Si de nos jours, le léninisme et le stalinisme sont estimés responsables d'une grande partie de l'échec d'une tentative d'instaurer durablement un système économique autre que capitalisme, le jeu des polémiques venant de leurs adversaires (capitalistes) déclarés et de leurs différents détracteurs (politiques ou idéologiques, que ce soit à leur gauche ou à leur droite, et que ce soit venant d'autres tendances du marxisme, tel que le luxembourgisme ou le trotskisme...) brouille souvent ce qu'ils recouvrent en tant qu'idéologies et en tant de théories politiques. L'analyse des philosophies marxistes ne peut faire l'impasse, sous le prétexte de quelque procès que ce soit, sur eux. Aussi, nous nous efforçons de comprendre plutôt que de juger, à l'inverse d'une tendance littéraire et politique de mettre l'échec de cette tentative sur le dos de seulement quelques protagonistes, oublieuse du fait que dans une guerre ou un conflit, il y a au moins deux parties (nous visons par exemple un livre d'un collectif d'intellectuel surfant sur cet échec, Le livre noir du communisme).
Léninisme
Si nous suivons André et Francine DEMICHEL, la première définition synthétique et positive du terme léninisme, après maintes acceptions péjoratives à l'encontre des écrits de LÉNINE (dès 1903), est proposé par STALINE en 1924, dans ses conférences à l'Université Sverdlov :
"Le léninisme est le marxisme de l'époque de l'impérialisme et de la révolution prolétarienne. Plus exactement : le léninisme est la théorie et la tactique de la révolution prolétarienne en général, la théorie et la tactique de la dictature du prolétariat, en particulier" (Des principes du léninisme, dans Les questions du léninisme, tome 1, Editions sociales, 1946).
Il l'oppose deux ans plus tard à la définition avancée par ZINOVIEV : "Le léninisme est le marxisme de l'époque des guerres impérialistes et de la révolution mondiale qui a commencé directement dans un pays où prédomine la paysannerie". Il prend prétexte de ce que ce dernier souligne la localisation à la Russie pour, comme à son accoutumée l'attaquer et le réduire au silence. En tout cas, dans la définition officielle (via STALINE), l'accent est mis sur la nature internationale du léninisme. Déjà dans cette définition officielle, STALINE donne un sens au léninisme que LÉNINE ne voulait pas faire du marxisme, "un schéma obligatoire pour tous de la philosophie de l'histoire". LÉNINE recommande, au contraire, aux communistes non russes : "Il ne s'agit pas de copier notre tactique, mais de réfléchir vous-mêmes en quoi consistent sa particularité, ses conditions et ses résultats ; d'appliquer chez vous non la lettre, mais l'esprit, le sens, les enseignements de l'expérience de 1917-1921" (Oeuvres, Moscou-Paris). Sous couvert de l'expression marxisme-léninisme, les partisans de STALINE, veulent imposer un "modèle soviétique".
Toutefois, il n'est pas illégitime, mais il faut sans doute l'écrire avec prudence, de voir, selon les mêmes auteurs, juristes de formation et de profession, "dans le léninisme un ensemble de thèses correspondant au développement du marxisme dans le cadre d'une nouvelle période historique." LÉNINE n'est pas le seul protagoniste d'un tel ensemble théorique et nombreux de ses amis se réclament d'abord du bolchevisme, nom sans doute plus adéquat que léninisme. Menchevicks et Bolchévicks (avec d'autres) se partagent le pouvoir après la révolution de février 1917, et le bolchevisme représente réellement une alternative politique à un "menchevisme" alors majoritaire. La constellation "léniniste" englobe alors PLEKHANOV, MARTOV, TROTSKI, GORKI, BOGDANOV, LOUNATCHARSKI, PREOBRAJENSKI, BOUKHARINE, STALINE, ZINOVIEV, KAMENEV, les Partis communistes de la IIIe Internationale, soit tous ceux qui jouent un rôle dans l'activité révolutionnaire du premier quart de siècle et au-delà.
Le concept central de ce léninisme ou plutôt bolchevisme, est celui de la pratique politique. Ses thèses peuvent être rangées ainsi :
- Théorie du mode de production : capitalisme et agriculture ou "question agraire" : rente foncière, types d'exploitation paysanne, agriculture industrielle, prolétarisation des paysans, marché intérieur, concurrence métropoles-colonies ; l'impérialisme comme dernière étape du capitalisme : fusion entre capital bancaire et capital financier, nouveau partage du monde, monopolisme, marchés intérieurs, militarisme, socialisation accélérée des rapports de production ; le mode de production socialiste/communiste, ses conditions et les premières structures de la nouvelle société. Apparaissent comme essentiels les concepts de transition et d'inégal développement.
