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10 juillet 2011 7 10 /07 /juillet /2011 14:25

              Nées au siècle des "Lumières", les philosophies d'Emmanuel KANT et de Friedrich HEGEL abordent la guerre pratiquement comme départ de leurs conception de l'histoire, forcés en quelque sorte par les événements historiques de le faire.

Ces deux philosophes tournent en dérision toutes les constructions juridiques, notamment celles qui, dans le nouvel ordre européen à naître, veulent établir l'équilibre entre les nations. KANT et HEGEL, à la suite de ROUSSEAU notamment, malgré leurs différences, écrit Pierre HASSNER, sont "unis dans une même ironie envers les théoriciens du droit international et de la diplomatie (contre) une légitimation (que ceux-ci professent), avec indignation (...) au nom de l'immoralité de la guerre. D'une part, si le droit est fondé uniquement sur la volonté des États et si ceux-ci ont pour nature et pour devoir de ne tenir leurs engagements que tant qu'ils correspondent à leurs intérêts, s'il n'y a ni loi universelle ni arbitre pour la faire respecter en sanctionnant ceux qui la violent, à quoi servent les jurisconsultes, sinon à donner des alibis juridiques aux calculs des puissants et à une situation qui est la négation même du droit?

Certes, Kant lui-même énoncera les principes d'un droit de la guerre (Vers la paix perpétuelle et Doctrine du droit) ; mais celui-ci reposera précisément sur l'obligation de sortir de l'état de guerre pour instituer l'état de paix. Au fond, pour Rousseau, pour Kant et pour Hegel, le droit international, et en particulier le droit de la guerre, est problématique à la fois quant à son fondement et quand à son application. Rousseau et Kant reprochent aux juristes de conclure du fait au droit, Hegel reproche au droit international de rester "sur le mode du devoir-être (Principes de la philosophies du droit). Tous trois en appellent à un juge qui se situe en deçà ou au-delà du droit, dans leur philosophie de l'homme, de la société et de l'histoire."

                   Cette contestation sur la recherche, illusoire et trompeuse selon eux, d'un équilibre politique et militaire en Europe était déjà à l'oeuvre avec LOCKE et MONTESQUIEU, qui prônaient selon diverses modalités la substitution de l'économique au politique. Mais pour ROUSSEAU, c'est précisément la propriété et le commerce, la recherche du luxe et la civilisation elle-même en fin de compte qui sont source de guerre et d'oppression. Parce qu'elle provoque l'opposition des riches et des pauvres que le droit sanctifie ensuite, parce qu'elle encourage l'amour-propre, l'individualisme dirions-nous aujourd'hui, que le commerce est la source de tous les maux. Seul un retour à la simplicité et aux petits ensembles politiques (comme le canton de Genève...) austères et homogènes, peut ramener la paix à l'intérieur et éloigner la guerre à l'extérieur. KANT et HEGEL, et plus tard MARX acceptent le retournement opéré par la philosophie rousseauiste, mais le renversent à leur tour, comme l'écrit Pierre HASSNER.

 

Kant et la philosophie de la guerre

                 Pour KANT, ce sont bien les passions et les vices, la discorde et la guerre qui font la culture et l'histoire ; mais ce sont elles qui préparent les voies de la morale, de la concorde et de la paix. Dans Histoire universelle au point de vue cosmopolitique, le philosophe allemand affirme que l'homme veut bien la paix mais que c'est la nature qui sait mieux ce qui est bon pour son espèce. C'est la crainte constante de la guerre qui amène de force les chefs d'État la considération de l'humanité. Au degré de culture où nous sommes encore, la guerre reste un moyen indispensable pour l'améliorer encore ; et ce n'est qu'à l'achèvement de cette culture, si l'on suit encore KANT (Conjecture sur les débuts de l'histoire humaine), que la paix universelle arrivera. Cette philosophie de la guerre et de la paix possède trois dimensions, qui s'articulent plus ou moins bien, dans des oeuvres écrites dans des circonstances il faut le rappeler différentes : c'est une philosophie morale, une philosophie juridique et une philosophie de l'histoire. Le même philosophe expose dans Vers la paix perpétuelle, les différents termes de l'accord nécessaire que Pierre HASSNER résume en trois articles :

- La Constitution civile de chaque État doit être républicaine ;

- Le droit des gens doit être fondé sur une fédération d'États libres ;

- Le droit cosmopolitique doit se borner aux conditions d'une hospitalité universelle.

