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16 décembre 2017 6 16 /12 /décembre /2017 10:07

       Raoul Victor Patrice CASTEX, officier de marine français et théoricien militaire, est à l'origine de nouvelles théories géopolitiques pour la France. Loin d'être centrées uniquement sur la stratégie navale, celles-ci touchent à la stratégie en général, à la géopolitique, aux colonies et à la politique sociale. Il insiste inlassablement sur la coopération interarmées et également sur les stratégies non militaires. 

 

       Le futur amiral Raoul CASTEX est reçu "major" à l'École navale en 1898. En 1902-1903, il est en Indochine, expérience qui détermine par la suite une série d'écrits consacrés à l'Asie orientale - dont le thème, alors à la mode, du "péril jaune" est bien présent. Toutefois, tout en adhérant à cette lubie dominante dans bien des secteurs de la société, il est critique sur les comportements de l'administration coloniale et sur la situation sociale du Viet-Nam.

De 1911 à 1913, il fait publier de brillantes études sur la marine des XVIIe et XVIIIe siècle, s'opposant en cela à la Jeune École : il montre la permanence des principes stratégiques à travers l'Histoire et dénonce "le danger terrible qu'il y a à se livrer à la guerre de course avant d'avoir détruit l'ennemi par la bataille, qui prime tout". Il se démarque déjà de la vulgate mahanienne en soulignant la nécessaire liaison des armes sur mer : si l'on ne peut réduire la guerre navale au torpilleur et au sous-marin, il n'est pas moins déraisonnable de les disqualifier au bénéfice du canon, puisque l'Histoire met en évidence l'intégration continue des armes nouvelles aux tactiques préexistantes. Ce dépassement dialectique du couple Histoire/matériel caractérise toute sa réflexion.  En 1913, il suit les cours de l'École supérieure de marine où on le considère déjà comme l'un des officiers les plus remarquables de sa génération. 

A la Première Guerre Mondiale, Raoul CASTEX est en Méditerranée où il critique fortement l'organisation et l'expédition franco-anglaise des Dardanelles. Par la suite, il analyse les conséquences de la guerre sous-marine et note, au tout début de 1917, que le sort de la guerre se joue sur les arrières (les moyens matériels) et que l'arrière vit essentiellement de la mer.

Au lendemain de la guerre, une vive controverse l'oppose, lors de la Conférence sur le désarmement naval, aux anglo-Saxons, tandis qu'il légitime l'emploi du sous-marin par les Allemands dans son livre Synthèse de la guerre sous-marine (1920). La Grande Guerre, à laquelle il participe, malmena durement le dogme mahanien : il n' y eut pas de bataille décisive et la guerre de course menée par les U-boote allemands occupa le devant de la scène. D'où la résurgence de la Jeune École que CASTEX devenu chef du Service historique de la Marine, entreprit de réfuter dans l'ouvrage de 1920. Il y analyse le rôle stratégique joué par les cuirassés alliés malgré leur inactivité tactique : en dissuadant la Hochseeflotte de s'aventurer au large, ceux-ci ont constitué la première ligne de défense derrière laquelle croiseurs et destroyers ont pu se consacrer à la protection des communications. Même virtuelle, la guerre d'escadres est donc restée la clé de voûte de la stratégie navale. Cet exposé dissimule tellement d'amendements au mahdisme que CASTEX ruine en fait la doctrine classique du Sea Power. En dépit de ses sorties contre l'influence débilitante de CORBETT, il admet tacitement que la défense des communications prime la bataille décisive dès lors que le progrès technique a considérablement renforcé la guerre de course. Il suggère même que les Allemands auraient peut-être gagné la partie s'ils avaient pratiqué la liaison des armes en engageant à la fois leurs sous-marins et leurs cuirassés : contraints d'affecter tous leurs moyens à la guerre d'escadres, les Aliés n'auraient plus eu assez d'escorteurs pour protéger efficacement les convois. C'est cette stratégie duale que CASTEX espère voir adopter par la France, d'où son opposition à la limitation des sous-marins lors de la Conférence de Washington de 1922. 

Il plaide par la suite pour une organisation rigoureuse du commandement dans Questions d'état-major (1923-1924). En 1928, Raoul CASTEX devient contre-amiral (amiral en 1937). Ses volumes de Théories stratégiques se succèdent alors à un rythme rapide : cinq entre 1929 et 1935. En 1932, il devient commandant de l'École navale, et du Centre des hautes études navales. Son conformisme l'empêche d'arriver à cette époque à la tête de la marine. Chacun sait bien, dans les milieux de la marine que ces institutions éducatives prestigieuses peuvent conteur d'habiles voies de garage et de retraite déguisée... 

Dans Théories stratégiques, il traite des facteurs externes et internes de la stratégie. Son oeuvre est particulièrement intéressante sous l'angle géographique comme sur les divers aspects de la guerre sur mer (missions des forces maritimes, conduite des opérations) ainsi que sur les problèmes de la mer contre la terre ; là, il s'oppose à MAHAN en démontrant que la supériorité inéluctable que ce dernier confère à la mer tient du déterminisme géographique plutôt que d'une analyse fondée sur les réalités historiques. Une sixième volume a été ajouté sous le titre Mélanges stratégiques. L'ouvrage connaît un important retentissement avant la Seconde Guerre Mondiale.

La contribution de CASTEX est multiforme : sur la question coloniale par exemple, il regrette l'excessive dispersion de l'Empire français et plaide pour un recentrage eurafricain. Il participe activement au Collège des Hautes Études de Défense Nationale à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. La restructuration qu'il propose du dispositif naval français (il est "amiral-Nord" en 1939) n'est pas retenue, et, au contraire, ses critiques aboutissent à sa mise en retraite en novembre 1939 (tandis que l'étoile de DARLAN est au zénith).

L'amiral CASTEX, qui continue de produire encore une vingtaine d'années, est, de loin, le plus grand stratège naval français. De ce théoricien de premier ordre, les contributions multiples sont d'une grande variété, et ses Théories stratégiques restent insurpassées, selon de nombreux auteurs.

Toutefois, des lacunes ponctuelles importantes parsèment cson oeuvre - insuffisante de la réflexion sur l'usage des porte-avions, schémas historiques discutables ou au moins trop simples sur la lutte éternelle entre la mer et les "perturbateurs" continentaux. Il a le mérite en revanche de montrer l'importance des facteurs économiques, politiques, diplomatiques et technologiques dans les changées des données géopolitiques. Il amorce le décloisonnement, de manière plus globale, entre les stratégies navales, aériennes et terrestres. (BLIN et CHALIAND ; Martin MOTTE)

 

Raoul CASTEX, Théories stratégiques, Economica, première édition intégrale, 1997 ; Les autres ouvrages sont surtout disponible sur le site Gallica de la BNF : Jaunes contre Blancs, Le problème militaire, H. Charles-Lavauzelle, 1905 ; La manoeuvre de La Praya (16 avril 1781), L. Fournier, 1912. On trouvera également un article de Raoul CASTEX paru dans la Revue de défense nationale en octobre 1945 : Aperçus sur la bombe atomique, dans Anthologie mondiale de la stratégie, Robert Laffont, collection Bouquins, 1990.

Hervé COUTEAU-BÉGARIE, Castex ou le stratège inconnu, Economica, 1986 ; La Puissance maritime, Castex et la stratégie navale, 1985.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016. Martin MOTTE, Raoul Castex, dans Dictionnaire de stratégie, Sous la direction de Thierry de MONTBRIAL et de Jean KLEIN, PUF, 2000. 

 

 

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