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7 novembre 2017 2 07 /11 /novembre /2017 12:41

     Helmuth Karl Bernhard, comte von MOLTKE, à la longue carrière militaire, porte sa marque sur le plan de l'organisation et de la stratégie prussienne puis allemande. Lors de sa présence à l'état-major du roi FRÉDÉRIC-GUILLAUME IV, il forme toute une élite d'officiers qui savent bien remplir leurs charges d'auxiliaires habiles auprès de leurs commandants en chef. En vue des espaces opérationnels considérables et des moyens de transport encore insuffisants de même que des effectifs faibles, il crée une doctrine stratégique prussienne qui reste en vigueur jusqu'à la veille de la Première Guerre Mondiale. Suivant la devise "Marcher dispersés - combattre réunis", MOLTKE regarde la stratégie de cette époque comme l'art de conduire les armées au champ de bataille et en vue de la bataille, avec l'autre avantage, vu leurs mobilités de laisser indécis l'adversaire quant à ses plans. Contrairement à ses adeptes postérieurs qui se croient capables de concevoir une guerre "éclair" de l'attaque de l'ouverture jusqu'à la victoire, la stratégie est toujours selon MOLTKE "l'art d'agir au mieux des circonstances". (B. KROENER)    

     

    Helmuth von MOLTKE est un général et un théoricien de la guerre de premier plan, à la fois dans le Royaume de Prusse et dans l'Empire allemand. Son influence est immense dans les domaines de l'organisation et de la préparation de la guerre. Il ne produisit pas de véritable traité militaire,sa doctrine se révélant à travers ses actions, ses discours et ses écrits à la fois nombreux et épars. Parmi ses textes les plus célèbres, son Histoire de la campagne de 1866, ses Questions de tactique appliqué et Sur la stratégie, sont très étudiés. Il vit dans une époque féconde en innovations technologiques et sait tirer le meilleur parti des nouvelles données logistiques qui découlent d'un certain nombre d'inventions comme par exemple le chemin de fer.

     MOLTKE est issu d'une famille appartenant à la vieille noblesse du Mecklembourg, son père ayant servi dans l'armée prussienne, puis dans l'armée danoise qu'il quitta avec le rang de général. Lui-même qui n'est pas particulièrement attiré par la carrière militaire, suit un chemin inverse que celui de son père. Il passe par l'Ecole des cadets de Copenhague avant d'être affecté dans un régiment d'infanterie de l'armée danoise. Trois ans plus tard, en 1822, il intègre l'armée prussienne, toujours dans l'infanterie, avec le grade de lieutenant. Peu après, il entre à l'Ecole générale de guerre dirigée alors par Carl von CLAUSEWITZ. Il est peu probable qu'ils se soient rencontrés (différence grade, de notoriété et de rang hiérarchique), mais leur deux noms sont par la suite indissociable. En quelque sorte, il met en pratique la théorie clausewitziennec, acquérant par là à son tour prestige et autorité. 

Il entre au service géographique de l'état-major en 1828 et y produit des études historique, y traduit (à usage privé, et cela est une pratique assez courante dans un milieu polyglotte), l'ouvrage de GIBBON sur le déclin de l'Empire romain. A partir de 1832, il voyage pour le compte de l'armée en Europe et en Turquie où il est conseiller pour la réorganisation de l'armée ottomane (1835), poussant la Turquie à adopter par là le modèle prussien. Il prend part à la campagne contre l'Égyptien Mohamed ALI en Syrie, mais le commandement de l'armée ignore ses recommandations et subit la défaite face aux Égyptiens en 1839. De retour en Prusse, il publie divers ouvrages, et après avoir songé à prendre sa retraite, se retrouve premier aide de camp auprès du prince FRÉDÉRIC-GUILLAUME qu'il accompagne dans toute l'Europe. MOLTKE est nommé en 1857 chef d'état-major de l'armée et il le reste pendant trente ans. Il prend part à la guerre de 1866 contre l'Autriche et à celle de 1870-871 contre la France, à l'issue de laquelle est fondé l'Empire allemand. 