Cela montre que KANT recule devant la perspective d'un État mondial qui risque d'être tyrannique et inefficace et même devant l'idée d'une fédération d'État qui inclue tous les États, et se contente d'une alliance très lâche d'États contre la guerre sans pouvoir contraignant (ce qui mène à la conception d'une Société Des Nations...). Paradoxalement, le philosophe allemand, comme s'il recule devant l'énormité de la tâche à entreprendre et le fossé entre la réalité de son temps et cette utopie, retombe dans la perspective ancienne d'équilibre entre les États. En fait, après l'écrite des oeuvres précédemment citées, cela se passe comme si tout en fait était encore à concevoir.

 

Hegel et la philosophie de la guerre

              Pour HEGEL, dans une démarche à la fois parallèle et opposée, c'est bien le travail du négatif qui fait l'histoire, plus encore que chez KANT, et qui mène à la réconciliation. Dans sa philosophie de l'histoire, la guerre remplit une fonction essentielle, celle de l'unification de l'espèce humaine, mais elle tend à perdre cette fonction. En partie parce qu'elle tend à devenir impossible en Europe tant les intérêts s'imbriquent entre les nations. Mais elle possède encore un grand rôle dans les régions encore peu civilisées ou dans les régions où l'Etat est insuffisamment développé. Tant dans La Phénoménologie de l'esprit que dans Principes de la philosophie du droit, le philosophe allemand indique, loin de ce qu'il critique comme l'illusion pacifiste et universaliste de KANT, qu'il se rallie à la pluralité des États, car l'alliance ou la confédération ne peuvent demeurer que contingentes et donner lieu à des désaccords qui ne peuvent se résoudre que par la guerre. Beaucoup plus que KANT, HEGEL réagit contre l'égoïsme de la société civile et essaye, à partir d'elle, de retrouver le sens de la communauté, de l'autorité et de l'action, qui étaient, selon une perception sans doute plus rêvée qu'exacte, au coeur de la politique des Anciens. Mais il reste pessimiste quant au résultat d'efforts dans ce sens : l'individu moderne n'a de rapport avec l'Etat que par les impôts et le service militaire, la vertu se réduit à la conscience professionnelle et à l'honneur des femmes, la guerre elle-même, depuis l'apparition de la technologie basée sur la poudre, est devenue impersonnelle et abstraite (Système de la vie éthique).

              Pierre HASSNER estime qu'au fond, pour HEGEL, philosophe de la guerre, celle-ci avait à certains égards la même fonction que la morale pour KANT, philosophe de la paix : arracher l'homme à lui-même, c'est-à-dire au primat des besoins et de calcul. Et pourtant, c'est bien la société de l'économie politique, c'est bien le monde de l'industrie et du commerce, celui des penseurs anglais du XVIIe et XVIIIe siècles, celui des libéraux français, de Montesquieu à Constant, c'est bien le primat du privé sur le public, de l'individu sur l'État, de la sécurité sur la gloire, qui progresse à travers les constructions de l'idéalisme allemand, malgré ses appels à l'héroïsme moral ou politique."

 

Une séquence Kant-Fichte-Hegel?

      Alexis PHILONENKO dans son Essai sur la philosophie de la guerre, effectue l'étude, dans trois chapitres différents, de la séquence KANT-FICHTE-HEGEL qui permet de comprendre les inflexions sur une même problématique des unes et des autres. Ces trois philosophes idéalistes fournissent nombre d'éléments de base d'une réflexion tout-à-fait contemporaine sur la guerre.

