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6 décembre 2016 2 06 /12 /décembre /2016 10:41

  Comme tout mythe fondateur, le péché originel marque une religion, la légitime, la fonde, en rend indépassables ses prescriptions morales. 

  Comme le rappelle André-Marie DUBARLE (1910-2002), dominicain et théologien français, le terme de péché originel "a été créé par saint Augustin, probablement en 397, pour désigner l'état de péché dans lequel se trouve tout homme du fait de son origine à partir d'une race pécheresse ; et, ultérieurement, il a été étendu au péché d'Adam, premier père de l'humanité. La doctrine du péché originel, dont le germe est contenu dans les Ecritures juives et chrétiennes, puis dans les oeuvres des anciens écrivains chrétiens, a provoqué de siècle en siècle d'innombrables spéculations. Il importe de noter d'abord qu'il s'agit d'un cas particulier des doctrines philosophiques ou religieuses destinées à expliquer l'origine du mal. Dans d'autres systèmes de pensée, qu'il s'agisse de mythes, comme chez les primitifs, ou de philosophies élaborées, le mal est antérieur à l'homme ; il vient d'un principe mauvais s'opposant à un dieu bon, d'une faute commise par un dieu et perturbant l'oeuvre des autres dieux, ou de l'intervention d'anges pécheurs enseignant aux hommes les arts pervers de la civilisation, ou encore de la chute des âmes, ayant péché avant leur existence dans le monde et étant "tombées" dans le corps par l'effet du châtiment ou par libre choix. Dans la pensée existentialiste, l'absence de transcendance fonde la tragédie de l'existence. Dans les systèmes idéalistes allemands, le mal est un moment dialectique dans le développement du bien."

On notera que, bien entendu de la part d'un occidental chrétien, on ne peut mettre dans la même catégorie le mythe des primitif et les élaborations religieuses des religions révélées. A contrario, on peut penser que les Grecs anciens ne voyaient pas les dieux comme des mythes, mais comme une réalité dont les éléments existent bien concrètement sur terre et qu'il fallait au moins se sauvegarder de leurs colères avec tout un cortège de rites variés selon les circonstances. Le mythe du péché originel ne procède pas autrement. Ce qui s'est passé chez les premiers hommes, chez le premier homme, jaillit bien concrètement dans la vie quotidienne des pêcheurs et tout une série de rites et de cérémonies, là aussi, sont réalisés pour s'attirer la bienveillance, le pardon, de Dieu...

  "Se distinguant de ces doctrines, poursuit notre auteur, la doctrine biblique et chrétienne affirme que le monde et l'homme ont été créé bons, bien que limités, qu'en particulier la vie sexuelle et le développement culturel sont choses bonnes et ne résultent nullement d'un défaut ou d'un péché antérieurs à l'homme. S'il y a du mal dans l'humanité, c'est par suite du libre péché de l'homme. Le péché remonte aux origines de l'humanité. Les générations actuelles pâtissent des conséquence du passé par diverses souffrances et aussi (tel est le point spécifique de la doctrine du péché originel) par une certaine solidarité dans le péché. Cet état présent n'exclut pas toute possibilité de bien dans l(humanité. Il n'exclut pas davantage l'éventualité que les nouveaux venus à l'existence pèchent à leur tour, ajoutant ainsi au mal déjà existant. Simplement la vie religieuse et morale de chacun, avec ses libres fautes toujours possibles, est prévenue par un péché déjà présent au plus profond d'elle-même, avant même de s'éveiller à une exercice personnel.

Dans cette perspective biblique et chrétienne, l'objet principal de la doctrine du péché originel tend à se déplacer de la réponse théorique au problème du mal vers le diagnostic de ce mélange de bien et de mal qu'est la conscience individuelle. Cela doit finalement conduire à mettre l'accent sur le remède préparé au péché originel par un Dieu qui a créé l'homme bon et veut aboutir à ses fins malgré les déficiences de la créature."

