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8 juin 2018 5 08 /06 /juin /2018 11:38

      Le pacifisme se présente de manière différente des deux côtés de l'Atlantique, même si des deux côtés, les sociétés sont marquées chacune par une guerre aux moyens nouveaux : la guerre 1870-1871 en Europe, la guerre de Sécession aux États-Unis (...). 

       Alors qu'aux Etats-Unis, le mouvement socialiste est réprimé et ne laisse pas la place à un antimilitarisme, patriotique ou de classe, en Europe le pacifisme est vite partagé, écartelé même, entre plusieurs formes et surtout aux prises avec un antimilitarisme dont les contours se précisent au cours des ans. Alors qu'aux Etats-Unis, incontestablement, la religiosité fait partie du corpus pacifiste dans sa quasi-totalité, en Europe se livre une lutte qui aboutit à une large redistribution des cartes entre l'Eglise et l'Etat, surtout en France (conséquence de l'affaire Dreyfus entre autres). Dans les deux cas, le mouvement pacifiste, plus en Europe qu'aux États-Unis toutefois, est largement minoritaire dans l'opinion publique. 

   Yves SANTAMARIA, qui se centre sur la France, constate un regain des mouvements pacifistes vers la fin des années 1880. En 1889, a lieu dans le cadre de la commémoration du centenaire de la Révolution, la première Conférence interparlementaire et le Premier Congrès universel pour la paix. A lieu également l'Exposition Universelle qui célèbre les vertus de la civilisation blanche occidentale.

Le contexte s'est quelque peu clarifié après l'échec du boulangisme et dans le système de la Troisième République, la droite ancre le noyau dur du nationalisme tandis que la gauche développe une idéologie où le nationalisme fait figure d'hostilité à la République. Tout cela dans une "ambiance" dont les manifestations publiques mentionnées auparavant, donne un large écho dans le monde des entrepreneurs, des affairistes, et des politiciens : l'heure est au développement du commerce contre les perspectives de guerre. Même si ailleurs, en Afrique et en Asie notamment, les nations européennes se livrent à des guerres plus ou moins chaudes, on évite de parler de ces conflits dont l'Europe stricto sensu doit être sauvegardée... Dans cet univers mondain, qui nage souvent dans l'opulence, la Suisse faisant souvent office de cadre politico-hôtelier, s'élabore des projets plus ou moins construits d'Association européenne, encouragée par ailleurs par toute une frange des capitalistes industriels américains. Ce qui n'empêche pas l'existence dans ce pacifisme-là des frictions, bien visibles lorsqu'il s'agit de projets très concrets... 

Union parlementaire, Congrès international de la paix, Ligue des catholiques français pour la paix (fondée en 1909) constituent autant de structures où gravitent des personnalités pacifistes, qui cherchent constamment des relais dans la presse, et parfois (mais y échoue) tente de s'approprier un titre (rachat de L'indépendance belge par des pacifistes français en 1895). Entre une génération de "pacifistes professionnels" fortement influencée par les méthodes propagandistes anglo-saxonnes, de partisans de la Paix par le droit, nettement plus sobres, qui se retrouvent souvent dans des missions d' enquêtes internationales sur certains conflits (Balkans...), des anticléricaux (Gaston MOCH), de fervents catholiques (Marc SANGLIER), des féministes (suffragettes et autres) très actives (Jeanne SCHMAHL, Marguerite DURAND...), des intellectuels(iles) amorçant la constitution de projets d'organisations internationales interétatiques, des humanitaires avant la lettre partagés entre neutralisme et interventionnisme dans des conflits lointains (débats que l'on retrouve ensuite souvent...), c'est tout un monde qui s'agite et qui parfois produit des prises de conscience. C'est tout un monde qui, également ne rencontre que peu, et en tout cas bien moins qu'avant 1871, un autre monde, formé d'antimilitaristes de différentes sortes...