 

Dans un article paru dans la Revue Guerres et Paix en 1968 (PUF, fascicule 7, 1968/1), le professeur émérite de l'Université de Rouen examine le problème de la paix vu par KANT. "Si la paix perpétuelle n'était qu'un rêve, écrit-il, (...) on comprendrait mal que la réflexion philosophique s'y abandonne, car un rêve manque toujours de vérité. Mais qui rêve? Ou plus exactement, pour qui la paix perpétuelle n'est-elle qu'un rêve? A cette question Kant a donné une réponse très précise, qui justifie son entreprise : la paix perpétuelle n'est un rêve que pour le philosophe considéré en sa réalité concrète, c'est-à-dire comme un individu, bien incapable de régler par ses propres forces, comme il le voudrait, le déroulement de l'histoire humaine. En revanche pour la raison, que le philosophe doit représenter, la paix perpétuelle loin d'être un rêve est une Idée nécessaire (Projet de paix perpétuelle). La paix perpétuelle, dira Fichte commentant l'ouvrage de Kant, est une idée principielle, fondée dans l'essence de la raison qui en exige absolument la réalisation. La réflexion sur la paix perpétuelle est une exigence de la raison." Rappelant que c'est par ce petit texte, Projet de paix perpétuelle, qu'en 1796, que fut introduite en France la philosophe transcendantale allemande, Alexis PHILONENKO discute du point de vue de Kant surtout à partir de celui-ci. L'originalité de KANT est que s'il peut espérer en la paix perpétuelle, à la suite d'une longue lignée d'écrivains, ou au moins en un équilibre humain qui s'en rapproche, c'est parce qu'il reconnaît la guerre comme état de nature. C'est uniquement parce que le problème est posé en termes désespérés qu'il est susceptible d'une solution. Il est nécessaire que l'homme passe enfin d'une histoire déterminée par la guerre, c'est-à-dire d'une histoire dialectique à une histoire fondée sur la paix et comme telle non-dialectique. Mais alors qu'en 1784, le philosophe allemand pose la question de la possibilité d'un État mondial, disposant d'un pouvoir législatif, judiciaire et exécutif (Idée pour ne histoire universelle au point de vue cosmopolitique), il la repousse en 1795 dans le projet de paix perpétuelle, en se contentant de proposer un fédéralisme d'États libres républicains. A cela il y a plusieurs raisons, juridique (difficultés pour les États de sortir de leur constitution interne), sociologique (sensibilité nationale), psychologique (l'idée de la Civitas gentium parait encore chimérique...), morale (la réalisation de cet État mondial suppose sans doute un désordre plus grand que celui existant). Alexis PHILONENKO résume en écrivant : "D'un point de vue politique, cette solution est affectée par un vice fondamental : elle demande trop à la volonté humaine et elle n'attend pas assez de la nature. De toute évidence il faut choisir la solution qui demande le moins à l'homme plein de faiblesses et à laquelle la si puissante nature pourra le plus contribuer." Emmanuel KANT prône l'évolution, non la révolution, sans doute au su des événements de France. De plus, pour parvenir à un tel Etat, il faudrait que tous les peuples se donnent une constitution républicaine et ne dépendent plus du bon vouloir de monarchies régies par la logique de leurs seuls intérêts.

Mais surtout, KANT condamne la Révolution française, selon Alexis PHILONENKO, car accorder le droit de révolution, c'est accorder le droit de résistance et menacer l'ordre, instaurer un désordre qui rend impossible toute construction politique. La révolution imagine possible de brûler les étapes, alors que l'éducation doit faire pénétrer l'idée de paix dans les esprits. Elle tombe dans la contradiction consistant à vouloir imaginer le règne de la raison par la violence. D'autre part, la révolution méconnaît la nature et ne pèse pas suffisamment les différentes forces qui s'opposent et elle ne comprend pas le sens du devenir. L'idée de justice ne peut régner que par la neutralisation progressive de ces forces.

