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2 octobre 2010 6 02 /10 /octobre /2010 14:34

      La compréhension de l'effet des drogues sur l'organisme, des mécanismes de dépendance, des addictions... est encore rendue difficile par deux phénomènes qui se rapportent à l'histoire des sciences, et plus précisément sans doute à l'histoire de la médecine : la confusion d'approches moralisatrices et des approches cognitives, les unes interagissant sur les autres par le jeu des préoccupations sociétales et des financements préférentiels et une certaine opacité persistante dans la circulation des informations scientifiques, soit par le jeu direct des conflits entre acteurs de la recherche, soit par la compétition entre laboratoires de recherches, elles-mêmes mues par des objectifs plus économiques que purement scientifiques.

       Malgré ces deux types d'obstacles, le nombre d'études, dans le cadre notamment de conflits entre acteurs prônant la pénalisation et la prohibition et acteurs qui les combattent (pour des raisons très diverses), ce qui entraîne d'ailleurs de nombreux risques d'instrumentalisation de résultats d'expérience, s'accroît. Jamais la littérature grise (documents de travail, brochures, rapports...) n'a paru aussi importante, si l'on en juge leur circulation de plus en plus importante sur Internet par exemple, sur tous les phénomènes biologiques et psychologiques liés aux diverses substances communément reconnues comme drogues (illicites ou licites)  et sur d'autres d'ailleurs moins communément reconnues comme telles (alcool, tabac...). Les études sur les phénomènes de dépendance notamment s'accumulent, directement reliées à une demande sociale forte.

Pour s'en tenir seulement au niveau de la biologie, quelles sont aujourd'hui les approches qui permettent de se faire une idée précise sur l'activité de toutes ces substances ? Un aspect qui revient constamment dans beaucoup d'études concerne l'homéostasie.

 

Des dynamiques du plaisir et de la douleur....

         Au coeur de la problématique se trouve en fait toute la biologie du plaisir et de la douleur. Jean-Didier VINCENT tente de définir les contours de ces deux sensations/sentiments : "Concept obscur, sentiment lumineux, le plaisir doit être conçu à la fois comme état et acte, un affect qui ne peut être dissocié du comportement qui lui a donné naissance. Récompense pour l'individu, il est le moteur de son apprentissage et de l'évolution des espèces. l'homme seul dit son plaisir : mais à observer l'animal en action, nous concluons parfois qu'il y prend du plaisir. Modalité de l'état central, le plaisir est plus facile à vivre qu'à définir." "La douleur a la particularité d'être à la fois affection et sensation. A ce titre, on décrit des récepteurs, des nerfs et des voies, dans le système central, spécifiques de la sensation douloureuse. ces voies nerveuses qui montent dans les étages successifs de la moelle épinière et du cerveau, mettent en place à chaque niveau, leurs propres systèmes inhibiteurs." 

  Alexander BAIN (1818-1903) et Herbert SPENCER (1820-1903) donnent un rôle clé au plaisir dans l'adaptation face à la sélection naturelle. "Des décharges spontanées d'énergie nerveuse provoquent des activités musculaires diffuses : les mouvements qui s'accompagnent de plaisir sont sélectivement renforcées, ceux qui provoquent du déplaisir s'affaiblissent et disparaissent. Ce choix favorise l'adaptation de l'espèce : ce qui est bon pour elle entraîne du plaisir, et ce qui est mauvais, du déplaisir. (...) Même l'école béhavioriste, préoccupée d'apprentissage plutôt que d'évolution, ne pense pas autrement lorsque, par la loi de l'effet, elle établit qu'une réponse comportementale n'est conservée que si elle est suivie d'une récompense : or il n'est d'autre récompense que le plaisir qui en résulte. (...)  

Quelles que soient les théories proposées pour expliquer la formation des assemblées neuronales qui sous-tendent les comportements, on peut dire que le plaisir est au coeur des processus d'association."

La quantification du plaisir est tentée par des méthodes physio-physiques, afin de déterminer les zones de cerveau impliquées par les excitations de plaisir, ainsi que les voies du système nerveux central et du système nerveux périphérique par lesquelles transitent les influx en feedback (tests effectués surtout sur des rats). En 1954, par exemple, James OLDS (1922-1976) et Brenda MILNER (née en 1918) décrivent le phénomène d'autostimulation et les structures nerveuses qui s'y rapportent et José DEGALDO (né en 1915) montre que des stimulations électriques appliquées dans les régions médianes de l'hypothalamus provoquent la fuite de l'animal. De la même manière des tests permettent la recherche des neurohormones intervenant dans la genèse du plaisir : quels sont les neurotransmetteurs impliqués dans le phénomène d'autostimulation? Peuvent-ils être considérés comme les médiateurs chimiques du plaisir? Parmi les substances trouvées figurent les catécholamines (noradrénaline notamment), les peptides opiacés et le GABA. Jean-Didier VINCENT illustre l'aboutissement de ces différentes recherches par le cas du toxicomane.