Toute une littérature "anti-caserne", apparue avec l'imposition du service armé à des catégories traditionnellement exemptées, qui stigmatise et la vie de caserne et l'institution militaire elle-même (Lucien DESCAVES, encouragé par Émile ZOLA et Maurice BARRÈS...), suivie par toute une flopée d'oeuvres relevant du comique troupier (dans les arts comme en littérature) nettement moins corrosif, assoit l'activisme de nombreux groupes "d'extrême gauche" (animée par des critiques sociales) ou "d'extrême droite" (animée par des critiques sur le régime républicain)... L'antimiltarisme d'extrême gauche se nourrit des interventions militaires contre ce qu'une certaine presse nomme "l'ennemi intérieur", soit, mis dans le même sac manifestations  et propositions marxistes, menées anarcho-syndicalistes... Le tout sur fond de multiples grèves ouvrières où des syndicats comme la CGT s'activent... Lequel syndicat est traversé lui aussi par des débats sur le patriotisme et la lutte des classes. Se recouvrent mais ne s'y amalgament pas conceptions différentes du syndicat (autonomie contre sujétion au Parti) et discours antagoniques patriotiques et antimilitaristes. Les différentes tendances, ce qui permet aussi d'éviter trop de débats diviseurs, s'accordent sur le recours à la grève générale pour empêcher les la guerre, même si par ailleurs les débats à propos de l'Allemagne (et notamment de l'Alsace-Lorraine) suscitent bien des intégrations persistantes. On peut considérer d'ailleurs, qu'à part de fortes contributions (d'auteurs qui opèrent parfois des revirements certains, voir le parcours d'un Jean JAURÈS ou d'un Jules GUESDE) en faveur d'un antimilitarisme de classe conséquent, qui imprime au socialisme  une totalité pacifiste réelle, à chaque crise se révèle la faiblesse d'un soubassement intellectuel et politique : l'affaire Dreyfus (où se mêle un débat contre ou pour les Juifs...) et surtouts crises européennes qui mène à la Première Guerre Mondiale montrent une très grande dispersion des opinions. Ce n'est qu'après la Grande Guerre que se solidifient les opinions pacifistes et bellicistes, avec d'ailleurs un revirement du climat général. Alors que de la guerre franco-prussienne à l'orée de cette pseudo dernière guerre; le climat est plutôt belliciste et agressif, après celle-ci, les mouvements pacifistes prolifèrent au sein d'une opinion publique qui rejette la guerre. 

 

     Nadine-Josette CHALINE, qui étend plus son propos à l'ensemble de l'Europe, dresse à peu près le même tableau. Pacifisme juridique, pacifisme chrétien (avec le rôle actif du Vatican) avec son développement particulier en France à travers un pacifisme catholique d'une part, socialisme, syndicalisme et pacifisme d'autre part alimentent certains débats sans que ceux-ci mordent réellement sur les évolutions. A part pour l'un diverses rencontres internationales, relayées par certains hommes d'État, premiers essais d'organisation internationale (conférences de La Haye DE 1889 ET 1907), et pour l'autre, même notre auteure ne le mentionne pas, une très forte polarisation politique en Allemagne et des effets importants en Russie, qui tout de même influent fortement sur l'évolution de la Grande Guerre et les événements immédiatement postérieurs... Pour ce qui est des espoirs d'organisation internationale, la Grande Guerre balaie réellement tout un monde pacifiste, et c'est seulement quand l'Europe en sort enfin que de nombreuses de ses idées sont reprises au niveau de États. Pour ce qui est de la place du socialisme dans les débats, les années 1920 et 1930 sont marquées dans de nombreux pays européens par la montée politique et armée des organisations qui, pour l'essentiel, ne font plus de la question de guerre et de la paix en général, un élément fondamental de leurs prises de position. La question sociale l'emporte, avec de fortes variantes; dans le mouvement marxiste. 

 

Nadine-Josette CHALINE, Empêcher la guerre, encrage, 2015. Yves SANTAMARIA, Le pacifisme, une passion française, Armand Colin, 2005. 

 

PAXUS

 

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