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19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 13:05

             Les crises économiques du système capitaliste font partie, d'après les écrits de Karl MARX, d'un fonctionnement normal. La crise économique, rappelle Isaac JOSHUA, accompagne l'existence même du système capitaliste.

"Elle est l'une des expressions de sa difficulté à vivre mais également, paradoxalement, une manifestation plus ou moins régulière de sa pérennité. Elle est tout à la fois preuve de faillibilité et de démonstration de viabilité." L'auteur d'Une trajectoire du capital décrit les deux mouvements de la crise : "Le premier est celui de la période descendante et peut aller jusqu'à menacer l'existence même du système", caractérisé par la contradiction entre le caractère toujours privé de la propriété et le caractère de plus en plus social de la production. Chaque agent prend des décisions en pensant assurer sa propre survie alors que l'ensemble des décisions de tous les agents menacent le système dans des circonstances déjà très souvent décrites par les économistes marxistes. Le deuxième moment est le moment d'une purge terrible : destruction de marchandises, destruction d'outils de production, destruction de capital financier, chômage. Il s'agit là d'un processus de redressement, de remplacement de productions par d'autres productions pour recommencer un nouveau cycle, une nouvelle croissance suivie une fois encore d'une nouvelle chute...

 

         La plupart des traités d'économie marxiste refuse le ton faussement impartial adopté dans les manuels d'économie, celui de ce que les auteurs de ces traités appellent bien volontiers l'idéologie dominante. Alors que l'étudiant peut avoir l'illusion de se voir confier les clés réelles de l'économie à travers les manuels généralement diffusé, alors même qu'il s'agit bien entendu du point de vue de l'entreprise ou du gestionnaire d'une économie nationale, les économistes marxistes, tel Ernest MANDEL, disent clairement de quel point de vue ils veulent parler.

"La crise, la réapparition du chômage massif, l'offensive universelle du capital contre la classe ouvrière, les menaces croissantes qui pèsent sur les libertés démocratiques et sur la paix en fonction même de la détérioration de la situation économique du capital, tout cela nous incite à redire avec force que le régime capitaliste est un régime condamné. En effet, il menace de plus en plus de détruire la substance même de la civilisation matérielle et de la culture humaine dont il avait jadis assuré l'essor, fût-ce sous une forme contradictoire, avec d'énormes tares et aliénations qui lui étaient inhérentes dès sa jeunesse. Il est urgent que l'humanité lui substitue un régime social adapté aux besoins contemporains de l'homme, à ses forces productives et à sa tendance émancipatrice : le régime socialiste, qui n'existe encore nulle part (le texte date de 1982). La seule force sociale capable de mener à bien pareille oeuvre de reconstruction gigantesque est la classe ouvrière, c'est-à-dire l'ensemble des salariés. La crise actuelle doit faciliter son dégagement de l'influence idéologique bourgeoise (...) Mais que cette prise de conscience soit scientifique, qu'elle ne charrie ni mensonges, ni légendes, ni mythes, mais s'appuie sur les faits réels et leur explication rigoureuse, telle est notre ambition. Telle devrait être l'ambition de tout marxiste, pour qui seule la vérité peut être révolutionnaire".

Il s'agit d'un écrit d'un économiste marxiste qui refuse d'assimiler l'économie soviétique par exemple, à une véritable alternative au système capitaliste. Il existe bien entendu énormément d'économistes "officiels" (moins depuis la chute de l'Union Soviétique) qui, à longueur de manuels, exposent une vision - dont la mathématisation n'a rien à envier de ceux que nous pouvons trouver couramment. à l'Ouest.- de ce qu'ils considèrent une économie communiste ou marchant vers le communisme. Et autant d'explications des crises économiques. Mais ce qui nous intéresse maintenant, c'est comment les économistes, en quelque sorte enfin débarrassés de l'illusion soviétique (certains diraient pseudo-soviétique...), perçoivent ces crises.

Ce qu'il faut d'abord retenir des explications marxistes des crises économiques, c'est qu'elles se placent dans une optique de combat et qu'elles visent le remplacement d'un système par un autre, contrairement aux explications libérales (qui la traitent comme d'origine exogène) ou aux explications keynésiennes (qui voient dans ces crises des dysfonctionnements, mêmes endogènes) et qui visent à améliorer la situation tout en gardant un système dont ils vantent les mérites fondamentaux.

