Héritier du judaïsme et du christianisme par le fait même de leurs coexistences en terre arabe, l'islam, par le Coran a sa propre conception du péché originel et du péché. Si le Coran reprend des passages de la Bible pour fonder cette conception, les pratiques musulmanes, rites notamment, doivent beaucoup aux croyances antérieures.
Pour le Coran, avant même son apparition sur la terre, le destin de l'humanité pécheresse est déjà tracé. Comme l'écrit Denis GRIL, professeur d'études arabes et islamiques à l'université de Provence, "Dieu en révèle partiellement le sens aux anges quand il les invite à se prosterner devant Adam à qui il a enseigné tous les noms. Iblis (l'un des anges) refuse de sa prosterner, devant ainsi le premier pêcheur et l'ennemi de l'homme : appelé désormais Satan, il tente Adam et son épouse qui désobéissent à Dieu et sont chassés du paradis, accompagnés par Satan dans leur chute. Mais Dieu accepte le repentir d'Adam et lui fait don de "paroles" qui sont pour l'homme le moyen de revenir à lui. L'humanité se partage dès lors entre celle qui se repend après sa chute et celle qui ne croit ni à Dieu ni à son pardon.
L'importance de la notion de péché dans le Coran se mesure à l'étendue de son champ sémiotique. Le péché est désigné par de nombreux termes dont les sens semblent souvent interchangeables et dont les nuances sont à préciser. Toutes les fautes n'ont pas la même gravité et le Coran, explicité par les exégètes, en établit le degré. Si tous les êtres, à deux exceptions près, sont marqués par le péché, c'est que celui-ci est le principal moteur d'une dynamique qui ne cesse d'éloigner ou de rapprocher l'homme de Dieu."
L'auteur détaille ce champ sémantique que l'on retrouve, avec des variantes, sur les sites Internet des différentes confessions musulmanes. En tout cas, la désignation du péché par le "méfait" s'opposant au "bienfait", au sens de chose mauvaise ou bonne, participe de la comptabilité divine des actes "acquis" par l'homme et rétribués de manière précise. C'est sans doute dans la rétribution plus que dans la définition de chaque péché que ces confessions se font les plus précises, même si comme le rappelle Denis GRIL, "la notion de péché reste (...) relativement imprécise et embrasse toutes les fautes que l'homme est capable de commettre, avec des conséquences plus ou moins graves. Une certaine catégorisations des fautes n'est toutefois pas totalement absente du Coran. On y retrouve des commandements dont les exégètes soulignent le rapport avec les Tables de la Loi (...). (...). Certains de ces péchés, comme le meurtre, l'adultère ou le vol, sont passibles de peine capitale ou du châtiment corporel sévère à partir du moment où ils sont patents et reconnus, mais le Coran s'adresse à l'homme aussi bien dans sa relation à Dieu qu'avec autrui et l'ensemble de la communauté. C'est pourquoi les turpitudes ne sont pas moins graves qu'elles soient visibles ou cachées. (...).
La notion de turpitude, poursuit notre auteur, concerne le caractère patent et scandaleux du péché. Il est question de "ceux qui lorsqu'ils ont commis une turpitude ou se sont fait injustice à eux-mêmes se souviennent de Dieu et demandent pardon pour leurs péchés. (...)". Les commentaires donnent des interprétations plus ou moins larges des turpitudes, qui sont regardées, comptabilisées, dans un système d'auto-surveillance et de surveillance, pour être sanctionnées par une peine plus ou moins grave, en fonction de leurs conséquence sur les relations avec Dieu et avec les autres. Le pardon de l'un et des autres restant largement ouvert pour les péchés véniels. C'est d'ailleurs un véritable cycle du pardon qui est mis en scène par le Coran et encore plus dans les commentaires.
