Les armes biologiques, très anciennes dans l'histoire, comme les armes chimiques, forment un arsenal très diversifié dont la caractéristique commune est d'être formé de pratiquement toute la gamme des micro-organismes vivants ou des matières qui en dérivent. Elles sont utilisées pour provoquer des épidémies, sous forme d'aérosol ou de fines particules liquides ou solides en suspension dans un gaz (ou dans l'air pour sa forme moderne), une fois le mode d'action de ces micro-organismes élucidé. Mais également depuis l'Antiquité, tout simplement sous forme de cadavres d'hommes ou d'animaux.
La classification des armes biologiques suit tout simplement la classification des sciences naturelles. On distingue généralement (Bureau des affaires du désarmement des Nations Unies) 5 catégories :
- Les bactéries, cultivées dans des milieux artificiels de culture liquide ou solide. Différentes bactéries peuvent être utilisées dans des armes biologiques, comme le bacillus anthracis, la brucella suisi, le Yersinia pestis, le Vibrio cholerae, le pasteurella tularensis et la Salmonella typhi. On reconnait là facilement les agents infectieux permettant de provoquer des épidémies de grippe, de peste, de choléra, de fièvre jaune ou de typhus...
- Les virus, nettement plus petits que les bactéries, qui abondent dans la nature. Leurs effets peuvent être amplifiés par une mutation naturelle ou par une modification génétique. Différents virus peuvent être utilisés : celui de l'encéphalite équine du Venezuela, le virus d'Ebola, celui de Hantaa, le virus de la fièvre de la vallée du Rift ou le virus de la fièvre jaune...
- Les rickettsies, analogues aux bactéries, plus grandes qu'elles mais plus petites que les virus, comme le Coxiella burnetti, le Bartonnella quintana, le Rickettsia prowasecki ou le Rickettsia rickettsii...
- Les champignons, micro-organismes qui produisent des spores et se nourrissent de matière organique, surtout nuisibles pour les végétaux. Différents agents fongiques peuvent être utilisés : Colletotrichum kahawae, l'Helminthosporium oryzae ou le Mircocyclus ulei....
- Les toxines, produits ou dérivés d'animaux, de plantes ou de micro-organismes, qui, à la différence des autres agents biologiques ne peuvent se reproduire. Différentes toxines peuvent être utilisées : aflatoxines, toxines butoliques, ricine, entérotoxines ou saxitoxines...
Tous ces micro-organismes possèdent le mérite d'avoir une action lente et indécelable au départ, obligeant pour s'en prémunir d'effectuer des vaccinations massives plus ou moins efficaces. Par contre, de nombreuses contraintes limitent le nombre d'agents biologiques susceptibles d'être utilisés comme arme. De ce fait peu d'entre eux retiennent l'attention des militaires. Cependant les progrès de la microbiologie peuvent étendre les possibilités.
Très tôt dans l'histoire, des agents biologiques ont servi dans les guerres, notamment sous forme de cadavres pestiférés. En effet, les différentes conditions des batailles, surtout si elles sont longues, sont propices à la propagation d'épidémies très diverses, surtout aux époques où l'hygiène n'est pas forcément une caractéristique très répandue des troupes. Ainsi, de temps à autre, diverses parties, lors des sièges des villes, expédient les cadavres (par catapultage par exemple), par-dessus les murailles ou polluent sciemment (par les excréments) les sources d'eau... Nous ne connaissons pas bien les conséquences de ces actions, sauf à partir du Moyen Age, pour la raison bien simple qu'une de celles-ci a provoqué la sinistre peste noire qui décima près de la moitié des Européens à partir de 1347. Pendant le siège de la ville génoise de Caffa (l'actuelle Théodosie en Crimée) en 1346 par le général tatare Kiptchäk khän Jamberg, une épidémie grave se déclara dans les rangs des assaillants et le général tatare utilisa cela à son avantage en décidant de catapulter derrière les murs de la ville les cadavres pestiférés de ses soldats, provoquant ainsi rapidement la mort de la plupart des assiégés.