 

Dans le fascicule suivant (fascicule 9), Alexis PHILONENKO analyse le développement de la pensée politique de FICHTE : parti des principes de la philosophie politique de l'Aufkärung (les "Lumières" allemandes) et d'une conception rationaliste pure, il en est venu sous la pression des événements à repousser l'idée d'une fédération internationale garantissant la sécurité et la paix dans les relations entre les États. Dans ses premiers ouvrages politiques (Considérations destinées à rectifier le jugement du public sur la Révolution française, 1793), le philosophe allemande se réclame plutôt de ROUSSEAU, éveilleur de l'esprit humain selon sa formule. Plus tard, en 1807, dans une étude consacrée à MACHIAVEL (Uber Machiavelli als Schriftsteller), c'est plutôt le retour à la raison d'État : "Le principe de la politique de Machiavel, qui est aussi la nôtre, écrit-il, comme nous nous permettons de l'ajouter sans honte, ainsi que le principe de toute théorie cohérente de l'État, est contenu dans le texte suivant de Machiavel : "Quiconque veut fonder un État et lui donner des lois, doit supposer d'avance les hommes méchants, et toujours prêts à montrer leur méchanceté toutes les fois qu'ils en trouveront l'occasion."". Sans même la précaution de l'auteur de Le prince sur le fait que ce penchant demeure caché parfois un temps, FICHTE ne voit aucun intérêt à cerner les ressorts et les moments de cette méchanceté. Le principe de machiavel est retenu comme non une vérité d'expérience, mais à titre d'hypothèse rationnelle, ce qui donne à l'État une fonction très modeste : faire régner non pas la paix, mais au moins l'apparence de paix. De toute façon, comme il l'écrit (Rechtslehre), "Dans les rapports avec les autres États, il n'y a ni Loi, ni Droit, si ce n'est le droit du plus fort ; c'est ce qui justifie la remise entre les mains responsables du prince des droits de souveraineté divine du destin et du Gouvernement Mondial en le faisant élever au-dessus des préceptes de la morale individuelle dans un ordre éthique supérieur dont le contenu est compris dans ces mots : alus et decus populi suprema lex esto." FICHTE donne son adhésion aux règles de la politique machiavélique, dans une sorte d'acte de naissance de la Realpolitik unifiant le principe de puissance internationale et la dictature interne.Avec lui, c'est la fin non seulement de l'humanitarisme révolutionnaire, mais aussi de toute idée kantienne de cosmopolitisme, au profit d'un retour à la croyance en l'équilibre des forces comme facteur de paix, ou plutôt comme établissant l'impossibilité de conduire une guerre victorieusement.

Dans ses Dialogues patriotiques : le patriotisme et son contraire, sorte de préface des Discours à la nation allemande (1807), il cherche à concilier le cosmopolitisme avec ce patriotisme, mais se faisant introduit l'idée de la nation salvatrice porteuse du destin de l'humanité, idée dangereuse, nous pouvons le juger rétrospectivement. Même si dans son argumentation, il distingue le faux patriotisme (louer aveuglément tous les actes du gouvernement) au vrai patriotisme (vouloir que les fins de l'humanité soient réalisées dans l'État et la nation dont on se trouve membre, ce qui est le cosmopolitisme selon FICHTE), nombre de vulgarisateurs de ses idées passent par-dessus cette distinction pour ne plus voir que la possibilité pour l'Allemagne (et par ricochet des penseurs d'autres pays peuvent reprendre cette idée à leur compte) d'être le guide spirituel et matériel du monde. On ne trouve pas, écrit Alexis PHILONENKO, dans les oeuvres de FICHTE, une matrice du national-socialisme et encore moins des théories raciste "biologiques", mais seulement, ce qui est sans doute encore plus dangereux, car susceptible d'inspirer une orientation politique et stratégique, l'idée de la nation salvatrice, même à contresens des intentions du philosophes allemands qui multiplient les explications sur les objectifs de l'Etat.

