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26 mai 2011 4 26 /05 /mai /2011 09:20

            La négativité est d'abord une notion introduite par HEGEL : si c'est bien entendu le caractère de ce qui est négatif, il est précisément le caractère de l'antithèse, "moment dialectique" de la pensée, selon le Vocabulaire Technique et Critique de la Philosophie (définition de Michel DUFRENNE). En deuxième lieu, toujours selon le même dictionnaire, c'est l'acte ou l'aptitude de nier, ou plutôt, lorsque la négation est prise dans un sens ontologique, de "néantiser", terme de SARTRE qui traduit lui-même le vocabulaire d'HEIDEGGER. L'auteur français utilise ce mot pour indiquer la possibilité pour la réalité humaine de secréter un néant qui l'isole. Ce dernier cite alors DESCARTES, qui après les stoïciens lui a donné un nom : c'est la liberté.

 

            La négativité figure dans les bases du projet hégélien de refonder la philosophie. La démarche d'HEGEL se situe dans les profonds remaniements de la pensée provoqués par les progrès scientifiques de son siècle. Il entend montrer ce qui subsiste lorsqu'on a débarrassé la conscience commune de tous ses présupposés.

Notons que ce projet n'aboutit pas réellement pour HEIDEGGER qui recherche plus tard l'origine de la négativité dans les présupposés de la pensée d'HEGEL... Toujours est-il qu'HEGEL estime que la cause principale des préjugés qui concernent l'individu réfléchissant dans son rapport au monde, réside dans l'orgueil de ce sujet réfléchissant. Si nous suivons Maxence CARON-PARTE dans son introduction à la lecture de l'oeuvre du philosophe allemand, HEGEL pense que le sujet est la première victime "d'une trop grande et handicapante centration sur soi qui interdit la pleine éclosion de l'objet dans un libre rapport avec le sujet. Crispé sur lui-même, le sujet particulier transporte en dehors de lui les caractéristiques qui lui sont propres et n'appartiennent pas à la chose."  

      C'est à une révolution copernicienne que convie HEGEL, authentiquement copernicienne, car selon lui, KANT ne l'a pas menée, et même prend le mouvement copernicien à contre-sens. L'agrégé de philosophie semble durcir les traits d'une opposition entre les deux philosophies kantienne et hégélienne. Même si nous ne suivons pas complètement Maxence CARTON-PARTE dans cette voie, elle nous guide cependant dans une lecture éclairante de la Phénoménologie de l'Esprit

"... si Copernic a voulu faire l'hypothèse d'une décentration de l'homme dans l'univers afin de mieux rendre raison des phénomènes astronomiques, est bien peu fidèle à ce message celui qui veut mettre l'objet en orbite autour du sujet afin de le mieux saisir. On peut aussi se demander si la leçon de Copernic a bien été entendue par ceux qui, à la manière de Descartes ou de Kant, ont lié sa destinée à celle de l'idéalisme subjectif. L'esprit de Copernic, c'est la décentration du sujet, son ouverture à un monde qui le dépasse et l'englobe, et le refus d'une certaine crispation égotique. La réflexion cartésienne ou kantienne est une sorte de réflexe de survie de la conscience naturelle face à l'inquiétant foisonnement à la vivante multiplicité du monde (...), le geste angoissé d'un homme qui refuse d'adopter la négativité. (...) De ce péché originel de la spéculation, le repli sur soi, provient l'ensemble des préjugés qui nous ferment l'accès à l'objectivité, c'est-à-dire à la vérité."

HEGEL entend combattre l'enchaînement de la pensée qui s'ensuit. "On se retrouve partout face à une séparation opérée dès le début. le rapport de l'homme à la vérité est postulé comme non originaire dès le lancement de la réflexion, et en outre, dans le kantisme, cette relation non originaire est la condition même de la mise en oeuvre de cette réflexion, puisque c'est le choc d'une chose en soi complètement extérieure qui permet la mise en oeuvre d'une unité sujet-objet dès lors seulement subjective." La philosophie kantienne opère l'irrémédiable scission entre la chose en soi et le phénomène, reproche que nous pouvons rapprocher, sans en dire plus, de celui fait par ARISTOTE à PLATON d'avoir séparer l'idée du monde.

