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30 novembre 2010 2 30 /11 /novembre /2010 14:36

      L'organisation socialiste de la France, sous-titre de L'armée nouvelle, constitue une référence dans la classes politique française et au-delà (des frontières et des fonctions), sur la question de la conscription, et partant de l'armée en général.

Cette oeuvre qui entend appuyer une proposition de loi sur le service national est une condamnation non seulement de l'armée de métier, mais aussi d'une armée de classe, à l'heure (le livre est publié en 1910) où la hiérarchie militaire est formée à partir du niveau des officiers de professionnels hostiles à la République et encore plus au socialisme. Elle se situe dans le cadre du débat parlementaire récurrent sur le service militaire.

Oeuvre-testament sur sa conception de l'armée, dont on ne peut savoir si elle aurait inspiré véritablement une politique de défense, vu que son auteur est assassiné en 1914, L'armée nouvelle continue de constituer un repère dans les conceptions politiques de l'armée. Elle est aussi considérée comme une oeuvre d'histoire et de sociologie militaires, par sa précision et son souci de rester toujours sur la réalité et non pas dans le débat idéologique, même si elle y participe. 

 

        Constitué de 13 chapitres au texte serré, abondamment situé dans les débats de l'époque, souvent polémique, le livre de Jean JAURÈS se termine sur l'énoncé de la proposition de loi sur le service national. 

 

        Le premier chapitre, Force militaire et force morale, pose la question : "Comment porter au plus haut, pour la France et pour le monde incertain dont elle est enveloppée, les chances de la paix? Et si, malgré son effort et sa volonté de paix, elle est attaquée, comment porter au plus haut les chances de salut, les moyens de victoire ?" "Ce qui importe au socialisme, c'est donc de traduire en actes, par une application quotidienne, les résolutions essentielles de ses congrès nationaux et internationaux ; c'est de rendre visible et tangible sa pensée tout entière, sans mutilation, sans dénaturation. Que le socialisme lie sans cesse la libération des prolétaires à la paix de l'humanité et à la liberté des patries (...) Il faut qu'il démontre donc par son activité allègre que s'il combat le militarisme et la guerre, ce n'est point par égoïsme peureux, lâcheté servile ou paresse bourgeoise, mais qu'il est aussi prêt à assurer le plein fonctionnement d'un système d'armée vraiment populaire et défensif qu'à abattre les fauteurs de conflit ; alors, il pourra défier les calomnies, car il portera en lui, avec la force accumulée de la patrie historique, la force idéale de la patrie nouvelle, l'humanité du travail et du droit." Ce les ouvriers demandent, "c'est que la nation organise sa force militaire sans aucune préoccupation de classe ou de caste, sans autre souci que celui de la défense nationale elle-même." Il faut que les officiers reconnaissent l'admirable trésor de force morale que contient le socialisme ouvrier, sans avoir à souscrire à telle ou telle formule d'organisation sociale... L'auteur ne cesse de répéter, et pas seulement dans ce chapitre que "l'organisation de la défense nationale et l'organisation de la paix internationale sont solidaires."

 

            D'emblée c'est la par la question de l'active et de la réserve de l'armée que Jean JAURÈS débute ses critiques et ses propositions. "Le vice essentiel de notre organisation militaire, c'est qu'elle a l"apparence d'être la nation armée et qu'en effet elle ne l'est point ou qu'elle l'est à peine. Elle impose à la nation une lourde charge, mais elle n'obtient pas de la nation toutes les ressources défensives que la nation vraiment armée et éduquée pourrait fournir avec une moindre dépense de temps et de force". Par là, il critique une organisation de la défense qui place le citoyen deux ans dans l'armée active, onze dans la réserve de l'armée active, 6 ans dans l'armée territoriale, et 6 ans encore dans la réserve de l'armée territoriale. En fait, tous les citoyens passent deux ans à la caserne et ensuite, la réserve reste sur le papier et non dans les faits. Ce long service de caserne est la conséquence d'une idée fausse, les réserves étant tenue pour inférieures dans l'organisation de la défense.

