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12 mars 2014 3 12 /03 /mars /2014 17:08

        Alors que limiter une guerre à l'utilisation d'armes conventionnelles, même en la présence d'armements de destruction massive, comme des gaz toxiques (pendant la seconde guerre mondiale) ou même des armes nucléaires (comme en Corée) se révèle du domaine du possible, contenir une guerre nucléaire apparait aux stratégistes ou aux stratèges du Pentagone une tâche bien plus risquée. C'est par ces points de l'histoire que Thérèse DELPECH commence l'évocation du concept de guerre nucléaire limitée.

L'idée, notamment défendue de manière constante par Henri KISSINGER qu'une guerre entre les adversaires principaux ne peut déboucher que sur une guerre totale provient directement de l'expérience de la Seconde Guerre Mondiale.

Aussi, du côté américain, même Herman KAHN (On Escalation) estime que la guerre limitée n'est pas une alternative à la guerre totale. On risque de perdre le contrôle d'une guerre limitée, vue l'ampleur des destructions sur des villes ou sur des complexes industriels précis, et d'en arriver progressivement à une guerre totale.

Du côté soviétique, Nikita KHROUCHTCHEV suggre que les guerres nucléaires limitées pourraient dégénérer. "Les Soviétiques, écrit-elle, avaient tendance à croire que, si une guerre nucléaire limitée tournait à l'avantage de l'Occident, ce serait forcément mauvais pour Moscou, et qu'une guerre totale conviendrait mieux à un système centralisé. Peut-être les Soviétiques n'avaient-ils pas acquis la maitrise des tactique d'une guerre nucléaire limitée. C'est pourquoi ils ont tenu à se focaliser sur leurs forces de rétorsion et redoutaient tant ce qu'ils pensaient avoir compris de la méthode américaine pour l'emploi des armes nucléaires. De fait, la littérature soviétique ne traitait la plupart du temps que de guerre totale." Avec, dans les manuels publics, l'emploi conjoints d'armes conventionnelles et d'armes nucléaires. "Henry Kissinger pensait que cette réticence à envisager une guerre nucléaire limitée était une forme de guerre psychologique,et que la diplomatie pourrait servir de substitut au manque d'imagination de l'état-major soviétique. L'idée qu'on puisse raisonnablement essayer d'éduquer les Soviétiques semble naïve si tant est que ce soit ce qu'Henry Kissinger a voulu dire". Il faut lire les Mémoires de Kissinger pour se faire une idée de ce raisonnement très présent dans la mentalité du responsable américaine des affaires étrangères, en exercice ou pas d'ailleurs. 

    "On pourrait faire valoir que les guerres s'avèreraient moins désastreuses grâce aux armes atomiques, parce que les dirigeants en deviendraient plus prudents. Or cette proposition n'a jamais été vérifiée. Résultat, la sagesse conseillait aux puissance nucléaires déviter toute forme de guerre, même conventionnelle, entre eux comme le soutenait dans son livre Michael Quinlan (Thinking About Nuclear Weapons, Oxford University Press, NewYork, 2009). Il est certes séduisant d'envisager des guerres limitées sans escalade, mais l'assurance qu'elles resteront ainsi est tout aussi limitée. cela pourrait s'avérer particulièrement utile dans le cas de pays, qui sont, comme la Chine, intellectuellement familiarisée avec l'idée que toute escalade dynamique est susceptible d'être contrôlée."

 

   Il s'agit pour mieux cerner le concept, sans doute de préciser  ce qu'on entend par limitation d'une guerre nucléaire.

Dans les années 1980, lors du développement sur le papier et sur le terrain d'armes nucléaires tactiques ou même continentales, le thème d'une guerre nucléaire limitée au continent européen, est soulevé à la fois par les partisans du déploiement à l'Ouest de missiles américains, devant dissuader les Soviétiques de faire usage de manière continentale de missiles correspondant à l'Est, et par les opposants à l'implantation de ces mêmes missiles européens. Il s'agit là d'une problématique de guerre nucléaire limitée à l'Europe, le parapluie nucléaire de l'OTAN n'étant pas aux yeux de tous crédible. Si cette guerre est limitée à l'Europe, de nombreux stratégistes favorables à l'installation d'armements nucléaires tactiques en quantité dans les unités opérationnelles des armées, pouvaient espérer que l'usage même de ces armes resteraient limités. La guerre nucléaire resterait alors limitée à la fois dans l'espace et dans les moyens employés...