 

          "De même que la théorie académique, la théorie marxiste du cycle industriel a souffert du penchant d'auteurs influents pour une explication monocausale des crises, périodes de surproduction. Dans la discussion actuelle (de 1982), deux grandes "écoles" se font face : celle qui explique les crises par la sous-consommation des masses (la surproduction des "biens de consommation") ; et celle qui les explique par la "suraccumulation" (l'insuffisance du profit pour poursuivre l'expansion de la production des biens d'équipement). Cette querelle n'est qu'une variante du vieux débat entre les partisans de l'explication des crises par "l'insuffisance de la demande globale" et ceux de l'explication par la "disproportionnalité". Les deux écoles apportent des éléments précieux pour une compréhension plus approfondie des crises. Mais elles commettent toutes les deux l'erreur de scinder arbitrairement ce qui est organiquement lié, au coeur même du mode de production capitaliste. C'est là l'origine de leur incapacité à élaborer une théorie marxiste globale et satisfaisante des crises, à partir des bribes que Marx nous a laissées dans ses oeuvres principales.", contrairement d'ailleurs aux opinions des fondateurs du marxisme qui considèrent le système comme un tout. C'est ainsi que Ernest MANDEL commence son exposé sur l'explication marxiste des crises de surproduction en général que nous suivons ici.

 

         Quelles sont les causes des crises économiques?

- La suraccumulation des capitaux, non dans le sens mécaniste où il aurait suffi que les salaires soient plus bas et les profits plus élevés pour que l'accumulation, et donc la croissance, continuent sans entraves ;

- La sous-consommation de masses, sans aucun doute, à cause d'une pauvreté relative, mais pas dans un sens vulgaire où la crise pourrait être évitée simplement en augmentant les salaires. Car les entrepreneurs capitalistes sont intéressés non à la simple vente des marchandises, mais surtout au profit qu'ils peuvent en tirer. Car toute augmentation des salaires au-delà d'un certain seuil doit réduire forcément d'abord le taux de profit et ensuite la masse même des profits, et donc entraver l'accumulation de capital ;

- L'anarchie de la production et la disproportionnalité entre les différentes branches de la production, mais il ne faut pas oublier que la disproportion entre production et consommation finale est un élément constitutif du système ;

- La chute du taux de profit, mais pas dans le sens mécaniste du terme, car il faut constater qu'à la veille de l'éclatement de la crise, il y a généralement accroissement et non réduction des salaires.

  Pour comprendre l'enchaînement des événements entre la chute du taux de profit, la crise de surproduction et l'éclatement de la crise, Ernest MANDEL distingue les phénomènes d'apparition de la crise, les détonateurs de celle-ci, leur cause plus profonde, et leur fonction dans le cadre du mode de production capitaliste. La crise économique est toujours une crise de surproduction de marchandises (à l'inverse des crises pré-industrielles, agricoles). Crise de surproduction signifie qu'il y a plus de marchandises à vendre que de pouvoir d'achat disponible pour les acheter aux prix de production : le premier phénomène à comprendre, c'est bien celui d'une rupture brutale de l'équilibre instable qui existe en temps normal entre offre et demande de marchandises. 

  Brusquement, l'offre dépasse la demande au point de provoquer massivement un recul des commandes et une réduction importante de la production courante. Mévente, déstockage et réduction de la production courante entraînent le mouvement cumulatif de la crise : réduction de l'emploi, des revenus, des investissements, de la production..., et ceci dans les deux départements fondamentaux de la production, celui des biens de production et celui des biens de consommation. Peu importe le secteur par lequel la crise commence. Le plus souvent, cela vient du secteur des biens de consommation, mais pas toujours (souvent conjointement, plus rarement par celui des biens de production, mais là beaucoup d'auteurs marxistes divergent avec Ernest MANDEL). 

   L'événement détonateur qui précipite les crises de surproduction est à distinguer de leurs formes d'apparition : scandale financier, brusque panique bancaire, banqueroute d'une grande firme, retournement de conjoncture dans un secteur clé du marché mondial. Le détonateur peut être une brusque pénurie de matière première ou énergétique. Celui-ci n'est pas la cause de la crise et ne la précipite que dans la mesure où il déclenche le mouvement cumulatif. Pour qu'il puisse le déclencher, il faut la coïncidence de toute une série de préconditions, car le détonateur en lui-même ; faille d'une grande entreprise par exemple, peut ne pas menacer le marché. 

   La fonction objective de la crise de surproduction est de constituer le mécanisme à travers lequel la loi de la valeur s'impose, malgré la concurrence ou l'action des monopoles.