- Théorie de la révolution : caractère central des concepts de conjoncture et d'alliances ; thèses concernant le parti, le danger bureaucratique, l'internationalisme prolétarien, les relations parti-syndicat, lutte politique et lutte économique, thèses sur les questions nationale et coloniale, la révolution permanente, le socialisme et la guerre.
- Théorie de l'État : un concept domine et gouverne l'ensemble des analyses, celui de dictatures du prolétariat ; classe ouvrière et pouvoir, démocratie prolétarienne, les soviets, Etat de la transition et dépérissement de l'Etat, compétition économique entre les système socialiste et capitaliste, le socialisme dans un seul pays.
- Théorie des superstructures : la "philosophie marxiste" : concepts et catégories, les deux camps matérialiste et idéalise, le reflet, matérialisme et dialectique, la lutte idéologique, contre le populisme, l'anarchisme, les opportunistes de droite et de gauche, contre le mécanisme ; littérature et politique ; thèses sur la révolution culturelle.
Cela constitue autant de thèmes autour desquels tournent tous les écrits de cette constellation "léniniste", avec dans le temps, des clivages entre pratiquement tous ses membres sur un et plusieurs points, clivages dont la réalité est constamment brouillée par les procès d'intention systématiques entre eux... Tout cela, rappelons dans un contexte de guerre civile... qui ne dure qu'avant 1921, mais qui donne le tonalité aux antagonismes après l'instauration de l'Union Soviétique.
Les deux auteurs, décidément prudents (prudence que nous partageons d'ailleurs) concluent leur texte qui date de 1982 (sa dernière édition étant 1999) : "La référence au léninisme, dans une partie du mouvement ouvrier, semble aujourd'hui remise en question. D'importants partis communistes,tels le français et l'espagnol, renoncent explicitement à la faire figurer dans leurs statuts. Pour certains théoriciens, l'eurocommunisme devrait être au moins pour les pays "occidentaux" substitué au léninisme, dont quelques thèses constitutives seraient à répudier, ainsi la dictature du prolétariat, ou l'internationalisme prolétarien, ou le centralisme démocratique. La question est ouverte et d'amples débats sont en cours. On se gardera toutefois des fétichisme théoriques, en se refusant à traiter le "léninisme", comme Lénine ne voulait par que l'on traitât les "marxisme" en s'en tenant à la norme qui le définit, "analyse concrète d'une situation concrète"."
Stalinisme
L'historienne Lilly MARCOU indique que même si l'on ne peut dissocier complètement la personnalité de STALINE et le stalinisme, ce dernier, en tant que phénomène social, dépasse le cadre national russe, pour se propager au monde entier. il se propage en premier par le gigantesque et tentaculaire appareil de l'Internationale communiste dans chaque parti national, il se popularise au-delà de l'univers communiste, lors de la guerre mondiale, grâce aux victoires de l'Armée Rouge. Depuis le XXe Congrès du Parti Communiste de l'Union Soviétique et surtout comme une des conséquences du rapport secret de Nikita KHROUTCHEV, le stalinisme acquiert une connotation péjorative, désignant couramment plusieurs figures : soit un type de comportement politique rigide et sectaire propre au fonctionnement des partis communistes du vivant de STALINE ; soit une pensée dogmatique et réductrice (qu'elle soit d'ailleurs de droite ou de gauche...) ; soit une psychologie imprégnée de foi sectaire.
"Pour saisir la complexité du stalinisme, écrit l'historienne, il faudrait tout d'abord le dater, le resituer sur la toile de fond historique sur laquelle il évolua. Il faudrait retrouver l'histoire, celle de la Révolution d'Octobre et de la guerre civile, qui devait marquer pour longtemps d'État soviétique par un complexe d'encerclement et d'autarcie. Il faudrait aussi, sinon surtout cerner la coupure entre la pensée de Lénine et celle de Staline. Il faudrait dégager la nature de l'héritage pour situer l'action initiale qui engendra le dérapage qui aboutira à la tragédie des années 30 en URSS (...). Faut-il éventuellement reculer la date et chercher dans la scission du parti social-démocrate russe, en 1903, les causes de cette absence de démocratie qui devait caractériser la démarche bolchevique dès ses débuts? Ou aller encore plus loin, et chercher dans la dimension jacobine russe apportée par Lénine au marxisme occidental la cause des déformations pratiquées par le stalinisme?"
