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18 décembre 2017 1 18 /12 /décembre /2017 09:44

      Si l'on suit Daniel CHARLES dans sa périodisation, HEGEL pense qu'il existe un devenir, historique et logique à la fois, dans lequel l'art s'insère. "Il faut donc qu'il émerge, explique notre auteur, de la Nature, et qu'il représente, par rapport à celle-ci, quelque chose d'idéal ; il est "révélation de l'Absolu sous sa forme intuitive, pure apparition" ; mais il est une forme moins élevée de l'Esprit, si on le compare à la religion et à la philosophie, car c'est seulement en celle-ci que l'Absolu retourne en lui-même. On voit comment l'idée d'un développement historique de l'art constitue une retournement de la position de Schelling ; car Hegel doit nécessairement conclure à la mort de l'art, pour que la religion et la philosophie soient. C'est pourquoi "l'art, dans sa plus haute destination, est et reste pour nous un passé". D'où l'affirmation que "seul un certain cercle et un certain degré de vérité est capable d'être exposé dans l'élément de l'oeuvre d'art : c'est-à-dire une vérité qui puisse être transportée dans le sensible, et y apparaitre adéquate, comme les dieux helléniques"... La beauté est donc l'apparition sensible de l'idée ; en tant que telle, elle requiert l'oeuvre d'art - et Hegel rejette le Beau naturel.

Les deuxième et troisième parties de l'esthétique de HEGEL sont consacrées à la division et au système des différents arts.

Dans un premier moment, celui du symbolisme, de la mythologie, de l'art oriental - et, sur le plan de la classification systématique des arts, de l'architecture -, le rapport entre l'idée et la forme sensible est recherché mais non encore atteint.

Dans le deuxième moment, celui du classicisme, de l'art grec et de la sculpture, l'oeuvre devient l'acte de l'idéal, elle atteint de façon déterminée à l'unité de l'idée et de la forme.

Dans le troisième moment, celui du romantisme, de l'art moderne - dans le système de la peinture, de la musique et de la poésie -, l'infini de l'idée ne peut s'actualiser que "dans l'infini de l'intuition, dans cette mobilité (...), à chaque instant, attaque et dissout toute forme concrète". Il s'ensuit un déséquilibre et un déclin : le contenu - la subjectivité de l'idée - excède la forme et réclame par conséquent des formes plus hautes, irréductibles à des Objets sensible et finis, pour s'exprimer ; l'Idée devient consciente d'elle-même, et c'est la mort de l'art.

"Ainsi, conclut pour cette période Daniel CHARLES, au profit d'une perspective essentiellement historique, la Nature, qu'exaltaient Kant et Schelling, se trouve chez Hegel disqualifiée , et son esthétique est, en définitive, plus une philosophie de l'art qu'une théorie du Beau."

 

     Thierry LENAIN, philosophe et historien de l'art, chargé de cours à L'Université Libre de Bruxelles, dresse un tableau sensiblement semblable de l'oeuvre de HEGEL qui concerne l'esthétique. Georg Wilhelm Friedrich HEGEL (1770-1831) qui se destinait d'abord à une carrière ecclésiastique et qui obtint un charge de privatdozent à l'Université d'Iéna (1801-1806) sur la recommandation de GOETHE (1749-1832), écrit un texte Cours d'esthétique, qui n'est publié qu'après sa mort et dont le contenu s'inspire directement de notes personnelles de son ancien élève H.G. HOTHO. Ce texte a une portée que notre auteur qualifie "d'incalculable", non seulement dans le domaine particulier de la philosophie mais aussi, d'une manière beaucoup plus générale, sur la culture artistique et critique de l'époque contemporaine. 

