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11 octobre 2011 2 11 /10 /octobre /2011 13:19

         Parmi les nombreux textes disponibles pour le public sur le conflit en psychanalyse, nous avons une nette préférence pour les écrits qui s'entourent d'une certaine rigueur, venant des psychanalystes eux-mêmes ou de praticiens en psychologie ou en psychanalyse plutôt que pour ceux qui, dans une volonté parfois sensationnaliste, figurent dans les revues de vulgarisation, ou pire parfois, dans la presse généraliste.

      Le numéro (de mars 2005) de la collection des Débats en psychanalyse qui porte sur le conflit psychique en est un exemple : sous la direction de Bernard CHERVET, Laurent BANON-BOILEAU et de Marie-Claire DURIEUX, s'expriment un certain nombre d'approches théoriques et de perspectives cliniques.

Le conflit psychique, comme ils le présentent, "est l'un des organisateurs majeurs de la psyché. Il se présente cliniquement le plus souvent selon une opposition entre deux termes, expression manifeste d'un autre conflit sous-jacent plus fondamental : celui entre une tendance à éteindre la pulsion et un impératif à l'investir selon diverses modalités. En 1924, Freud écrit à son propos : moi-ça (névroses de transfert), moi-surmoi (névroses narcissiques), moi-monde extérieur (psychoses)", mais il reconnaît aussitôt que le conflit ne peut être réduit à une telle lutte entre instances.

En 1937, il invite à une révision de la conception du conflit psychique au regard de la dualité pulsionnelle et de l'existence d'une "tendance au conflit". La constitution du conflit psychique devient dès lors centrale ainsi que sa qualité et la préoccupation technique de le faire advenir sur la scène du transfert. "Les adversaires, souligne Freud, ne se trouvent pas plus l'un face à l'autre que l'ours blanc et la baleine. Une vraie solution ne peut intervenir que lorsque les deux se retrouvent sur le même terrain". La diversité des situations thérapeutiques abordées dans cet ouvrage (de la cure classique à la cure de l'enfant, en passant par des situations non-névrotiques) va permettre un enrichissement de ce concept fondamental dans la théorisation de la pratique psychanalytique."

 

  Après un avant-propos de Bernard CHERVET sur la "tendance au conflit" entre nécessité et impératif, ce numéro de débats de psychanalyse se partage entre Approches théoriques et Perspectives cliniques. 

 Pour les approches théoriques, Michèle PERRON-BORELLI pose des éléments sur les conflits psychiques et la dynamique de la cure, tandis que Claude LE GUEN approche les fonctions du conflit freudien. Nous aurons l'occasion de voir plus tard les aspects dynamiques de la cure et nous proposons de nous arrêter pour l'instant aux fonctions du conflit freudien, tel que l'expose Claude LE GUEN

"A suivre le parcours de Freud, le conflit se révèle être un parfait exemple du cheminement de sa pensée, partant de la pratique et s'appuyant sur elle pour l'analyser, l'étendre et en faire la théorie. Ainsi, au départ, le conflit est d'abord un constat clinique, celui-ci fut-il partiellement erroné (c'est l'époque où Freud pense que le conflit est spécifique de l'hystérie) ; très vite, il lui fait le "psychiser" et en venir à l'idée d'une organisation par des "forces en conflit", ce qui va le ramener à celle d'énergie. Faire coexister les deux s'avère bientôt une gageure, ce dont témoignait déjà le rejet en 1895 du modèle mécaniste de l'Esquisse lorsqu'il vint buter sur le déplaisir et le refoulement. Le dilemme ne pourra être dépassé qu'en intégrant dans un seul ensemble : le conflit et l'énergie, la contradiction et l'énergétique, le moi et la pulsion.