"Le Coran, poursuit notre auteur, conte l'histoire des peuples d'autrefois punis et anéantis pour leurs péchés. Des "Gens du Livre", les juifs de Médine, avec lesquels les relation sont de plus en plus tendues, il est dit qu'un malheur les atteindra en raison de certains de leurs péchés. Mais ceci concerne également tous les hommes. (...). Les malheurs de l'homme sont donc la conséquence directe de ses péchés, bien que sur cette terre Dieu lui accorde une plus grande latitude. (...) En somme, l'existence terrestre est le lieu où l'homme accomplit un certain nombre d'actes qui sont mis à son actif ou à son passif dans le livre de ses oeuvres et dont il devra rendre compte devant Dieu. Hormis Jésus et Marie, qui lors de la naissance de cette dernières ont été protégés contre la touche de Satan. Le Prophète lui-même, qui dans sa petite enfance et avant l'ascension céleste est lavé et purifié par les anges, selon certaines traditions, ne continues pas moins de s'entendre dit (qu'il doit attendre la réalisation de la promesse du Seigneur)." Pour celui-ci, et du coup encore plus pour tous les autres hommes, la reconnaissance de la faute et l'attente du pardon, qui débouche sur une véritable victoire, doit être constamment renouvelée, pour que ce pardon se réalise. Qu'il s'agisse de fautes graves ou vénielles, ou de tout autre forme de voile entre Dieu et l'homme, le péché est inhérent à la nature humaine et nécessaire pour maintenir le lien entre l'homme et Dieu par l'intermédiaire de la demande de pardon. En revanche, rien ne limite le pardon divin à une exception : Dieu ne pardonne pas qu'on Lui associe (la faute) . "L'association abolit le lien qui unit le serviteur à Dieu. Il en va de même de celui qui s'enfonce dans le péché et refuse de revenir à Dieu, comme le peuple de Noé qui repousse le pardon de Dieu lui garantissant non seulement l'effacement des fautes mais aussi les dons terrestres. (...) Quand l'homme néglige ce commerce, il ne lui reste plus qu'à revenir à Dieu malgré lui, ses péchés ne lui étant plus d'aucune utilité. En refusant d'entendre le message de l'Envoyé, il abolit l'une de ces principales fonctions : "Si, lorsqu'ils se sont fait du tort à eux-mêmes, ils venaient à toi et demandaient pardon à Dieu et que l'Envoyé demandait pardon pour eux, ils trouveraient Dieu acceptant leur repentir, très miséricordieux." (4,64)."
Ajoutons que le peines coraniques fixes ne sont pas négociables. Tous les droits éthique-religieux connaissent cette notion, bâtarde d'un point de vue strictement légale, de dépassement d'une "limite" (...° établie par un "directeur" non présent au sein de la communauté qui se réclame de lui. En droit musulman, les huddud sont les peines légales mentionnées dans le Coran et qu'il détermine pour certains crimes (...). Il s'agit de châtiments corporels sévères et qui ne sont pas négociables, à l'inverse des autres châtiments de droit pénal musulman, qui sont à la discrétion du juge et ne peuvent pas en principe être plus sévères que les huddud. Ces peines non négociables concernent la fornication, l'accsation de fornication calomnieuse, le vol, le vol à main armée, la consommation d'alcool. L'application de ces dispositions est plus moins grande suivant les périodes historiques et les confessions pratiquées, certaines donnant un aspect rigide à la morale et à la vie sociale. Si auparavant, précise Eric CHAUMONT, spécialiste du droit musulman, leur application rigoureuse apparait cyclique, les périodes de réaffirmation de l'identité musulmane va de pair avec le rigorisme. Rigorisme qui revient de nos jours par anti-occidentalisme. Mais subsiste surtout un "noyau dur" d'application rigoureuse des châtiments qui concerne l'adultère, la prostitution et parfois l'homosexualité.
Pour ce qui est des fautes considérées comme péché, l'islam ne se distingue pas des autres religions. Ainsi, le meurtre, l'adultère, l'absorption de nourriture impure comme le porc, le gain non acquis par le travail (jeux de hasard), l'hérésie, l'idolâtrie confondue avec le polythéisme (péché impardonnable) sont considérées par toutes les confessions comme péchés. Auquel il faut ajouter celui qui enfreint l'interdiction de représenter des êtres animés et plus encore Dieu ou Mahomet. Cela n'est pas sans évoquer la querelle des icônes qui laissent encore des traces dans la religion orthodoxe. Le recensement des grands péchés varie grandement d'une confession à l'autre (de 7 à 70), même s'il et unanimement reconnu que seuls les péchés cités explicitement dans le Coran sont les plus importants. D'une manière générale, les sociétés musulmanes sont plus sévères (hormis les grands péchés déjà cités) envers les infractions à caractère sexuel, notamment envers les femmes que pour les autres. Tout ce qui dérange l'ordre social patriarcal y est sévèrement puni.
Le prophète a cité comme péchés capitaux dans un hadith rapporté dans les deux sahih de Mouslim et d'al-boukhari, l'idôlatrie, le meurtre, la sorcellerie, l'usure, la prise des biens de l'orphelin, la désertion, la fausse accusation de fornication à l'égard d'hommes et de femmes vertueux (les sept). En outre, le péché capital a l'une des caractéristiques d'être puni par l'Enfer, par la malédiction, par la colère de Dieu et par des châtiments corporels sur terre.
Eric CHAUMONT, Peines coraniques fixes ; Denis GRIL, Péché, dans Dictionnaire du Coran, Robert Laffont, collection Bouquins, 2007.
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