André-Marie DUBARLE explique que cette doctrine du péché originel s'est surtout développée dans le christianisme ; seuls quelques écrits juifs canoniques font remonter à Adam les peines qui pèsent sur l'humanité et la transmission d'un état de péché du premier père à sa descendance est moins claire. Les écrivains chrétiens font souvent référence au livre de la Genèse pour le récit de la chute et du châtiment perpétuel, mais les docteurs juifs n'ont font pas autant cas. Successivement, Paul (Romains), Irénée, Augustin, Thomas d'Equin, Luther, font des développements qui suivent cette idée de transmission du péché originel. Mais l'unanimité est loin d'être faite parmi les auteurs religieux chrétiens sur la portée de celui-ci et singulièrement lorsqu'on se rapproche des Temps Modernes, même si dans la doctrine catholique notamment, on en fait un point très important du "roman" religieux. Il faut encore distinguer de plus la doxa religieuse des différentes exploitations philosophiques : Kant, Hegel, Ricoeur offrent des perspectives différentes.

Quant à la signification actuelle de la doctrine, André DUMAS (1918-1996), pasteur protestant et professeur de philosophie et d'éthique français, très influencé par la pensée de Karl BARTH,  écrit que "la notion de péché, à plus forte raison de péché originel, apparait à de nombreux contemporains comme une illégitime flétrissure théologique de la vie. Nietzsche a su, avec la plus grande violence, en démasquer la source perverse dans la Généalogie de la morale (...). Autant dire que le péché originel apparait à beaucoup comme une scène primitive, fantasmatique et obsédante, destinée à rendre indispensable le recours à la grâce divine, voire aux pénitences infligées par des prêtres et aux sacrements administrés par eux. On conçoit que, dans ces conditions, cette doctrine théologique apparaisse comme étant le fardeau héréditaire dont il fait libérer l'humanité pour la rendre libre et heureuse, à tout le moins émancipée et responsable devant elle-même. Depuis au moins trois siècles, la culture moderne s'emploie à reléguer le péché originel parmi les archaïsmes encombrants et malfaisants.

Il convient, poursuit-il, alors d'observer ce que devient l'humanité purgée de la confession du péché originel, si "originel" ne veut pas dire chronologiquement archaïque, mais ontologiquement universel, selon le passage du Psaume 14 repris par saint Paul dans l'Epître aux Romains : "il n'y a pas de juste, pas même un seul. Il n'y a pas d'homme censé, pas un qui cherche Dieu, ils sont tous dévoyés, ensemble pervertis, pas un qui fasse le bien, pas même un seul"(III, 10-11). Sans péché, mais évidemment pas sans expérience du mal, commis et subi, l'homme moderne a eu recours à trois conduites possibles. La première consiste à reporter le mal sur un autre que soi,un autre qui en est le coupable unique et, par conséquent, le bouc émissaire légitime du châtiment. Ici, la suppression de l'universalité du péché aboutit à un manichéisme dénonciateur. C'est au moment où la confession du péché originel a disparu que se sont développés les inquisitions séculières et les terrorisme idéologiques. L'homme peut aussi proclamer, à l'inverse, l'innocence universelle, mais il est remarquable que cela prélude généralement à l'irresponsabilité de chacun et souvent au malheur de tous. Car l'innocence actuelle est encore bien plus une fiction que la connaissance et la reconnaissance du péché originel. Faisant justement l'objet de la confession passionnée de Nietzsche, elle parait relever plus de l'ordre du désir que de celui du réel. Elle est elle-même une revanche idéologique contre l'emprise théologique, mais elle n'est pas un constat aisé à généraliser, en un siècle où l'homme s'est révélé à un tel point capable de calomnier, de torturer et d'exterminer. C'est pourquoi c'est la troisième conduite qui est la plus commune à l'homme moderne et qui rejoint étrangement celle de l'homme de l'antiquité, une conduite antérieure à toute l'histoire biblique de la création, du péché et du pardon : le destin a remplacé le péché originel, comme véritable clef inconnue de notre situation d'êtres jetés dans le monde. C'est le destin, et non pas la liberté, qui est le grand bénéficiaire idéologique de la suppression du péché théologique. Adam est remplacé d'abord par Prométhée, parfois par Dionysos et le plus souvent pas Sisyphe. Il n'est donc pas certain que la suppression du péché originel ait rendu l'homme plus fort, plus heureux et surtout plus libre." Nous laisserons bien entendu à André DUMAS cette réflexion, qui n'est pas la nôtre, mais qui est souvent communément partagée par toute une population même érudite, qui ne fait pas le partage des responsabilités des situations de toutes sortes, et de plus qui ne se livre pas à une analyse structurale de la société en général... Et de surcroit qui ne fait pas de retour sur l'Histoire : si les tortures et l'extermination de masse rend très impressionnant, il ne faudrait pas oublier toutes les répressions sanglantes des périodes où le péché originel était au goût du jour... La banalité de la violence n'appartient pas seulement à certaines périodes contemporaines, elle existait surtout dans ces temps de religiosité extrême...Seulement aujourd'hui, ce qui change, et le combat contre le mythe du péché originel n'en est pas étranger, c'est la perception de cette violence... Et si le XXème siècle est bien le siècle des massacres de masse, c'est parce qu'auparavant, il n'y avait guère de masse tout simplement, au sens de concentration sur un espace réduit de millions de personnes.

