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4 mars 2021 4 04 /03 /mars /2021 08:54

    Philosophe américain, connu pour être l'un des plus grands spécialistes de la philosophie du droit, domaine dans lequel il est considéré comme le philosophe le plus connu depuis Herbert HART avec avec qui il entretient tout au long de sa carrière un dialogue critique, Ronald Myles DWORKIN s'illustre par une critique du positivisme. C'est un interlocuteur privilégié d'un autre philosophe contemporain, Jürgen HABERMAS, qui accorde de plus en plus d'importance au droit. Il se rencontre entre autres dans l'analyse de la désobéissance civile.

 

Parcours universitaire

    Après avoir étudié La philosophie à l'université Harvard et le droit à à l'université d'Oxford, élève alors de Sir Rupert CROSS, et retourné à Harvard où il s'oriente définitivement vers le droit, il est employé du juge Learned HAND à la Cour d'appel des États-Unis.

Il faut signaler que si en France le droit n'est pas aussi suivi par l'élite intellectuelle et la presse dans l'analyse des parcours (alors qu'en fait - il suffit de consulter le Who's who in France pour le voir - il est souvent essentiel dans la formation), le cursus du droit aux États-Unis est très "surveillé" par tout ce qui s'intéresse à la politique, le droit menant souvent à des carrières très importantes. D'autant que le pouvoir judiciaire y est beaucoup plus important qu'en France (jusqu'à orienter les lois).

Après avoir été avocat chez Sullivan et Cromwell (le passage dans un cabinet prestigieux est l'équivalent du passage à l'École Nationale d'Administration en France)n à New York, Ronald DWORKIN devient professeur de droit à l'Université Yale, à la chaire de théorie du droit.

    En 1969, nommée titulaire de la chaire de Jurisprudence à l'Université d'Oxford, DWORKIN est élu enseignant)chercheur (Fellow). Il passe ensuite professeur de Jurisprudence à Londres, puis à l'Université de New York, où il enseigne depuis la fin des années 1970.

 

Des ouvrages marquants

    Son premier ouvrage, Taking Rights Seriously, en 1977, rencontre un succès immédiat et est tout de suite considéré comme l'un des livres les plus importants de la philosophie du droit, le plus important depuis The Concept of Law (1961) de Herbert HART. Dans ce livre, il s'oppose à ce dernier, son maître et prédécesseur à Oxford. DWORKIN s'attache à défendre le lien entre droit et morale. Ainsi, il défend l'idée qu'il existe un droit naturel, mais à l'inverse de la majorité des défenseurs du droit naturel, il le fait avec un point de vue de gauche. Il défend ainsi l'importance morale des droits individuels face au positivisme juridique, d'une part, et à l'utilitarisme d'autre part.

Dans Law's Empire (1986), il propose une compréhension herméneutique de la fonction du juge : le juge, lorsqu'il doit trancher des cas difficiles doit appuyer sa décision sur une interprétation de l'histoire du droit dans sa communauté politique et de la moralité collective sous-jacente à cette évolution du droit.

Évoluant progressivement de la philosophie du droit à la philosophie politique, Ronald DWORKING élabore une théorie libérale de l'égalité. Aucun gouvernement n'est légitime, écrit-il, s'il ne traite pas tous ses citoyens comme des égaux, en manifestant à leur égard un égal respect et iune égale attention. Traiter les citoyens comme des égaux, précise t-il, ne signifie pas leur offrir un traitement égal. En effet, toute conception plausible de la justice doit être sensible à la responsabilité individuelle. Si une personne fait le choix de travailler moins que les autres, par exemple, il est normal, aux yeux de DWORKIN, qu'elle bénéficie de moins de ressources. C'est là qu'intervient la distinction fondamentale ente ce qui relève des choix individuels et ce qui relève du hasard des déterminations (sociales et biologiques). DWORKIN défend un "égalitarisme de la chance" qui repose sur l'idée que les individus doivent assumer les conséquences des risques qu'ils prennent ou des choix qu'ils posent, mais que l'État doit redistribuer les profits et compenser les inégalités liées à la chance pure.

 

Des interventions directes dans la vie publique

   En pleine guerre du Vietnam, il prend la défense des objecteurs de conscience qui refusent de se rendre à la guerre dans le New York Review of Books. A ceux qui invoquent l'argument qu'une société ne peut perdurer si elle tolère les formes de désobéissance, il répond que rien de prouve qu'une société va s'effondrer si elle les tolère.

A l'occasion du cas opposant les régents de l'université de Californie à Allan BAKE sur lequel la cour suprême des États-Unis se prononce en octobre 1977, Ronald DWORKIN prend la défense du programme de discrimination positive mis en place par l'école de médecine de Californie qu'Allan BLAKE, un étudiant blanc refusé à l'université, avait remis en cause auprès de la cour suprême de Californie.

En 1987, il prend position, toujours dans les colonnes de la New York Review of Books, contre la nomination par Ronald REAGAN du juge Robert BOCK à la cour suprême des États-Unis.

 

      En décembre 2011, il donne une série de trois conférences à l'université de Berne dans le cadre des "Enstein Lectures" intitulées "Religion without God".

En 2012, il reçoit le prix Balzan pour la théorie et philosophie du droit, "pour ses contributions fondamentales à la théorie générale du droit, caractérisée par la profondeur de l'analyse, la clarté de l'argumentation et l'originalité des résultats, dans une interaction constante et féconde avec les théories morales et politiques et la pratique du droit".