"Et en affirmant cette existence totalement séparée et en régime complet d'altérité, l'attitude kantienne affirme bien quelque chose de la chose en soi, elle se prononce bien sur l'être de cette chose : elle ne fait au fond que projeter la structure dualisante de la pensée d'entendement sur le monde. Par entendement, HEGEL stigmatise la pensée "qui ne s'ouvre pas à la vie et à la négativité qui la sous-tend, qui refuse de voir la négativité de l'essence ouverte de la conscience comme sujet se rapportant en soi-même à l'extériorité de l'objet ; la pensée prisonnière du principe de la stricte identité (...) dont le corrélât immédiat est le principe de non-contradiction qui interdit à la conscience de s'ouvrir à sa propre négativité autant qu'à la mobilité du monde vivant." La pensée kantienne est rendue responsable de l'absolutisation des séparations, alors qu'en fait le sujet est malgré lui rapport à l'objet. L'extériorisation est nécessaire en fait à l'intériorisation. Nous sommes toujours en présence "d'une action réciproque entre sujet et objet, action qui révèle implicitement la rémanence d'une négativité plus profonde que le sujet particulier : c'est, simultanément, parce qu'il est centré sur lui-même que le sujet se coupe de la réalité mondaine et parce qu'il se sépare de cette réalité qu'il se replie sur soi." 

"Tout rapport à soi, continue Maxence CARON-PARTE, est rapport à l'autre, tout rapport à l'autre est rapport à soi : la déconstruction (mot très moderne, précisons-nous...) des préjugés de la conscience commune est ainsi en même temps une désobstruction des principes dynamiques qui la sous-tendent. Ce sera l'un des thèmes fondamentaux de la Phénoménologie de l'Esprit : la conscience ne voir hors d'elle (consciemment ou non) que la structure de sa propre intimité." La conscience commune n'a pas atteint encore cette perspicacité prêtée à HEGEL : "elle ne se connaît pas comme ouverture ; le seul rapport d'ouverture à l'autre est déjà fermeture ; son ouverture n'est pas sue : elle agit, certes, mais ne fait que transmettre la fermeture. Le moi reste ainsi doublement enfermé : en lui-même et hors de lui-même. Il ne voit partout que son propre cloisonnement." C'est seulement en renonçant à faire de son moi un terme de référence que l'homme se laisse absorber par la vie, "qu'il est susceptible de devenir le théâtre d'une manifestation de la vérité". En fait, pour l'atteindre, il n'y a pas d'autre choix que d'assumer le fait que nos esprits sont des parties et des produits du monde.

HEGEL se situe constamment dans le sillage d'HERACLITE, comme l'indique l'agrégé de philosophie : "Ainsi celui qui se n'écoute pas soi-même écrit-il, mais le Tout, celui-là reconnaît que tout est un. Le sujet pensant a continuellement l'impression de se croire maître de ce dont il n'est que le dépositaire. "Dans cette perspective, ce n'est pas nous qui possédons les formes, comme s'il s'agissait de simples instruments à notre service, mais ce sont bien plus ces formes qui nous possèdent."  Il faut, pour atteindre la vérité, saisir les éléments que nous croyons nôtre comme des universels qui en réalité nous incluent en eux. Dans tout examen de la réalité du monde, il faut toujours prendre garde à ceci : "quand je critique la véracité des formes logiques, j'oublie que l'objet examiné et le sujet qui examine sont un seul et même être. Par conséquent, la possibilité d'une critique ou d'une mise à distance est inhérente aux formes logiques elles-mêmes. Les normes critiques ne sont pas quelque chose d'extérieur à ces formes, mais constituent au contraire un élément fondamental de leur essence : la négativité. Je ne pense pas les formes universelles, mais ce sont elles qui se pensent en moi (conséquence naturelle de leur universalité) ; de même, quand je les critique, ce sont en fait elles-mêmes qui se critiquent en moi. Ainsi, quand elles sont mises en doute, ce sont elles-mêmes qui mettent en évidence leur propre négativité dans une dialectique auto-critique qui, bien loin de les appauvrir, révèle au contraire la mesure de leur universalité : elles sont capables de se renier et de s'ouvrir à l'autre. Mais si elles peuvent se renier elles-mêmes, il ne faut en aucun cas perdre de vue que ce sont effectivement elles-mêmes qui se renient, en un libre mouvement qui appartient à la puissance de différenciation de leur être intime. Dès lors, avec ces formes capables d'auto-négation, est déjà présent un Sujet universel conscient de soi, dont le sujet particulier est un moment. Cela ne signifie pas que toute personnalité y est engloutie comme dans une substance indifférenciée ; au contraire, le sujet particulier étant dépositaire de la négativité du Sujet absolu peut le nier tout en restant à l'intérieur de ce dernier : nier une négativité, c'est toujours être en elle, c'est même en quelque sorte l'accomplir. Le pouvoir de négation du sujet individuel ne provient pas de lui, mais de la négativité du Sujet absolu. Aussi celui-là peut-il appartenir librement à celui-ci. (...) Quand je prends conscience des formes universelles, ce sont elles qui prennent conscience d'elles-mêmes en moi; et quand je les renie, ce sont elles qui se nient en moi, révélant la négativité qui les habite. Cette négativité est déjà implicitement présente dans la conscience que je prends de l'universel : elle est la prise de conscience elle-même ; et à la faveur de cette prise de conscience, les formes s'incarnent, se réalisent dans le monde."