   Ernest MANDEL, comme d'ailleurs l'ensemble des économistes marxistes, centre son analyse des croissances et des crises sur les changements qui surviennent dans la composition organique du capital (laquelle fait entrer dans une fraction le capital fixe - investissements en machine grosso modo et capital variable - rémunérations en général des salariés). Lorsque le capital fixe croit fortement, par suite du progrès technique par exemple, cette composition organique augmente, et elle peut, pendant une certaine période, laisser intact le taux de profit, lorsqu'elle est accompagnée d'une forte augmentation du taux de plus-value (celui-ci étant défini comme le rapport entre l'ensemble des coûts et l'ensemble des recettes, grosso modo), d'une baisse relative des prix des matières premières et (ou) d'un investissement accru de capitaux dans des secteurs ou des pays dont la composition organique du capital est plus faible. Pour eux, la logique même de l'expansion sape les conditions de cette croissance : plus s'accélère l'expansion, plus se réduit ce qu'ils appellent l'armée de réserve industrielle (les salariés inactifs ou chômeurs) et plus il devient difficile d'accroître le taux de plus value, vu que le rapport de force sur le marché de la main-d'oeuvre se modifie en faveur des vendeurs de la force de travail, si celle-ci est bien organisée (forte pression syndicale par exemple) ; plus longue est la période d'expansion, et plus la baisse relative des prix des matières premières devient difficile à maintenir, vu les conditions de production moins élastiques ; plus l'expansion est longue et profonde, et plus rares deviennent les secteurs (et pays) où les capitaux productifs peuvent rencontrer des conditions de composition organique du capital structurellement plus basses que dans les secteurs essentiels des pays industriellement dirigeants. Il est impossible dans le cadre de cet article de détailler plus avant ce mécanisme (se reporter au Traité d'économie marxiste pour plus d'éclairages). L'essentiel est de comprendre que le dynamisme du capitalisme  ne peut exister sans ces crises répétitives, sans ces destructions périodiques de capitaux et de forces de travail. L'erreur que veulent pointer les économistes marxistes chez les libéraux et les keynésiens, c'est de supposer possible une série d'ajustements mécaniques et généralisés se produisant dans des conditions bien précises. Un fonctionnement rationnel du point de vue de l'économie globale ne l'est absolument pas pour chaque firme ou cartel pris isolément. Ce qui empêche un fonctionnement "harmonieux", c'est précisément le fait que la propriété privée des moyens de production constitue la règle du système capitaliste. 

 

            La longue crise économique qui perdure depuis les années 1970 (surtout à partir de 1974) provoque chez pratiquement tous les économistes un retour sur les conditions de la crise de 1929, pour tenter de comprendre comment le système capitaliste fonctionne, après une longue période de croissance, de 1946 à 1974 (les trente glorieuses), elle-même faisant suite à une longue période de crises économiques et de guerres de 1914 à 1945.

Isaac JOSHUA, profitant de cette maintenant possible mise en perspective avec le temps, explique comment le système capitaliste assure la reproduction élargie de sa matrice, de son foyer européen à l'ensemble du monde. Les tendances conjointes à l'homogénéisation, à la différenciation et à l'interconnexion permettent les transformations successives du capitalisme. Homogénéisation  par le déploiement du système qui élimine ou intègre les anciennes formes de production (artisanat par exemple). Ce système a tendance à résumer les sociétés au deux seuls pôles des sociétés et du salariat. Plus un milieu économique est homogène, plus ses crises se diffusent rapidement. La chute de la place de l'agriculture dans les sociétés (exploitations indépendantes) se repère facilement dans les statistiques. De plus, le capitalisme connaît une sorte de déploiement interne, par différenciation de fonctions, notamment de la fonction financière. En se ramifiant, en créant de nouvelles branches d'activités, le système modifie son agencement interne, devenant plus complexe, plus sophistiqué, et ainsi plus fragile. Une véritable architecture financière, autonome, ayant ses propres institutions, crée deux risques majeurs, qui viennent se rajouter à ceux de l'économie réelle ; ceux découlant du fonctionnement même des institutions financières, et ceux découlant des relations réciproques finance/économie réelles. Les crises se propagent d'autant plus vite que le système capitaliste a tendance à relier entre elles les unités qui le constituent. Le progrès technique accéléré permet cette interconnexion, mettant en rapport offres et demandes à l'échelle d'une planète. (Isaac JOSHUA).

 

    D'autres articles compléteront ensuite celui-ci sur les interprétations marxistes des crises économiques.

 

Isaac JOSHUA, Une trajectoire du capital, De la crise de 1929 à celle de la nouvelle économie, Syllepse, 2006. La grande crise du XXIe siècle, une analyse marxiste, La découverte, 2009. Françoise CHESNAIS, Gérard DUMENIL, Dominique LEVY, Immanuel WALLERSTEIN, Une nouvelle phase du capitalisme, Syllepse, 2001. Ernest MANDEL, La crise 1974-1982, Les faits, leur interprétation marxiste, Flammarion, collection Champs, 1982. Traité d'économie marxiste, en 4 tomes, Union Générale d'Editions 10/18, 1969. Le troisième âge du capitalisme, en 3 tomes, Union Générale d'Editions 10/18, 1976.

 

ECONOMIUS

 

Relu le 28 janvier 2020

 

 

 

 

 

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