"Un des pires effets de l'encasernement prolongé, c'est de donner au pays l'illusion que là est l'essentiel de l'éducation militaire, et de le détourner, de la dégoûter de l'effort viril et permanent qui doit assurer le niveau constant et normal de puissance défensive." Ce n'est que le jour où la France "voudra faire pour l'éducation de ses réserves et pour la constitution de leurs cadres un effort sérieux" que ce séjour dans la caserne ne sera plus une parenthèse inefficace et ennuyeuse, voire nuisible. C'est la même problématique que Jean JAURÈS traite, dans le détail dans les chapitres suivants.

 

        Ainsi, dans Défense mutilée et défense complète, écrit le leader socialiste, une véritable défense, "contre l'Allemagne militariste et absolutiste", est une défense qui mobilise dès les premiers temps de la guerre, l'ensemble de ses réserves, dont l'éducation se fait dans d'autres lieux que dans la caserne. Il reprend finalement à son compte une organisation en milices : "De fortes milices démocratiques réduisant la caserne à n'être qu'une école et faisant de toute la nation une immense et vigoureuse armée au service de l'autonomie nationale et de la paix ; voilà, dans l'ordre militaire, la vraie libération de la France". 

 

        Tout le milieu de son ouvrage, entre les chapitres 4 (Dangereuses formules napoléoniennes), 5 (Demain - Offensive et défensive) et 6 (La tradition révolutionnaire française)  constitue une véritable histoire sociologique de l'armée française.

Prenant le contre-pied d'idées qui se propagent, des états-majors à l'école de guerre, en faveur d'un "servile émulation du militarisme allemand", Jean JAURÈS bataille contre une mauvaise compréhension des grands auteurs militaires (CLAUSEWITZ entre autres) et des grands stratèges français (NAPOLEON...), mauvaise compréhension induite par un esprit revanchard (de la défaite de 1870...). En fait, c'est l'organisation, la discipline, qui doivent constituer les références des chefs-d'oeuvre de l'idée révolutionnaire. Il insiste sur le fait que CLAUSEWITZ, le meilleur interprète de la stratégie napoléonienne,  prône une défensive active, toute prête à se transformer en offensive ardente. Précisément, c'est par la mobilisation rapide de ses réserves que cette stratégie peut se déployer. "En effet, la France, par la mobilisation simultanée et par la concentration des douze classes qui correspondent aujourd'hui à la réserve, mettra en ligne, pour les premiers grands combats, une masse formidable de deux millions d'hommes, soutenue en arrière par les forces de la territoriale et pouvant se permettre par conséquent, même après un premier et grave échec, un nouvel effort, un vigoureux recommencement."  Il tire la leçon de l'amalgame réalisé pendant la révolution française entre les anciennes troupes royales et les régiments révolutionnaires, une des énergies indispensables à une telle stratégie : une véritable symbiose entre troupe et corps des officiers, un dépassement de la véritable ségrégation sociale qui règne dans l'armée. Une véritable éducation, qui donne une part moins large à l'encasernement à la française du moment et qui s'inspire, en le centralisant davantage du modèle des milices suisses, doit permettre la discipline et le sens de l'organisation nécessaires. 

 

           Dans les chapitres suivants (7, 8 et 9), Jean JAURÈS précise sa pensée. Il propose une idée de l'organisation nouvelle : Des troupes de couverture ; France et Suisse à propos du problème des cadres ; Formation et éducation des cadres De la prétendue unité d'origine ; Les officiers et les organisations ouvrières. Les officiers à l'université.

