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1 novembre 2012 4 01 /11 /novembre /2012 13:55

      De son vrai nom Vladimir illich OULIANOV, le dirigeant révolutionnaire de Parti et d'État - il est reconnu comme le fondateur de l'Union Soviétique - est l'auteur d'ouvrages clés sur la théorie et la pratique marxistes, non seulement sur le plan économique et politique, mais aussi sur le plan de la stratégie.

Si ses écrits - notamment philosophiques - ne sont pas à la hauteur de ses références - Karl MARX et HEGEL surtout, mais aussi SPINOZA, FICHTE, KANT, SCHELLING pour la philosophie et R. HILFERDING et J. A. HOBSON pour l'économie - toute son activité est orientée vers la pratique et l'action. Constamment, ce sont les possibilités pratiques de faire triompher les idées marxistes en Russie qui le guident. C'est donc surtout en regard de l'action révolutionnaire qu'il faut lire aujourd'hui ses écrits, même si certains dégagent des principes qui servent de modèles ensuite, malgré les édulcorations et les déviations, pour d'autres dirigeants révolutionnaires. 

 

Des textes fondateurs

      Nous pouvons distinguer parmi ses écrits des oeuvres proprement économiques, d'autres plutôt directement liés à la politique, des oeuvres philosophiques et des écrits stratégiques qui mêlent souvent considérations politiques et militaires.

Ses premiers écrits sont plutôt économiques - même s'il n'est pas un économiste - avec une analyse très claire du Capital dans l'Encyclopédie Granat (1914), de brefs textes, publiés parfois longtemps après sa mort, comme La Soit-disant Question du marché et Le développement du capitalisme en Russie (1899). Plus connu et oeuvre de référence, L'impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916), cohabite avec des écrits de circonstances comme celui écrit en 1894 : "Amis du peuple" ou Comment ils luttent contre les sociaux-démocrates. Plus tard, après l'instauration de l'Union Soviétique et après l'échec de l'entreprise de révolution économique menée pendant la guerre civile, il plaide pour une Nouvelle Politique Économique

Des oeuvres philosophiques, retenons surtout Matérialisme et empiriocriticisme (1909) et Cahiers philosophiques (1914-1916). 

De nombreux écrits sont consacrés à l'organisation du parti et à la lutte politico-militaire, surtout après la révolution avortée de 1905. Mais déjà en 1902, Que faire? a un impact décisif sur le IIe Congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie. Deux Tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique (1905) tire les leçons de cette révolution ratée. L'État et la Révolution (1916) est une brochure qui insiste, face aux hésitations de Marx et d'Engels, qui campent sur des thèses sur le dépérissement de l'État, sur le rôle dirigeant de l'État. Après la révolution d'octobre 1917, La Maladie infantile du communiste insiste lui sur la nécessité de la dictature du prolétariat. Parallèlement aux efforts menés à l'intérieur de l'Union Soviétique, des écrits traitent des éléments pour exporter la révolution hors de Russie, tels ce Manifeste aux ouvriers du monde (1919) ou les Thèses sur le front unique prolétarien (1921). La liste est évidemment longue de ses articles et diverses contributions, de A propos des grèves de 1899, Anarchisme et Socialisme de 1901, Un pas en avant, deux pas en arrière (1904), Boycottage (1906), Les enseignements de l'insurrection de Moscou (1906), Marxisme et révisionnisme (1908), Les divergences dans le mouvement ouvrier européen (1910), La guerre et la social-démocratie russe (1914), La faillite de la IIe Internationale (1915), A propos du mot d'ordre de désarmement (1916), Thèses d'Avril (1917), Lettre aux ouvriers américains (1918), Les tâches de la IIIe Internationale (1919) sans oublier des textes longtemps restés secrets ou cachés comme Mieux vaut moins mais mieux ou Testament politique (1923) rédigés au moment de l'ascension politique de STALINE...

Sur le plan de la stratégie, citons La révolution de 1905, Les taches des détachements de l'armée révolutionnaires (1905) et lettres de loin (octobre 1917)...