Le développement spectaculaire de l'histoire de l'art comme discipline à caractère scientifique s'enracine dans le "massif théorique" de l'esthétique hégélienne. L'oeuvre d'auteurs comme Jacob BURCKHARDT (1818-1897), Alois RIEGL (1858-1905) ou Henrich WÖLFFLIN (1864-1945) en dépend directement. Certains thèmes hégéliens reviennent constamment dans la littérature consacrée à l'esthétique. Cette phrase, tirée de Cours d'esthétique est souvent citée  (Gérard BRAS, Hegel et l'art, PUF, 1989) : "L'art est et reste pour nous, quant à sa destination la plus haute, quelque chose de révolu. Il a de ce fait perdu aussi pour nous sa vérité et sa vie authentiques, et il est davantage relégué dans notre représentations qu'il n'affirme dans l'effectivité son ancienne nécessité et n'y occupe sa place éminente."

De multiples raisons expliquent cette puissance d'imprégnation culturelle du Cours d'esthétique :

- Le fait qu'il s'agisse de notes secours, et non d'une traité : texte éxotérique, à la portée de bien plus de lecteurs que les autres oeuvres d'HEGEL ;

- Ses orientations sont profondément novatrices, de son ampleur théorique et de la richesse de ses prolongements herméneutiques .

"L'apport original de Hegel dans le domaine de la théorie esthétique, explique Thierry LENAIN, réside pour une large part, dans l'adoption d'un point de vue résolument spéculatif sur le développement historique des arts. Il s'agit là d'une véritable révolution : la répartition traditionnelle des discours s'en trouve bouleversée. Avant Hegel, l'esthétique philosophique s'est surtout préoccupée de concepts abstraits tels que le Beau ou le Sublime, considérés soit comme des idéalité métaphysiques (chez Platon), soit comme les corrélants de certaines facultés de l'esprit humain (chez Kant), tandis que les questions artistiques concrètes n'étaient abordées que latéralement. Quant aux grands récits consacrés à l'évolution historique des arts (Pline, Vasari, Winkelmann), ils ressortissaient à la "littérature artistique" plutôt qu'à la philosophie. (voir Julius von SCHLOSSER, La littérature artistique, Flammarion, 1984). De même que les traités visant à établir les principes de la pratique des artistes (Alberti, de Piles), de même que les essais de commentaires critiques d'oeuvres singulières (Diderot), l'histoire de l'art s'était depuis toujours développée en marge des exigences théoriques propres à la pensée philosophique. D'un côté, l'étude systématique des concepts généraux, de l'autre l'approche plus ou moins "sauvage" des réalités artistiques concrètes. Hegel rejette cette dichotomie dans le passé : il étudie l'histoire des différents arts et leurs modes d'expression dans l'optique de la théorie pure, au sein d'un système conceptuel complet et d'une extrême rigueur. L'esthétique participe cette fois d'une "encyclopédie philosophique" où chaque moment marquant de l'évolution des arts se trouve chargé d'une pertinence théorique intégrale, puisqu'il est abordé comme une étape nécessaire du cheminement spirituel vers la vérité absolue (François CHÂTELET, Hegel, Seuil, 1981). 

Du même coup, poursuit-il, le récit du développement de l'art et l'approche concrète des phénomènes artistiques rompent leurs attaches avec la perspective normative qui les avait caractérisés jusqu'alors. (...) le problème n'est plus pour (Hegel) de dégager des principes directeurs qui permettraient d'orienter l'activité artistique. (...). Et si toutes les phases de ce développement ne s'équivalent pas quant à leur adéquation vis-à-vis des déterminations spécifique de l'art (ce que n'ont pas manqué de souligner ceux qui n'adhèrent pas à cette nouvelle façon de voir, notamment dans la grande querelles entre kantiens et hégéliens, encore que cette querelle semble parfois épargner le domaine de l'esthétique...), toutes apparaissent néanmoins nécessaires et représentatives de cette histoire globale de l'esprit, où bien d'autres formes d'activité (telle que l'organisation sociale, la politique, la religion et la philosophie) jouent, au demeurant, un rôle non moins essentiel. Autrement dit, rapportées au devenir de l'esprit dans son ensemble, chacune des grandes formes d'expression artistique,  chacun des styles ayant fleuri au cours des différentes époques de l'histoire se justifie : aucun ne se verra disqualifié en vertu d'une norme particulière. Il s'agit ici d'un aspect capital de la révolution théorique initiée par l'esthétique hégélienne, puisque les sciences de l'art appelées à se développer au cours des XIXe et XXe siècles présupposent cet affranchissement à l'égard de l'attitude qui, depuis toujours, avait fait concevoir les productions artistiques à l'aune de choix esthétiques particuliers érigés en normes. On remarquera, par ailleurs, que le point de vue spéculatif hégélien rompt aussi avec la tradition de l'esthétique du goût, représentée notamment par Shaftesbury et portée à son plus haut point d'accomplissement philosophique avec Kant et sa critique de la faculté de juger. Ce courant de pensée, qui s'interroge sur les conditions de l'appréciation des qualités esthétiques - quitte à en souligner, comme le fait Diderot, le caractère essentiellement subjectif voire circonstanciel - constitue en somme le rejeton des doctrines normatives qui se mettaient en quête d'une règle des préférences opposable aux créateurs autant qu'aux spectateurs."

