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5 juillet 2011 2 05 /07 /juillet /2011 09:44

       L'écrivain français, de son vrai nom François Marie AROUET, est sans doute le plus connu et occupe une place particulière dans la mémoire collective française. Toujours encensé pour certaines oeuvres, ignoré pour une quantité d'autres, le philosophe est l'un des plus prolifiques des Lumières françaises.

Il fait figure, et il combat beaucoup durant toute sa vie pour cela, de chef de file du parti encyclopédique, même si paradoxalement, il prend ses distances - quitte à en produire un lui-même tout seul - avec l'Encyclopédie raisonnée de DIDEROT et d'ALEMBERT. Ses oeuvres, dont certaines font partie depuis des lustres du programme scolaire, se partagent entre des romans, des poésies, des traités et un Dictionnaire philosophique portatif, tous au service d'une idée de l'homme et de la société, avec un style souvent mordant, voire insolent (il est embastillé plusieurs fois, même si c'est aussi à cause de ses habitudes de coureurs de femmes durant sa jeunesse...), persifleur et toujours polémique.

Si La Henriade (1728), Zadig (ou la Destinée) (1748), Candide ou l'Optimiste (1759) sont bien connus parmi ses oeuvres littéraires, ses pièces de théâtre (Oedipe - 1718, L'indiscret - 1725, Samson (opéra de 1732), La mort de César - 1736, La Prude - 1748, Le Baron d'Otrande (opéra bouffe de 1769) et Agathode - 1778, parmi un nombre important d'autres sont tombés dans l'oubli. Ses oeuvres politiques ou philosophiques les plus érudites et les plus remaniées parfois, écrites surtout dans la seconde partie de sa vie d'écrivain (à partir de 1718 environ) constituent toujours des oeuvres de référence, jusque dans le pensum officiel de la République française, même si bien entendu, passé la vie scolaire et universitaire, le citoyen moyen ne les lit guère : Histoire de Charles XII (1730), Lettres philosophiques ou Lettres anglaises (1734), Traité de métaphysique (1736), Le siècle de Louis XIV (1751), Poème sur le désastre de Lisbonne (1756), Essai sur les moeurs et l'esprit des nations (1756), Traité sur la tolérance (1763), Dictionnaire philosophique portatif (1764), Le philosophe ignorant (1766), Questions sur l'Encyclopédie (1770), Éloge historique de la raison (1774), De l'âme (1776), La Bible enfin expliquée par plusieurs aumôniers de S M L R D P (1776)... marquent son époque et celle de la Révolution française. Elles couvrent seize volumes parus dans la Bibliothèque de la Pléiade (dont treize de correspondance, tant les écrivains de cette période communiquaient, sans doute plus qu'aujourd'hui...). A noter que dans nombre d'ouvrages, il s'agit pour VOLTAIRE, en prenant faussement un thème (c'est éclatant lorsqu'il traite de l'Islam...), de développer une fois de plus ses attaques contre les christianismes officiels, l'intolérance et le fanatisme.

 

            L'histoire et ses leçons constituent dans l'esprit de VOLTAIRE une source d'expériences au service de la raison qu'il s'agit de revaloriser sans relâche, contre tous les préjugés. Tant dans l'Histoire de Charles XII (1730) que dans Le Siècle de Louis XIV (1751) ou dans l'Essai sur les moeurs et l'esprit des nations (1756). Il inaugure une manière d'écrire l'histoire qui, sans retenir l'ensemble des principes méthodologiques énoncés par Pierre BAYLE, témoigne de nouvelles exigences : l'histoire doit être émancipée des données de la religion et des textes sacrés, elle ne doit pas être simplement au service de la grandeur des princes, elle ne doit pas non plus s'intéresser seulement aux grandes batailles et à la geste héroïque des rois et de leurs armées, elle doit au contraire être attentive à l'ensemble de ce qui constitue la vie d'un règne, d'un pays, d'une époque. La marche des sciences, des arts, des finances, du commerce et des moeurs est plus importante que les événements militaires. Il faut dé-théologiser l'histoire. Autrement, la philosophie voltairienne de l'histoire est cyclique, non linéaire et surtout pas téléologique. Chaque siècle a une relative autonomie, chacun d'eux connaît la décadence et s'achève dans le chaos. Aucun progrès n'est jamais irréversible. En tout cas, le développement de la raison doit permettre aux hommes de tirer les meilleurs enseignements de leur histoire, malgré son pessimisme anthropologique (sur la nature humaine).