MOLTKE sait exploiter au mieux la machine militaire léguées par les grands réformateurs SCHARNHORST, BOYEN et GNEISENAU, et pousse plus loin encore son action. Alors que la Prusse possède déjà le meilleur système de mobilisation des troupes, il veut accélérer sa vitesse. La Prusse est étendue, ce qui pose un certain nombre de problèmes logistiques. Avant même que l'Allemagne ait construit sa première ligne de chemin de fer, il a entrevu les avantages qu'il peut en tirer. Capable de déplacer les troupes six fois plus vite que ne l'avait fait NAPOLÉON avec sa Grande armée, la plus rapide de l'époque, le rail redéfinit deux éléments clés de la stratégie, le temps et l'espace. Il permet une mobilisation des troupes plus rapide ainsi qu'une plus grande efficacité dans la concentration des forces. Toujours dans le domaine du transport et des communications, MOLTKE modifie la configuration tactique de l'armée : il tient compte d'un réseau routier en plein essor qui lui permet de résoudre l'épineux problème du déplacement des troupes dont le gigantisme réduit de façon dramatique la mobilité. Avec un réseau routier plus vaste, il peut diviser ses troupes pendant les marches tout en maintenant la capacité de concentrer ses forces rapidement en cas de combat.

La doctrine militaire de MOLTKE se définit d'après les principes établis par ses prédécesseurs. Il retient les idées de SCHARNHORST et de GNEISENAU sur la formation des officiers et sur l'utilisation de l'Histoire comme champ d'étude expérimental. Le fondement théorique de sa doctrine repose presque exclusivement sur les principes de CLAUSEWITZ. Toutefois, il rejette l'élément le plus connu, à savoir la subordination de la guerre à la politique. C'est cette conception que retiennent les stratèges et militaires allemands du premier entre-deux-guerres (1871-1914), suivant en cela l'idée force que l'armée constitue l'ossature de l'Empire. Si la guerre obéit à des impératifs politiques, une fois la guerre commencée, c'est le haut commandement militaire qui prend toutes les décisions. De CLAUSEWITZ, il retient l'idée que la guerre a pour but de détruire l'adversaire à la fois physiquement et moralement. A cet effet, ses forces doivent être anéanties et la totalité de son territoire occupé. Le point culminant de la guerre est atteint lors d'une bataille décisive. Mobilité, rapidité et concentration sont les composantes principales de la victoire. la destruction des forces ennemies doit être totale et cela constitue un véritable credo dans l'armée. MOLTKE est tout aussi méticuleux et minutieux dans la préparation "intellectuelle" de la guerre que dans sa préparation physique. Si l'on ne peut prévoir le cours de événements d'une guerre future, l'on peut néanmoins étudier les diverses éventualités capables de se produire.

