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2 mai 2011 1 02 /05 /mai /2011 15:26

          Plus que tout autre forme de guerre, la guérilla possède un caractère politique immédiat ; en effet, soit elle résulte de la condensation du mécontentement local et/ou de la fusion d'organisations politiques autochtones armées ou non, ou bien que, implantée à partir de l'extérieur, elle cherche à provoquer cette condensation et cette fusion autour d'elle, la guérilla ne peut dépasser un seuil d'activité assez bas que si elle jouit de la complicité d'abord, puis du soutien et finalement de la participation active des populations parmi lesquelles le partisan doit vivre "comme un poisson dans l'eau" (pour reprendre une expression de Mao ZEDONG) (Jorge CASTANEDA). 

      Quand elle prend l'ampleur d'une guerre, la guérilla est donc toujours une guerre populaire, bien que ce fait ne préjuge pas de son signe politique global : aussi ancienne que les formes les plus anciennes de la guerre et tout aussi répandue, elle a, de tous temps et en tous lieux, été utilisée par des mouvements populaires de signes contraires : aussi bien que par les Chouans et par les Christeros (Mexique), autant aussi par les Espagnols opposés à l'importation des valeurs révolutionnaires, forces authentiquement populaires, mais également contre-révolutionnaires dans leur contexte global, que par les patriotes et les révolutionnaires des cinq continents. 

        Tant les stratégistes occidentaux que les stratèges des pays dits socialistes s'accordent généralement à voir dans la généralisation des mouvements guérilleros après la deuxième guerre mondiale l'expression des luttes de libération nationale, mais également, à partir de 1965, si l'on suit toujours Jorge CASTANEDA, une tentative pour contourner la coexistence pacifique - tournant à partir duquel, la guérilla deviendra de plus en plus la stratégie privilégiée des forces anti-impérialistes et socialisantes en Asie, en Afrique et en Amérique Latine. Cette stratégie, qui s'étaie sur une conception inédite de la révolution mondiale, affirme le primat révolutionnaire des pays pauvres en élevant la stratégie typique à la guérilla - de l'encerclement des villes par les campagnes - au niveau d'une vision de l'Histoire.

A la lutte du "CHE GUEVARA" qui se propose d'étendre une guérilla à l'échelle continentale fait écho la thèse de LIN PIAO qui assimile les pays pauvres aux campagnes des puissances impérialistes et préconise l'encerclement de ces dernières par les révolutions réalisées dans les premiers. Aussi, cette lutte menée au plus près du peuple s'accompagnera-t-elle de plus en plus d'une dimension internationale : intense activité diplomatique d'une part, et, d'autre part, essais de coordonner les luttes continentales et mondiales, avec pour point culminant, resté pour l'essentiel sans effet réel (autre qu'idéologique dans les pays capitalistes occidentaux), la Conférence tricontinentale de La Havane (décembre 1964-janvier 1965), qui réunissait les représentants des mouvements révolutionnaires des trois continents (Afrique, Asie, Amérique Latine), qui avaient vu des mouvements guérilleros se développer de façon importante et remporter des succès.

Cette stratégie reflète un trait fondamental : elle a été victorieuse dans les formations sociales  dont le caractère distinctif semble être plus que tout autre (misère des masses, population essentiellement rurale, faiblesse relative de la classe ouvrière et de ses organisations) une situation d'oppression nationale provoquée soit par un pays étranger soit par cette combinaison d'une dictature locale associée aux puissances impérialistes, qui peut marquer les premières phases d'un pays nouvellement indépendant et qui semble relativement consolidée dans certaines régions du globe et notamment en Amérique centrale (par exemple au Nicaragua) et aux Caraïbes.

      Lutte de longue haleine, qui exige des populations impliquées des sacrifices importants, la guérilla n'est politiquement viable que lorsque, selon l'expression d'un de ses représentants les plus éminents - le commandant GUEVARA -, "toutes les voies légales ont été épuisées", et cela même si, comme il le fait lui-même très justement remarquer, une des tâches essentielles de la guérilla consiste à rendre cet état des choses évident aux yeux de tous. Une fois implantée, la guérilla cherche à élargir son territoire et à en conquérir d'autres. Ainsi, dès avant la victoire, elle installe un pouvoir nouveau à l'intérieur des zones libérées ou, quand cela n'est pas possible, crée un réseau diffus de pouvoirs populaires qui tend à se substituer à celui de l'État qu'elle combat. Cela veut dire non seulement, contrôler en partie un certain territoire et son infrastructure économique, mais aussi organiser une vraie vie collective, comme aux Chiapas, avec écoles, hôpitaux et maisons du peuple. 

      Car deux issues sont possibles : soit la guérilla - quitte à transformer ses effectifs en "armée régulière" - recherche la victoire militaire par la destruction des forces armées ennemies, dans une logique toute clausewitzienne, soit misant sur l'usure militaire et l'isolement politique de l'adversaire, elle tente de l'obliger à rechercher une solution politique négociée. Dans les deux cas, l'objectif reste le même : la conquête du pouvoir d'État. Lutte essentiellement politique, c'est la politique qui est au coeur de ses succès comme de ses échecs et non pas tel ou tel facteur militaire - la réussite éclatante des partisans vietnamiens en témoigne.