Vaste tâche qu'il poursuivra jusqu'à sa dernière oeuvre en 1938, jusqu'à l'Abrégé de psychanalyse.  Avec constance et très tôt, donc, alors même qu'il ne lui a pas encore attribué le statut d'instance, Freud désigne le moi comme lieu et produit du conflit avec la pulsion, comme de celle-ci avec la réalité : nous pourrions dire, tout aussi bien, que le conflit est fonction de la relation du moi à la pulsion. (...) (...) la topique est elle-même un produit conflictuel : dans sa première forme (conscient-préconscient-inconscient), la distinction de la conscience par rapport à l'inconscient est produite par le conflit entre le besoin et la frustration ; dans la seconde (moi, ça, surmoi), la différenciation du moi d'avec le ça résulte du conflit les principes de plaisir et réalité. En fait, "ces lieux" du conflit le représentent puisqu'ils sont eux-mêmes reconnus et déterminés comme des champs où s'exercent les forces pulsionnelles ; ce sont même les questions ainsi posées qui conduisent à remplacer la première topique par la deuxième et à faire du moi le noeud conflictuel par excellence et le noyau défensif - participant donc largement de l'activité inconsciente. Si "la théorie du conflit est assez clairement posée, elle n'en comporte pas moins certains points délicats qui appellent discussion."

Ainsi l'idée d'un "conflit psychique" entre instances apparaît, à strictement parler, plutôt approximative puisque (...) le moi étant la partie organisée du ça, et justement organisée par le conflit, il "serait tout à fait injustifié de se représenter le moi et le ça comme deux camps opposés" (Inhibition, symptôme et angoisse). Mais s'il n'y a pas de conflits dans le ça (La question de l'analyse profane), les désirs qui en émanent n'en suscitent pas moins des conflits dans le moi dès lors qu'ils vont à l'encontre d'autres désirs, voire d'exigence de la réalité ; aussi, s'il y a bien conflit entre la motion pulsionnelle inconsciente et le moi, il n'y a pas, au sens strict, conflit entre le moi et le ça. En revanche, à la suite de tout un travail d'"organisation" conflictuelle, va apparaître la troisième instance, le surmoi qui, de par sa genèse même, est un produit du conflit, imposé au moi et par lui, du ça avec la réalité ; ce n'est qu'avec lui que l'on peut véritablement parler d'un "conflit entre instances" (inhibition, symptôme et angoisse).

L'idée de conflits pulsionnels" découle de la notion de "forces qui s'opposent". Présentes dès 1895, explicitée en 1905, elle sera réaffirmée en 1920 avec la nouvelle dualité des pulsions ; s'il n'y a rien à rejeter dans l'ancienne formule qui explique les psychonévroses par un conflit entre pulsions du moi et pulsions sexuelles (Au-delà du principe du plaisir) (...), il convient néanmoins de tenir compte de la nouvelle opposition posée en 1920. Pour recentrer les termes ultimes du conflit, il faut conserver une dualité (Éros et pulsion de mort) ; en situant deux termes opposés (Le moi et le ça), elle se justifie d'abord par la nécessité de maintenir un conflit au moteur même du processus pulsionnel ; cela revient, de fait à corriger et compléter l'énergétique par le conflictuel. 

Pour bien situer les choses il faut tenir compte de deux données : nous n'avons affaire qu'avec les "représentants" de la pulsion, et la notion de pulsion elle-même ne saurait comporter d'opposition. (...) il peut alors être affirmé (...) que les oppositions entre représentations sont l'expression des combats entre les différentes pulsions (Le trouble psychogène de la vision, 1910) (Freud écrit que), plutôt que le qualitatif (les différentes pulsions...), "le facteur quantitatif se montre décisif pour le conflit ; dès que la représentation choquante en son fond se renforce au-delà d'un certain degré, le conflit devient actuel et c'est précisément l'activation qui entraîne le refoulement" (Le refoulement, dans Métapsychologie, 1915). Pourtant, se fondant sur la pratique qui l'a conduit à élaborer l'opposition ça/moi, il va bouleverser progressivement cette attribution, jusqu'à en venir à valoriser le qualitatif dans le conflit. Il va, en effet (...) finir par introduire cette "nouveauté" qu'est la notion d'une "tendance au conflit" qui vient non seulement s'ajouter à la situation, mais le fait de façon indépendante de la quantité de libido ; cela présuppose l'intervention d'une part d'agression libre - et il est bien certain que cela devrait aboutir à "réviser tout ce que nous savons du conflit psychique" (L'analyse avec fin et l'analyse sans fin, 1937). On peut dès lors considérer que le conflit est l'essence même de la fonctionnalité psychique. 