Le modèle de Neal MILLER (1909-2002), inspiré des conceptions de Louis LEWIN (1850-1929) postule que tous les comportements - dimensions cognitives comprises, s'inscrivent dans un champ de forces opposées : approche-plaisir, lié à l'hypothalamus latéral, et évitement-aversion, lié aux structures médianes.

Walter Rudolf HESS (1881-1973) établit une classification des effets de la stimulation électrique de l'intérieur du cerveau : les points de stimulation se répartissent en deux systèmes selon la nature des réponses. Le système throphotrope, qui correspond à l'hypothalamus latéral et antérieur, soutiendrait l'activation du système nerveux parasympathique : chute de la pression artérielle, ralentissement du pouls et de la respiration, salivation, fermeture des pupilles, digestion, défécation, érection et sommeil ; fonctions qui concourent, dans l'ensemble, au repos, à l'assimilation et à la reproduction. Le système ergotrope, au contraire, qui correspond aux structures médianes et postérieures, serait responsable de l'activation orthosympathique : accélération du pouls et de la respiration, hypertension, dilatation des pupilles, horripilation, éveil, alerte, peur et colère ; fonctions de dépense, de destruction et d'attaque.

"Autrement dit, commente Jean-Didier VINCENT, un boudha trophotrope et un démon ergotrope cohabiteraient au centre du cerveau. Reconnaissons que HESS se garde bien de tout manichéisme physiologique. Le bien et le mal n'ont pas de localisation cérébrale. Une telle idée est une fantaisie dangereuse qui hante pourtant certains esprits (le cinéma fantastique en fait un usage extensif, dirions-nous...). Nous laisserons également de côté le couple Éros et Thanatos, non pour contester les vertus théoriques - malgré les mises en garde de FREUD (...), mais pour ne pas succomber aux délices analogiques (...). Finalement le plaisir n'est rien sans le déplaisir (...)"

Ce plaisir et ce déplaisir ont une dimension extracorporelle, les objets de plaisir et de dégoût, une dimension corporelle, représentée par le fonctionnement des organes et la composition du milieu intérieur et une dimension temporelle où trône le rôle de l'apprentissage dans l'acquisition du stock individuel de représentations d'objets de plaisir. Ces trois dimensions sont bien illustrées par l'expérience du toxicomane : acquisition de l'expérience du plaisir par l'intermédiaire d'une substance extérieure qui active d'anciennes représentations excitatives, accoutumance à la drogue qui se traduit par une diminution progressive de ses effets et qui oblige à augmenter les doses. Les différentes substances possèdent soit des effets atténuateurs de la douleur, soit des effets activateurs du plaisir. 

L'étude précise des récepteurs de la douleur, du fonctionnement de leur activation, acheminement des sensations par la moelle épinière, aboutissement au thalamus et au tronc cérébral, transmission au cortex qui effectue la représentation finale. La découverte des morphines endogènes entre 1968 et 1972, l'extraction par HUGUES et KOSTERLITZ en 1974 d'un facteur pouvant se fixer sur les récepteurs de la morphine (enképhaline)... permettent de mieux comprendre l'action des drogues sur la douleur.

 

L'action des psychostimulants et l'addiction

            Parmi les très nombreuses études sur l'action des différentes drogues, sans entrer dans des détails qui n'ont pas leur place dans ce blog (il vaut mieux se reporter aux ouvrages de médecine et de biologie), prenons-en seulement deux, celle sur le rôle des psychostimulants sur l'axe du stress et une étude sur l'addiction (dépendance) aux drogues.

    Catherine RIVIER, dans Rôle des psychostimulants sur l'axe du stress, de 1999, expose le fait que "la santé des mammifères dépend de leur capacité de maintenir et/ou de restaurer l'homéostasie quand ils sont soumis à des menaces pour la cohérence du "milieu intérieur".

L'organisation de la réponse à ces menaces de l'homéostasie (les "stresseurs") est constituée d'un stimulus d'entrée, d'un système de calcul central et d'une réponse de sortie. L'un des principaux systèmes responsables de la restauration de l'homéostasie est le système Hypothalamo-Pituito-Adrénalien (HPA) qui, en réponse à des stress, orchestre la production du CRF Cortico-Releasing Factor) et de la vasopressine (VP) à partir des noyaux paraventriculaires de l'hypothalamus, de l'ACTH (Adreno Cortico Trophic Hormone) à partir de l'hypophyse et des corticoïdes à partir des surrénales.