 

Au fascicule 11, Alexis PHILONENKO, aborde les questions de l'éthique et de la guerre dans la pensée de HEGEL. Influencé surtout par SCHELLING avant d'en être l'adversaire, pour qui on ne peut espérer atteindre l'idée d'une constitution parfaite,  "sans une organisation qui dépasse l'État particulier, sans une fédération de tous les États, qui se garantissent réciproquement leurs constitutions", HEGEL estime que l'idée kantienne de KANT de paix perpétuelle ne peut rester qu'un "doux rêve". L'histoire du monde est le tribunal du monde, selon une formule de SCHILLER qu'il reprend à son compte et la guerre est nécessaire pour préserver la santé du peuple. Ses écrits (notamment dans Philosophie du droit...) fourmille de tonnantes glorifications de la guerre : "Entre eux, les États se trouvent plutôt dans un état de nature que dans un état de droit. C'est pourquoi la lutte est incessante entre eux, ce qui les oblige à conclure des traités et à se situer ainsi vis-à-vis les uns des autres dans un état de droit. Mais d'un autre côté, ils sont pleinement autonomes et indépendants les uns des autres. le droit entre eux n'est donc pas effectif. Ils peuvent à cet égard rompre arbitrairement les traités et conservent nécessairement à cet égard une certaine méfiance réciproque. En tant d'essences naturelles, ils usent entre eux de violence pour conserver leur droit : il faut imposer eux-mêmes leur droit et par conséquent se faire la guerre les uns aux autres." Dans la Phénoménologie de l'esprit, il célèbre la guerre qui élève au-dessus d'elle même la communauté éthique et qui l'unifie : "La guerre est l'esprit et la forme dans lesquels le moment essentiel de la substance éthique, c'est-à-dire l'absolue liberté de l'essence éthique autonome à l'égard de tout être déterminé, est présent dans l'effectivité et la confirmation de soi de la substance éthique." En fait, l'exégèse des oeuvres de HEGEL, contradictoire, témoigne de la difficulté de trouver dans son oeuvre un réel pivot central, et singulièrement sur la question de la guerre et de la paix. Il est parfois difficile de dégager la contingence de certaines formules et l'enchaînement d'une pensée qui elle-même semble subir des transformations. Les commentaires sur La philosophie de l'histoire sont à cet égard révélateurs, puisque des plumes en ont fait la racine de certaines doctrines du IIIe Reich... alors même que de véritables auteurs comme ROSENBERG et BAEUMLER entreprennent de critiquer HEGEL, rappelle Alexis PHILONENKO. Aussi est-il nécessaire de reprendre le cheminement de la pensée du philosophe allemand, à commencer par ses véritables inspirations, afin de déterminer "le moment vraiment profond de sa doctrine". Deux thèmes présents dans l'oeuvre de ROUSSEAU l'inspirent : l'admiration de la guerre conçue dans l'horizon de la Cité antique et un profond scepticisme envers toutes les constructions utopistes proposant par la médiation d'une société ou d'une ligue ou encore d'un fédération internationales, la fondation d'une paix perpétuelle. C'est sans originalité qu'il reprend ces thèmes du Discours sur les sciences et les arts, avec toutefois une insistance particulière sur le caractère héroïque de la guerre.