 

           Son Traité de métaphysique (1736) est une véritable entreprise de démolition, reprise et amplifiée d'ailleurs dans le Dictionnaire philosophique portatif (1764). Toute la métaphysique est un songe, une interminable rêverie. Le métaphysicien prétend connaître ce qui lui échappe nécessairement : la nature de l'âme, l'essence de la matière, l'origine des choses, les attributs de Dieu, car de toute manière tout cela échappe à l'intellect de l'homme. Il n'y a pas à faire de différences entre les matérialistes et les substantialistes, tous deux sont dans la même erreur.

Les dialogues de Posidonius et de Lucrèce présentent un Voltaire acharné à montrer que l'idée d'une matière qui s'auto-organiserait est confuse et contradictoire. Opposée à la métaphysique, ne subsiste que la philosophie vraie, celle qui, loin de spéculer dans le vie, fonde au contraire nos connaissances sur la sensation, sur le rapport que notre corps entretient avec le monde. Cette philosophie s'élève par le calcul, la comparaison et l'induction, jusqu'à la connaissance de lois qui organisent le flux des phénomènes, et cela suffit. Ce n'est que par les progrès de la philosophie expérimentale que l'homme peut aller plus loin. Sa réflexion fait de Voltaire un "maillon dans la chaîne qui conduit au triomphe du positivisme au XIXe siècle" (Ghislain WATERLOT).

 

            Le Traité sur la tolérance s'inscrit dans une longue série d'affaires judiciaires où Voltaire entend s'élever contre le fanatisme et l'intolérance. Ceux de l'Église catholique comme ceux du protestantisme, ceux des Parlements comme ceux des princes. Il s'est passionné, jusqu'à l'obsession, notamment sur plusieurs affaires : affaire Calas, à l'origine du Traité (1762), affaire Sirven (1764), affaire du chevalier de la Barre (1766) et affaire Lally-Tollendal (1776). Dans de courts écrits publics, en très grand nombre, qui alimentent gazettes et autres publications, il s'adresse ouvertement aux ministres, pendant qu'il fait en même temps antichambre pour obtenir d'eux appuis pour faire gagner les procès. 

Jacques Va den Heuvel, qui introduit une présentation de l'affaire Calas, nombreux documents à l'appui, écrit que "c'est (...) très logiquement qu'il s'adresse aux ministres, et par leur intermédiaire au roi, en qui il met tous ses espoirs. Le Traité sur la tolérance est donné comme une "requête que l'humanité présente très humblement au pouvoir et à la prudence". Alors que dans son Essai sur la société des gens de lettres et des grands, d'Alembert prêche aux premiers à l'égard des seconds une réserve, une indifférence polies, Voltaire use de tous ses talents pour faire le siège des gens en place. Il sait que pour n'importe quelle affaire, "il faut toujours trouver la porte du cabinet". Il a retenu du grand siècle que l'"art de plaire" consiste à se proportionner à son interlocuteur, à employer son langage, si l'on veut se concilier ses faveurs. Les d'Argental, cela se devine, étaient bien plus friands de théâtre que de Calas. Si Voltaire, non sans une certaine inconvenance, leur désigne toujours comme "ses roués" la tragédie du Triumvirat qu'il a mise sur le chantier, c'est, n'en doutons pas, pour se ménager d'habiles transitions, et glisser comme en contrebande à ses protecteurs un mot de ses protégés, avant de "baiser le bout de leurs ailes". Et plus il approche du sommet, avec le Maréchal duc de Richelieu, Chauvelin, Choiseul, plus il fait miroiter toutes les facettes de son esprit, prodigue flagorneries, caresses et tous autres raffinements puisés dans sa vieille expérience de courtisan. Quitte à orchestrer le scandale dans le même temps qu'il sollicite : nul n'a son pareil pour ameuter, pour susciter un charivari qu'il appelle non sans humour le "concert des âmes vertueuses". Surtout lorsque c'est celui du "sang innocent", selon le beau titre qu'il adoptera pour un pamphlet bien ultérieur, le cri réveille, brisant la conspiration du silence. le cri fait peut, effrayant "les animaux carnassiers, au moins pour quelques temps", et, surtout, "le cri individuel engendre le cri public", qui s'enfle et devient "criaillement" ; tel est le sens du mot d'ordre envoyé de Ferney pendant l'été 1662 (...)."