ALTHUSSER, de son côté, effectue une lecture ontologique du stalinisme. Sa lecture du stalinisme en tant que pensée philosophique génératrice d'une idéologie, comme codification du marxisme. Le stalinisme "traduit le matérialisme en une ontologie de la matière dont la dialectique énoncerait des "lois" (...), qui s'interdit de reconnaître que toute la fécondité du matérialisme comme de la dialectique tient à ce qu'ils énoncent non pas des "lois", mais des "thèses", marqua pour de longues années la théorie et l'idéologie du mouvement communisme international dans sa globalité" (Louis ALTHUSSER, Pour Marx, Maspéro, 1965).
Le stalinisme canonisa la pensée de Lénine en créant le léninisme à partir d'un texte devenu classique : Les principes du léninisme (1924). Plus tard, dans son Précis d'histoire du PC (b) de l'URSS (1938), rédigé sous son contrôle direct, STALINE écrit le chapitre philosophique "Matérialisme dialectique et matérialisme historique". Ces deux textes constituent, pour Lilly MARCOU, l'essentiel des fondements d'une nouvelle discipline, le marxisme-léninisme, que sera enseignée à travers le monde comme un dogme, avec une force de diffusion et de popularité sans précédent, atteinte seulement plus tard par le Petit livre rouge de Mao TSE-TOUNG. Selon ce dogme, tout soit être transformé, non seulement la société, mais l'homme et la nature. L'homme nouveau, c'est l'objectif de toute la politique de l'URSS sous STALINE, non seulement comme philosophie de l'action, mais également comme mythe. Mythe d'une religion toute construite d'abord autour de l'iconographie dégoulinante de STALINE. Ce mythe doit opérer la fusion parti/État, parti/secrétaire général, URSS/Armée Rouge/Staline... Comme tout mythe, il possède une force bien concrète : "la mythologie stalinienne, écrit encore Lilly MARCOU, a engendré des exploits et déployé de grandes énergies, qui se sont concrétisées par les gigantesque chantiers de l'industrialisation de l'URSS et par le courage des combattants de l'Armée Rouge durant la seconde guerre mondiale. Le phénomène fut si profond que, de nos jours encore, le mythe de Staline, qu'on pourra appeler contre-mythe, dans la mesure où il prenait la figure de l'effacement et de la simplicité, continue de fasciner l'imagerie populaire. Une sorte de piété entoure le souvenir de Staline, de l'homme qui navigua avec adresse entre les écueils de l'édification de l'État soviétique et qui fut surtout le grand rassembleur des temps de guerre". Le stalinisme est aussi ce qui permet l'industrialisation massive et l'alphabétisation de masse...
Le stalinisme est aussi une pratique politique avec de larges répercussions sur l'économie et la vie sociale de l'URSS, Le modèle stalinien est celui du règne tout-puissant du parti unique monolithique et replié sur lui-même en caste privilégiée. Derrière la dictature du prolétariat, brandie comme un mort d'ordre et une nécessité, se trouvait la dictature d'un part organisé de manière militaire, parti qui rassemble toutes les têtes des bureaucraties soviétiques.
Le pouvoir stalinien inscrit dans l'histoire l'une de ses pages les plus sanglantes, dékoulaquisation, déportatations massives, élimination systématique et massive de tous les opposants - économiques, idéologiques, politiques..., étant donné qu'une fois des opposants éliminés, d'autres, autrefois alliés, semblent menacer le pouvoir despotique.
La critique du stalinisme et du léninisme par le trotskisme... et par les penseurs hétérodoxes
Les critiques les plus anciennes et les plus pertinentes envers le léninisme et le stalinisme ne proviennent pas, contrairement à ce beaucoup peuvent croire, des adversaires direct du marxisme. Sans parler de la dénonciation du bureaucratisme d'État de Léon TROTSKI ou du système concentrationnaire par David ROUSSET, toute une poignée d'intellectuels marxistes ou marxisants l'ont fait, mais leurs voix sont longtemps restées inaudibles, car rejetés dans l'ombre par la force écrasante du marxisme officiel qu'était devenu, au fil des ans, ces léninisme et stalinisme.
A l'exception de GRAMSCI, ces intellectuels sont longtemps politiquement marginaux et ne pèsent jamais sur la politique du ou des partis communistes. Ils n'acquièrent, ces marxistes ultra-minoritaires, une audience importante qu'après, et parfois bien après, la seconde guerre mondiale. Le postulat de la nécessité de la dictature du prolétariat est souvent le point central de cette opposition ou de cette critique. Andrei TOSEL, dans une étude dur le marxisme du XXe siècle montre bien ce qu'est, très longtemps, cette pluralité divergente d'interprétation en vue d'une même fin : le rétablissement d'une vraie praxis marxisme (de leur point de vue...).
