eux, en faisant référence à la théorie des jeux.
          Raymond BOUDON, la logique du social, Hachette littératures, 2001; Raymond BOUDON, François BOURRICAUD, Dictionnaire critique de la sociologie, PUF, Quadrige, 2004.

         Une sociologie des organisations
                    S'intéressant surtout à la sociologie des organisations (industrielles, bureaucratiques), Michel CROZIER considère, lui, l'affaiblissement des relations interpersonnelles.
     Les conflits sont déterminés par la structure bureaucratique de l'organisation et les acteurs sociaux utilisent pour leurs propres objectifs, l'existence même des tensions induites par l'impersonnalisation des relations dans l'entreprise. Ils utilisent les zones d'incertitude du comportement de leurs collaborateurs proches ou lointains et manipulent leurs propres zones d'incertitudes dans une sorte de jeu collectif. Particulièrement, les acteurs cherchent à accroître leurs propres zones d'incertitude et à affaiblir celles de leurs collaborateurs. Une telle conception majore fortement la part d'activité des différents acteurs, possédant chacun leur système d'action, sans nier que les marges de liberté sont variables selon les acteurs et selon les organisations. Cela minore bien souvent l'intensité des conflits.
            Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG, l'acteur et le système, Seuil, 1977 ; Michel CROZIER, le phénomène bureaucratique, Seuil, essais, 2005.

                                                                                                 SOCIUS
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