"C'est ici, écrit-il encore, qu'il faut reprendre les éléments essentiels d'une doctrine du péché originel dans la situation de la culture. Fondamentalement, le péché est méfiance à l'égard de la parole de vérité et d'amour que le Créateur propose à la créature. Adam et Ève redoute que Dieu ne les trompe et décident donc de préférer la voix triomphante, innocente et illusoire du serpent à la parole confiante, exigeante et réaliste de Dieu. Caïn se méfie ses avantage qu'il suppose à Abel son frère et il le tue. Le péché, primordialement, ne consiste ni dans l'orgueil et l'arrogance, ni dans le désir et la concupiscence, mais dans la méfiance. C'est pourquoi il a bibliquement pour effet non pas tant de transformer la nature de l'homme ou de constituer en animal déchu un ange supposé que de changer radicalement la situation relationnelle de la créature. A la confiance originaire, qui caractérise la création, succède la méfiance originelle, qui qualifie désormais l'histoire. Le péché est de nature relationnelle et non pas substantielle. Il est l'acte par lequel l'homme veut attrister Dieu et infliger la mort aux autres hommes. Connaitre l'universelle réalité de ce péché, c'est se prémunir contre toute vision illusoire de l'humanité, vision qui la fait tantôt s'endormir dans le mensonge, tantôt se réveiller dans l'amertume et le désespoir. La doctrine du péché originel est ainsi d'abord destinée à combattre l'opium de la présente harmonie naturelle du capitalisme comme l'opium de la future société sans classes du socialisme. Les hommes n'héritent pas d'une détermination théologique à mal faire à cause d'Adam, mais, comme Adam et comme Caïn, chacun d'eux se replonge dans la méfiance destructrice qui enténèbre la culture et aussi, à partir d'elle, la nature.

Pourtant, la doctrine du péché n'aboutit pas au cynisme des constats ni au pessimisme du destin et du malheur. Le péché, dans la mesure où il est vaincu par la rédemption (même quand l'homme s'enferme dans la triple captivité de sa propre justification, de sa prétendue innocence et de son déterminisme par le hasard), est une entreprise de nomination combative et de pardon accepté, alors que, sans péché, l'homme erre au milieu de malheurs déculpabilisés, de vengeances et d'offenses sans retenue. le péché a ainsi comme office de porter à la lumière l'aveu qui s'ignore et qui s'enfouit. Il a aussi comme fin le pardon, car le chrétien ne croit pas au péché mais à la proclamation de son enlèvement, à la réconciliation, au lieu même où la relation était brisée.