 

      C'est, comme l'écrit en 1924 le philosophe marxiste hongrois Georgy LUKACS (1885-1971), l'actualité de la révolution qui est l'idée fondamentale de LÉNINE et le point décisif qui l'unit à Karl MARX. Sa praxis n'est pas la copie servile de celle de MARX, écrit-il : "Pour les socialistes russes, (elle) est une élaboration indépendante de la théorie de Marx (...) particulièrement nécessaire" "Lénine seul a fait le pas vers la concrétisation du marxisme devenu désormais tout à fait pratique. C'est pourquoi il est, à l'échelle mondiale, le seul théoricien à la hauteur de Marx que la lutte pour l'émancipation du prolétariat ait produit jusque-là" (Lénine, 1924, traduction et préface de J. M. BROHM, EDI, 1965).

Le corpus construit par le fondateur de l'État soviétique est différent du marxisme-léninisme tissé après lui par différents mouvements révolutionnaires ou par ses épigones soviétiques ou chinois. Une certaine ombre est portée sur son oeuvre par ce marxisme-léninisme qui a surtout servi de justifications de politiques qu'il n'approuvait pas, du moins si l'on en croit les différents documents exhumés à ce jour et les travaux des historiens (notamment  H. ARVON, L. FISCHER, J. LALOY, Henri LEFEBVRE... ). Quoi qu'il en soit, l'utilisation abusive de la "vérité" comme arme idéologique, ce qui permet de la travestir indéfiniment  au gré des circonstances, finit par brouiller, au fil de réinterprétations à l'infini que nous rencontrons souvent pour les religions, la perception des réalités. Surtout si l'on ajoute à cela une certaine "manie" de détruire en autodafés multipliés, les oeuvres de ceux que l'on considère comme des "dissidents", leur enlevant par la même occasion la possibilité d'exprimer des facettes bien utiles de cette même vérité...

 

     Sur le plan économique, LÉNINE s'attache tout au long de ses oeuvres à utiliser les études de Karl MARX en tenant compte des spécificités de la Russie. Ainsi dans La Soi-Disant Question du marché, il propose une nouvelle présentation des schémas de la reproduction du capital.

 

Le développement du capitalisme en Russie

    Dirigé contre les thèses de N. F. DANIELSON (Nicolaï-On), de V. S. VORONTSOV et de P. STRUVE, Le développement du capitalisme en Russie étudie comment se forme le marché intérieur capitaliste russe en se limitant aux "gouvernements" spécifiquement européens.

Il s'oppose aux "populistes" dont l'erreur principale est de croire que la production a pour but la consommation. En fait, ce n'est qu'une fraction  limitée de la plus-value qui alimente le fonds de consommation de la société. La majeure partie sert à la reproduction et à l'accroissement de la formation du capital. Sa conclusion, développée plus tard dans L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, est que "le capitalisme ne peut exister et se développer sans étendre constamment la sphère de sa domination, sans coloniser de nouveaux pays et entraîner les vieux pays non capitalistes dans le tourbillon de l'économie mondiale. Le processus de formation d'un marché pour le capitalisme comporte deux aspects : le développement en profondeur du capitalisme, c'est-à-dire le développement cumulatif de l'agriculture capitaliste et de l'industrie capitaliste sur un territoire précis, bien délimité et clos, et son développement en étendue, c'est-à-dire l'extension de la sphère de domination du capitalisme sur de nouveaux territoires." La Russie "se trouve par rapport à d'autres pays dans des conditions particulièrement favorables en raison de l'abondance des terres libres et accessibles à la colonisation dans ses provinces frontières". Le développement du capitalisme y est inéluctable et aux yeux de LÉNINE, ce n'est pas un mal pour la future révolution, bien au contraire. 

 

L'impérialisme, stade suprême du capitalisme      

      L'essai L'impérialisme, stade suprême du capitalisme développe les positions de R. HILFERDIN (Das Finanzkapital, 1910) et les analyses antérieures de J. A. HOBSON (L'impérialisme, 1902).