 

   Dans son étude sur la guerre limitée, Philippe MASSON indique que "d'une certaine manière, à l'ombre de la guerre froide, le nucléaire ouvre une nouvelle forme de débat sur la guerre totale et la guerre limitée. la première conception l'emporte virtuellement avec les représailles massives sur les centres de peuplement à une époque où les Etats-Unis ont le monopole de l'arme nucléaire. La seconde finit par l'imposer avec la doctrine de la riposte graduée préconisée par McNamara à partir des années 1960, une fois le monopole américain battu en brèche par les Soviétiques." Effectivement, la doctrine de riposte graduée est une autre manière de discuter des différents échelons d'une guerre limitée, sauf qu'à chaque échelon est brandie la menace de passer à un pallier de destruction supérieur, avec la menace planante d'une guerre totale au bout. Il n'est pas certain que même avec cette doctrine, les autorités politiques et militaires des Etats-Unis ait réellement pensé à la possibilité d'une guerre nucléaire limitée, vu le temps de plus en plus court pour les missiles d'atteindre leur cible. 

  Toutefois, la sophistication croissance des armes nucléaires (variation de leur puissance, de leur portée, de leur maniabilié), cette poussée technologique qui mêle informatique, distribution différentielle de puissance et capacité de superviser un champ de bataille unifié à l'échelle de la planète ou d'une région, rend possible dans les années 1980 l'hypothèse d'une guerre limitée à l'europe. Les révisions au sein de l'OTAN des doctrines d'emploi en faveur des armes nucléaires capables de frapper le dispositif arrière du Pacte de Varsovie tend à faire monter vers le haut le "seuil nucléaire". Walter SCHÜTZE, examinait en 1983, les facteurs alors nouveaux qui faisaient ressurgir les craintes des gouvernements et les peurs des populations. 

"Le premier facteur c'est que le Président américain a lui-même, en été 1981, et sans doute sans se rendre compte des conséquences psychologiques, estimé que l'emploi des armes nucléaires tactiques (en Europe) ne déclencherait pas nécessairement l'échange de coups stratégiques entre les deux superpuissances. Il n'en fallait pas plus pour raviver les craintes des européens sur le fameux "découplage", c'est-à-dire sur la possibilité d'une guerre atomique qui resterait limitée au "théâtre européen", sans pour autant mener à la destruction des "sanctuaires" des Etats-Unis et de l'Union Soviétique. 

Le deuxième facteur est que de telles suspicions ont trouvé une confirmation dans les documents officiels de l'administration, tels que le rapport (...) de M Weinberger sur la "Military posture" pour l'année 1983 et le "guide" pour la politique de défense des Etats-Unis élaboré par le Pentagone en mai 1982. Ce texte de 126 pages devait rester secret, mais ses grandes lignes ont été divulguées par la presse américaine. Il en résulte que M Weinberger et les responsables militaires des Etats-unis considèrent comme nécessaire de pouvoir disposer des moyens pour mener, au cas où la dissuasion viendrait à échouer, une guerre avec des moyens nucléaires et ceci pour une période assez longue, avec l'intetion de l'emporter sur l'adversaire." Une des conclusions de ces dispositions serait d'implanter sur le sol européen des armes conventionnelles en plus grand nombre, ainsi que des armes nucléaires de portée intermédiaire, intentions qui ont déclenché la grande bataille diplomatico-politique en europe, connue sous le nom de "bataille des euro-missiles".

Rick COOLSART explique en 1984 cette nouvelle doctrine des Etat-Unis et de l'OTAN, l'Airland Battle et la FOFA, qui ne sera pas véritablement mis en application, suite aux événements que nous savons dans le bloc de l'Est. "Les théories développées actuellement, écrivait-il, se basent sur le principe qu'un conflit nucléaire peut être limité. Prenant en compte la plus grande précision des armes stratégiques, certains pensent qu'il est possible de mener une guerre nucléaire de manière sélective : ils vont, par exemple, sélectionner et détruire quelques bases de missiles ennemies, en supposant que la cible sera touchée avec certitude et que les défâts collatérauts seront néglogeables. Une telle frappe "chirurgicale" devrait être exécutée très rapidement, avant que l'ennemi n'ait la possibilité d'utiliser ses propres missiles. En terminologie stratégique, cette capacité de détruire des cibles renforcées en un temps réduit est appelée "time urgent (ou prompt) hard target capability". 

 

     Cet "épisode" montre bien que la tentation existe longtemps (et sans doute va exister pour les petites puissances nucléaires) d'imaginer une guerre nucléaire limitée, soit dans le temps, soit dans l'espace (le plus souvent sans doute). 

 

Rick COOLSART, Airland et FOFA : les nouvelles doctrines des Etats-unis et de l'OTAN, dans Dossier "notes et documents" du GRIP (Groupe de Recherche et d'Information sur la Paix), n°77-78, novembre 1984. Walter SCHÜTZE, Vers le recours à l'arme nucléaire : quels champs de bataille en Europe centrale?, dans Cahiers d'etudes Stratégiques (CIRPES) n°1, La nouvelle doctrine américaine et la sécurité de l'Europe, 1983. Philippe MASSON, Guerre limitée, dans Dictionnaire de stratégie, PUF, 2000. Thérèse DELPECH, La dissuasion nucléaire au XXIe siècle, Odile Jacob, 2013.

 

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