Sur les troupes de couverture, il entre dans le détail de l'organisation de la défense de la Suisse et la compare aux dispositions des dernières lois d'organisation de la défense française. Observant les différentes propositions qui circulent dans le monde militaire de son époque, il note certaines idées sur l'agencement des troupes suivant les zones du territoire plus ou moins proches de la frontière allemande et sur leur entraînement militaire avant d'insister sur une réforme du recrutement des cadres. Derrière son examen du système d'écoles préparatoires d'officiers de la Suisse, se comprend bien son combat contre la méfiance d'une grande partie du corps des officiers de l'armée française de donner une véritable instruction militaire à des ouvriers. Il souligne qu'en Suisse, les nominations d'officiers relèvent des cantons et comment l'instance fédérale fait le tri entre les propositions qui lui parviennent. "Il est donc à présumer non seulement que les officiers suisses sont les meilleurs que la Suisse peut avoir dans l'état présent de sa démocratie, mais qu'ils peuvent dans l'ensemble, comme l'attestent le travail d'esprit qui s'est produit en eux et le progrès de l'armée suisse elle-même, soutenir la comparaison avec les officiers professionnels." La cohésion (renforcée par un système d'élection) dans cette armée peut être une référence pour la France, sans proposer de transposer simplement cette organisation à un grand pays comme elle.

Il s'attaque à la prétendue unité d'origine qui dicterait le choix du recrutement des officiers, formule qui masque mal un principe élitaire. Le degré de connaissances intellectuelles requis pour l'officier dans les écoles militaires, la forme de la culture générale obligatoire nécessaire pour l'avancement (de soldat à sous-officier, puis à officier) ne résout pas la question. Il faut que les officiers spécialistes soient éduqués dans des conditions contraires à tout esprit de caste et de classe. Or l'esprit de caste (entre catégories d'officiers) égale au moins l'esprit de classe dans l'armée de son époque.

Dans le chapitre sur les officiers et les organisations ouvrières, l'auteur indique qu'"en premier lieu il importe qu'ils soient recrutés le plus largement possible dans tous les milieux sociaux : ou, pour parler plus exactement le langage qui convient à une société où le monopole de la propriété crée des classes, il faut, et pour l'armée, et pour le prolétariat, que l'élite des officiers puisse se recruter et se recrute parmi les fils de bourgeois, mais aussi parmi les fils de prolétaires, et qui gardent le souvenir vivant et la marque de leur origine." Il faut pour cela qu'interviennent les organisations ouvrières de tout ordre...

 

       Le ressort moral et social, les relations entre l'armée, la patrie et le prolétariat constitue le thème du chapitre 10. Ce chapitre, divisé en trois parties - Les répressions intérieures, La préparation d'un ordre supérieur,  Internationalisme et patriotisme - concentre de manière claire tout le propos politique et idéologique de Jean JAURÈS. Au lecteur moderne, nous dirions que s'il ne veut lire qu'une partie de L'armée nouvelle, que ce soit celle-là. Ici, toute une partie du socialisme français se défend à la fois contre la bourgeoisie jalouse de son armée, contre l'armée instrument de l'oppression capitaliste et contre tous les mouvements antimilitaristes qui considèrent l'armée présente comme intrinsèquement liée à l'impérialisme et au capitalisme, irréformable en tant que telle, instrument obligatoirement au service de la guerre. 