En fait, (...) Freud aurait pu ajouter "qu'il n'y a rien qui soit aujourd'hui à rejeter de l'ancienne formule" - et que les deux énonciations sont moins contradictoires qu'il y parait au premier abord. Comme en 1914 le facteur quantitatif demeure une condition nécessaire en 1937, mais il s'avère qu'elle n'est pas suffisante ; deux facteurs qualitatifs doivent s'y ajouter : - l'un portant sur ce que l'on pourrait qualifier de "part la plus qualitative de l'économique", à savoir l'activité libre de l'énergie, - l'autre concernant "la nature même de la pulsion" qui est ici l'agression. Le conflit, à ne plus se borner à exprimer un débordement et un excès quantitatif, prend une véritable fonction de principe moteur : il représente bien, en lui-même, une 'tendance indépendante". Insistons : si c'est bien en fonction de la pulsion, c'est d'abord par le moi, pour le moi et dans le moi, que le conflit peut être compris ; il ne peut l'être, tout comme ses produits que sont l'angoisse et le refoulement, que par ses lieux et ses conditions d'apparition, ainsi que par l'énergie liée qui se trouve libérée à ces occasions. C'est là ce qui permet de situer les psychonévroses (comme les défenses qui les suscitent) en fonction du conflit en les liant au moi : il en va ainsi dès "la névrose de transfert, cet objet d'étude spécifique de la psychanalyse, qui reste le résultat d'un conflit entre le moi et l'investissement libidinal d'objet" (Au-delà du principe du plaisir). En revanche, cette "partie du ça qui a été modifiée sous l'influence directe du monde extérieur" et qui s'efforce de mettre le principe de réalité à la place du principe du plaisir (...), le moi donc, résulte directement du conflit entre ces deux principe, comme de son dépassement. Il s'agit bien là, pour Freud, de la psychanalyse en tant que pratique, tout autant que de sa théorie : "La psychanalyse est un outil qui doit donner au moi la possibilité de conquérir progressivement le ça" (le moi et le ça) ; ou, comme il le reformule dix ans plus tard : "Là où était du ça doit advenir du moi. Il s'agit là d'un travail de civilisation" (Nouvelles conférences sur la psychanalyse).

     Mais, pour Freud, qu'est donc le conflit? De lui, on pourrait presque dire, comme de la pulsion ou de l'inconscient, que ne s'en connaissent guère que les effets : angoisses, symptômes, inhibitions et, avec ceux-ci, les refoulements et les autres défenses, qui sont déjà des tentatives de dépassement ou de résolution des conflits. Ceux-ci impliquent directement la force pulsionnelle et les contre-forces qu'elle a suscitées lors de précédents conflits durant sa propre histoire (Métapsychologie). Nous devons considérer que le conflit est l'élément moteur du psychisme comme la raison de ses défenses ; il est ce qui fait produire un travail à l'énergie : telle est sa fonction.

 

     Sans doute est-ce en raison de son "essentialité" que, depuis des dizaines d'années, il se retrouve quelque peu négligé dans les travaux des analystes, la plupart se consacrant surtout à ses produits et ses effets.

Chez Freud, il perdure et se renforce, il reste une nécessité ; il n'en demeure pas moins que les orientations en sont remaniées au fur et à mesure de l'évolution théorico-pratique. Dans les débuts, il assurait une fonction déductive : "Nous constatons un conflit, quelles vont être les conséquences?" Sa fonction apparaît ensuite inductive : "Le refoulement peut se comprendre par le conflit dont il n'est finalement que le résultat", opérant par et dans l'après-coup. Étant d'abord une nécessité méthodologique pour rendre compte du fonctionnement mental, sa forme devra être réaménagée selon les ré-élaborations, depuis l'opposition entre pulsions du moi et pulsions sexuelles jusqu'à celle entre pulsions de vie (Éros) et pulsion de mort. Certes, "le facteur quantitatif se montre décisif pour le conflit" (Métapsychologie), mais (...) l'introduction du ça et du moi conduit à l'idée d'une tendance au conflit indépendamment de la quantité de libido (...). Comme l'angoisse (...), le conflit opère toujours dans le moi, mais celui-ci "est identique au ça dont il n'est qu'une partie spécialement différenciée" (inhibition, symptôme et angoisse) ; redisons que le moi est le produit du ça et de son lieu conflictuel - devenu moi justement pour cela.