 

 L'attitude de Ronald DWORKIN face au conflit

    E.A. CHRISTODOULIDIS, de l'université Saint-Louis à Bruxelles, dans une analyse sur la thèse de DWORKIN sur le droit comme politique, s'attache à l'explication de ce dernier du conflit. Son attitude traduit une attirance latente et presque naturelle pour le consensus. Dans L'Empire du droit, le conflit est envisagé comme des confrontations juridiques divergentes dans la communauté, résolvables de façon optimale. Pourquoi devrions-nous supposer que le conflit ait une tendance interne à se résoudre lui-même? Comment est-ce que DWORKIN justifie cet engagement a priori de résoudre de façon définitive (par opposition à infinie) le conflit? L'interaction est parfaitement possible en dépit du conflit, elle est elle-même possible comme conflit. Le conflit sert d'entrée dans l'espace public et permet aux gens de voir ce qu'est la vie publique. Dans ce contexte, le conflit infini étaye la liberté de comprendre le social de manière mutuelle par recoupements. Rien de ceci ne s'effectue au détriment de la communauté, même de ceux qui se trouvent au sein d'un groupe d'auto-descriptions significatives. Alors qu'est-ce qui justifie l'abandon de la totalité du conflit au profit de la possibilité d'un consensus au nom de la communauté? Notre auteur suggère que c'est parce que, dans l'Empire du droit, le conflit est envisagé dans la communauté comme confrontations juridiques, résolvables. La supposition que le conflit est fini est une supposition en droit où on a besoin de parvenir à des décisions. Mais en désignant ce modèle de conflit résolvable comme un modèle en vigueur, le chemin vers le consensus est adopté par la communauté qui emploie le droit comme un médium pour régler ses conflits internes. A la jonction du droit et de la communauté, le consensus optimal - ou le conflit fini - est supposé pour les deux. Alors, au nom de quoi ce morcellement de la politique ; la communauté ou le droit?

La sociologie du conflit permet de critiquer l'Empire du droit sur sa façon de poser la question de l'identité collective. Dans son fameux ouvrage sur le conflit, SIMMEL (Conflict, 1955) explique comment le conflit peut être fonctionnel pour le maintien des structures sociales, incluant les structures de groupe. Reprenant son raisonnement, et dans le but d'explorer les complexités du rôle fonctionnel du conflit pour les structures sociales, COSER (The functions of Social Conflict, New York, Free Press, 1956) introduit une distinction entre conflit communautaire et conflit non communautaire. La distinction porte sur la question de l'identité collective? Les deux sortes de conflit, sont favorables à la consolidation de l'identité collective, de gens entrant ensemble en communauté. Ce qui diffère, c'est la forme que la fonction de cette communauté structurante adopte dans chaque cas.

Dans le premier cas, celui du conflit communautaire, ce qui consolide la communauté, c'est le fait que le groupe arrive ensemble à résoudre ses conflits internes. Ce procédé de débat et de dialogue, dans le but de régler les compréhensions divergentes sur les termes de vie commune, justifie la communauté. L'engagement d'élaborer des solutions communes est pris au début. C'est le type de conflit dont parle exclusivement DWORKIN : celui dans lequel la communauté prend le droit pour résoudre ses conflits internes, et dans le cours du débat le principe qui a justifié la pratique de cette communauté se reformule mobilisateur et solidaire.

Mais le conflit peut aussi ne pas être communautaire et créer, dans ce cas, de profonds clivages. Ce type de conflit est aussi fonctionnel au groupe ou à la cohésion de la communauté, mais dans un sens différent. Les identités communautaires sont définies en opposition les unes des autres. L'opposition du moi et de l'autre est structurée au travers d'une différence irréconciliable. Le clivage divise ainsi les collectivités et accorde au groupe une identité par la différence. La preuve de l'existence de ce type de conflit est abondante. Les sociétés sont déchirées par des conflits qui provoquent de profonds clivages, comme par exemple entre des groupes ethniques différents, les ségrégationnistes et les non ségrégationnistes, les profanes et les fondamentalistes religieux, les étudiants et l'establishment, dans les années de troubles, même les écarts de générations montrent de profonds clivages.

Dans l'Empire du droit, le conflit type du "clivage fondamental' qui définit les identités communautaires en opposition, est oublié à dessein : le conflit est "déjà-toujours" communautaire par commodité. Ceci est une stipulation, un remplacement d'une question politique par un a priori juridique. Que le conflit entraine un clivage fondamental ou pas est une question d'interprétation. DWORKIN dépasse cette question de l'interprétation avec la conviction a priori d'un conflit qui est déjà communautaire. (CHRISTODOULIDIS)

 

 

Ronald DWORKIN, Prendre les droits au sérieux, PUF, 1995 ; Une question de principe, PUF, 1996 ; L'Empire du droitn PUF, 1994 ; La vertu souveraine, Éditions Émile Bruyland, collection Penser le droit, 2008 ; Justice pour les hérissons - La vérité des valeurs, Genève, Labor et Fides; 2015 ; Religion sans Dieur, Genève, Labor et Fides, collection Logos, 2014. Cet auteur écrit également assez souvent dans la revue Esprit par exemple Liberté et pornographie, octobre 1991, Le suicide médicalisé, juin 1998, Prendre les droits au sérieux en Chine, janvier 2003.

E.A. CHRISTODOULIDIS, La thèse de Dworkin sur le droit comme politique, dans Revue interdisciplinaire d'études juridiques, Volume 35, 1995, sote internet cairn.info. Dossier Ronald Dworkin, Revue Droit et Société, n°1, 1985. Serge CHAMPEAU, Ronald Dworkin, le libéralisme et l'égalité, dans Revue philosophique du Louvain, tome 97, n° 3 et 4, 1999.

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