     Le lecteur de ces lignes peut se rendre compte à quel point le travail (au sens de Claude LEFORT) de siècles de christianisme exerce son emprise sur la philosophie hégélienne, jusqu'aux termes employés pour l'exprimer, jusqu'aux termes employés par ses commentateurs ou ses présentateurs pour l'expliquer... La figure christique est d'ailleurs souvent présente dans l'oeuvre de HEGEL, soit implicitement, soit explicitement. Nous pouvons comprendre cette fascination devant la force quasi enthousiaste de l'écriture hégélienne qu'éprouve le lecteur, même lorsque le fond de la pensée exprimée lui échappe partiellement... De même, une grande partie de l'influence polarisante de la pensée hégélienne sur la philosophie européenne provient sans doute de l'art consommé d'utiliser des formes linguistiques prégnantes dans l'esprit de beaucoup, et comme cette oeuvre n'est pas exempte d'interrogations (ce n'est pas un système fermé), ni de contradictions, elle permet à beaucoup d'autres philosophies d'y puiser une partir de leur énergie.

Maxence CARON-PARTE tente de résumer l'essentiel : "Les formes universelles sont plus que moi en moi, le moi particulier n'est rien au-delà ni au dehors de celles-ci, il est la main de l'universel dans le monde ; quant au pouvoir critique du sujet particulier, qui constitue l'essentiel de son "libre-arbitre", il est immanent à l'universel, il est sa propre négativité. Si cette négativité se replie sur soi (ce qu'elle peut faire par définition), alors le sujet particulier fait l'expérience de son libre-arbitre, ou liberté arbitre, qui n'est rien d'autres que la négativité prise pour soi et coupée (ou ab-straite) de la totalité auto-mouvante dont elle est un moment. Nous devons donc comprendre qu'il y a un Sujet universel qui prend conscience de soi, comme universel dans la conscience humaine des formes logiques, et comme prise de conscience de soi dans l'expérience humaine de la négativité du libre-arbitre. La totalité de ces déterminations constitue le Sujet absolu, ou Concept, c'est-à-dire l'universel doté de négativité, ou l'auto-mouvement de l'universel. De cette critique de la conscience commune sort donc une représentation fondamentale de l'essence et de l'activité de la pensée."

 

           Dans le tome 68 de l'Édition intégrale des oeuvres de Martin HEIDEGGER figure une "explication" de ce dernier avec la philosophie hégélienne, et en particulier sur la négativité.