L'originalité de HEGEL réside dans la fondation et la coordination de ces idées. Si HEGEL célèbre l'héroïsme, le combat, "c'est parce qu'il estime, explique le professeur émérite, qu'il n'existe aucune autre possibilité authentique pour l'homme de se dépasser". L'individualisme moral, nous dit HEGEL, critiquant en cela KANT, qui consiste à s'élever au-dessus du mouvement historique des totalités étatiques, à choisir une attitude hors l'histoire, ou méta-historique, est une pure illusion ; en dehors de l'engagement historique et immédiat dans une totalité éthique, il n'est pas d'existence possible, ni de lucidité. A la pure illusion de l'individualisme moral se lie aussi la pure illusion du cosmopolitisme : seul l'individu dégagé de la totalité éthique déterminée peut prendre au sérieux les rêves cosmopolitiques... Dans la phénoménologie de l'esprit, HEGEL critique ROUSSEAU, parce que en dépit d'idées fort justes, il n'a pas hésité à proposer une philosophie de l'existence où l'homme se complaît dans sa vertu de son coeur, tandis qu'il condamne le cours du monde, qui voir triompher la fausse culture et le vice. Alors que précisément l'éloge de la vertu antique aurai dû le conduire à accepter l'engagement immédiat dans l'histoire. En fait, se situer en dehors de l'histoire est impossible. HEGEL critique KANT (Droit naturel)) car ce dernier creuse l'écart entre l'homme et l'histoire. L'individualisme le plus étroit (le Moi...) qu'il décèle chez son rival en philosophie transcendantale se conjugue avec l'universalisme cosmopolitique le plus vague. En fait, nous pouvons estimer que les hésitations kantiennes sur la voie à suivre vers la paix constitue un boulevard pour la critique hégélienne, en tout cas, la morale kantienne ne permet pas de dépasser l'histoire, mais seulement de nous en abstraire égoïstement. Toute distance introduite entre l'homme et l'histoire - et parfois sans doute HEGEL caricature les propos de KANT, en en tout cas les exégèses de KANT pro-hégélien le font aisément... - mène à une impasse. Il ne peut exister un ordre de valeurs étranger à l'ordre du réel, or le réel, c'est bien la guerre. "Le rationnel, écrit Alexis PHILONENKO, est chez Hegel non pas entendement, mais liberté, et plus encore volonté ; aussi Hegel en découvre t-il l'expression absolue dans la guerre où se déploie la décision pure. Telle est la santé éthique et il n'en est pas d'autre concevable. Ce thème est finalement plus important peut-être que le lien que le providentialisme hégélien établir entre histoire et raison. On ne doit pas l'oublier, l'essence ultime de l'Etat chez Hegel est volonté, qui se montre comme historique et rationnelle dans la guerre. C'est que seule la volonté dépasse l'être et la nature. Mais la volonté historique comme mouvement du rationnel est dans son actualisation le réel. Rien ne peut donc prévaloir contre la volonté en sa manifestation. C'est pourquoi, à la différence de Kant et du jeune Fichte, Hegel renonce à faire de la philosophie un instrument de combat contre son époque. En acceptant, comme le souligne Cassirer (The myth of the State, 1946), la conception machiavélique de la virtù, en repoussant la réflexion individuelle et utopique, Hegel a bien réconcilié histoire et raison ; il a aussi lié la valeur morale au sort des armes, et commandé au philosophe d'accepter son temps. Après avoir admiré Napoléon et salué en lui l'esprit du monde, il découvrit sans être pour autant opportuniste (là, nous ne savons pas si nous pouvoir l'auteur de ces lignes...), l'esprit du monde dans l'Etat prussien. Le sens de la guerre s'explique alors sous un autre aspect. Le sens de la valeur de la guerre, c'est la valeur de l'histoire. Il est ridicule de penser contre son temps. Ainsi la guerre est la valeur existante, si l'on considère le mouvement de l'individu et de la totalité - elle est la loi de l'histoire, si l'on considère sa signification internationale." Alexis PHILONENKO prend sans doute un certain risque en résumant la pensée de HEGEL "en disant qu'il a vu en la guerre le lieu de l'authentique moralité et lui prêter ces mots de Spinoza : "Non ridere, non lugere, neque detestari sed intelligere".

Il n'y a pas selon HEGEL de philosophie de la paix. Il n'y a qu'une philosophie de la guerre. Mais cette philosophie est bien plus vague sans doute, qu'on ne veut bien le dire, et prête le flanc à bien des réfutations. Selon Alexis PHILONENKO, Léon TOLSTOÏ en a fait le procès définitif.

 

Alexis PHILONENKO, Essai sur la philosophie de la guerre, Librairie philosophique J. Vrin, 2003. Pierre HASSNER, article Guerre et Paix, dans Dictionnaire de philosophie politique, PUF, 2005.

 

PHILIUS

 

Relu le 19 juillet 2020

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