Enfin, la doctrine du péché, originel ou universel, est l'ombre portée par l'espérance et l'attente du salut, de la réintégration, eschatologique ou universelle, elle aussi. (...). 

Certes, la doctrine du péché originel s'est exprimée culturellement au cours des siècles de manière équivoque (c'est le moins qu'on puisse écrire!, dirions-nous-mêmes). Il a semblé  (le mot nous semble faible...) parfois qu'elle affirmait péremptoirement un biologiste théologique, selon lequel nous était transmis héréditairement un destin étranger et injuste. Mais, avant de renoncer à cette doctrine, il convient de réfléchir aux dégâts qu'a engendrés dans la modernité sa suppression ainsi qu'au triple sens que lui reconnait la foi selon la Bible : inviter à la liberté des aveux ; enlever à la permanence des offenses ; enfin annoncer, par sa négativité même, le Royaume qui en est l'horizon ultime."

  Ce plaidoyer en faveur de la doctrine du péché originel est déjà un plaidoyer moderne, au sens où il se situe à de très longues distances idéologiques de ce qui a été admis par les autorités religieuses depuis des siècles. Malgré des réflexions avancées sur la nature du péché, le mythe du péché originel perdure dans beaucoup d'esprit, notamment chez les pratiquants religieux (de toutes les branches de la chrétienté) selon sa forme ancestrale (même si elle varie d'une confession à l'autre). Très liée à la notion de culpabilité personnelle, le péché est aussi perçu comme faisant partie d'une trame de générations qui remontent aux origines. l'analyse théologique elle-même, écrit Laurent SENTIS, participant du Séminaire du diocèse de Toulon, est toujours liée "à une réflexion sur le libre arbitre, la grâce et la concupiscence (ou convoitise)".

Il retrace l'élaboration de la notion à partir du récit de la Genèse dans la Bible qui "évoque plus les conséquences malheureuses du péché d'Adam que la transmission de ce péché. 

Plusieurs textes, explique-t-il, soulignent que l'homme est pêcheur dès sa naissance et que le péché est universel. 

Jésus souligne l'illusion de ceux qui se flattent d'être justes et affirme que tous les hommes ont besoin du salut. Et c'est du coeur humain que sort, selon lui, tout ce qui rend l'homme impur. Mais le vrai fondement scripturaire de la doctrine du péché originel se trouve dans le parallèle établi par Paul entre Adam et le Christ. A Jésus, source de vie et de justice s'oppose Adam qui a plongé l'humanité dans le péché et la mort."

Les Pères fondateurs de l'Eglise, durant les quatre premiers siècles ne s'interrogent guère sur l'historicité du récit de la Genèse ni sur le lien entre la chute d'Adam et la condition de l'humanité. Ils sont tous d'accord sur l'état de déchéance où nous sommes, mais ils divergent sur l'analyse de cette déchéance. Irénée (de Lyon, vers 130-202) y voit une désobéissance, mais d'autres l'identifient à la faiblesse et à l'ignorance propres à la condition mortelle et n'envisagent pas une véritable participation au péché d'Adam. Grégoire de Narzianze (329-390) par exemple juge possible que celui qui n'est pas baptisé puisse n'avoir pas mal agi et ne mérite ni gloire ni châtiment et, pour Jean Chrysostone (vers 344-407), le passage Romains 5 de la théologie paulinienne signifie non pas que l'homme est pêcheur,  mais qu'il est condamné au supplice et à la mort.

"En 397, poursuit-il, quinze ans avant la polémique antipélagienne, Augustin (d'Hippone, 354-430) est déjà en pleine possession de sa doctrine. En raison de la transgression d'Adam, tout homme est marqué par le péché originel. Celui-ci est un véritable péché qui nous vaut un châtiment temporel (la mort et la convoitise) mais aussi éternel (la séparation d'avec Dieu). Le péché originel se propage par la génération charnelle et la convoitise qui l'accompagne.