Dans ce texte, que Olivier HUOT-BEAULIEU, doctorant en philosophie de l'Université de Montréal, rapporte, HEIDEGGER traque l'origine de cette négativité et propose un concept de "néant" qu'il juge plus originaire encore que celui de son prédécesseur. Malgré le caractère fragmentaire de l'argumentation, il est possible d'y voir énoncé la question de l'origine de la négativité, qui est d'ailleurs l'une des clés de la formation d'une philosophie à part entière. Le philosophe allemand constate, que malgré que l'influence de l'idéalisme allemand ne soit pas observable de manière immédiate à travers une application efficace de ses principes (pas forcément bien compris d'ailleurs) au monde de la vie n'exclut pas une influence historiale, c'est-à-dire "tendancielle", "orientante" mais pas clairement décelable avant analyse approfondie (et même ensuite...). L'héritage de HEGEL se présente plutôt sous la forme d'un défi ou d'un injonction, plus que sous la forme d'un (très) grand discours convainquant. Avec HEGEL, l'histoire de la métaphysique atteint un point culminant difficile à dépasser : il introduit une autre manière de faire de la philosophie. HEIDEGGER caractère le système hégélien comme guidé par des présupposés, comme toute philosophie, d'autant plus qu'HEGEL décrit bien plus le processus nécessaire pour atteindre la réalité, la vérité qu'il ne la définit elle-même. Ne connaissant donc pas cette vérité en elle-même, HEGEL est bien obligé de partir d'un "point de vue", de se guider d'un fil conducteur qui le mène à LA philosophie telle qu'elle doit être. Ce fil conducteur, c'est la négativité, omniprésente dans toute son oeuvre. Il s'agit de connaître l'origine de ce fil conducteur, qui légitime forcément l'ensemble de la démarche. 

HEIDEGGER se livre donc à une tentative d'élucidation du lieu d'origine de la négativité. Mais auparavant, il convient de définir ce qu'il entend par ce terme. "Celle-ci (la négativité) se voit en un premier temps caractérisée "en tant que différence de la conscience", formulation qui soulève déjà des difficultés. En tout cas, successivement, cet auteur examine le concept d'altérité,  puis celui de conscience. Cela l'amène à écrire : "La négativité en tant que déchirement et séparation est la "mort" - le maître absolu, et la "vie de l'esprit absolu" n'est rien d'autre que le fait de supporter et d'endurer la mort (Mais cette "mort", on ne peut jamais la prendre au sérieux, (...), pas d'effondrement ni de bouleversement à attendre; tout se résout et se compense. Tout est déjà inconditionnellement mis en sûreté et à l'abri".   Pour HEIDEGGER, HEGEL ne parvient pas à identifier en la mort l'origine d'une négativité radicale, comme il l'établit lui-même dans Etre et Temps. "Pourquoi la négativité ne peut-elle pas être déterminée à partir du néant hégélien alors que celui-ci semble pourtant bien être l'"incarnation" de la nullité (...) ?" ce n'est que dans Science de la Logique qu'HEGEL aborde explicitement le concept de néant et là, il écrit "L'être pur et le néant est (...) la même chose". Donc, le néant ne peut en rien être confondu avec la négativité, puisqu'il ne contient aucune différence et que cette dernière a précisément été définie comme telle...

Du coup, résume Olivier HUOT-BEAULIEU, ni l'altérité logique, ni la conscience, ni le jugement, ni la mort, ni le néant ne se sont présentés comme des candidats solides au titre de lieu d'origine du négatif hégélien. En fait, la négativité doit être posé avec l'absolu, c'est-à-dire conjointement à un sujet pensant, inconditionnellement conscient de soi et ayant toujours déjà sursumé, dans sa positivité, toute différence ou manque. Autrement dit, toute tentative de déterminer l'origine de la négativité au sein du système hégélien nous réachemine verses ses présupposés. La négativité est donc pour HEGEL une structure allant de soi et le néant comme un objet d'investigation sans intérêt propre. C'est ce qui pousse HEIDEGGER à explorer un concept encore plus originaire, celui de néant. 