"Comment alors, écrit-il, les philosophies "communistes" définissent-elles leur identité théorique? ici le problème se complique en ce que la thèse de la double appartenance de la philosophie à la pratique politique (avec son inscription partidaire) et à la pratique cognitive doit se confronter surtout après 1930 à la version qu'elle reçoit dans l'orthodoxie marxiste-léniniste ; le marxisme soviétique tel qu'il se fixe en dogme d'État, consigné dans l'opuscule de Staline, Matérialisme dialectique et historique, chapitre vite autonomisé de l'histoire du parti communiste bolchevik (1938). Les hérésies philosophiques communistes qui entendent définir la rationalité propre à la philosophie marxiste doivent s'expliquer avec la vulgate stalinienne du dia-mat. Cette vulgate (déjà formée d'ailleurs dans le marxisme d'appareils du parti social-démocrate allemand d'avant 1914) repose sur le postulat de la réalisation de la "raison" dans des institutions objectives sur la base d'une croyance métaphysique dans la transformation de la nécessité en liberté. Comme l'ont montré des études trop peu connues du philosophe italien Costento Preve (1984), ce postulat, en effet, peut être considéré comme le noyau d'une métaphysique qui a accompagné, porté et recouvert de sa forme théorique tous les éléments constitutifs de la pensée polymorphe de Marx, théorie matérialiste de l'histoire, critique de la politique, critique de l'économie politique.
Cette métaphysique, poursuit l'auteur, peut se formuler ainsi : l'histoire est le procès, le développement d'un sujet rempli de potentialités d'accomplissement (autonomie et émancipation) qui s'actualise dans une série d'événements plus ou moins dramatiques et qui réalise à la fin son projet initial dans l'avènement de la communauté humaine réconciliée, celle d'un "nous" formé de "libres individualités" accédant à la maîtrise totale de la production et des conditions économiques, politiques, idéologiques de cette dernière. Les étapes ou stades de ce procès sont d'abord régis par les figures de la nécessité au sens d'un destin initial et durable de servitude et d'assujettissement.
Mais, désormais il n'est plus nécessaire que la nécessité (sic) impose sa contrainte dans la mesure où par l'invention d'une économie inédite, le mode de production capitaliste, elle produit tout à la fois les bases matérielles d'une production riche et les possibilités d'une cessation de la servitude économique, politique, culturelle. La pratique sociale-historique est l'unité en devenir de la nécessité et de la liberté, d'une nécessité se faisant liberté, d'une réalité se faisant raison, d'une raison se faisant réalité. Les grands philosophes de l'idéalisme trouvent dans la matière historique des rapports sociaux et dans leurs conflits antagonistes le corps qui permet de dépasser les dualismes de la "pensée" et de "l'être", chers à la tradition métaphysique qui survit encore en eux. L'auto-mouvement des forces productives sociales en se socialisant par et dans les luttes produit la conscience "énorme" de masse qui rend pratiquement intolérables des formes des rapports sociaux et qui s'objective dans les luttes de la pratique devenue révolutionnaire, c'est-à-dire se révolutionnant par le moyen de son appareil matériel, le parti. C'est l'organisation politique qui devient le représentant de la raison : en lutte pour la conquête du vieil appareil d'État de classes et pour sa transformation en institution de la liberté-raison de tous, le parti devient acteur philosophique ; c'est par l'action productive de l'organisation que la substance devient sujet."
Ce postulat, auquel buttent des philosophes de LUCKAS (1932) à ALTHUSSER (1982), se caractérise par trois traits : sa fonction initiale, sa plasticité équivoque, sa stérilité finale.