En raison de la confiance qu'il accorde au libre arbitre, Pélage (ou Pelagius, vers 350-420) minimise la différence entre l'état primitif et l'état présent de l'humanité. D'un côté il affirme que le premier homme a été créé mortel et de l'autre, il rejette l'idée d'un affaiblissement du libre arbitre consécutif au péché d'Adam. Pour combattre cette doctrine, Augustin invoque la pratique du baptême des petits enfants. Puisqu'on baptise pour la rémission des péchés, il faut bien que ces enfants portent en eux un péché qu'ils n'ont pourtant pas commis mais qui leur a été transmis, le péché originel précisément. Contre Pélage, le concile de Carthage (418) affirme que la mort d'Adam est la conséquence de son péché et que le péché originel chez les petits enfants est un véritable péché. Le concile d'Orange (529) précise qu'Adam a transmis à sa descendance un véritable péché et un esclavage spirituel. L'influence d'Augustin sur ces conciles et sur l'enseignement officiel de l'Eglise catholique est indéniable. Toutefois, il convient de distinguer les définitions de cette Eglise et les nombreux éléments de la doctrine augustinienne qui font l'objet d'un libre débat dans la théologie catholique : le sort des enfants morts sans baptème, avec le problème des limbes, la manière dont se transmet le péché originel, le rapport entre péché originel et sexualité, la grandeur du désordre introduit par le péché originel, l'immortalité éventuelle du premier homme, s'il n'avait pas péché, etc."

Dans l'ensemble, la pensée scolastique du péché originel durant tout ce qu'on appelle le Moyen-Age (vaste période...) constitue un effort pour interpréter et nuancer la doctrine d'Augustin.

En définissant le péché originel comme privation de la justice originelle, Anselme permet de comprendre comment il se propage : si Adam avait gardé la justice, il l'aurait transmise à sa descendance, mais il ne pouvait transmettre ce qu'il avait perdu. P. Lombard (vers 1100-1160) reprend une exégèse traditionnelle de Luc 19,30 (des Evangiles) pour marquer la différence entre les dons gratuits dont l'homme a été dépouillé et la nature qui a été blessée. A. de Halès (vers 1186-1245) introduit une distinction appelée à devenir classique : sous son aspect formel, le péché originel est la privation de la justice; et c'est donc un vrai péché ; sous son aspect matériel, c'est la convoitise, qui n'est pas un péché, mais le châtiment du péché. Cette analyse sera tapotée aussi bien par Bonaventure (de Bagnoregio, vers 1217-1274)  que par Thomas d'Aquin (vers 1224-1274) et leurs écoles respectives. Pour Thomas, il y a dans l'homme une participation à la lumière divine qui ne peut être détruite par le péché originel. Cette idée de la lumière naturelle de la raison entraine une perception moins pessimiste de la déchéance de l'humanité, même si la nature humaine est corrompue par le péché et si, sans la grâce, l'homme ne peut durablement résister à la convoitise (il peut quand même le faire un certain temps). Il faut noter que sur ce point, (Jean) Duns Scot (1266-1308) s'accorde avec Thomas."

il fait noter que derrière toute  cette exégèse se trouve l'instauration de tout un système de diagnostic du péché et tout un système de confessions. C'est la vénalité d'ailleurs de ce système, le pardon étant accordé souvent en échange de dons matériels à l'Eglise, qui est attaqué d'abord par les tenants de la Réforme. Non seulement, la moralité des princes d'Eglise ne se distingue pas de celle des hommes d'Etat et des hommes de la finance, mais l'enrichissement constant de l'Eglise par le système confessionnal est source lui-même de... péchés!