Ce qui caractérise l'impérialisme, c'est le fait que les monopoles capitalistes font tout pour s'assurer des "profits supplémentaires gigantesques". Sous sa forme monopolistique et financière, le capitalisme moderne est devenu une puissance mondiale, internationale, qui a barre sur les États divisés en deux groupes, "les riches et les puissants qui pillent le monde" et les autres, la majorité, pratiquement passé sous la dépendance non avouée des premiers. LÉNINE constate comme une caractéristique de l'époque le jeu du développement économique inégal des différentes nations à l'intérieur du capitalisme moderne. C'est un phénomène particulièrement complexe qui résulte de "la fusion du capital de quelques grandes banques monopoleuses avec celui de groupements industriels monopoleurs" étendant leur réseau sur les peuples du monde entier. Le régime capitaliste passe alors du stade du capitalisme stricto sensu analysé et critiqué par Karl MARX à une "structure économique supérieure" où s'effectue la "socialisation de la production" et où les rapports de propriété privée individuelle des moyens de production ne correspondent plus à la réalité observable. Ils voilent la réalité des monopoles.

LÉNINE reprend la conception de formation économique développée par Karl MARX dans la "Préface" à la contribution à la critique de l'économie politique. Un tel régime, qui vise à la domination économique et politique d'aires géographiques attardées, mais riches en ressources naturelles et en main-d'oeuvre grâce à l'utilisation des réseaux de communication, ne peut qu'être source de conflits violents, en particulier de guerres internationales pour s'assurer matières premières et débouchés. L'existence de l'impérialisme annonce l'approche de la révolution mondiale. Il prend position contre la thèse de N. BUKHARIN selon laquelle l'impérialisme pourrait être suivi d'une autre phase, le surimpérialisme.  En fait cette analyse reste relativement générale et L'accumulation du capital écrit en 1913 par Rosa LUXEMBOURG lui est nettement supérieur. Il la présente d'ailleurs comme un "tableau d'ensemble" et un "essai de vulgarisation". (Henri CHAMBRE).

    

       Ses oeuvres économiques forment une doctrine : Lénine fonde un régime économique, dans lequel l'État possède le premier rôle. Après la révolution de 1917, les entreprises sont nationalisées, la monnaie supprimée, l'économie rurale mise au service du communisme de guerre (réquisitions, essentiellement, dans le désordre de la guerre civile). Les résultats catastrophiques de cette phase du communisme de guerre (qui perdure jusqu'à 1921), conduisent au repli stratégique connu sous le nom de Nouvelle Politique Économique (NEP). A travers le communisme de guerre, LÉNINE et ses collaborateurs, du sommet de l'État, mettent en place une économie socialiste ultra-centralisée, dont le schéma se multiplie bien après. Avec la NEP, il fonde le pragmatisme économique soviétique. Mais, diminué physiquement dès décembre 1922, la réalité du pouvoir lui échappe et cette NEP ne voit pas véritablement le jour. Un grand nombre de ses réflexions sur le changement économique et politique  à opérer se trouve dans La maladie infantile du communisme (1921).

 

Une oeuvre philosophique plutôt seconde

     Dans la foulée des conceptions philosophiques de Karl MARX, LÉNINE rédige plusieurs écrits, qui ne sont pas à la hauteur de son modèle et encore moins de ceux de HEGEL par exemple. Matérialisme et empiriocriticisme et Cahiers philosophiques, assez faibles, sont surtout dirigé contre une forme d'idéalisme kantien qui menace selon lui les rangs du Parti. Contre par exemple A. BOGDANOV (MANILOVSKIJ) (Empiriomonisme, 1906), qui épouse les idées du physicien et philosophe autrichien E. MACH, qui reviennent à nier la réalité objective donnée dans la sensation ou à en douter.

