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8 janvier 2009 4 08 /01 /janvier /2009 09:19
            John FULLER (1878-1966), dans un de ses livres, L'influence de l'armement sur l'histoire (1948), recherche des lois générales à partir de l'expérience historique, des guerres médiques à l'âge nucléaire. Ces lois générales que l'on trouve placées en premier chapitre de ce livre, sont au nombre de trois :
 - Influence réciproque de la guerre et des civilisations. D'une part, c'est le caractère dominant de la  civilisation qui imprime sa forme à la guerre. Ainsi la civilisation chrétienne du Moyen Age amène avec elle les guerres des chevaliers, comme la civilisation industrielle au XIXème siècle amena les guerres de matériel moderne. D'autre part, la guerre accélère le cours des civilisations. Par les besoins gigantesques qu'elle crée, elle favorise les grandes concentrations industrielles et instaure le régime de la machine. Parallèlement, dans les périodes où l'armement permet les grandes offensives, elle permet la création de grands empires. Si jadis la guerre avait à s'adapter à la civilisation du milieu ambiant, il semble qu'aujourd'hui c'est la guerre qui commande et la civilisation doit s'adapter à elle. (Général CHASSIN, auteur de la préface du livre)
- Le meilleur armement gagne les guerres, dans 99% des cas.
- La loi du Facteur Tactique Constant énonce le fait que l'apparition d'une arme nouvelle a toujours été suivie plus ou moins rapidement d'un contre-perfectionnement de l'armement qui enlève à cette arme la supériorité d'un instant. Ce contre-perfectionnement peut être une arme défensive comme une arme offensive. Aux obus d'artillerie s'oppose d'autres canons qui détruisent les lanceurs d'obus. Le seul résultat certain, avec l'escalade de puissance, c'est qu'avec ces progrès sans fin, les pertes causées par les guerres ne cessent d'augmenter de siècle en siècle. Avec l'arrivée de l'arme atomique, et d'autres armes en préparation dans les laboratoires, on se dirige vers des guerres de robots à des centaines de kilomètres de la Terre, avec de temps en temps de grandes villes réduites en poussière.
             Le général FULLER, loin de penser la nécessité de supprimer la guerre, oppose deux conceptions de celle-ci : la conception "clausewitzienne" et la conception "churchilienne" (N'oublions pas que l'auteur est britannique).
   La conception "clausewitzienne" est celle d'une guerre, moyen qu'emploie la politique pour arriver à son but d'obtenir un gain à son pays, et dont la direction est politique; tandis que la conception "churchillienne" est celle d'une guerre à mort où la primauté du point de vue militaire permet de commettre les crimes les plus affreux contre la civilisation, le but politique pour lequel on était entré en guerre ayant complètement été perdu de vue. Il s'agit pour John FULLER de garder toujours le contrôle politique de la guerre en action, pour pouvoir la freiner en fonction des objectifs politiques et économiques, afin qu'elle ne détruise pas ce que précisément on veut prendre.
            Il classe les armes en deux groupes principaux, "le premier comprend les armes avec lesquelles on frappe directement, le deuxième, les projectiles (y compris les propulseurs), les premières servant dans le combat de près et les secondes dans le combat à distance." John FULLER détermine et classe les qualités et les imperfections des armements en 5 points :
- Portée (plus la portée ou le rayon d'action augmente, plus la puissance de destruction peut entrer rapidement en jeu) ;
- Puissance de destruction (plus le pouvoir destructif d'une arme est grand, plus le coup porté sera efficace.) ;
- Précision (plus on augmente la précision avec laquelle une arme peut être pointée, lancée ou projetée, plus on a de chances d'atteindre le but.) ;
- Volume de feu (plus le nombre de coups tirés en un temps donné est grand, plus l'effet obtenu sera grand) ;
- Facilité de mise en oeuvre (plus on peu facilement transporter, trainer ou déplacer, manoeuvrer ou manier une arme, plus rapidement on pourra l'utiliser).
      De ces 5 qualités, la première est la plus importante : c'est celle qui domine le combat. "Donc, l'arme maîtresse détermine le rôle joué par toutes les autres. Autrement dit, l'arme qui a la plus grande portée ou le plus grand rayon d'action doit être à la base des combinaisons tactiques.(...) Elle n'est pas forcément la plus puissante, la plus précise, celle qui assène le plus de coups ou la plus facile à transporter : c'est larme qui ayant la plus grande portée peut entrer la première en action et servir de couverture aux autres armes qui peuvent alors agir selon leurs qualités ou limitations respectives. D'ailleurs plus sa précision, l'intensité de son feu, sa facilité de transport et son pouvoir destructif seront grands, plus cette arme dominera le combat."