Mais de quoi le conflit peut-il être indépendant? Du quantitatif, sans doute, mais encore? Freud parle de "tendance indépendante" et pour lui, même si le quantitatif demeure premier dans la pratique, dans le principe il reste subordonné au qualitatif, l'accumulation quantitative permettent de provoquer le saut qualitatif ; en déplaçant l'essence du conflit sur le qualitatif, Freud le postule déterminé qualitativement, avant toute variation quantitative - et nous retrouvons ici encore la fonction majeure du conflit qui est de déterminer le fonctionnement psychique. Mais voilà qui n'est pas sans conséquence sur ce qui peut varier : ce sont les variations elles-mêmes qui vont devenir dépendantes du conflit - ce qui revient à considérer que le conflit forme et produit l'histoire individuelle. On retrouve ainsi la question concomitante de l'angoisse et du refoulement ; d'ailleurs le renversement de leur rapport se produit en 1926, dans le mouvement même qui restitue le conflit : "C'est l'angoisse qui produit le refoulement et non pas, comme je l'ai jadis pensé, le refoulement qui produit l'angoisse" (Inhibition, symptôme et angoisse). L'angoisse est le signe, le représentant du conflit : le refoulement en est le produit, voire le dépassement - et les caractères propres au conflit devraient se retrouver, ne fut-ce qu'en partie, dans ses productions ou, plus exactement, dans ce que le moi produit pour se protéger de certaines de ses conséquences. Il s'agit là, bien sûr, des défenses : toutes les défenses sont défenses contre le conflit, chacune recourant à un procédé propre, qui la spécifie (...). "Lorsque le moi a réussit à se défendre d'un motion pulsionnelle dangereuse, par le processus du refoulement par exemple, il a bien inhibé et affecté cette partie du ça, mais en même temps il lui a conféré une certaine indépendance et renoncé à une part de la propre souveraineté" (toujours Inhibition...).

Cette indépendance que le moi confère à "une partie du ça" représente de fait la "tendance indépendante du conflit" ; latente, elle va maintenir active la tendance conflictuelle, permettant au conflit de ressurgir selon l'occasion (généralement traumatique). Cette indépendance a d'ailleurs une autre conséquence : "Nous pressentons qu'elle ne va pas de soi, qu'il n'est peut-être même pas habituel, que le refoulé subsiste ainsi inchangé et inchangeable" (toujours Inhibition...) ; hypothèse aux lourdes implications mais sur laquelle Freud ne reviendra pas. Pour ici et pour le moment, ce qui nous importe c'est que la relative indépendance du conflit, acquise par le refoulé, qui peut l'autoriser à se changer dans l'inconscient.