Dans la partie consacrée aux répressions intérieures, il commence, alors qu'il a déjà proposé une organisation de l'armée qui soit au service au prolétariat par se questionner : "Mais à mesure que nous recherchons de façon plus précise les conditions d'organisation d'une armée vraiment populaire, une question vitale se dresse plus pressante devant nous. Est-ce que le peuple ouvrier et paysan est disposé à assurer le fonctionnement de l'armée? Tous les mécanismes ne seront rien s'ils ne sont pas animés par l'énergie, par la passion du prolétariat lui-même. Tous les systèmes de recrutement des cadres, si démocratiques ou populaires qu'on le suppose, seront inefficaces si le peuple ouvrier et paysan se désintéresse de cette grande oeuvre, s'il ne se préoccupe pas de soumettre le commandement à son influence et de le pénétrer de son esprit, et il ne le pourra que s'il intervient lui-même passionnément dans le fonctionnement de l'organisation militaire. S'il a une attitude hostile, ou même s'il boude et s'abstient, tout changement de forme dans l'institution militaire aboutira, ou à dissoudre la défense nationale et à livrer la France à toutes les surprises du dehors, ou à reconstituer une oligarchie armée, d'autant plus dangereuse qu'une apparence d'organisation démocratique couvrira la puissance persistante et le privilège de fait des classes possédantes, seules maîtresses, par l'ineptie indifférence du peuple, de l'appareil de combat et de répression. Mais pourquoi le prolétariat n'assumerait-il pas, de son point de vue à lui, dans son esprit à lui, et selon la mesure de sa force grandissante, la grande tâche de l'organisation militaire et de la défense nationale? J'entends bien qu'une prédication souvent confuse d'antimilitarisme, ou même d'antipatriotisme, a accumulé sur ce problème des obscurités et des malentendus, mais cela même est une raison de plus de poser la question, et je suis convaincu qu'une analyse exacte du problème fera apparaître aux travailleurs la nécessité sociale et prolétarienne aussi bien que nationale, la nécessité révolutionnaire aussi bien que française, de constituer une armée nouvelle par l'intervention du prolétariat." Jean JAURÈS préfère laisser "la bourgeoisie conservatrice et réactionnaire à ses contradictions et à ses misérables intrigues" qui exploite entre autre la propagande antimilitariste qu'il combat. Et analyser la situation réelle : puisque les socialistes reprochent à l'armée d'être aux mains de la bourgeoisie, l'instrument des répressions intérieures et des aventures extérieures, il faut qu'ils prennent en main, en mettant en place et en profitant d'un rapport de forces favorable, toute la défense nationale. Le risque que l'armée demeure ce qu'elle est diminuera lorsque le conflit brutal entre le peuple et la bourgeoisie, mû par les ressorts de l'exploitation capitaliste que, invoquant Karl MARX et ses continuateurs, l'auteur ne mégote pas de rappeler et de dénoncer, s'atténuera et fera place à une coopération dans le cadre de la mise en place progressive du socialisme. 

C'est sur cette préparation d'un ordre supérieur que l'auteur insiste, préparation dans les déchirements de la lutte des classes et l'exaspération des conflits. "Capitalisme et prolétariat, dans l'ordre de la production aussi et du progrès technique, en se heurtant et se combattant, ont concouru, à travers les douleurs et les haines, à un commun progrès, dont les deux classes bénéficient inégalement aujourd'hui, dont bénéficieront un jour également les individus des deux classes, dans une société où il n'y aura plus de classes, et où les longs frissons de la guerre terrible et bienfaisante à la fois ne se survivront plus, parmi les hommes égaux et réconciliés, qu'en une vaste émulation de travail et de justice."  "La démocratie (parlementaire, rappelons-le) donne des garanties aux deux classes et tout en se prêtant, en aidant à l'action du prolétariat vers un ordre nouveau, elle est dans le grand conflit social une force modératrice. Elle protège la classe possédante contre les surprises de la violence, contre le hasard des mouvements désordonnés. A mesure que le régime d'une nation est plus démocratique, plus efficace, les coups de main, les révolutions d'accident (ici l'auteur pense entre autres au boulangisme...) et d'aventure deviennent plus difficile. D'abord le recours à la force brutale apparaît moins excusable à la conscience commune, à l'ensemble des citoyens, quand tous peuvent traduire librement leurs griefs et contribuer pour une égale part à la marche des affaires publiques." 