LÉNINE présente une théorie de la connaissance-reflet (présente déjà chez MARX et ENGELS), mais de manière inconsistante, même dans Cahiers philosophiques, qui en formule toutefois une élaboration légèrement plus poussée. Encore une fois, ces deux écrits ne peuvent se lire seulement pour eux-mêmes, dans une sorte de lecture purement philosophique. Il s'agit pour l'auteur, en renvoyant dos à dos les marxistes qui s'inspirent de la philosophie kantienne et les idéalistes, de doter le monde ouvrier d'une philosophie scientifique, ni idéaliste, ni matérialiste. Il défend la primauté de la matière, en distinguant nettement la définition que la philosophie en donne de celle que proposent les sciences exactes. "La matière est une catégorie philosophique servant à désigner la réalité objective donnée à l'homme dans ses sensations." Il ne va pas jusqu'à subordonner la philosophie aux sciences naturelles, mais il estime qu'elle est à l'école de ces dernières. Il en résulte un déplacement d'accent dans la philosophie de la praxis de MARX à LÉNINE, dû, selon G. LUKÀCS, à "l'évolution historique qui conduit du capitalisme libéral du milieu du XIX°siècle au stade impérialiste du capitalisme du XX°". La réflexion philosophique de LÉNINE, et on le comprend au contexte historique, n'a pas vraiment abouti à devenir une philosophie à part entière. Son insistance sur la méthode dialectique - à l'inverse d'une dialectique métaphysique - de HEGEL constitue sans doute la seule marque de cette philosophie.

Dans les Cahiers philosophiques, nous pouvons lire :"La définition du concept par lui-même (la chose elle-même doit se considérer dans ses relations et son développement) ; la contradiction dans la chose elle-même, les forces et les tendances dans chaque phénomène ; l'unité de l'analyse et de la synthèse (...) : tels sont les éléments de la dialectique". 

A sa suite, les différents philosophes officiels et à commencer par STALINE, auto-promu comme tel, s'essaient à l'élaboration de cette dialectique, mais Matérialisme dialectique et matérialisme historique, de ce dernier, est loin de faire avancer la réflexion... (Henri CHAMBRE)

 

Des thèmes majeurs médités pour la réussite de la révolution

     LÉNINE, créateur de l'instrument qui assure la victoire de la révolution d'octobre 1917, en fournit à la fois la doctrine et l'organisation. Avant même l'échec de la révolution de 1905, trois thèmes principaux dominent sa réflexion :

- l'importance accordée à l'idéologie entendue d'une manière positive et non plus affectée du coefficient péjoratif qu'on retrouve dans la majeure partie des cas où Karl MARX en traite ;

- la dictature du prolétariat - retour à MARX contre les "révisionnistes", qu'il fait inscrire dans le programme du Parti adopté en 1903, comme  "condition nécessaire" à la révolution ; et la formation d'un noyau solide, agissant effectivement, constitué d'hommes peu nombreux, les "révolutionnaires professionnels", qui doivent être sur la brèche aujourd'hui comme demain lors de la prise du pouvoir par la voie révolutionnaire ;

- la prise de conscience révolutionnaire par des masses de plus en plus nombreuses, faute de quoi la révolution n'aura pas de lendemain. 

       La conscience de classe ne peut être apportée à l'ouvrier que de l'extérieur de la lutte économique, de l'extérieur de la nature économique, du contenu politique et social des différentes classes sociales. Une éducation politique active où la presse joue un rôle important doit pouvoir alimenter une agitation politique clandestine, puis plus tard la consolidation du nouveau régime. Dans Les tâches immédiates du pouvoir des soviets (1918), il ressort que le processus de formation de la révolution prolétarienne en Russie et de son développement repose sur ce facteur. Un véritable révolution culturelle doit accompagner le développement du pouvoir soviétique : l'école, les soviets locaux sont les lieux privilégiés pour cette mutation des mentalités. Constamment, LÉNINE milite pour la "dictature révolutionnaire des ouvriers et des paysans", surtout après l'échec de 1905 (Deux Tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique). Ses Thèses d'Avril, après son retour en Russie après la révolution de février 1917, présente les conditions de la prise du pouvoir par les bolcheviks.

   

L'État et la révolution

      C'est surtout dans L'État et la révolution, à partir de notes écrites en 1916, que LÉNINE esquisse ce que sera la dictature du prolétariat dès la prise du pouvoir.

