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8 septembre 2009 2 08 /09 /septembre /2009 13:18
           L'analyse du sacrifice à travers les interprétations des sacrifiants fait partie des approches psychanalytiques de la religion en général, même si peu d'auteurs ont étudiés la question même du sacrifice.
  On ne trouve guère de développement à ce propos dans les dictionnaires de référence. Ainsi dans le Dictionnaire international de la psychanalyse, Odon VALLET mentionne les travaux de Sigmund FREUD dans Etudes sur l'hystérie (1895), Actes obsédants et exercices religieux (1907), Totem et Tabou (1912), pour parler seulement du sacrifice des pulsions que font les hommes individuellement et collectivement pour passer "de l'état de nature à celui de culture", mais le mot sacrifice ici ne se rattache pas aux problématiques déjà évoquées. Rappelons simplement que le fondateur de la psychanalyse lie le sacrifice au totémisme, chose qui lui est reprochée par la suite par Claude LEVI-STRAUSS.
 
      Selon Roger BASTIDE (1898-1974), "là où dominent les structures de communication, le sacrifice est conçu sur le modèle de l'échange (dons et contre-dons, prestations et contre-prestations). Là où dominent les structures de subordination, comme dans les féodalités et les royautés primitives, le sacrifice tend à prendre la forme d'un acte de soumission au Maitre des choses ; les prières qui accompagnent alors les oblations montrent que l'on veut fléchir la volonté divine, ce sont des paroles de flatterie, parfois de chantage (...)."
 Les motivations exprimées par les religions elles-mêmes ne reflètent que les motivations conscientes et certains auteurs s'attachent à déceler ces motivations inconscientes. Sigmund FREUD "a vu dans le meurtre du père et dans le repas cannibalique qui lui succédait la forme archétypale que tous les sacrifices ultérieurs ne faisaient que répéter, et toutes ses spéculations s'ordonnent autour du complexe d'Oedipe."
          Ce que Roger BASTIDE appelle "le roman oedipien" est délaissé selon lui par les psychanalystes dans leur explication du sacrifice et de manière générale de la religion (encore que...peut-être ceci reste à démontrer...). Il cite les travaux de plusieurs auteurs :
- René LAFORGUE relie le sacrifice à un phénomène de compensation et en fait une réponse à un état d'angoisse profonde : il faut que l'homme se fasse pardonner d'exister pour éliminer le malheur, ce qui relève peut-être plus de la religion chrétienne, marquée par sa conception du péché originel que de la religion en général ;
- Maryse CHOISY discute même d'un complexe particulier, le complexe de l'anneau de Polycrate ;
- Georges GUSDORF reconnaît l'existence de pareils sentiments, mais pour lui, ils caractérisent le névrosé, non l'homme normal. L'erreur de la psychanalyse serait de chercher à identifier le "sacrifice morbide", qui se fait dans une perspective d'échec, avec le sacrifice religieux authentique, de portée libératrice.
- Carl JUNG pense que les comportements névrotiques sont des phénomènes de régression, de retour vers la mère, alors que le sacrifice consiste bien plutôt à quitter la mère pour gagner le monde, à fuir la subjectivité libidineuse pour se tourner vers l'objectif. Au lieu de parler du meurtre du père comme le fait Sigmund FREUD, il vaudrait mieux alors parler de meurtre de la mère, devenue monstre en captant et arrêtant toute l'énergie de l'homme.
   On le voit, tout cela tourne plutôt autour des conceptions chrétiennes, ce qui n'est pas étonnant en soi, vu la culture générale des psychanalystes.

        Daniel SIBONY, dans Le groupe inconscient (1980), évoque la question du sacrifice à plusieurs reprises. Il écrit notamment : "A l'horizon de toutes ces mises en jeu du désir qui émerge, de l'objet qui se découpe qui se fige ou qui passe, se profile le sacrifice, comme approche particulière de l'objet de désir ; on sacrifie la coupe, on se sacrifie à la cause de l'objet qui cause du désir (on y sacrifie même son désir...) : tout groupe comporte un plan de "sacrifice" pour sacrer l'objet, pour que l'objet de valeur ou de désir ait partie liée avec la sacrée. Le sacrifice vise à atteindre l'inconscient, à porter atteinte à cet "autre monde" pour le toucher, le fléchir. On en espère bien sûr un effet de retour : on intercède pour que la "réserve" du symbolique cède, que le trésor s'ouvre ; car quelle que soit la "tradition" qui le porte, cet "autre monde" est supposé être l'inflexion même de l'objet du désir, l'origine de l'agalma, la source de la "valeur". Dans la destruction qu'il comporte, le sacrifice assure en fait une métamorphose de l'objet, une passation ou une traversée de l'objet : on part d'une présentation de l'objet ou d'une représentation, pour remonter à la source, au trésor du signifiant, au signifiant du trésor. Généralement, c'est un geste précis qui doit assurer cette passe."
 "Le sacrifice c'est la chasse à l'objet du désir ; ce qui implique à l'occasion de rabattre l'objet comme on rabat le gibier. Et la violence qui marque le sacrifice est égale à la force du refoulement qu'il doit traverser pour atteindre le monde du désir, pour affranchir l'objet, et déclencher une alternance très précise entre la perte et le retour."
   Derrière cette problématique, dont l'expression peut dérouter le lecteur peu familier au langage spécialisé de certains psychanalystes, se trouve la relation entre la représentation du groupe chez les bénéficiaires du sacrifice et l'effet même du sacrifice (même sans réelle intervention divine...), avec en arrière fond la relation attirance/répulsion des uns envers les autres.
C'est de la racine du lien social dont il est question ici, dans le monde moderne actuel : "L'exclusion sociale - du travail, ou d'un lieu collectif reconnu - diffère de l'exclusion haineuse où certains jouent leur origine et leur désir de la posséder sans partage. L'exclusion sociale, plus froide et abstraite, semble résulter d'automatismes implacables, sans affects. Or, ce qui fait problème, ce n'est pas tant l'exclusion, c'est qu'un groupe en ait besoin, de façon vitale. Le mécanisme est abstrait, mais il fonctionne comme un montage sacrificiel : sacrifier ceux-ci pour que ceux-là soient plus à l'aise. L'espace social semble une matrice originaire où des rivaux se débattent : les uns éjectent les autres pour avoir plus de confort et d'espace ; pour que le couple de cette matrice et de ceux qui s'y affairent soit plus stable. Ce couple - ou cette matrice originaire - est la divinité à laquelle on sacrifie. Ce fantasme sacrificiel se retrouve chez les peuples primitifs sous forme de rituel. Chez les Aztèques, il fallait sacrifier des gens, réellement, pour maintenir l'énergie solaire à un bon niveau vital ; sacrifices humains où, curieusement, on sacrifiait de préférence... les étrangers ; sans haine et sans colère ; simple nécessité, pour que le monde continue à marcher." (Daniel SIBONY, Violence).

Odon VALLET, article religion, Dictionnaire international de la psychanalyse, Hachette Littératures, 2002. Roger BASTIDE, article Sacrifice, Encyclopedia Universalis, 2004.
Daniel SIBONY, Le groupe inconscient, Le lien et la peur, Christian Bourgois, 1980 ; Violence, Traversées, Seuil collection La couleur des idées, 1998.

                                                                               RELIGIUS
 
Relu le 24 mai 2019
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