Internationalisme et patriotisme sont entièrement liés dans l'esprit de l'écrivain socialiste. Confiant dans le caractère favorable au prolétariat de l'évolution de la société démocratique bourgeoise, il pense qu'il n'y a pas entre les peuples, entre nations, les mêmes garanties qu'entre classes sociales différentes à l'intérieur des nations. Une analyse dense et courte indique que la force du militarisme n'est pas la même dans tous les pays, que les rapports de force entre prolétariat et bourgeoisie diffèrent d'un pays à l'autre.  Mais "qu'on ne dise point que les patries, ayant été créées, façonnées par la force, n'ont aucun titre à être des organes de l'humanité nouvelle fondée sur le droit et façonnée par l'idée, qu'elles ne peuvent être les éléments d'un ordre supérieur, les pierres vivantes de la cité nouvelle instituée par l'esprit, par la volonté consciente des hommes." Optimiste, lyrique parfois, volontariste en tout cas pour forger cet ordre social nouveau, Jean JAURÈS estime qu'"il n'y a aucune contradiction pour les prolétaires socialistes et internationalistes à participer, de façon active, à l'organisation populaire de la défense nationale.". Il n'a pas vécu suffisamment longtemps pour que l'on connaisse son attitude concrète devant les unions sacrées de la première guerre mondiale.

 

             Les chapitres 11 et 12 reviennent simplement sur la question du recrutement des cadres - Encore les cadres - les promotions et ce Mouvement des faits et des idées qui, selon lui doit véritablement faire du service militaire - seulement théoriquement obligatoire et universel - la pièce centrale de l'armée nouvelle. Les besoins massifs en hommes et en compétences requis par l'évolution de la guerre place la question des réserves au centre du débat. 

 

        Le dernier chapitre, le treizième, introduit directement la proposition de loi. Il propose :

- "Qu'on revienne au recrutement régional, qu'on le précise même en recrutement subdivisionnaire jusqu'à confondre le plus possible l'organisation de l'armée et l'organisation de la vie civile ;

- Qu'on mette dans l'éducation de caserne plus de vie, de liberté, que l'on multiplie les exercices en terrains variés, avec liaison des armes ;

- Qu'on double et triple le nombre des camps d'instruction, qu'on rapproche et solidarise le plus possible dans les manoeuvres, les quatorze classes de l'active et de la réserve ;

- Qu'on étudie sans routine, sans prévention, en tenant compte seulement des faits, quel doit être le volume de chacune des unités de combat, de façon qu'elles soient proportionnées à la faculté réelle de commandement des chefs ;

- Qu'on se demande, par exemple, s'il ne conviendrait pas, maintenant que les hommes doivent s'éparpiller dans le combat et que les unités occupent une plus large quantité de terrain, de ramener à 150 hommes les compagnies, pour que chaque capitaine ait sa compagnie dans la main et dans le regard ;

- Qu'on se préoccupe, pour ces études, non pas de traditions peut-être surannées, mais des nécessités vivantes de la guerre d'aujourd'hui, comme le demandent à ma connaissance beaucoup d'officiers. Qu'on rende par là même le commandement des compagnies plus accessibles ;

- Que dans toutes les manoeuvres, manoeuvres d'unité ou de groupes d'unités, les chefs se proposent un but intelligible, de telle sorte que, selon la recommandation célèbre de Souvorov, tous les mouvements puissent être expliqués aux soldats et compris par eux ;

- Que les grandes écoles militaires soient mises le plus possible en communication avec tout le mouvement intellectuel du monde moderne ;

- Que les groupes d'officiers d'état-major, dégagés de l'immense et souvent stérile besogne administrative qui les accable, puissent se livrer vraiment à l'étude de la science militaire, de l'art militaire, et deviennent dans toute l'armée des forces de pensée, de travail et de progrès ;

- Que les sinécures dorées des grands chefs soient abolies et que partout il y ait à la fois travail et responsabilité ;

- Qu'un effort systématique soit fait pour développer la valeur des officiers de réserve, qu'un diplôme d'études militaires soit exigé à l'entrée non seulement de toutes les fonctions publiques, mais de toutes les fonctions dirigeantes de la vie civile ;

- Qu'un effort immense soit fait aussi pour développer l'éducation physique de la jeunesse, non point par l'apprentissage puéril et l'anticipation mécanique des gestes militaires, mais par une gymnastique rationnelle s'adressant à tous et se proportionnant à tous, aux faibles comme aux forts, et élevant le niveau de la race."