Tout tourne autour du problème de la liberté : liberté formelle des démocraties bourgeoises, des "possesseurs de marchandises" ou liberté réelle des ouvriers et des paysans. Cette dernière exige l'abolition des classes au cours d'une lutte de classe portée à son paroxysme : aussi la dictature du prolétariat doit être coercitive. C'est ce qu'il répète dans La maladie infantile du communisme. Toutefois, LÉNINE avance peu de choses concrètes en disant que l'État prolétarien est un demi-État qui dépérit avec la consolidation de la victoire sur les classes bourgeoises. C'est une dictature politique. " La politique ne peut manquer d'avoir la primauté sur l'économie,  répète-t-il en 1921. Raisonner autrement, c'est oublier l'abc du marxisme".

Il participe à la rédaction de la Constitution de 1918 de la République soviétique fédérative socialiste de Russie (RSFSR), notamment le "Préambule". Cette Constitution crée un État socialiste souverain, multinational, ouvert à tous les peuples qui opèrent la révolution socialiste contre les régimes bourgeois, au delà de la conception "bourgeoise" des frontières étatiques. Ce double caractère de l'État soviétique demeure au fil des années et se trouve à l'origine de l'ambiguïté permanente de la politique étrangère de l'URSS. (Henri CHAMBRE). 

      L'État et la révolution est un ouvrage institué et instituant du mouvement communiste, comme le rappelle Dominique COLAS. Sa lecture et son étude font partie du cursus de formation des militants et des cadres. Son audience ne tient pas seulement à la puissance des appareils communistes. L'État et la révolution est pédagogiquement construit et expose, avec insistance et sans peur des répétitions quelques thèses, facilement condensables en formules, selon un ordre linéaire qui permet de ne pas être arrêté par des difficultés conceptuelles ou historiques. Prétendant rectifier la "déviation" opportuniste, dont serait frappée la théorie marxiste de l'État, il bénéficie de la séduction des polémiques qui luttent pour la juste interprétation des dogmes. Brutal, voire injurieux, dans son ton d'hostilité aux réformistes et aux hésitants, il prône la violence révolutionnaire qui doit "briser" l'État bourgeois, instaurer un nouveau type de pouvoir d'État, la dictature du prolétariat, dont le modèle le plus proche est la Commune de Paris, qui conduira au-delà du socialisme au dépérissement de l'État et à la société communiste. Bien qu'il soit empli d'attaques véhémentes contre les socialistes russes (socialistes-révolutionnaires et menchevicks) et qu'il renvoie clairement ou implicitement aux problèmes politique de l'été 1917 pour lesquels il se présente comme une solution, L'État et la révolution avance la plupart de ses propositions comme si elles étaient déduites des principes de la théorie et s'adressait à un sujet révolutionnaire universel. La plupart des questions abordées par ce livre sont posées comme des problèmes chronologiques : origine et fin de l'État, qui est spécialement étudié ; destruction de l'État bourgeois, puis dictature du prolétariat comme quasi-État correspondant à la première phase du communisme, le socialisme qui s'achève avec la disparition simultanée des classes et de l'État : transition, disparition, suppression, démolition, extinction.

"En règle générale", l'État bourgeois ne peut céder la place à l'État prolétarien que par une révolution violente. Pour LÉNINE, la nécessité de la révolution violente est à la base de toute la doctrine de MARX et d'ENGELS. L'essentiel de la destruction léniniste n'est toutefois pas la violence armée, mais "la destruction du mur qui sépare les classes laborieuses du pouvoir". L'ensemble des critiques ultérieures, dans la mouvance marxiste ou ailleurs, part souvent de l'énoncé de l'État et la révolution, considéré comme la construction théorique de la pratique réalisée pour la constitution et pour l'organisation de l'État soviétique.