Avec la Réforme, viennent des interprétations divergentes du péché originel. "Pour Luther, la théologie n'est pas spéculation abstraite sur les relations de l'homme avec Dieu. Elle repose sur une expérience : la parole de Dieu transmise dans l'Ecriture vient libérer l'homme esclave de la convoitise. rejetant ainsi les "subtilités" de la scolastique, Luther fait du péché originel une "privation totale de toute la rectitude et de toute la puissance de toutes les forces tant du corps que de l'âme de l'homme tout entier, intérieur et extérieur". Par opposition à l'humanisme d'un Erasme (vers 1469-1536), il affirme ainsi la corruption radicale de l'homme déchu et l'impuissance du libre arbitre. Calvin nie également que l'homme pêcheur ait par son libre arbitre le pouvoir de bien agir. La confession d'Augsbourg affirme que le péché originel est un vrai péché, mais sans distinguer la privation de justice de la convoitise. Il en résulte que Melanchthon (1497-1560) réduit la grâce du baptême à la non-imputation du péché originel, ce que la théologie catholique ne pouvait accepter."

Le Concile de Trente "reprend l'enseignement des anciens conciles et réaffirme, contre les réformateurs, la distinction entre convoitise et péché proprement dit : seule la privation de justice est un véritable péché que le baptême efface. 

A partir de cette époque, le débat sur le péché originel est lié, dans l'Eglise catholique, au problème de la nature humaine : qu'entend-on exactement par là? Baius (ou Michel De Bay, 1513-1589) rejette la notion thomiste de la grâce surajoutée à la nature et voit dans le péché originel une corruption radicale de la nature humaine ; au nom du retour à l'augustinisme, il rejoint donc la conception luthérienne du péché originel. Pour s'opposer à cette conception pessimiste de la nature déchue, la plupart des théologiens catholiques va radicaliser la doctrine thomiste de la grâce créée et défendre l'idée, que, sans la grâce, la nature humaine est préservée dans ses principes essentiels et en particulier dans son libre arbitre. On voit ainsi se développer l'hypothèse d'une nature pure dotée d'une finalité naturelle distincte de la vision béatifique. Ses partisans  pensent en général que l'homme a été élevé à l'ordre surnaturel au moment de sa création, et que le péché a eu la double conséquence de lui faire perdre la grâce  et d'entrainer un désordre dans sa sensibilité. Cette hypothèse, qui facilite  l'intelligence de la doctrine  de Trente, fut adoptée par la majorité  des théologiens catholiques après les condamnation de Baius (1567) et de Jansénius (1653). Elle ne fit pourtant jamais l'unanimité. Certains augustiniens comme H. Noris (1631-1704) la rejetèrent sans être condamner pour autant. H. de Lubac (1946) a montré qu'elle n'est pas en harmonie avec la doctrine thomiste du désir naturel de voir Dieu."

Il y aurait tout un développement plus poussé que ne fait l'auteur sur la théologie orientale, qui n'a pas connu la crise pélagienne et qui demeure fidèle à l'ancienne conception de la nature humaine orientée vers la divinisation. "De ce fait, la théologie orientale ne pense pas le péché d'Adam comme perte de la grâce créée, mais comme perversion de la nature. Tout homme est solidaire d'Adam et vient au monde avec cette nature déchue."

Dans la réflexion moderne et contemporaine, approches proprement philosophiques à part, Laurent SENTIS s'étend surtout sur la réflexion de P. Ricoeur. "(Il) a formulé avec vigueur ce qui peut faire reculer devant certains aspects de l'enseignement augustinien sur le péché originel (qu'il qualifie) de "Spéculations pseudo-rationnelles sur la transmission quasi biologique d'une culpabilité quasi juridique de la faute d'un autre homme repoussé dans la nuit des temps, quelque part entre le pithécanthrope et l'homme de Neandertal". Cette formulation vient tout droit de la grande remise en cause par les théories de l'évolution de la généalogie chrétienne traditionnelle. Notre auteur note que le malaise induit par la poussée des réflexions scientifiques sur les dogmes de l'Eglise provoque dans la théologie contemporaine la recherche d'une présentation renouvelée qu'il situe sur trois plans : celui de l'exégèse, celui de la patristique et celui de la théologie systématique.