Son champ d'étude est vaste, comprenant non seulement l'activité militaire mais aussi la situation politique, économique et technologique d'une nation. Il analyse la situation des grandes puissances mais aussi celle des Etats plus modestes tout aussi capables pourtant de changer le cours d'un conflit  (sa méthode est reprise et élaborée par Friedrich von BERNHARDI avant la Grande Guerre). Malgré cet intérêt pour une méthodologie rigoureuse, MOLTKE reste conscient que la guerre est avant tout un art et non une science "On a volontiers recours, écrit-il, aux principes et aux doctrines, mais principes et doctrines ne peuvent être fournis que par la science, et cette science est pour nous la stratégie. Cependant, la stratégie n'est pas de la même essence que les sciences abstraites. Celles-ci reposent sur des vérités immuables et bien définies qui servent à édifier des systèmes et se prêtent à toutes sortes de destructions. (...) La guerre devient ainsi un art, mais un art dont l'application nécessite l'emploi de beaucoup de sciences. Ces sciences sont loin de suffire pour faire un homme de guerre." Sa doctrine de guerre est une méthode à la fois rigoureuse et souple. Il est persuadé qu'il n'existe pas de stratégie supérieure à toutes les autres et utilisable en toutes circonstances qui sont en partie imprévisibles ou pour le moins difficiles à prévoir. Pour le comprendre et les évaluer les unes par rapport aux autres, seul le génie guerrier est capable de s'élever au-dessus de prévisions scientifiques qui ont leur utilité mais aussi leurs limites. L'intérêt qu'il porte à cet élément le pousse à étudier de près tous les problèmes liés à l'organisation du haut commandement de l'armée. Selon lui, certains "grands capitaines" comme NAPOLÉON ont un sens inné des choses de la guerre et n'ont guère besoin de conseils. De tels génies sont rares, chaque siècle en produisant un à peine. Le commandant en chef doit donc être bien entouré par des hommes plus ou moins nombreux ayant une longue expérience de la guerre. MOLTKE préconise la création d'un chaîne de commandement permettant au commandant en chef de déléguer un certain nombre de tâches et de décisions à ses subordonnés, en particulier sur le terrain, tout en se limitant, pour ce qui le concerne, aux décisions les plus importantes. Il doit lui-même posséder une grande liberté d'action, vis-à-vis de ses subordonnés mais aussi de ses supérieurs (politiques) qui, selon lui, doivent lui donner une entière indépendance. Le chef d'état-major de l'armée doit être le seul et unique conseiller du prince, situation que MOLTKE réussira à imposer à partir de 1866. Toutefois, il n'obtiendra jamais l'entière liberté qu'il réclame. Soumis à l'autorité politique du prince, il connaitra une situation personnelle plus proche de la relation préconisée par CLAUSEWITZ que de celle qu'il souhaitait. D'ailleurs, sa coopération fructueuse avec BISMARK sera souvent conflictuelle, en particulier lors de la guerre franco-prussienne de 1870-1871 où il ne partage pas la vision instrumentale de la guerre du chancelier allemand. La pensée et l'action de MOLTKE seront reprises par Alfred von CHLIEFFEN, dont le nom est souvent associé au sein. (BLIN et CHALIAND)

 

       Hajo HOLBORN, considérant MOLTKE et SCHLIEFFEN comme les plus grands représentants de l'école russo-germanique, explique que le premier tire pleinement profit des idées et des institutions développées pendant les guerres de libération. C'est seulement avec la guerre de 1866 qu'il acquiert la stature qu'on lui connait. En effet, bien que chef d'état-major dès 1857, comme GUILLAUME s'intéresse plus aux questions de réorganisation politique et technique qu'aux questions stratégiques, il reste dans l'ombre et c'est plutôt ROON, ministre de la Guerre, qui domine les conseils d'Etat. GUILLAUME et ROON son résolus à améliorer l'efficacité de l'armée et cela implique d'abolir définitivement les sections de caractère milicien où survivait un esprit plus libéral. La Landier populaire (garde territoriale ou nationale) est alors réduite au profit d'une armée permanente, à recrutement basé sur la conscription, laquelle est plus poussée et effective en Prusse qu'ailleurs, considérablement élargie. Le corps des officiers de carrière royalistes obtiennent alors le contrôle de toutes les institutions militaires de la nation. Le Parlement prussien combat cette mesure mais la réorganisation est appliquée, sans même son consentement, sous BISMARK. Le conflit constitutionnel qui en découle perdure jusqu'à ce que la politiques birmarkiennes et les victoires de MOLTKE viennent combler les aspirations à l'unité nationale allemande : d'abord l'émergence d'une Allemagne unifiée à côté, et au-dessus des nations de l'Europe et ensuite la victoire de la monarchie prussienne par le maintien de la structure autoritaire de l'armée prussienne. 