                        

        La guérilla anti-impérialiste et socialisante connaît deux variantes :

- MAO ZEDONG, premier théoricien moderne de la guérilla, maintient le primat du parti (le parti communiste aux fusils) dont la théorie marxiste-léniniste garantit le caractère de classe du mouvement. Pour les communistes chinois, la guérilla constitue un complètement permanent en même temps que la source de recrutement d'une armée régulière et les guérilleros vietnamiens auront une large autonomie (MAO ZEDONG, Écrits militaires, Pékin, 1964 ; VO NGUYEN GIAP, Guerre du peuple, armée du peuple, Paris, 1966) ;

- Pour les théoriciens et praticiens cubains, la distinction entre le commandement militaire et le commandement politique doit être abolie. La guérilla elle-même est une organisation politique qui emprunte une stratégie armée dont elle reste, à tous moments, le noyau immergé au centre des luttes. Seule une liaison étroite avec les masses assure le caractère révolutionnaire du combat ; c'est donc à elle que doit revenir le commandement. (Fidel CASTRO, Oeuvres, Maspéro ; E. CHE GUEVARA, Oeuvres, Maspéro ; Régis DEBRAY, La critique des armes, Seuil, 1974 et Révolution dans la Révolution, Maspéro, 1967)

 

         Hervé COUTEAU-BEGARIE se concentre, tout comme Jorge CASTANEDA, sur les dernières périodes de la théorie et de la pratique marxistes de la guérilla et passe très rapidement sur les réflexions des fondateurs du marxisme eux-mêmes, MARX et ENGELS, comme sur celles de LENINE, de TROTSKY et de STALINE, sur lesquelles nous reviendrons plus tard. Il est vrai que la figure du partisan prend une nouvelle dimension lors des guerres de décolonisation après la Seconde Guerre Mondiale. La dimension idéologique, déjà présente pendant cette dernière guerre dans les pays occupés (en France comme en Yougoslavie ou en Grèce). Nous passons réellement de la guérilla à la guerre révolutionnaire, théorisée et mise en pratique par MAO ZEDONG et le général GIAP. 

      MAO ZEDONG construit la théorie de la stratégie de guerre prolongée articulée en trois phases : défense stratégique, équilibre des forces, offensive stratégique. Le général GIAP plaide pour une "triple synthèse" : adaptation au terrain, adaptation au climat et adaptation aux hommes. Ceci pour "attaquer les points faibles avant les points forts. Encercler l'ensemble, passer à l'action sur des points sélectionnés. Attaquer d'abord la ligne extérieure, ouvrir une brèche et percer en profondeur." 

     Après eux, un grand nombre d'auteurs marxistes s'emploient à théoriser l'insurrection et la guerre révolutionnaire sous toutes ses formes (LIN PIAO, CHE GUEVARA, Kwame NKRUMAH...) y compris la guérilla urbaine (Carlos MARIGHELLA, URBANO...), suscitant en retour, mais avec un retard considérable et décisif, une non moins abondante littérature sur la contre-insurrection (général Frank KITSON, colonel Roger TRINQUIER, John MCGUEN... ). Vu la difficulté des armées coloniales de réellement s'adapter aux stratégies de guérilla, ces dernières font la preuve de leur efficacité en Chine et en Indochine (sous le protectorat français comme sous l'intervention américaine...). Ces stratégies peuvent être mises aussi en échec comme en Grèce et en Malaisie, par absence de soutien populaire dans un cas et par habileté politique et militaire de l'ennemi dans l'autre.

        La guerre révolutionnaire peut donc remporter de grands succès si elle conjugue quatre conditions :

- tirer parti du terrain. La guerre révolutionnaire a obtenu ses plus grands succès dans des régions de montagne ou de forêts denses qui se prêtent très mal à l'exercice du modèle occidental de la guerre ;

- établir une osmose entre les combattants et la population. Sans soutien de celle-ci, ou au moins sa neutralité bienveillante, un maquis ne peut se maintenir longtemps ;

- disposer du soutien d'une tierce puissance, qui lui assure une résonance politique, par la mise en accusation de l'adversaire dans les enceintes internationales, le lancement de campagnes de propagandes et, chose essentielle, qui lui apporte un soutien logistique, en lui livrant des armes et de l'argent, en hébergeant une représentation politique, des camps d'entrainement... Faute de quoi, on l'a vu après l'effondrement de l'Union Soviétique et le désengagement progressif de la Chine communiste, les partisans doivent rechercher d'autres ressources et d'autres alliés. Souvent, le marché de la drogue et l'alliance avec des bandes armées dépourvues d'impératifs politiques ou idéologiques peuvent seuls les soutenir...

- avoir une idéologie forte, seule capable de mobiliser les masses et de les encadrer pour qu'elles ne retombent pas dans la simple révolte populaire.

 

Hervé COUTEAU-BEGARIE, Traité de stratégie, Economica/Institut de stratégie comparée, 2002. Jorge CASTANEDA, article Guérilla, Dictionnaire critique du marxisme, PUF, collection Quadrige, 1999. 

 

STRATEGUS

 

Relu le 20 juin 2020

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