Ainsi Karl KAUTSKY (Le bolchevisme dans l'impasse, PUF, 1982) trouve  dans le fond même de l'utopie politique et sociale du leader bolchevique - faire passer la Russie au socialisme sans souci des étapes -  l'origine même du déchaînement de la violence qui aurait selon lui sa racine dans la violation des lois du marxisme. Pour se maintenir au pouvoir les bolcheviks ne peuvent que jeter par-dessus bord leurs convictions démocratiques, puis socialistes (selon Henri WEBER qui préface ce dernier livre). Le despotisme engendré par la Révolution d'octobre ne connait qu'une méthode politique pour s'affirmer : le terrorisme. Il est plus banal d'expliquer que le programme de l'État et la révolution n'a pas été respecté car la contre-révolution et la guerre civile restreignent la base sociale de la dictature et imposèrent la construction  "d'un puissant appareil militaire, policier et bureaucratique" (Otto BAUER, cité par Yvon BOURDET dans Otto Bauer et la révolution, EDI, 1968), analyse justificatrice, mais nénamoins partiellement juste de ce qui s'est passé. Mais c'est oublier, si on se restreint à cette explication, la nature de l'idéologie ou la logique de l'organisation bolchevique et du programme léniniste, terroriste avant 1917 (Dominique COLAS, Le léninisme, philosophie et sociologie politique du léninisme, PUF, 1982).

L'État et la révolution peut paraître en définitive moins "violent" que bien d'autres ouvrages d'écrivains marxistes russes, voulant exclure seulement de la démocratie une minorité d'oppresseurs qui faisaient couler des "mers de sang". En fin de compte, L'État et la révolution parle plus de briser l'appareil d'État que d'éliminer les classes exploiteuses, parce qu'il présente la révolution comme un processus relativement aisé et rapide, il est en retrait du ton et des mots d'ordre qui s'imposent immédiatement après octobre 1917 et qui se maintiennent même après le tournant de la NEP, qui si elle a modifié la politique économique n'a pas diminué l'intensité de la répression (Jacques BÉNAC, La terreur sous Lénine, Sagittaire, 1975).

"En un mot, écrit Dominique COLAS, on dira que l'écart entre la réalité de la révolution russe et l'utopie de Lénine de l'été 1917 est manifesté par l'absence dans sa vision de toute institution policière spécialisée comme le sera la Tchéka, créée alors même que L'État et la révolution n'est pas encore imprimé. Il est vrai que l'État léniniste est généralement sans institutions, ni médiations : le quasi-État est quasiment sans appareils. Mais comment Lénine peut-il ignorer qu'au moment où il glose sur le dépérissement de l'État, il travaille au renforcement du Parti?". (Dominique COLAS).

 

Le rôle stratégique de LÉNINE

  Edward Mead EARLE rappelle le rôle stratégique de LÉNINE au début du XXe siècle, le considérant comme un maître de la stratégie, aux côtés de STALINE et de TROTSKI. Pour le leader bolchevique, la paix n'est pas - ce qu'atteste ses nombreux écrits où il aborde les aspects militaires de la révolution - une fin en soi : elle est comme la guerre, un instrument de politique. Il garde longtemps en tête le double objectif de la défense de la Russie révolutionnaire et de la transformation de la guerre internationale en une guerre civile européenne. Devant l'échec du second objectif, LÉNINE change sa stratégie pour se concentrer sur le premier.

Les bolcheviks sortirent des dures expériences de la guerre civile avec une conception presque unique du rôle de la guerre dans la société. LÉNINE, notamment, élabore un système philosophique compliqué sur ce sujet. L'attitude des classes laborieuses vis-à-vis de la guerre ne peut être catégorique : le pacifisme, la soumission, l'opposition au service militaire, la grève générale contre la mobilisation et autres principes du socialisme d'Europe occidentale sont des démonstrations en elles-mêmes vide de sens. Ce sont le type de guerre en jeu et les objectifs qu'elle se propose qui doivent déterminer la réaction des peuples. 

 

 

 

 

LÉNINE, Oeuvres, Paris-Moscou, Editions Sociales, éditions en langues étrangères, 1958-1976, 47 volumes. Le texte de l'État et la révolution se trouve dans le tome 25. Des textes sur les aspects stratégico-militaires se trouvent par exemple aux tomes 7 (La révolution de 1905), 8 (Les tâches des détachements de l'armée révolutionnaire, octobre 1905) et 2 (Lettres de loin, octobre 1917) (Éditions de 1941). 