Par sa stratégie, tranchant avec la conception générale qui veut que l'on accorde le plus d'importance à une ligne d'opérations intérieures, qui consiste donc à gagner le plus d'espace possible et nécessaire à la manoeuvre, même en territoire ennemi, et même pour agir sur les arrières de l'ennemi, MOLTKE s'affirme en 1866 dans la guerre contre l'Autriche. Mais alors qu'on a souvent interprété la mise en oeuvre de cette stratégie et ses mots d'ordre durant cette guerre, il ne condamne pas franchement la conduite d'opérations sur une ligne intérieure et ne recommande pas systématiquement des manoeuvres concentriques. Dans la guerre de 1870-1871, il utilise les deux formes de stratégie. On a prétendu, dit toujours Hajo HOLBORN, que sa stratégie reflétait la supériorité militaire dont jouissaient les forces prussiennes à l'époque, mais une telle affirmation n'est juste que dans certaines limites. En 1866, MOLTKE dut accroitre légèrement la force des armées prussiennes en Bohême, et, ce n'était pas la supériorité des effectifs qui pouvait le lui permettre. Il prit le risque de dépouiller toutes les provinces prussiennes de leurs troupes et de ne laisser qu'une armée extrêmement réduite s'occuper des alliés allemands de l'Autriche. Si la compagne de Bohême avait trainé en longueur ou débouché sur une impasse, NAPOLÉON III aurait pu saisir cette occasion de s'emparer de la Rhénane et de fixer le sort du continent. Ce genre de possibilités n'étaient pas absolument exclues de la guerre de 1870-1871.

Après le traité de Francfort, la Prusse-Allemagne pouvait commencer à respirer plus librement, à condition que le gouvernement réussit à empêcher une coopération militaire entre ses principales voisines, la France et la Russie. MOLTKE avait considéré cette éventualité pour la première fois en 1859, mais elle n'avait été qu'un nuage passager sur l'horizon politique. A partir de 1879, la menace d'une éventuelle coalition franco-russe apparut de plus en plus manifeste à l'état-major général. Après la conclusion de l'alliance franco-russe au début des années 1890, elle devint sa considération stratégique majeure.

Les plans de MOLTKE, face à cette situations, suivaient la ligne de sa stratégie passée, à savoir combattre un ennemi avec les forces les plus réduites possibles de façon à disposer d'un nombre supérieur de troupes pour écraser l'autre ennemi. Il préconisait d'opérer une défense à l'Ouest et de prendre l'offensive contre la Russie. Il était possible à l'Allemagne, qui possédait l'Alsace-Lorraine, de défendre sa frontière occidentale avec des forces minimes, mais elle ne pouvait espérer arriver à des décisions rapides contre la ligne toujours plus développée des fortifications françaises. En revanche, on pouvait s'attendre à des résultats plus importants en Russie. Le second successeur de MOLTKE à la tête de l'état-major général, le compte SHLIEFFEN, renversa cet ordre des choses en 1894 ; à partir de ce moment, les plans de guerre allemands sur deux fronts envisagèrent d'abord une offensive à l'Ouest. 

 

Helmuth von MOLTKE, Instructions du 24 juin 1869 pour les chefs d'armée, I : généralités, École de guerre, Paris, 1909 ; Sur la stratégie, Mémoire de l'année 1871, École de guerre, Paris, 1909. Disponibles dans Anthologie mondiale de la stratégie, Sous la direction de Gérard CHALIAND, Robert Laffont, collection Bouquins, 1990. Helmuth von MOLTKE, La guerre de 1870, éditions Collection XIX, e-book, 2016 ; Correspondances militaires, 4 tomes, éditions du quotidien, 2003.

Henri BONNAL, Les Maîtres de la guerre : Frédéric II, Napoléon, Moltke, d'après les travaux inédits de M. le général Bonnal, édition Léonce Rousset, Paris, 1899. Eugène CARRIAS, La Pensée militaire allemande, Paris, 1948. Freiherr von der GOLTZ, Moltke, Berlin, 1903. Halo HOLBORN, Moltke et Schlieffen : l'école russo-germanique, dans Les Maîtres de la stratégie, Sous la direction de E. MEAD EARLE, Berger-Levrault, 1980. Max JAHNS, Feldmarschall Moltke, Berlin, 1900. Eberhard KESSEL, Moltke, Stuttgart, 1957. J.L. LEWAL, Le Maréchal de Moltke, organisateur et stratège, Paris, 1891. Daniel HUGHES, Moltke on the art of war : Selected writing, Presidio Press, 1995.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016. B. KROENER, Moltke, dans Dictionnaire d'art et d'histoire militaires, Sous la direction d'André CORVISIER, PUF, 1988.

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