 

            Nous rejoignons-là tout-à-fait l'opinion de Martin HEIDEGGER quant au statut de la négativité, sans pour autant adhérer à la philosophie qu'il développe. La négativité constitue bien un postulat, un postulait très riche, mais un postulat quand même, dont seul l'accès à la vérité pourra nous dire s'il nous mène dans la bonne direction pour l'atteindre... Mais se placer sur ce plan est insuffisant. Jamais la philosophie ne constitue un jeu innocent ou lié au hasard, mais elle si a perdu son statut de sommet de l'intellect : elle reflète une évolution ample, d'un point de vue politique et d'un point de vue moral. Elle aiguille les esprits vers certaines préoccupations et exprime en même temps ces préoccupations, en dehors du fait que l'appareil déployé, mû par les nécessités de carrière universitaire, soit quelque peu boursouflé par rapport aux objectifs visés. Ce postulat, en ce sens qu'il n'est ni justifié ni expliqué en soi, mais utilisé, provient tout de même de constatations sur la réalité, qui est toujours contradictoire, non seulement parce qu'il y a de nombreux "esprits individuels" qui pensent et qui agissent, mais parce qu'aussi, et c'est un des enseignements de la philosophie hégélienne, la réalité du monde est indissociable de ces "esprits"-là, alors que pourtant ils pensent et agissent sur le monde de manières très particulières et très distinguables.

   Nous ne pouvons donc pas terminer cet article sur la négativité sans délimiter ce qu'HEGEL entend par Contradiction.

 

       C'est surtout de l'Encyclopédie des sciences philosophiques, Tome 1. La science de la logique que tire Bernard BOURGEOIS, les éléments pour présenter le terme Contradiction. Si l'entendement courant limite la contradiction au penser jugé alors faux (deux propositions contradictoires ne peuvent être l'une et l'autre vraies), la raison hégélienne affirme que tout être la contient en lui : "où que ce soit, il n'y a absolument rien en quoi la contradiction, c'est-à-dire des déterminations opposées, ne puissent et ne doivent être montrées" (Encyclopédie, & 89). Toute chose est contradiction en tant qu'elle réunit ou identifie en elle intimement des déterminations manifestement contraires, voire simplement différentes, le fait, pour elle, d'être ainsi à la fois identique et non identique à elle-même dans elles-même constituant son opposition interne ou sa contradiction.

La reconnaissance de l'omniprésence de la contradiction se heurte à l'obstination de l'entendement rivé au principe de l'identité abstraite : A est A, non pas non-A. Devant une contradiction, l'entendement commence par fixer l'un des opposés en occultant l'autre, et, si c'est impossible, décrète la nullité de l'être qui en est le lien, comme ZÉNON le faisait du mouvement. Il utilise même, dans la sophistique, la contradiction comme preuve du néant de ce qu'il rejette. Pour lui, la contradiction, bien loin d'être essentielle et positive, est un accident négatif à éviter.

Nous pensons que cette forme de pensée, par ailleurs nécessaire mais à dépasser pour HEGEL, se retrouve autant pour les questions purement philosophiques que sociales et politiques, ce qui va bien entendu dans le sens de la consolidation de l'ordre mental ou socio-politique établit. 

Cependant, à la cime kantienne, l'entendement philosophant, tout en maintenant le caractère négatif de la contradiction, lui reconnaît une nécessité essentielle sous la forme de l'antinomie cosmologique, même si KANT continue de loger la quadruple contradiction du monde pensé dans la pensée illusoire du monde, et non dans le monde lui-même. HEGEL dépasse cette timidité kantienne en affirmant que la contradiction est objective, et non pas seulement subjective, et qu'elle est partout. Dans la nature physique, régie par l'extériorité réciproque et la finitude, les choses sont emportées par leur contradiction interne. L'être vivant, qui est, lui, un tout, donc comme tel en soi infini, donc non lié à une détermination particulière, finie, supporte la négation constituée par celle-ci : il en souffre, mais puisque souffrir, c'est tendre à supprimer la souffrance, il est poussé au-delà d'elle ; la contradiction ressentie est bien la source de tout mouvement spontané, de toute vie, de toute activité. Mais c'est dans la vie de l'esprit que la contradiction révèle toute sa vertu (selon nous, c'est d'ailleurs sa condition qui pousse la philosophie à s'exprimer ainsi...). L'histoire du monde en est le lieu éclatant : " Ce qui, d'une certaine façon générale, meut le monde, c'est la contradiction" (Encyclopédie, & 119). Loin donc, d'exclure la contradiction, l'esprit, qui est en et pour soi infini, a la force de la supporter en toute son acuité en y puisant sa richesse ; il sait, en effet, qu'il est infini et que, dès lors, toute détermination en lui n'est qu'autant qu'il la pose et, par conséquent, peut la déposer, comme un moment de sa culture. L'accomplissement philosophant de l'esprit, la pensée spéculative, accueille et cultive en elle la contradiction au coeur d'elle-même comme son moment moteur, le moment dialectique.

