Au-delà des logiques d'État, même si ils peuvent y participer, les acteurs sur le terrain des opérations de maintien de paix ou d'actions humanitaires en zones de guerre, dessinent peu à peu les contours des concepts de la consolidation de la paix.
Les programmes de retour à la paix
Sous la direction d'Yvan CONOIR et de Gérard VERNA, de nombreux auteurs-acteurs s'expriment sur leurs pratiques et sur les expériences concrètes, la plupart d'entre eux étant canadiens et s'exprimant aussi sur le rôle de leur pays sur la scène de la consolidation de la paix.
"La recherche de la paix est probablement aussi ancienne que la préparation de la guerre. Mais les façons de faire la paix comme les façons de faire la guerre ne se ressemblent pas... (...) Combien d'observateurs militaires et fonctionnaires internationaux se sont ainsi lancés dans la réalisation d'incroyables processus de démilitarisation - démobilisation et réintégration - dans l'espoir de faire taire des armes entendues souvent depuis des décennies, du Salvador au Sierra Leone (...)? Il n'y a pas aujourd'hui de processus plus crucial et plus essentiel à la sortie d'une crise politique que le succès d'un programme "DDR" (Désarmement, Démobilisation, Rapatriement, Réintégration et Réinsertion). Il n'y a pas de missions de maintien de la paix des Nations Unies, de l'Union africaine ou de la CEDEAO (création et gestion d'une banque de ressources de canadiennes et de canadiens possédant des compétences dans des domaines tels que les droits de la personne, l'édification de la paix...), qui ne fasse de nos jours allusion à l'impérieuse nécessité de mener dans les meilleurs délais les premières étapes du "DD", mais surtout d'allouer les ressources nécessaires pour que le fameux "R" ne soit pas une voie de détournement, mais une véritable avenue vers la paix." Les innombrables difficultés de cette entreprise ne désespèrent pas ces acteurs de la paix, même si les facteurs des violences peuvent toujours réenclencher les spirales infernales.
"Pourtant, le fait de croire à une impossible solution, "l'espoir" reste la matière première essentielle de la consolidation de la paix. Mais l'espoir ne peut réussir que s'il va de pair avec l'engagement à long terme, tant financier que politique, de tous ceux, désintéressés ou motivés par quelque agenda politique, qui souhaitent une stabilisation de la violence.
Le "temps", qui construit ou qui efface, est donc la matière seconde de la consolidation de la paix. Réconcilier les coeurs et les esprits est la clé du succès, que ceci se réalise simplement par l'usure du temps, l'oubli ou le pardon des peuples, ou de manière plus sophistiquée et plus systématique par la mise en place de processus de réconciliation, de pardon ou d'amnistie (...), de jugements (...), sans oublier les forces religieuses ou symboliques du repentir, de la foi et de la réintégration. (...).
La troisième matière de base de la consolidation de la paix réside dans "la volonté et l'imagination" des hommes et des femmes, des institutions et des organisations, des gouvernements et des Nations unies, pour "essayer" de nouvelles formules et de nouvelles "recettes de paix". Le maintien de la paix dit classique, le fameux chapitre "six et demi", inventé par le Prix Nobel de la Paix canadien Lester B Pearson, n'est autre que le fruit d'une réflexion circonstancielle adaptée à la nature toute particulière d'une crise unique.(...). Pas de recette miracle en la matière. On peut tout autant chercher à reconstruire son pays sur l'illusion ou la volonté de gommer les ethnies, comme le fait le Rwanda depuis 10 années, que de tenter de reconstruire le sien après une guerre fratricide, comme au Burundi, en ayant recours au "calibrage ethnique" comme moteur de la redistribution des cartes du pouvoir politique, militaire, diplomatique et économique.
De fait, quand des enjeux internationaux globaux ne sont pas au rendez-vous ou que des rapports de force entre puissances en place sont trop importants pour être dérangés, la consolidation de la paix n'a pas de place et les abcès d'anormalité du système sont simplement figés dans l'essence de leurs contradictions : Abkazie, Tchétchénie, Tibet, Cachemire, Moldavie, Géorgie pour n'en citer que quelques uns.
Par contre, quand les enjeux de sécurité collective ou globale n'entravent pas l'action des grandes puissances internationales ou régionales et que le système a la volonté de mobiliser ressources et moyens, même au prix d'actions d'ingérence déguisées, justifiées par l'urgence de l'intervention, les résultats sont souvent au rendez-vous de l'histoire : Timor Leste, Kosovo, Afghanistan, Haïti... (...)
La consolidation de la paix est donc avant tout aujourd'hui une somme de nouveaux savoir-faire, de mieux en mieux documentée, dans les méthodologies d'action et les leçons apprises, dans les champs désormais bien balisés que sont les programmes de DDR, les campagnes internationales d'observation électorale comme les missions d'observations et de respect des droits humains, l'appui aux politiques de démocratisation des partis et des institutions, les processus de consolidation de l'état de droit ou encore les campagnes et processus de lutte contre la prolifération des armes légères. La consolidation de la paix est aussi la manifestation de la volonté politique croissante de la part des acteurs internationaux publics et privés de résoudre de l'intérieur des processus qui ne sont souvent plus de politique internationale mais simplement de gouvernance intérieure des États, lesquels menacent dangereusement par les effets possibles l'équilibre des sociétés et des relations internationales.