Toute une histoire de l'utilisation des cadavres dans les batailles (et de leurs conséquences...) ou d'empoisonnement des eaux reste à écrire et sans doute cette tactique était-elle courante à certaines époques, tant en Occident qu'en Orient. L'usage des armes, entre parenthèses, s'inscrit aussi dans une histoire des mouvements des agents infectieux sur notre planète. Par exemple, les conquistadores espagnols apportèrent, dans leur conquête des empires qu'ils rencontrèrent sur le sol de l'Amérique du Sud, de manière inconsciente, les germes qui leur permirent une si rapide victoire. Sans doute les agents infectieux ont un rôle très important dans la montée et le déclin des civilisations.
On trouve là les paramètres de l'utilisation de l'arme biologique : propagation mortelle ou incapacitante, impossibilité de maîtrise de cette propagation, effets non discriminatoires sur les troupes amies et sur les troupes ennemies...
Un agent biologique incapacitant ou mortel doit avoir plusieurs avantages pour réellement intéresser les stratèges et les planificateurs militaires :
- moindre coût que les armes classiques, chimiques ou nucléaires ;
- grande flexibilité tactique due à l'existence d'une grande variété d'agents ;
- capacité de frappe de grandes cibles sur de longues périodes en raison de leur possibilité de multiplication et de contamination à long terme des zones ciblées ;
- capacité forte de létalité obligeant l'adversaire à déployer beaucoup d'efforts pour s'en prémunir ;
- impact psychologique dévastateur en suscitant la crainte d'une contamination non détectée et d'une mort imminente ;
- discrétion relative pour la dispersion des agents dans l'atmosphère.
Mais, revers de la médaille, un agent biologique est généralement peu fiable et peut générer des effets imprévisibles, sauf si la recherche permet de programmer son cycle de vie. Les effets notamment des armes biologiques modernes ne sont jamais immédiats en raison de leur période d'incubation qui peut durer plusieurs jours après la contamination, surtout depuis que les conditions d'hygiène dans les armées sont très surveillées. Il n'est plus possible d'utiliser maintenant des cadavres d'animaux ou d'hommes sans que immédiatement le génie militaire ou civil interviennent. Mais surtout, elles peuvent aussi contaminer l'utilisateur. Elles compliquent toutes les autres opérations militaires dans les zones contaminées et dans d'autres dont on ne sait pas réellement si elles ne le sont pas aussi, en obligeant les soldats à porter des équipements spéciaux de protection contre les infections. Bien plus que les armes chimiques, les armes biologiques nécessitent pour leur emploi de très grandes précautions.
Olivier LEPICK, compte tenu de tous ces paramètres, estime que la menace de guerre biologique est finalement mal définie.
"Les armes biologiques peuvent apparaître peu fiables en raison de la faible prévisibilité des épidémies, mais elles pourraient plus sûrement s'attaquer directement à chaque individu, principalement par ses voies respiratoires. Les agents biologiques seraient alors dispersés comme des agents chimiques. Des insectes familiers des théâtres d'opérations choisis pourraient aussi être contaminés pour infecter les individus. L'épidémicité serait alors considérée par l'agresseur comme un facteur secondaire, sinon gênant, en raison des risques en retour qu'elle ferait courir. Si des possibilités d'immunisation et de thérapeutique lui donnaient une sécurité plus grande, le secret de vaccinations de masse devrait être bien gardé pour que l'adversaire ne s'immunise pas, réduisant considérablement l'efficacité des attaques."
C'est une des raisons de leur interdiction, au début du XXe siècle, lorsque la connaissance de la dynamique de propagation des agents infectieux fait craindre toutes les conséquences possibles.
Bureau des affaires du désarmement des Nations unies, La science des armes biochimiques. Olivier LEPICK, Armes chimiques et biologiques, Encyclopedia Universalis, 2004. Hauman YAAKOUBI, Armes chimiques et biologiques, dans Dictionnaire de stratégie, PUF, 2000.
ARMUS
Relu le 9 avril 2020