       Omniprésent dans la conceptualisation freudienne, le conflit apparaît prééminent dans nombre de notions, même si parfois son attribution peut poser problème. Cela s'illustre par l'ambivalence que Freud réfère explicitement au conflit (...), mais dont la conflictualité apparaît parfois ambiguë ; il la définit en effet en fonction du but, l'objet demeurant le même et n'apparaissant ambivalent qu'au travers des projections. C'est ce qui peut faire du complexe d'Oedipe, avec ses deux objets, le champ exemplaire de l'ambivalence qui s'y révèle autant comme évitement que comme représentation du conflit. Ainsi, "chez le petit enfant coexistent pendant longtemps des attitudes affectives ambivalentes à l'égard des personnes qui lui sont le plus proches, sans que l'une d'elles perturbe l'autre dans son expression. Si cela aboutit finalement à un conflit entre les deux, celui-ci se règle par le fait que l'enfant change d'objet, déplace l'une de ses motions ambivalentes sur un sujet substitutif" (Psychologie des foules et analyse du moi) ; dans ce temps précoce de l'Oedipe, l'ambivalence permet de contourner le conflit. Mais, tout aussi bien, le petit Hans "se trouve dans l'attitude oedipienne de jalousie et d'hostilité envers son père, qu'il aime cependant de tout son coeur,  du moins tant que sa mère n'entre pas en ligne de compte pour causer la discorde : un conflit d'ambivalence, un amour bien fondé et une haine non moins justifiée, dirigés tous deux vers la même personne. Sa phobie doit être un essai de solution de ce conflit. De tels conflits d'ambivalence sont très fréquents" (Inhibition toujours...). Cette fois, l'ambivalence représente le conflit, voire le suscite, mais c'est là un temps second par rapport au premier temps d'ambivalence sans conflit ; qui plus est, ce deuxième temps prépare la résolution du conflit (par la phobie, en l'occurrence) - ce qui conduit Freud à préciser et à compléter ainsi son commentaire tardif (1926) sur le petit Hans : "La formation substitutive (le cheval) a deux avantages manifestes : en premier lieu, elle évite un conflit d'ambivalence car le père est en même temps un objet aimé ; et en second lieu elle permet au moi de stopper le développement d'angoisse" (Inhibition toujours). le changement d'objet a permis de résoudre le conflit. L'ambivalence peut être tout aussi bien agent du conflit que moyen de l'écarter parce qu'elle implique des temps différents (...) ; elle est "un héritage archaïque" qui reproduit les conflits de l'histoire mais n'est pas en lui-même conflictuel. Sa position en fonction du moi fait que le conflit ne peut se jouer que dans l'actualité d'un affrontement pulsionnel, fût-il prédéterminé de par la fonction de la pulsion. L'apparente contradiction que nous offre ainsi l'ambivalence témoigne aussi de deux niveaux de l'approche métapsychologique, plus encore que de deux moments de l'élaboration théorique : elle est dépassement de l'opposition du quantitatif et du qualitatif. Ce que le présupposé de la prévalence du quantitatif avait dissimulé à Freud en 1915-1916, il saura le reconnaître en 1926 : "se libérant de cette obsession de l'économique" (Inhibition toujours), il peut maintenant reconnaitre l'essence du conflit. Il y a donc une certaine ambiguïté dans la conflictualité de l'ambivalence ; mais avec la notion (pourtant voisine) de couples d'opposés, la référence conflictuelle devient de plus en plus précaire dans la mesure où ces couples renvoient aussi bien à des oppositions formelles et symptomatiques qui supposent qu'une solution a été apportée au conflit (ainsi du voyeurisme/exhibitionnisme), qu'à d'autres fondamentales et structurelles qui sont l'essence même du conflit (tels Éros/pulsion de mort). Cela fait que l'on a parfois l'impression que, bien plus que d'une notion, il s'agit-là d'une description, d'une "expression" qui tend à recouvrir un fourre-tout ; dans de tels couples, le qualitatif "oppositionnel" semble suggérer un conflit - mais n'est-ce pas une fausse impression?

Certes, dès son apparition en 1905, le terme de couples d'opposés se trouve lié aux mouvements pulsionnels - et il le restera avec Éros et pulsion de mort . C'est dire qu'il s'agit d'un concept dynamique impliquant des forces, y compris dans les opposés actif/passif. Mais l'opposition de ces forces n'est pas fortuite puisqu'elle est prédéterminée par leur nature commune ; elle construit une situation d'équilibre (fût-il précaire) qui pourrait correspondre au "moment du couple" selon les physiciens, fournissant ainsi les différents tableaux pathologiques ou normaux. Nous pouvons remarquer que nous retrouvons, encore une fois, le modèle en oeuvre dans le refoulement tel qu'il conjugue l'attraction et la répulsion. On voir là clairement toute la différence entre un couple d'opposé et un conflit pulsionnel : l'opposition des forces y produit un équilibre, et non pas un déchirement (comme dans le clivage par exemple) ; cela tient à ce que l'opposition ne se produit pas entre deux pulsions, mais à l'intérieur d'une même pulsion.

