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17 novembre 2008 1 17 /11 /novembre /2008 09:46
           L'existence même d'un état de guerre introduit des changements dans le politique économique des nations. Ceci est une perception assez générale de l'économie de guerre, exprimée par exemple dans le Dictionnaire d'Histoire Militaire d'André CORVISIER, par Raimondo LURAGHI.
  Cette perception un peu "extérieure" de la guerre dans l'économie évite de faire la recherche d'une origine ou d'éléments d'origine guerrière de l'économie, entre rapines et systèmes de dons. Pour en rester à une première approche, les changements introduits par l'état de guerre dans une marche économique "normale", sont, toujours selon Raimondo LURAGHI, de deux ordres, passifs et actifs.
 "Les changements passifs sont causés (...) par la simple existence de la guerre, laquelle influence de différentes façons toute la vie nationale. La seule présence de la guerre (sans prendre en considération le cas de pertes d'une partie du territoire national par invasion ennemie), suffit à influencer la production, les transports, le ravitaillement, aussi bien que l'offre et la demande - voire le marché -, la circulation monétaire et le revenu. C'est donc dans un milieu profondément altéré que le gouvernement du pays en guerre se trouve tout de suite obligé d'opérer, et ce milieu influence sa politique économique en tant qu'il exige une réponse immédiate par des mesures à prendre sans délai."
 Les changements actifs ou "engendrés par l'activité consciente de l'Etat" sont de deux sortes, interdépendants d'ailleurs, "Avant tout, il s'agit de réagir aux changements (passifs), de les endiguer, pour autant que possible éviter des effets qui, en endommageant sérieusement l'économie nationale, empêcheraient l'effort de guerre et, en démoralisant les citoyens, les assujettiraient à des tensions qui saperaient la résistance du front intérieur. Le premier problème (...) est d'assurer un ravitaillement plus ou moins régulier, en organisant des magasins de denrées de première nécessité, en contrôlant le marché alimentaire et en rationnant les vivres (...) et de s'assurer que les moyens de transport réservent une partie au moins de leur matériel roulant aux transports civils (...). Le deuxième problème est de concilier ce besoin avec la nécessité d'exercer le maximum  d'effort pour gagner la guerre. (...). C'est la mobilisation de toutes les ressources productives du pays en les amenant à soutenir l'effort de guerre, les ressources industrielles et agricoles, de même que les infrastructures de transports.
 L'auteur prend l'exemple de la guerre civile américaine de 1861-1865 pour étudier les différents éléments d'une économie de guerre. Il cite d'ailleurs comme conséquence qu'"on créa une gigantesque économie d'Etat, voire socialiste. ce fut une expérience d'une importance extrême pour l'avenir. En passant, on peut observer que l'organisation de l'économie de guerre marchait sur la voie de la centralisation et de l'étatisation, qui furent les bases des dictatures contemporaines."

       En fait, des économies de guerre se sont constitués déjà avant les différentes révolutions industrielles. Sans remonter à l'Antiquité, à l'Empire Romain, il suffit de jeter un oeil sur l'Europe,du XVIIème siècle, où selon Pierre LEON et ses collaborateurs (Histoire sociale et économique du monde) "progressivement, à partir de 1618, la plus grande partie de l'Europe entra dans un état de guerre." "Il y a le fait ponctuel, inéluctable des opérations militaires, des batailles, des sièges et des assauts de villes, des déplacements de troupes et des "gasts" divers perpétrés dans le plat pays. Plus largement, les Etats belligérants ont dû bander leurs forces pour soutenir l'effort, solliciter les ressources de leurs sujets, les orienter dans un seul but, fut-ce contre le vouloir profond des hommes, bref, imposer la cangue d'une économie de guerre. On devine, par tout ce qui a été dit du mécanisme des recettes et des dépenses des gouvernements, que l'ombre des mancenilliers s'est allongée, presque démesurément, sur les peuples".
  "Réorientation de l'économie. Elle s'imposait ipso facto aux contribuables. Sous deux aspects : l'obligation de travailler davantage ou de vendre plus pour payer l'impôt ; la restriction forcée des achats par la nécessité d'économiser dans le même but." "(...) l'Etat lui imprimait une autre marque en organisant la redistribution des revenus, et, d'abord, en se promouvant comme "grand entrepreneur" (...). Dans leur étude des mécanismes de l'économie de guerre, les auteurs se plaignant assez souvent du manque partiel de données économiques pour évaluer l'ampleur des affaires d'intendance des armées, comme de cerner de plus près le changement des structures économiques induites par la guerre. Ce qu'ils comprennent en tout cas, c'est que ces changements structurels perdurent après la guerre.
 Et c'est ce même phénomène, amplifié par les révolutions industrielles, qui se reproduisent après la Seconde Guerre Mondiale.