          L'influence générale de l'armement sur l'histoire peut se résumer, toujours selon le général FULLER en plusieurs points :
- Les civilisations suivent des cycles qui se répètent. "Bien que chacune aie une individualité propre, toutes passent par les phases similaires de la naissance, de la croissance, de la décadence et de la désagrégation et, dans le développement de chacune de ces phases, la guerre joue un rôle de premier plan." "En outre, à part quelques exceptions, la paix n'est guère qu'une période d'incubation et de préparation à la guerre."
- "...le caractère de la guerre change avec les progrès civils et les croyances à mesure que ceux-ci prennent corps autour de l'idée centrale de chaque cycle culturel. Ainsi au Moyen Age, les limitations de la guerre étaient fixées par la religion, fait central du monde spiritualiste, tandis qu'aujourd'hui c'est la science, fait central du monde matérialiste, qui les fixe."
- "... si la guerre évolue avec le progrès, ce dernier est également influencé par la guerre - il y a influence réciproque de l'un sur l'autre. En outre, la guerre est le seul facteur permanent de ces transformations."
    La loi du développement militaire qui régit l'évolution reprend l'antienne d'un darwinisme très mal compris : "La loi de l'évolution (...) signifie que ceux qui s'adaptent le plus rapidement et le plus parfaitement aux changements matériels, intellectuels ou moraux, sont ceux qui ont le plus de chance de survivre. En ce qui concerne l'histoire des organisations militaires, c'est la même chose : la civilisation est le milieu ambiant et pour rester apte à faire la guerre, les armées doivent s'adapter elles-mêmes à ses phases changeantes."
  Dans sept chapitres de son livre sur l'influence de l'armement sur l'histoire, John FULLER l'illustre en examinant successivement les âges "de la bravoure, de la chevalerie, de la poudre, de la vapeur, du pétrole et de l'énergie atomique."