Chaque jour, de nouveaux champs de compétence pénètrent le champ des interventions possibles de mise en oeuvre d'un processus de consolidation de la paix : réforme du secteur de sécurité, environnement, enseignement de nouveaux curricula de paix dans les écoles, redémarrage d'un secteur privé créateur d'emplois, restauration des systèmes pénaux et judiciaires, relance du tourisme, restauration des capacités de l'administration comme base de la reconstruction des États comme des sociétés civiles sont autant de secteurs et de champs d'interventions qui sont interprétés sous un angle nouveau dès qu'une crise de gouvernance se fait jour."
Lucides mais optimistes, conscients des limites et avec la volonté de les dépasser, acteurs fonctionnaires de l'État et acteurs des sociétés civiles, contribue à faire de la consolidation de la paix, un concept à consolider... C'est tout au long de 800 pages de témoignages et de réflexions que ces acteurs proposent de partager leurs espoirs et souvent leurs enthousiasmes : que ce soit sur le registre de la justice et de la réconciliation, sur celui du désarmement et de la sécurisation des populations, de la reconstruction des sociétés ou de l'enseignement à la paix, ces acteurs, insérés dans la réalité de l'activité du Canada, ils oeuvrent pour la mise en place de véritables stratégies de paix à long terme...
Un colloque sur le rétablissement de la paix après un conflit armé
Les voies et les moyens de rétablissement de la paix font l'objet de réflexions maintenant inscrites dans la durée comme en témoignent les Actes du Colloque "Servir la paix" de 1996, organisé alors par le CHEM (Centre des Hautes Études Militaires).
Y intervenaient des responsables militaires et des acteurs de la société civile, Charles MILLON, alors ministre de la défense, François THUAL, directeur adjoint de l'IRIS, Christian MELLON, rédacteur en chef de la revue Projet ou André GLUCKSMANN, philosophe (même si selon nous, ce n'est pas vraiment un philosophe...), ou encore Bruno CORTES, chef du service "Politique" de TF1 et Rony BRAUMANN, ancien président de "Médecins sans frontières".... Alors que l'actualité des événements de Bosnie-Herzégovine étaient dans tous les esprits, le ministre de la défense posaient ces questions toujours d'actualité :
"- Est-ce négligeable d'avoir permis pendant trois ans, à des villes assiégées, bombardées, d'avoir maintenu vaille que vaille un minimum vital?
- Est-ce inutile d'avoir réussi sur le terrain, parfois au prix du sang, des résultats militaires qui ont permis le déblocage diplomatique et la signature de l'accord de paix?
- Est-ce vain d'oeuvrer aujourd'hui, dans le cadre de l'OTAN, à la mise en oeuvre d'une paix durable?
Toutes questions, en changeant les dates et les lieux, qui sont à envoyer à tous ceux qui estiment le prix de la paix trop cher payé.
Éthique et valeurs des engagements militaires constituent le thème de l'intervention par exemple aussi du Colonel Robert CHARVROZ. Il pose la question de l'universalité des valeurs universelles dans un monde où leur partage pose encore question, au nom desquelles les forces armées doivent "obéir à un mode d'emploi très particulier, qui pose à tous les échelons des problèmes très difficiles pratiques et éthiques".
Réfléchissant aux fondements historiques et juridiques des interventions au service de la paix, le Colonel Hubert TRYER pose la question du souhaitable, du possible "de compléter le dispositif juridique international pour mieux combattre les désordres du monde :
"-Est-il opportun de développer un dispositif juridique applicable aux membres de la société mondiale, sans avoir toujours les moyens de la faire respecter?
- dans quels domaines peut-on - ou doit-on - tenter de faire progresser ce droit : droit d'ingérence, droit des nations comme le suggérait récemment le pape Jean-Paul II à la tribune de l'ONU?
- quelle vigilance, quel effort d'intelligence, quel degré de respect devons-nous à l'égard des autres pays, vivant leurs histoire?
- les situations d'équilibre auxquelles conduisent les processus de paix imposés ne conservent-ils pas, en germe, les facteurs d'une renaissance future des conflits?
- enfin, quelle contribution la France peut-elle encore aujourd'hui apporter à cette oeuvre?"
Bruno CORTES exprime les interrogations des journalistes dans la couverture d'événements, pour leur responsabilité dans l'évolution même des conflits :
- premièrement, où devons-nous aller, où faut-il porter notre attention?
- deuxième question, quel sens donner à notre action, si sens il y a?
- troisièmement, quelles sont les responsabilités propres des journalistes?"
Il pose la question d'un exercice d'information pour un média, la télévision, qui constitue un mauvais outil pour rendre compte de la complexité des situations. Les manipulations des émotions prennent souvent le pas sur la qualité réelle de l'information.
Rony BRAUMAN demande que peuvent faire les humanitaires et les militaires ensemble. Il souligne le fait que l'investissement des militaires dans l'action humanitaire, mélangés de façon indistincte, était souvent contradictoire avec des interventions dites de maintien de paix. La présence de soldats au côté des membres des organisations humanitaires, accroît encore la complexité d'une situation, affaiblit la confiance, et d'une manière générale la force des actions humanitaires, affaiblit également, la pertinence et de la force des interventions militaires.
Actes du Colloque : "Servir la paix : éthiques et responsabilités", 16 avril 1996, Paris-École militaire, Ministère de la défense, La documentation française, 1996. Sous la direction de Yvan CONOIR et Gérard VERNA, Faire la paix, Concepts et pratiques de la consolidation de la paix, Les Presses de l'Université de Laval, 2005
PAXUS
Relu le 20 novembre 2020