    Seymour MELMAN, dans ses études sur ce qu'il appelle "l'économie de guerre permanente", indique que le déclin relatif des Etats-Unis dans les années 1970, qu'il estimait bien engagé, est la conséquence du fonctionnement pendant 30 ans d'une économie de guerre façonnée sous le contrôle du gouvernement à côté du capitalisme civil. La nouvelle économie militaire étatisée, dont l'unique caractéristique inclue maximisation des coûts et subventions gouvernementales, a été construite au coeur même de l'économie, comme plateforme dominante dans le capitalisme américain. La compétence économique traditionnelle a été érodée par la direction étatique capitaliste qui élève une certaine inefficacité dans un dessein national, qui met hors de combat l'économie de marché. Cette vision, non perçue par les économistes dominants, hétérodoxe bien sûr, même au moment de la guerre du VietNam, se construit sur l'étude serrée des statistiques globales de l'économie américaine, notamment sur sa productivité, en même temps que sur l'étude des résultats financiers des entreprises engagées dans la production et de la recherche des armements, de même que sur l'attention constante accordée aux budgets militaires sur près de 50 ans.

  Avec le même constat sur le déclin relatif de l'économie américaine, Ernst MANDEL indique dans ses livres sur l'économie capitaliste, les caractéristiques de ce qu'il nomme "le troisième âge du capitalisme". Celui-ci "est caractérisé par des difficultés croissantes de mise en valeur (surcapitalisation, suraccumulation). L'Etat tente de les surmonter, du moins en partie, en assurant à ces capitaux des possibilités supplémentaires d'investissements rentables (rendus rentables par la garantie du profit par l'Etat ou par des subventions) dans la sphère d'armement, "l'industrie de l'environnement", l'infrastructure, etc, à une échelle inconnue jusqu'alors. Le troisième âge du capitalisme est caractérisé par le fait que le système est de plus en plus sujet à des crises économiques et sociales explosives menaçant directement sa survie. Dans cette période, l'Etat a pour fonction première de "gérer et amortir les crises", d'assurer un nombre fortement élargi de "conditions générales de production", et de garantir une mise en valeur plus aisée des capitaux excédentaires."

     La fin de la guerre froide n'a pas diminué l'importance de cette économique de guerre devenue permanente, qui a trouvé dans d'autres conflits armés les moyens de se maintenir (Guerre du Golfe, Guerre américaine d'Irak...). Cette forme d'économie-guerre qui compense en quelque sorte l'ample diminution des effectifs militaires (suppression de la conscription dans de nombreux pays, remplacement par les armées professionnelles - par ailleurs pouvant être très coûteuses...) par l'augmentation des coûts de recherche-développement d'armements de plus en plus sophistiqués, qui s'alimente par des relations demeurées conflictuelles entre Etats, ne doit pas faire oublier une autre forme d'économie de guerre, entretenue par des guerres civiles qui se sont multipliées ces dernières années.
    Jean-Christophe RUFIN, dans son étude serrée de ces différents conflits armés, distingue des économies de guerre fermées et des économies de guerre ouvertes.
 "On peut parler d'économies fermées dans tous les cas où une force de guérilla ou de rébellion opère à l'intérieur d'un territoire sans disposer d'autres ressources que celles qu'elle peut se procurer sur place." De la guerre populaire prolongée de Mao Tsé-Toung (1935 et années suivantes) en Chine, au "foco" castriste en Amérique Latine, ces économies fermées constitues une expérience non renouvelable, selon l'auteur qui, "très sèchement", écrit que ces économies isolées ne sont pas efficaces pour une faire triompher une révolte politique.
 "Dans un monde où les Etats peuvent, chez eux, à peu près tout se permettre, la frontière demeure une protection (...). Si un mouvement armé parvient à installer des bases arrières dans un pays voisin de celui où il opère militairement, il se retrouve d'un coup moins vulnérable". L'auteur cite les maquisards vietcongs comme les guérilleros d'Amilcar CABRAL. Il s'étend longuement sur les "sanctuaires humanitaires" organisés par les organisations internationales para-étatiques ou non gouvernementales, de ces vastes camps de réfugiés qui peuvent alimenter, comme en Palestine, une guérilla efficace et usante. Il existe également des économies de production, notamment lorsque ces "sanctuaires humanitaires" ne suffisent plus à l'alimentation humaine et financière des guérillas, de production de drogues par exemple ou d'autres activités criminelles (au sens international) qui parfois ancrent les mouvements les plus idéologiques dans la criminalité pure et simple (phénomène de l'industrie d'otages touristiques par exemple).

    Economies de guerre étatique et économies de guerre civile entretiennent ensemble un climat de conflictualité, qui renforce les politiques étatiques dans le sens d'une perpétuation de recherches-développements et de production d'armements de toutes sortes (des plus simples aux plus sophistiqués). Et ces économies s'intègrent, notamment via les circuits financiers aux économies civiles avec lesquelles elles peuvent entretenir dans certains secteurs à haute plus-value technologique (aéronautique, nucléaire, nanotechnologies, informatique...) des liens très étroits, proches d'une synergie parfois activement recherchée.

Sous la direction d'André CORVISIER, Dictionnaire d'art et d'histoire militaires, PUF, 1988, entrée Economie de guerre, de Raimondo LURAGHI. Sous la direction de Pierre LEON, Histoire économique et sociale du monde, tome 2, Les hésitations de la croissance, 1580-1730, Armand Colin, 1978. Seymour MELMAN, The Permanent War Economy, American Capitalism in Decline, 1974. Ernst MANDEL,Le troisième âge du capitalisme, tome 3, Union Générale d'Editions, 10/18, 1976. Sous la direction de François JEAN et Jean-Christophe RUFIN, Economie des guerres civiles, Hachette, collection Pluriel, 1996.

  ECONOMIUS
 
Relu le 26 octobre 2018
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