Anthologie mondiale de la stratégie, Robert Laffont, 1990. Edward Mead EARLE, Les maitres de la stratégie, Bibliothèque Berger-Levrault, 1982. Dominique COLAS, article Lénine L'État et la révolution, dans Dictionnaire des oeuvres politiques, PUF, 1986. Henri CHAMBRE, article Lénine et Léninisme, dans Encyclopedia Universalis, 2004. 

 

Relu le 2 Août 2019. Relu le 12 février 2021

 

 

 

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commentaires

J
" Sur le plan économique, LÉNINE s'attache tout au long de ses oeuvres à utiliser les études de Karl MARX en tenant compte des spécifités de la Russie. Ainsi dans La Soi-Disant Question du marché, il propose une nouvelle présentation des schémas de la reproduction du capital."<br /> <br /> En réalité, Lénine falsifia la théorie de la reproduction élargie de Marx.C'est ainsi que pour lui, la production des moyens de production doit croître plus vite que la production des articles de consommation.<br /> <br /> Cette thèse est non seulement fausse scientifiquement mais dangereux en pratique car, sa condition est la pénurie des biens de consommation pour la classe ouvrière.Or l'URSS n'a été qu'une société de pénurie plus ou moins aigu justement parce que la production des moyens de production y allait plus vite que la production d'articles de consommation.<br /> <br /> Ce qui est grave c'est qu'on continue d'attribuer cette théorie falsifié à Marx.Ce que les léninistes ont fait est tout simplement monstrueux.D'abord il falsifie sa théorie puis le lui attribue ensuite.<br /> <br /> <br /> Mais cette falsification n'a été fait par hasard.Elle est la condition théorique de l'existence d'une plus-value d'Etat que les ouvriers ne peuvent consommer, c'est à dire la condition de l'exploitation de la classe ouvrière par ceux qui planifie, dirige la production: les classes dirigeantes.<br /> <br /> En effet, lorsque la production des moyens de production croit plus vite que la production des articles de consommation, il se dégage:<br /> <br /> 1° Un surplus de moyens de production dans la section destinée à la fabrication des moyens de production.<br /> 2° Un surplus d'articles de consommation dans la section destinée à la fabrication des articles de consommation.<br /> <br /> Ces deux surplus, qui sont retirés violemment de la consommation des masses(par la pénurie artificielle), constitue la plus-value d'Etat.<br /> <br /> En URSS, donc, a vue la naissance d'un nouveau mode de production basé sur l'exploitation des ouvriers par une infime classe dirigeante au moyen de la planification étatisée.<br /> La condition absolue de cette exploitation est le développement plus rapide de la production des moyens de production par rapport à la production des articles de consommation d'où la falsification de la théorie de la reproduction élargie par Lénine.<br /> <br /> Je rappelle que pour Marx, que ce soit sous le capitalisme ou sous le communisme, la production des articles de consommation doit croître plus vite que la production des moyens de production(Voir absolument le Capital livre 2, p 571-572).<br /> <br /> Les Soit-disant grands défenseurs de Karl Marx apparaissent être, en dernière analyse, les plus grands ennemis du marxisme.<br /> <br /> Avec Internet aujourd'hui, la vérité éclatera au grand jour car, chaque jour le monopole de l'économie politique par une infime couche petite-bourgeoise est détruit sans cesse.<br /> <br /> On ne peux que remercier Lénine puis Staline pour ces actes intellectuels lâches.Que pensez du silence du Trotski dans tout ça ? Et ils se trouvent encore, malheureusement, de nos jours, des communistes sincères qui se réclament de ces gens là, de ces communistes petits-bourgeois.<br /> <br /> Ces communistes sincères sont victimes de leur ignorance.La négligence de l'économie politique par les communistes est sanctionnée par le contrôle de leur avenir par des petits-bourgeois.Voilà la leçon de l'histoire.
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