Après avoir situé l'esthétique au sein du système hégélien, explicité des relations entre art, religions et philosophie, détaillé les trois formes d'art, symbolique, classique, romantique et enfin établi en quoi l'historicité de l'art d'HEGEL constitue une véritable avancée, Thierry LENAIN conclue :

"Avec Hegel, le monde des formes sensibles n'est plus le lieu du voilement ou de la distorsion du vrai. En vertu du principe fondamental de la dialectique spéculative - l'idée n'advient à elle-même qu'à travers son "incarnation" dans l'altérité et l'extériorité -, la forme esthétique, en ce qu'elle a d'éminemment concret, acquiert un statut philosophique positif. Elle devient au sens fort de ce terme, compréhensible. On a maintes fois insisté sur le fait que l'esthétique de Hegel est une esthétique du "contenu". C'en est aussi une qui donne droit de cité à la forme comme connu, et, Michel Haar (L'oeuvre d'art. Essai sur l'ontologie des oeuvres, Hatier, 1994) se montre pour le moins sévère lorsqu'il clôt en ces termes un exposé consacré à cette esthétique hégélienne qui, selon lui, "à force d'isoler le contenu, finit par laisser de côté la forme comme un élément superficiel et accessoire". Il semblerait plus juste de souligner que ce statut proprement philosophique décerné à la forme permet - enfin - à la théorie esthétique de s'alimenter à l'expérience directe des oeuvres d'art. Car si l'approche hégélienne de l'art pose des enjeux qui dépassent de loin la sphère des seuls artistes et amateurs, elle force la pensée conceptuelle à venir se frotter aux réalités concrètes de l'histoire de l'art. Quant à l'affirmation de la secondaire de l'art par rapport à la philosophie, elle a, certes, tout pour susciter le désaccord. Reste que la réalité propre de l'art ne se retrouve nullement "congelée" dans le concept : outre qu'il ne cesse d'insister sur le fait que l'art s'adresse avant tout au sentiment, Hegel montre à tout moment, dans le texte de Cours d'esthétique, qu'il aime vivement les oeuvres dont il parle depuis cette distance spéculative d'où il les regarde comme des "choses du passé" et pour ainsi dire comme les ébauches encore primitives d'un autoportrait de l'esprit aux prises avec lui-même. Et s'il apparait que le modèle classique conserve chez lui un statut privilégié, les époques de "déséquilibre" ne sont pas pour autant disqualifiées ; les phases archaïques et même le "badinage" ironique des derniers romantiques (qui signe pourtant l'exténuation de l'art comme mode de manifestation du divin) méritent d'être appréciés de manière positivité. De cette rencontre avec le monde des formes, étrangement charnelle dans son intellectualité, sont nées des pages inoubliables qui traduisent un véritable "style de vision", une façon tout à fait particulière de regarder et de comprendre l'art, de l'aborder dans sa spécificité esthétique depuis l'élément du concept théorique pur."

 

Thierry LENAIN, Hegel : l'incarnation sensible de l'idée, dans Esthétique et philosophie de l'art, L'Atelier d'esthétique, de boeck, 2014. Daniel CHARLES, Esthétique - Histoire, dans Encyclopedia Universalis, 2014.

 

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