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28 mai 2012 1 28 /05 /mai /2012 11:57

         Le professeur émérite de philosophie à l'Université hébraïque de Jérusalem, actif dans la mouvance pacifiste israélienne, nous propose de réfléchir à l'essence du compromis, sur les paix justes et injustes.

Être capable de faire des compromis est une grande vertu politique, particulièrement lorsqu'il s'agit de sauver la paix. Mais il existe, selon lui, des limites morales à l'acceptation des compromis. Ces limites, il tente de les définir en faisant appel à une vaste série d'exemples historiques, tirés du XXe siècle, de l'accord de Munich au pacte germano-soviétique en passant par les négociations de paix entre Palestiniens et Israéliens. Il puise largement pour cette réflexion dans l'histoire de la seconde guerre mondiale. Avishai MARGALIT, déjà auteur de La société décente, de L'Occidentalisme et de L'Éthique du souvenir, propose une méditation approfondie et originale sur la nature même du compromis politique, son ambiguïté morale intrinsèque et ses implications toujours lourdes de conséquences. 

             En écho aux propos d'Albert EINSTEIN sur une mise en garde des compromis pourris, il considère que "des compromis ne sont pas autorisés, y compris au nom de la paix. D'autres compromis devraient être conclus au cas par cas, à la condition de se pencher sur le détail de chacun : ils devraient être jugés en fonction de leur mérite propre. Seuls des compromis pourris devraient être écartés sur la base de principes généraux. (...) Cet ouvrage est en quête d'une paix, juste une paix, plutôt que d'une paix juste. La paix peut être justifiée sans être juste."

Bien qu'il préfère bien entendu une paix juste et durable (paix durable parce que juste), il garde tout le long de son ouvrage le regard sur cette paix qui mérite un compromis, même si par ailleurs elle puise tolérer des injustices. Au fil des phrases, une certaine ambiguïté dans le propos demeure, même si à plusieurs reprises, il affirme ne pas souscrire à l'adage "un compris pauvre est préférable à une action en justice riche". Fort partisan des compromis, même dans la considération lucide des conséquences de certains accords et traités, l'auteur entend bien définir un compromis politique pourri. "je vois un compromis politique pourri comme un accord consistant à instaurer ou maintenir en place un régime inhumain, un régime de cruauté et d'humiliation, enfin un régime qui ne traite pas les êtres humains comme des êtres humains. Tout au long du livre, j'ai recours au terme "inhumain" pour définir les manifestations extrêmes de cette façon de ne pas traiter les humains comme des humains. Entendre par ce terme un comportement cruel, sauvage et barbare ne met en évidence qu'un élément du mot "inhumain" tel que je l'utilise ; l'humiliation en constitue une autre élément. (...)".

         

     Le paradigme de l'inhumain étant puisé dans le régime nazi, mais aussi dans le Congo belge de Léopold II, il pense que "le concept de compromis devrait (...) occuper une place centrale dans la micro-moralité (qui a à voir avec les interactions entre individus) tout autant que dans la macro-moralité (qui a à voir avec les unités politiques)."

L'auteur regrette que "le concept de compromis n'est ni au centre du débat philosophique, ni même considéré comme secondaire. Une des raisons pour lesquelles le compromis n'apparaît pas comme un thème philosophique réside dans le préjugé philosophique en faveur de la théorie idéale. Le compromis semble malpropre, fait de la triste étoffe de la politique politicienne au jour le jour. il semble très différent de la théorie idéale de la micro- ou macro-moralité. Il est vrai que la théorie idéale concerne les normes et les idéaux, pas les deuxièmes meilleurs. Mais faire disparaître le compromis de la théorie morale équivaut à faire disparaître la friction de la physique, à affirmer qu'elle relève de l'ingénierie." Il estime d'ailleurs que la tension entre la paix et la justice induit cet état de fait. "Tout le monde n'est pas d'accord pour dire que la paix et la justice peuvent entrer en collision. L'idée que la paix est partie constitutive de la justice et, par conséquent, une composante essentielle de la justice - plus de paix, plus de justice - constitue une objection à ce postulat". Il existe également une oscillation entre une paix juste et une paix durable, de même qu'il existe des guerres justes qui devraient être préférées à des situations de paix injustes à l'extrême.

               C'est ce souci de l'extrême qui le motive dans la réflexion qui l'expose, extrême d'un État "inhumain", extrême du refus du compromis, motivé par le rêve d'une société idéale ou d'un objectif plus "modeste" (comme la conquête ou la préservation de lieux saints). C'est peut-être ce souci de l'extrême, qui l'amène autant à condamner le régime nazi et les traités que l'on pouvait conclure avec lui, à refuser des traités qui entraînent des situations inhumaines (le partage de l'Europe entre Est et Ouest comme le transfert de force de populations entières dont certaines étaient vouées à une mort certaine) qu'à "relativiser" d'autres régimes, d'autres traités... Si l'on peut remarquer son estimation du régime stalinien qu'il distingue soigneusement du marxisme en tant que philosophie, et même de tout ce qui a été entrepris à l'Est, on ne peut que regretter aussi le peu d'évocations qu'il fait des injustices sociales qui perdurent sur le long terme.

C'est qu'il estime, dans le débat sur les paix justes et les guerres justes, que la violence ne constitue pas dans tous les cas forcément la meilleure voie de construire une société plus juste. Son souci de refuser une attitude conduite uniquement par le rêve (qui conduit à refuser tout compromis), sans un regard suffisant sur les réalités, le conduit à accepter une paix durable, dans un compromis qui accepte des injustices, "dont la suppression n'est pas censée être poursuivie par la violence, mais qui néanmoins ont en elles le potentiel de dégénérer en guerre." Il a le souci non seulement d'arrêter la guerre, mais de le faire sur un mode qui ne permette pas de la reprendre ultérieurement.

Mêlé à la nécessité de refuser la décontextualisation de certains événements, ce qui conduit souvent à les instrumentaliser, et au-delà de vraiment démêler ce qui ressort du nécessaire absolu du confort accessoire dans la négociation des traités (de la seconde guerre mondiale), ce souci, nul doute influencé par la situation au Moyen-Orient, est de bien comprendre les éléments de la décision, de la conclusion et de la réalisation de ceux-ci. Les traités, ces compromis pourris ou non, doivent être compris non seulement à travers leurs textes, mais surtout à travers les implications qu'ils entraînent dans la réalité. Le deuxième chapitre sur les variétés des compromis est certainement l'un des plus intéressant qui nous est été donner de lire sur le compromis.

        La volonté d'aborder tous ces sujets de manière dynamique, dans un style très éloigné d'un récit comme d'un manuel de philosophie morale, fait de se livre un ouvrage à lire attentivement, tant il conduit de manière très subtile, très progressive, à petites touches, comme dans le réel, à caractériser et à condamner tous les compromis pourris.

 

Avishai MARGALIT, Du compromis et des compromis pourris. Réflexion sur les paix justes et injustes, Denoël, 2012 (traduction de l'anglais par Frédéric JOLY, On Compromise and Rotten Compromises, Princeton university Press, 2010), 260 pages.

 

Relu le 19 novembre 2020

 

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