En dépit de l'opposition des directions, la satisfaction pulsionnelle demeure la même ; le but peut changer, comme il le fait avec l'ambivalence mais pas l'objet qui demeure. Il convient donc de se méfier des mots : il ne saurait suffire de constater une opposition pour rencontrer un conflit. Pourtant et tout aussi bien, l'opposition peut être à l'oeuvre dans les conflits eux-mêmes, dès lors qu'ils prennent une autre dimension. Dans un premier temps, collant à la métaphore, Freud attribue au conflit un sens quasi guerrier, considérant par exemple, qu'il en va dans les conflits psychiques comme avec une armée qui - pour reprendre son image - ne saurait engager le combat que lorsque ses forces sont en nombre suffisant, même si l'état de tensions persiste longtemps (Métapsychologie) ; c'est là effectivement une situation "armée" fort éloignée de la complémentarité du sadisme et du masochisme, et qui ressort, pour l'essentiel, d'une logique du quantitatif. Mais, dans un deuxième temps de son élaboration, il abandonne la métaphore et, avec elle, le quantitatif : d'abord, et dorénavant, le conflit désigne la combinatoire d'oppositions structurelles nécessaire à toute vie, voire à l'inanimé et à la nature elle-même. Les effets de destruction propre au conflit se dépassent alors eux-mêmes pour assurer la perpétuation de la vie jusqu'à son extinction (Abrégé de psychanalyse) - et même en deçà : "L'analogie de nos deux pulsions fondamentales, outrepassant le domaine des choses animées, nous entraîne dans le région de l'inorganique jusqu'au couple d'opposés qui règne : l'attraction et la répulsion". Les couples d'opposés rejoignent ainsi la fonction organisatrice du conflit. 

       Nous avons pu remarquer qu'il fallait savoir distinguer opposition et conflit ; nous devons ajouter qu'en langue freudienne le conflit n'est pas la guerre (même s'il peut parfois le devenir, ou l'avoir été). Avec le conflit, Freud a opéré comme avec d'autres constats qui, lorsqu'il les rencontra, lui apparurent d'abord comme des gênes fâcheuses, voire des obstacles au traitement ; puis il sut les élaborer, les conceptualiser jusqu'à découvrir leurs vertus constructives, voire thérapeutiques - passant ainsi des conflits au conflit. Il procéda de la sorte avec le transfert comme avec le traumatisme, pour ce citer que ceux-là. C'est ce qui m'a conduit à parler ici des fonctions du conflit."

 

      Dans les perspectives cliniques, Emmanuelle CHERVET avec Règle fondamentale et dramatisation du conflit psychiques, Pierre DECOURT, avec Discussion du texte de Emmanuelle Chervet, Catherine KRIEGEL avec "Je ne vois pas d'où je meurs", Bernard VOIZOT avec De l'agir au souvenir. La figuration des conflits dans le travail de construction en analyse, Jean-François DAUMARK avec Il est bien difficile de dire du mal d'un analyste, Sylvie DREYFUS avec Le conflit psychique. Discussion du texte de François Daumark, Bernard CHERVET avec Du conflit de négation au conflit de mise en latence, Marie-France DISPAUX avec Le calme et le rien ou la vie et l'autre, Denys RIBAS avec A propos du texte de Marie-France Dispaux, Françoise MOGGIO avec Les petites voleuses, expérience du conflit dans la psychanalyse de l'enfant, François DUPARC avec Transitions, traversées et voies de traverse. De l'objet anti-conflit à l'objet symbolique et Annette FRÉJAVILLE avec Plaidoyer pour un peu de conflit entre les réalités interne et externe, fournissent la majeure partie des réflexions de ce numéro de débats en psychanalyse.