Si tout est contradictoire, sauf le tout lui-même, pourtant ce tout n'est pas sans contradiction puisque, comme totalité, il est précisément l'identité de l'identité et de la différence, mais il a la contradiction au lieu de l'être. Il la maîtrise au lien de la subir, il se nie sans être nié. C'est bien le message chrétien du Dieu qui se sacrifie et meurt pour sauver et vivifier l'être fini, que HEGEL a voulu exprimer rationnellement (en dehors de tout le fatras religieux institutionnalisé, ajoutons-nous) ou conceptuellement. L'identité se différencie ou se détermine, et cette auto-détermination ou liberté la fait s'aliéner ainsi à elle-même, accueillir par là en elle-même la misère de la nécessité, alors immédiatement surmontée et transfigurée. La dialecticité de l'identité se faisant totalité par sa différenciation d'elle-même se dépasse donc spéculativement dans la jouissance de sa puissance à travers sa bonté même. L'affirmation de l'être triomphe dans la négation de sa négation, la contradiction de sa contradiction. 

 

Bernard BOURGEOIS, Article Hegel, dans Vocabulaire des Philosophes, Tome III, philosophie moderne (XIXème siècle), Ellipses, 2002. Maxence CARON-PARTE, Lire Hegel, Ellipses, 2000. Olivier HUOT-BEAULIEU, De l'origine de la négativité chez Heidegger et Hegel, dans Ithaque, Revue de philosophie de l'Université de Montréal, n°6, printemps 2010. Michel DUFRENNE, Article Négativité, dans Vocabulaire Technique et Critique de la philosophie, PUF, 2002.

 

PHILIUS

 

Relu et corrigé le 2 juin 2020

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commentaires

J
J'avais collé copié dans mes archives personnelles cet article trouvé le 25 mars 2019 sur internet. En reprenant sa lecture aujourd'hui je me rend encore mieux compte de son immense intérêt vu qu'il est si rare de trouver des analyses aussi pertinentes et en tout cas aussi fidèles à ce que je comprends moi-même de la métaphysique hégélienne, étant entendu que j'y trouve l'expression parfaite de mes propres approches à propos de la LIBERTE.<br /> Alors, en plus de toutes mes félicitations je vous transmets mes grands remerciements pour cette aide précieuse pour ma compréhension personnelle de cette très difficile mais tellement importante œuvre.
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K
Bonjour,<br /> Je souhaiterais bien avoir, si vous la retrouvez, la référence de la citation suivante de Hegel :<br /> <br /> "La négativité en tant que déchirement et séparation est la "mort" - le maître absolu, et la "vie de l'esprit absolu" n'est rien d'autre que le fait de supporter et d'endurer la mort (Mais cette<br /> "mort", on ne peut jamais la prendre au sérieux, (...), pas d'effondrement ni de bouleversement à attendre; tout se résout et se compense. Tout est déjà inconditionnellement mis en sûreté et à<br /> l'abri".
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G
<br /> <br /> Il s'agit d'une citation tirée du Tome 68 de l'Edition intégrale des oeuvres de Martin HEIDEGGER, faite par Olivier HUOT-BEAULIEU (page 24). La phrase n'est pas de HEGEL, mais d'HEIDEGGER, qui<br /> commente HEGEL.<br /> <br /> <br /> <br />
F
En gros le monde est négatif à l'égo. Ce qui a force de déterminations produit une négativité interne à l'image du monde. Et ça c'est la conscience, le libre arbitre donc.<br /> <br /> C'est ça ?
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