L'exposition à des drogues telles que l'alcool représente un enjeu homéostatique et comme attendu, elle stimule l'axe HPA chez les animaux de laboratoire et les êtres humains. (...) Nous illustrons d'abord l'activation de l'axe HPA par une injection aiguë d'alcool, traduite par une augmentation dans le plasma des niveaux d'ACTH (une réponse qui dépend de la présence de CRF et de VP endogènes) et la régulation supérieure de la réponse neuronale PVN (qui implique le CRF, les récepteurs CRF et les corps cellulaires VP). Nous décrivons ensuite  nos recherches récentes concernant l'effet à long terme de l'alcool. Ce paradigme consiste en l'exposition de rats à 3 injections quotidiennes consécutives d'alcool ou à un autre stress, ensuite l'étude de la réponse de l'axe HPA à une injection aiguë d'alcool administrée 3 à 12 jours plus tard. Au-delà, nous démontrons que tandis qu'une exposition initiale à l'alcool stimule significativement l'axe HPA en termes d'activités PVN (CRF) et de sécrétion d'ACTH, des réponses endocrines consécutives à des traitements additionnels médicamentaux sont significativement altérées. Nous proposons que si ce phénomène de tolérance sélective se retrouve chez l'humain, il peut jouer un rôle dans les comportements de recherche de drogue parce que certains individus peuvent essayer de restaurer la réponse de leur axe HPA initial en consommant des doses croissantes d'alcool." (Dr Jean-Michel THURIN).

    Florence NOBLE présente, en 2009, des données récentes sur l'addiction aux drogues. "Elle a posé le problème en termes de maladie chronique et récidivante du système nerveux central. En situation physiologique basale, dans la mesure où l'activité du système nerveux central est globalement régulé par des molécules excitatrices et inhibitrices, l'équilibre très fin qui existe entre ces deux grands groupes de neuro-transmetteurs et de neuropeptides permet de maintenir l'homéostasie du cerveau. Mais une prise de drogue va fortement déséquilibrer cette balance, et la répétition de cette prise de drogues va entraîner une réaction d'adaptation pour tenter de rétablir un nouvel équilibre : la prise chronique de drogues perturbe cette homéostasie, et de nombreuses réactions d'adaptation de l'activité du système nerveux se mettent en place, à l'origine de cette maladie chronique.

Ces mécanismes se prolongent dans le temps : il faut donc traiter cette maladie par une pharmacologie adaptée pour aider le toxicomane à vaincre cette abstinence. L'usage de traitements de substitution chez des personnes dépendantes aux opiacés a montré son utilité au cours des années passées : ces traitements ont pour finalité de conduire le malade dépendant à une réduction de la consommation de drogues opiacées. On utilise pour les cures de sevrage des agonistes opioîdes comme la buprénorphine ou la méthadone qu'il faut utiliser avec précaution, car ces molécules, utilisées pour les traitements de substitution, présentent de propriétés pharmacodynamiques et pharmococinétiques particulières. Les progrès dans de nombreux domaines, neuro-imagerie, biologie moléculaire, modèles animaux, ont permis, ces dernières années, de mieux comprendre les mécanismes neurobiologiques et neurochimiques des addictions."

 

Drogues, malaise existentiel et piège pour l'organisme

         La recherche du plaisir et la fuite devant la douleur constituent les motivations de consommation des drogues. La recherche de solutions à un malaise existentiel ou tout simplement la recherche de nouvelles sensations modifient l'homéostasie générale du corps (ou les différentes homéostasies en relations dans le corps), d'abord de manière ponctuelle, avec un rétablissement plus ou moins rapide, puis au fur et à mesure des nouvelles absorptions, de manière constante, alors même que les sensations éprouvées s'amoindrissent dans le temps.

C'est un véritable piège dans lequel l'organisme est plongé, dans un assouvissement de plus en plus difficile en parallèle avec des déséquilibres de plus en plus profonds et prolongés. Tant que l'usage d'une drogue quelconque s'effectue dans un contexte plus ou moins ritualisé, dans le cadre d'une activité collective quelconque, il est possible d'effectuer un contrôle qui s'appuie sur une connaissance et une expérience de ses effets. Mais à partir du moment où sa prise s'effectue individuellement et même en secret, dans un climat de réprobation sociale, il n'existe que très peu de possibilités de rétablir, par un moyen ou par un autre, sauf dans de nouvelles douleurs, l'homéostasie rompue.

 

 Jean-Didier VINCENT, biologie des passions, Odile Jacob, collection Points, 1986. Bernard CALVINO, Éditorial de présentation des travaux du Congrès de Strasbourg de novembre 2008 de la Société française d'étude et de traitement de la douleur, Springer Verlag France, 2009. Jean-Michel THURIN, présentation du travail de Catherine RIVIER, Rôle des psychostimulants sur l'axe du stress, 2000.

A noter que Jean-Didier VINCENT indique dans son livre qu'on trouve une documentation sur la biologie de la toxicomanie dans les livres de C. KONETSKY et G. BAIN, Effects of Opiates on Rewarding Brain Stimulation, Smith and Lane et The neurobiology of Opiate Reward Porcess, Elsevier Biomedical Press, 1983). L'article de R. SOLOMON, complète t-il, sur le coût du plaisir et le bénéfice de la douleur, illustre bien le caractère des processus opposés à l'oeuvre chez le toxicomane : R..L. SOLOMON, The Opponent-Process Theory of Acquired Motivation : the Costs of Pleasure and the Benefits of Pain, dans la revue American Psychology, n°35, 1980.

 

                                                                                                            ETHUS

 

Relu le 14 mars 2020

 

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P
J'apprécie votre blog, n'hésitez pas a visiter le mien.<br /> Cordialement
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