    Alain JOXE, dans sa somme sur la guerre (Voyage aux sources de la guerre) reprend, dans le cours de ses réflexions, cette conception du général FULLER qu'il juge "étroite et matérialiste".
    "Le rôle principal de la machinerie militaire est de modifier la géométrie de la menace, en utilisant les éléments de base de la géométrie de la peur la plus primitive, pour construire un système qui défie la mort". L'armement, loin d'être une quincaillerie plus ou moins sophistiquée, ne peut "être défini en soi, en dehors des combattants et du combat, en dehors de l'idée d'un système technique de guerre."
Contre des définitions réductrices de l'armement, celles de Quincy WRIHT (1890-1970)  et de John FULLER, Alain JOXE pense qu'"il n'existe pas d'arme en dehors du contexte sociologique du combat, de la guerre, de la stratégie".
     Les conditions de l'innovation militaire ne sont jamais de pures conditions techniques. Elles servent surtout la première fois à remporter la guerre par surprise.
 Le stratégiste dégage plusieurs cycles en 5 temps tout au long de l'histoire :
- Invention qualitative (tournant dans l'histoire des stratégies) ;
- Banalisation par effet de miroir (cristallisation, parallélisme, phases d'improvisation non innovantes) ;
- Diversification, divergences ;
- Fétichisation, accumulation quantitative, définition "logistique" du rapport des forces (sclérose des tactiques et des stratégies) ;
 - Nouvelle invention rompant les rapports de forces quantitatifs.
   Mais surtout, Alain JOXE met l'accent sur un élément majeur des interractions entre guerres et civilisations : "Mais l'innovation militaire à travers la bataille décisive n'est pas seulement décisive militairement parlant : elle est toujours politiquement conséquente, et donc porteuse aussi de remodelages économiques. Cette articulation entre l'instant militaire et la durée économique est un champ particulièrement délicat et important d'exploration car il a pour objet non pas seulement l'articulation de la durée et de l'instant, mais la mise en forme de la rentabilisation de la menace de mort dans l'établissement des systèmes de domination." La mise en oeuvre de la peur constitue le véritable coeur des 5 variables d'armement décrites par le général FULLER. Alain JOXE relève que dans la classification de John FULLER, "il ne peut justifier clairement, après avoir mis en tête de toute sa définition des armes la capacité de destruction, pourquoi il doit, ensuite, mettre, au premier rang des qualités de l'arme, la portée ou le rayon d'action. (...) Il y a bien une explication à son apparente contradiction, une explication qu'il connait sans la reconnaitre, à savoir qu'une arme cimente la peur en courage d'autant plus qu'elle éloigne le contact et permet à l'unité militaire de détruire sans être touchée."
    Au 5 variables de l'armement exposés par John FULLER, l'animateur du CIRPES substitue 10 autres qui tiennent beaucoup plus compte des progrès de l'armement :
- Procédure de destruction (pénétration, écrasement ou enveloppement) ;
- Allonge (armes de poing) ou la portée (armes de jet), procédés qui étendent la capacité de destruction dans l'espace ;
- Mobilité stratégique et tactique (en vitesse de progression et rapidité de changement de direction);
-  Précision de l'impact;
- Densité ou cadence de tir;
- Technique du blindage;
- Observation;
- Camouflage;
- Communication, horizontale ou d'information;
- Brouillage.
  "La loi du progrès de la performance des armements selon ces dix lignes d'évolution a toujours été de chercher à permettre à moins d'hommes de combattre aussi bien de plus loin, ou mieux, de plus près. A la limite : à aucun homme de combattre parfaitement de loin."
      Plus globalement, il faut penser, écrit Alain JOXE, lorsqu'on discute du rôle de l'armement dans l'histoire, à la projection sur l'ensemble des sociétés de ce qui se passe sur les champs de bataille et inversement :
- "La projection de la société dans la bataille, (...) c'est-à-dire la projection des assiettes de recrutement sur les modules d'incorporation puis sur l'ordre de bataille : l'articulation amont et l'emboîtement des échelles dans le procès d'organisation d'une armée";
- La transcription de la bataille dans la temporalité mythique, c'est-à-dire le rôle du récit de bataille comme récit fondateur d'un code propre à la société toute entière;
- La projection de la bataille sur la société vaincue, c'est-à-dire l'effet de la menace militaire sur l'espace socio-économique ou encore comment prend place la bataille victorieuse dans la forme et le contenu de l'itinéraire de conquête.

      Corollaire de l'évolution de l'armement, la distance entre le combattant et la cible s'accroît, et cette distance n'est pas seulement physique, avec l'accroissement de l'importance de l'allonge, mais aussi psychologique. Il existe de plus en plus d'espace et de temps entre l'utilisation des armements et leurs conséquences. Détruire, tuer est réduit à des objectifs techniques où le combattant ne voit pas beaucoup de différence entre les simulations de combat sur ordinateur, proches des jeux videos, et le combat lui-même, qui se dépouille de sa dimension humaine, psychologique de mort et de menace de mort, et des peurs qui s'y rattachent.

  John Friedrich Charles FULLER, L'influence de l'armement sur l'histoire, des guerres médique à la seconde guerre mondiale, traduction et préface du général CHASSIN, Payot, 1948.
   Alain JOXE, Voyage aux sources de la guerre, PUF, collection Pratiques Théoriques, 1991.


                                                                        ARMUS


         
       
                                             
                             
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