   On le voit, ces appels voient large et certaines propositions sont reprises même jusqu'à la récente suspension du service militaire obligatoire...

Le texte de la proposition de loi, déposée le 14 novembre 1910, figure juste à la fin de ce chapitre intitulé simplement La réalisation.

 

      Louis BAILLOT et Jean-Noel JEANNENEY, dans leurs préfaces respectives, écrivent que bien sûr l'armée de 1910 n'est pas celle de 1975 ou de 1992, mais tous les deux mettent en évidence de nombreuses problématiques similaires entre le projet d'armée nouvelle de Jean JAURES et les diverses propositions, notamment et surtout à gauche de l'échiquier politique français aux dates encore proches.

La question des réserves, le problème du contenu de l'éducation militaire, l'organisation de la vie de la caserne, les conditions réelles de préparation à la guerre des soldats, les liens entre la vie civile et la vie militaire, le problème de la responsabilité citoyenne du soldats, tout cela est déjà traité dans L'armée nouvelle. Jusqu'en 1997, la presse se faisait l'écho régulièrement du "malaise de l'armée"... La question qui brûle toutes les lèvres est de savoir ce qu'aurait fait réellement l'auteur s'il n'avait pas été assassiné en 1914 : aurait-il plongé dans l'union sacrée, aurait-il accentué jusqu'au bout sa critique des politiques internationales française et russe? En tout cas, ce qui frappe par exemple Madeleine REBÉRIOUX, est le réformisme foncier du leader socialiste. Non marxiste, même s'il défend la thèse marxiste de la valeur et adhère à la théorie de la lutte des classes et si sa pratique politique fut souvent très proche du mouvement ouvrier, il se caractérise sans doute dans une grande sous-estimation du caractère de classe de la démocratie bourgeoise, et partout du caractère de classe de l'appareil militaire. Louis BAILLOT le souligne en tirant de l'oeuvre cette phrase clé : "En fait l'État ne réprime pas une classe, il réprime le rapport de classes, je veux dire le rapport de leurs forces."  Toujours est-il que l'engagement internationaliste de Jean JAURÈS a toujours été net et persévérant et sans doute est-il directement lié à sa disparition.

Cette oeuvre ne s'inscrit pas seulement dans une défense d'une proposition de loi. Elle fait partie d'un ensemble ample, historique et sociologique, sur la guerre franco-allemande et la Révolution française. Son Histoire socialiste de la Révolution française (7 volumes, Éditions sociales, 1972-1985) est quasiment incontournable pour comprendre cette période essentielle.

 

 

Jean JAURÈS, L'armée nouvelle, L'organisation socialiste de la France, Introduction de Louis BAILLOT, Éditions sociales, 1977 ; Préface de Jean-Noël JEANNENEY, Imprimerie Nationale, 1992.

 Madeleine REBERIOUX, Jean JAURÈS, Encyclopedia universalis, 2004.

A noter que la première trace probante que nous trouvons du projet de l'ouvrage se trouve dans un contrat, en date du 25 novembre 1907, passé avec la maison Rouff, éditrice de la première édition. L'ouvrage devait s'appeler : La défense Nationale et la Paix Internationale. En 1910 seulement, Jean JAURÈS terminait son ouvrage et c'est le 14 novembre 1910 que l'édition parlementaire, aujourd'hui introuvable, de l'oeuvre, présentée comme proposition de loi, était publiée, suivant la formule, en "Annexe au procès-verbal de la séance du 14 nombre 1910" et sous le titre : Proposition de loi sur l'organisation de l'armée. L'édition de librairie paraissait peu de temps après, sous le titre L'armée nouvelle, et comme un fragment de l'ouvrage plus vaste que Jean JAURÈS voulait écrire sous le titre général : L'organisation socialiste de la France" (L'Humanité, en Avertissement de l'édition électronique par Wikisource de l'ouvrage - non encore complète).

 

Relu le 17 mars 2020

 

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