Le traité lui-même s'ouvre par un exposé "abrégé" de la mort de Jean Calas, et de là découle toute une diatribe contre l'intolérance qui fait appel autant à des arguments théoriques qu'à des persiflages continuels. Il retourne toute une argumentation selon laquelle l'intolérance est un droit humain, elle est enseignée par Jésus-Christ ; elle est de droit divin dans le judaïsme et comment elle fut mise en pratique, en terminant sur l'utilité d'entretenir le peuple dans la superstition. Des additions furent faite au livre lors de la réhabilitation de Jean Calas. Il ne faut surtout pas se fier uniquement à ce traité pour connaître l'affaire en elle-même, car le texte est parsemée de déformations et de manipulations, mais l'essentiel n'est pas là : tous les moyens sont bons en rhétorique pour obtenir la reconnaissance de l'innocence d'un homme supplicié.

 

          Le Dictionnaire philosophique portatif (1764), les questions sur l'Encyclopédie (1770) et d'autres textes font partie d'un projet de longue haleine de Voltaire qui lutte alors sur deux fronts : contre le pouvoir religieux, principalement et contre ses "collègues" philosophes.

Après avoir collaboré à l'Encyclopédie de DIDEROT et d'ALEMBERT depuis 1755-1756, il s'éloigne de cette grande entreprise (à la suite du scandale dû à la publication de l'article "Genève", qui failli en stopper la publication...). Il pense que cette Encyclopédie est trop volumineuse pour être une arme véritablement efficace. Aussi, il revient à une de ses idées premières ; publier "son" encyclopédie, sa manière de comprendre les idées de son temps. Suivant en cela une grande mode à l'époque, il publie progressivement, de 1765 à 1769 ses articles sur le Cathéchisme du jardinier, l'Enthousiasme, la Liberté de pensée, Nécessaire, Persécution, Philosophe, Sens commun... Carême, Inquisition, Torture... prenant parfois à contre-pied les articles correspondant de l'Encyclopédie... D'une centaine de mots, ce Dictionnaire concrétise sa vision militante et son ambition d'être le patriarche du mouvement philosophique. 

 

         C'est d'abord en philosophe que VOLTAIRE écrit. Des Lettres philosophiques de 1734 au Dictionnaire philosophique de 1764, il prétend bien reformuler. Mais, de fait, s'il est un vulgarisateur de génie, Voltaire n'est pas un bâtisseur de système philosophique, à l'image de certains philosophes inspirateurs des Lumières. Mais il formule, à force de combattre l'injustice, une doctrine originale de la tolérance, propose une critique de la métaphysique et envisage une réforme de la justice.