Pour l'exégèse, "pour bien lire Gn 2-3, il faut prendre en considération le genre littéraire de ce récit. Il s'agit d'une légende étiologique (Dubarle, Le péché originel dans l'Ecriture, 1958). A travers une représentation imagée des origines, l'auteur cherche à décrire la psychologie de l'homme pêcheur et à montrer que le mal moral est antérieur au malheur humain. Par ailleurs, le thème de la solidarité dans le péché est, comme l'a montré Ligier (Péché d'Adam, péché du monde, 1959), une perspective familière aux auteurs de la Bible. Quant au sens de l'expression (si commentée dans Romains), sur laquelle on a beaucoup discuté, il semble qu'elle signifie "moyennant le fait que" ("la mort a passé en tous les hommes, du fait que tous ont péché (Lyonnet, 1966)."

Du point de vue de la patristique, "étude des Pères (fondateurs de l'Eglise) permet de redécouvrir des perspectives oubliées. Irénée par exemple souligne que l'homme n'a pas été créé parfait dès le commencement. Plusieurs Pères, y compris Augustin, n'hésitent pas à voir en Adam, au-delà de l'individu, la communauté humaine dans son ensemble, disloquée par le péché (Lubac, catholicisme, 1938). On comprend mieux, de ce point de vue, la transmission du péché originel : l'homme vient au monde dans une communauté déchirée depuis l'origine, et il ne peut que participer à ce déchirement."

Enfin en matière de théologie systématique, "au-delà des clivages confessionnels, les théologiens contemporains peuvent, systématiquement, se répartir en 3 groupes.
Il y a ceux qui, comme Villalmonte (1978), estiment qu'un péché hérité est une contradiction, tout péché étant nécessairement personnel. D'autres s'efforcent de penser le péché originel dans le cadre du péché du monde mis en lumière par Ligier. Le péché n'est pas seulement  l'acte de celui qui se détourne de Dieu, c'est aussi l'influence exercée par cet acte sur une autre liberté. Schoonenberg (1967) parle à ce propos de situation et précise que cette situation peut concerner un être humain avant que celui-ci ne soit engagé dans l'existence. Il propose de parler dans ce cas de situation existentiale (par opposition à la situation existentielle face à laquelle ma liberté peut réagir). Le péché originel est une telle situation existentiale, qui vient peser sur tout enfant né dans un monde marqué par le péché. Enfin, le CEC par exemple estime que la privation de justice originelle doit être soigneusement distingué du péché du monde, conséquence du péché originel, et de tous les péchés personnels. c'est par rapport à cette position que certains ont défendu un strict monogénisme. Rainer (1967) a pourtant montré que le dogme catholique du péché originel n'exige pas le monogénisme mais demande que soit affirmée une unité réelle de l'humanité originante. D'autres, comme Fressard (1966), pensent qu'il faut distinguer nettement de l'historicité naturelle. Des vues audacieuses et qui vont dans le même sens ont été proposées par Léonard (1987) qui place Adam et eve dans "un monde préternaturel réel mais ne coïncidant pas avec l'univers actuel".

Le péché originel n'est pas le premier objet de la foi chrétienne, qui est espérance en Dieu et non désespoir de la faute. Mais si tous les hommes sont solidaires dans le péché, cela signifie deux choses : une unité du genre humain plus ancienne et plus fondamentale que toutes ses divisions ; et l'extension du salut à tous ceux qui le veulent : "Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire face à tous miséricorde" (Romains)."

 

Laurent SENTIS, Péché originel, dans Dictionnaire critique de théologie, PUF, 1998. André-Marie DUBARLE, André DUMAS, Péché originel, dans Encyclopedia Universalis, 2014.

 

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commentaires

P
Peut-être vaudrait-il mieux lire plutôt dans "Le Message Retrouvé" de Louis Cattiaux : "Hélas ! Combien croient encore au sauvetage spirituel et corporel de l'homme exilé ici-bas, puisque plus personne ne croit même à la chute antique ?" (Livre XXXVII, verset 44')
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G
A condition, bien sûr, de croire en ces textes "sacrés" (pas celui de Louis CATTIAUX (ce serait de l'humour un peu méchant...), mais de ceux qu'il cite beaucoup en référence...)

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