"La fonction initiale inaugurale est indéniable. Ce postulat a, en effet, eu un double mérite. D'une part, il a permis de définir la raison philosophique sans la séparer de l'histoire, de ses conflits, sans l'hypostasier en raison pure, service public d'une Humanité abstraite qui déléguerait à ses serviteurs étatiques le soin de vaquer en son nom aux affaires politiques. La raison existe d'abord dans les revendications des masses modernes travailleuses, luttant pour des conditions de vie adéquates à la richesse sociale produites par leur labeur, faisans entendre leur volonté d'avoir part à la chose publique dont elles sont exclues. Le postulat a donné une figure concrète à la rationalité philosophique appelée à se situer par rapport au devenir des multitudes. Même si cette institutionnalisation a très vite révélé ses apories, le postulat a même permis de lier la rationalité de la transformation historique et l'organisation politique. (...) Ce postulat a réactualisé la tâche spinozienne d'un traité moderne des autorités logico-politiques. Le prix à payer fut cependant très lourd (...) mais sur ce point les philosophes hérétiques du communisme n'ont jamais cédé, et leurs adversaires "orthodoxes" ne le leur ont jamais pardonné. Ne se sont-ils pas hâtés de revenir à leur travail de purification qui implique l'élimination des masses hors de la scène de l'histoire? Au fond, ce qui unit les philosophiques hérétiques à la rationalité communiste, c'est la découverte du fait que le prince communiste finissait lui aussi en ses pratiques par rendre subalternes ces multitudes dont il tenait son autorité. Le dia-mat soviétique était bien la forme théorique de cette subalternation (subordination en bon français) contradictoire et mortelle à terme. Voilà pourquoi il fut l'adversaire de l'intérieur que toutes les élaborations philosophiques concernées eurent à combattre, ouvrant ainsi un front interne permanent de lutte à côté d'un front extérieur, qui impliquait la confrontation avec les grandes philosophies de l'époque (phénoménologies, idéalismes, ontologie existentielle, épistémologies néo-positives) et donc aussi leur assimilation."
"La plasticité de se postulat est équivoque et recèle de graves dérives qui ont conduit à la stérilité finale. Sa structure est celle d'une forme susceptible de recevoir des contenus très différents. Elle peut abriter (...) des analyses fortes relatives à des processus économiques, politiques, culturels déterminés, à des conjonctures concrètes. Mais ce postulat peut être utilisé pour justifier n'importe quelle interprétation des phénomènes, elle-même nécessaire pour légitimer une politique d'organisation, soustraite du même coup à tout contrôle démocratiques. Les nombreux changements d'orientation stratégique des partis communistes, issus de conflits de factions autonomisées et rivales, se sont tous opérés au nom de la science de l'histoire et ils ont été présentés comme autant d'insertions dans le procès d'émancipation du sujet historique. (...) Le postulat peut ainsi couvrir et légitimer toutes les sinuosités des choix politiques et faire de la violence totalitaire un moyen présenté comme rationnel. Cette fonction de légitimation empêcha la nécessaire auto-réflexion de la théorie sur ses propres objets et la rectification de sa propre structure logique en fonction des démentis de la conjoncture. En ces conditions, surimposé à l'expérience historique qu'il finit par interdire de déchiffrer en sa complexité concrète, ce postulat devint non seulement un obstacle épistémologique au développement d'une politique fondée sur l'activation du bon sens populaire et sur ses rectifications, mais aussi il devint un moyen d'imposition d'une autorité dictatoriale par laquelle les organisations politiques (parti/etat) représentent le peuple en ses diverses composantes se sont substituées irréversiblement à lui. (...)".
"Ce postulat finit ainsi par annuler ses propres mérites en induisant une stérilisation de la recherche dans la mesure où, invoqué surtout pour servir de métathéories légitimantes aux analyses et aux pratiques de l'autorité théologico-politique, il perd tout lien avec les efforts de théorisation de la complexité sociale et avec l'élaboration catégorielle vivante. Il interdit même de penser dans quelles limites il est lui-même encore adéquat pour subsumer les champs de l'histoire et ceux de l'économie politique, à la lumière des difficultés issues de la construction communiste effective. Or, ce sont ces difficultés, ces apories, ces erreurs, ces crimes d'une terreur contre-productive aussi qui demeurent impensés en raison même de la logique d'occultation immanente à ce postulat.
Tout l'effort des philosophes hérétiques du communisme sera de porter au concept ces difficultés, ces apories et de procéder à une opération de réflexion critique de ce postulat jusqu'à la limite de rupture, après diverses tentatives de réforme, de rectification, de refondation ou de reformulation. Il n'est pas étonnant que ce soit le dernier grand hérétique communiste, Louis Althusser, qui soit parvenu à identifier nettement en ses dernières réflexions autocritiques la métaphysique qui a imposé aux divers éléments de la pensée marxienne une forme de soumission réelle, en se sulbalternant (subordonnant) la productivité des potentiels critiques et analytiques."
Si nous reproduisons ici ce passage, c'est parce qu'il nous semble caractéristique d'une attitude qui reste marxiste, de dénonciation des dérives théoriques et pratiques provenant de ce léninisme et de ce stalinisme.
André TOSEL, le marxisme du 20e siècle, Syllepse, 2009. Lilly MARCOU, article Stalinisme - André et Francine DEMICHEL, article léninisme, dans Dictionnaire critique du marxisme, PUF, 1999.
PHILIUS
Relu le 11 février 2021