Toute sa plume est tendue pour "écraser l'infâme" (Lettre à Damilaville, 1765). L'infâme, c'est le fanatisme sous toutes ses formes, plus spécialement sous sa forme chrétienne. Pour lui, l'Église est une figure privilégiée de l'Infâme. Mais c'est surtout à partir des années 1760 que ses écrits rageurs la ciblent de manière privilégiée. Parce qu'elle est l'Église la plus assoiffée de pouvoirs temporels, parce qu'elle a créé un nombre considérable d'institutions tout à fait inutiles et socialement nuisibles (les monastères), parce qu'elle est l'Église dont la théologie est la plus délirante (la transsubstantiation par exemple). Le fanatisme est un délire soutenu par le meurtre. Effectivement, tant que l'on se borne à se plaire aux extases comme aux visions, tant que l'on se contente de prendre ses songes pour des réalités et ses imaginations pour des prophéties, on est simplement enthousiaste. Quand on y ajoute le recours à la violence et l'intention délibérée d'imposer ses visions à tous et à chacun, on est un fanatique. Un enthousiaste peut être toléré. Un fanatique doit être résolu combattu. Il est la peste du genre humain. Mêmes si les fondateurs de religion ne sont généralement pas fanatiques, tous les prêtres qui la servent le deviennent plus ou moins avec le temps.

La religion est véritablement une hantise pour VOLTAIRE : dans l'édition de 1769 du Dictionnaire portatif, sur 118 articles, pas moins de 78 impliquent directement les religions. En  fin de compte, toutefois, Voltaire semble se comporter parfois comme un fondateur de religion, comme le refondateur du déisme. Dans le Recueil nécessaire, publié en 1765, Voltaire réuni "le catéchisme de l'honnête homme" et le "Sermon des cinquante" avec la "Profession de foi du vicaire savoyard", un des rares textes de ROUSSEAU pour lequel il ait de l'admiration. Puis en 1768, pour faire pièce d'ailleurs à ROUSSEAU, qu'il considère comme son plus grand rival, il écrit la Profession de foi des théistes... Le théiste qu'il est croit en l'existence d'un Être Suprême - thème qui est repris pendant la Révolution - aussi bon que puissant, qui a formé tous les êtres étendus, végétants, sentants, et réfléchissants ; qui perpétue leur espèce, qui punit sans cruauté les crimes, et récompense avec bonté les actions vertueuses. Un Être qui intervient donc beaucoup dans la vie des hommes, influence évidente d'un catholicisme séculaire en France. Ce thème est présent sous quantité d'habillages chatoyant et ridicule de multiples religions positives... Il s'agit de substituer, et cela devrait être le devoir des "princes éclairés", à cette religion intolérante qu'est le christianisme, une autre religiosité, au culte et aux rites réduits au minimum.

Mais au rôle également, réduit de plus en plus au fur et à mesure que la raison poursuit son chemin vers la vérité. La tolérance, chez VOLTAIRE, notamment dans son dialogue avec la vision de BOSSUET - pour qui la radicale intolérance de l'Église est un signe supplémentaire en faveur de la vérité de la foi et du droit d'ingérence de l'Église dans la vie publique - possède un rôle politique précis, et pas seulement une dimension morale : en ruinant peu à peu les religions positives traditionnelles, elle favorisera l'avènement et la reconnaissance universelle du théisme. (Ghislain WATERLOT)

 

VOLTAIRE, L'affaire Calas et autres affaires, Traité sur la tolérance, édition de Jacques Van den HEUVEL, Gallimard, 1975 ; Oeuvres complètes de Voltaire, nouvelle édition avec notices, préfaces, variantes, table analytique, conforme pour le texte à l'édition de Beuchot, en 52 volumes de 1883, publié chez Garnier-Frères, Éditions de la Pléiade ; Le Dictionnaire philosophique, sous la direction de Christiane Mervaud, Voltaire Foundation, 1994-1995, en deux volumes.

Pratiquement tous les textes de VOLTAIRE, tombés dans le domaine public, sont disponibles sur Internet.

Sous la direction d'Eric FRANZACALANZA, Voltaire patriarche militant, Dictionnaire philosophique (1769), PUF/CNED, 2008. Ghislain WATERLOT, Article Voltaire, dans Le vocabulaire des philosophes, tome 2, Ellipses, 2002.

 

Relu le 20 juillet 2020

 

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