 

       Rappelons que ce numéro fait partie d'un des derniers des Débats de psychanalyse créés en 1995, à l'initiative des Monographies de Psychanalyse, avant leur fusion en 2005 avec les Monographies de la Psychanalyse elles-mêmes crées en 1988, à l'initiative de la Revue Française de Psychanalyse. Figurent comme fondateur des monographies et Débats de psychanalyse, Claude LE GUEN et comme directeur Claude JANIN. Des informations peuvent être obtenues sur le site officiel de la Société Française des Psychanalystes. Il s'agit de la tendance freudienne de la psychanalyse française, pour autant que cette dénomination conserve aujourd'hui un sens autre qu'historique. 

 

  L'éditeur présente ce numéro de la manière suivante : "Le conflit psychique est l'un des organisateurs majeurs de la psyché. Il se présente cliniquement le plus souvent selon une opposition entre deux termes, expression manifeste d'un autre conflit sous-jacent plus fondamental : celui entre une tendance à éteindre la pulsion et un impératif à l'investir selon diverses modalités. En 1924, Freud écrit à son propos : "Il y a trois grands types de maladies suivant les instances en conflit : moi-ça (névroses de transfert), moi-surmoi (névroses narcissiques), moi-monde extérieur (psychoses)", mais il reconnaît aussitôt que le conflit ne peut être réduit à une telle lutte entre instances. En 1937, il invite à une révision de la conception du conflit psychique au regard de la dualité pulsionnelle et de l'existence d'une "tendance au conflit". La constitution du conflit psychique devient dès lors centrale ainsi que sa qualité et la préoccupation technique de le faire advenir sur la scène du transfert. "Les adversaires, souligne Freud, ne se trouvent pas plus l'un face à l'autre que l'ours blanc et la baleine. Une vraie solution ne peut intervenir que lorsque les deux se retrouvent sur le même terrain".

La diversité des situations thérapeutiques abordées dans cet ouvrage (de la cure classique à la cure de l'enfant, en passant par des situations non-névrotiques) va permettre un enrichissement de ce concept fondamental dans la théorisation de la pratique psychanalytique."

 

    Bernard CHERVET, Psychanalyste, Membre titulaire formateur de la Société psychanalytique de Paris, Président de la SFP depuis 2011, est aussi l'auteur d'autres ouvrages : La compulsion à répétition (PUF, 2011), Le rêve et la séance (avec Christine JEAN-STROCHLIC, PUF, 2007)....

     Laurent DANON-BOILEAU, Psychanalyse et Linguiste, ainsi que romancier, est l'auteur d'autres ouvrages : Les troubles du langage et de la communication chez l'enfant (PUF, 2009, 2011), L'enfant qui ne disait rien (Odile Jacob, 2010, réédition de l'ouvrage publié chez Calmann-Lévy en 1995), La naissance du langage dans les deux premières années (avec Mireille BRIGAUDIOT, PUF, 2002, 2009), La parole est un jeu d'enfant fragile (Odile Jacob, 2007), Le sujet de l'énonciation, psychanalyse et linguistique (Ophrys, 1987, 2007), Les troubles du langage et de la communication chez l'enfant (PUF collection que-sais-je?, 2004), Des enfants sans langage, de la dysphasie à l'autisme (Odile Jacob, 2002), Grammaire de l'intonation, l'exemple du français (avec Mary-Annick MOREL, Ophrys, 1998), Du texte littéraire à l'acte de fiction (Ophrys, 1995), Énonciation et référence (Ophrys, 1992), La Stupeur (Seuil, 1979)...

    Marie Claire DURIEUX est également l'auteur d'Interdit et tabou (PUF, 2006), de Otto Kernberg (PUF, 2003), de La vie amoureuse (PUF, 2001)....

 

Les débats de psychanalyse (publication de la Société Psychanalytique de Paris), Le conflit psychique, sous la direction de Bernard CHERVET, de Laurent DANON-BOILEAU et de Marie-Claire DIRIEUX, PUF, 2005, 190 pages. 

 

Complété le 29 janvier 2013. Relu le 25 août 2020

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