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30 avril 2015 4 30 /04 /avril /2015 13:13

     Mireille CORBIER rappelle que l'histoire de la République romaine, avant la période impériale, "est celle d'une cité qui, grâce aux profits de la guerres et de la conquête, a pu dispenser, depuis 167 av J-C., ses citoyens du paiement de l'impôt extraordinaire (en principe remboursé), le tribut, destiné à financer la guerre. Désormais, l'État vit essentiellement de son domaine, italien et provincial, de l'impôt direct et permanent, qui pèse, lui, sur les seuls provinciaux, et de la perception de quelques impôts indirects. L'exploitation des provinces soumises à l'administration romaine enrichit à la fois le Trésor, les gouverneurs et les publicains qui prennent à ferme les revenus de l'État.

     Avec l'Empire, interviennent divers changements : une stabilisation des dépenses à un haut niveau (avec la création d'une armée permanente de province), un quasi-arrêt de la conquête, un effort de moralisation de la gestion des provinces, une responsabilisation du Prince, etc. (...) Nous aurions tort de privilégier à l'excès les recettes fiscales : tributs provinciaux et impôts indirects. S'y ajoutent les revenus patrimoniaux du Prince, le butin des guerres, les confiscations des condamnés et les legs des particuliers en faveur de l'empereur.

Le domaine impérial a pris une extension démesurée : par les confiscations, mais aussi par le jeu subtil des pratiques testamentaires (les empereurs ont détourné à leur profit une pratique sociale répandue dans la société romaine, le legs aux amis) et les profits de la familia Caesaris. En précédant ainsi, l'empereur en vient à rassembler dans ses mains, pour les redistribuer ou s'en servir pour payer ses dépenses, non seulement des revenus fiscaux, mais une part de la capacité de production agricole, forestière et minière. Au total, le Prince est le premier propriétaire de l'Empire : et rien ne permet de distinguer, parmi les fournitures de blé par exemple, celles qui sont versées au titre de la rente foncière de celles qui constituent le tribut provincial."

   Jean-Michel CARRIÉ écrit que à l'époque tardive du Bas-Empire, "l'Etat a perfectionné sa connaissance de la capacité contributive des administrés, accru son contrôle sur l'appareil de prélèvement fiscal et uniformisé les procédures. Une communis formula à l'échelle de l'Empire, répartissant les charges entre diocèses, provinces et cités, unifiait la comptabilité financière par-delà les diversités régionales et facilitait la prévision budgétaire. Chaque année, les bureaux financiers fixaient les montants et les taux de l'exercice fiscal (indictio). La situation de la trésorerie aux différents niveaux était communiquée aux instances centrales par des rapports (quadrimenstrui breves). La principale échéance budgétaire était le donativum quinquennal des soldats. Trois lustres constituent depuis Constantin un cycle indictionnel de quinze ans. Pour la période allant de la Tétrarchie au début du VIe siècle, les estimations proposées pour le budget romano-byzantin vont de 7-8 à 10-13 millions de solidi annuellement (soit de 97 000 à180 500 livres d'or). Depuis Dioclétien, l'impôt de base assis sur la propriété foncière, suivant le régime localement appliqué, pouvait être estimé et prélevé en nature ou en espèces. L'expression res annonaria a fini par recouvrir toute l'imposition "foncière", même quand elle n'est pas perçue en nature (canonica), mais en espèces et destinés aux largitionalia. Il s'ajoute divers impôts (tituli) catégoriels sur les commerçants et artisans (chrysargyre), les sénateurs (oblatio ou gleba). L'impôt sur les héritages a été aboli par Constantin. Les récentes évaluations du prélèvement fiscal dans l'Empire romain tardif ont conclu à sa relative modicité. L'alourdissement de l'impôt n'était pas une fatalité inscrite dans les réformes de Dioclétien et de Constantin. Des périodes de rigueur et de détente ont alterné.

Constantin a créé deux services financiers centraux quoique indépendants de l'administration palatine, les Largesses sacrées et la Fortune privée, placés sous les ordres de deux comptes. Le premier gène tout ce qui est monétaire : frappe des pièces, impôts en numéraire, amendes judiciaires, vectigalia, droits de douane ; trésorerie des espèces (donativa de l'armée ; dépensens en numéraire) ; monopoles commerciaux et production d'Etat (ateliers publics, sauf les fabriques d'armes ; mines et carrières). Le res privata supervise l'administration provinciale des domaines impériaux et de leurs loyers, les donations et confiscations. La délimitation de ces deux domaines remonte au couple rationalis summarum-magister rei privatae créé dans chaque diocèse par Dioclétien. La fiscalité et les dépenses en nature (annonces des divers types) sont passées aux préfets du prétoire (après leur démilitarisation) et à leurs vicaires diocésiens. Dorénavant "fisc" est le seul terme pouvant s'appliquer à la totalité du dispositif financier public ou à l'un quelconque de ces éléments." 

   Toute cette organisation fiscale ne dit rien sur le statut des collecteurs d'impôts et n'oublions pas que le fonctionnariat (l'ensemble des fonctions d'État de l'Empire) est étroitement lié à la personne de l'Empereur, et cela de plus en plus au fur et à mesure qu'on avance dans le temps.

L'instauration du christianisme officiel accélère d'ailleurs cette tendance. Les capacités de contrôle de l'appareil central sur l'ensemble des collecteurs de province sont à la mesure des véritables connaissances en administration (lesquelles dépérissent avec le temps...) et en probité des collecteurs (lesquelles aussi dépérissent avec le temps). S'ils sont nommés officiellement par l'autorité centrale, la nomination est un processus souvent compliqué (de plus en plus compliqué) où entrent en jeu de plus en plus les relations de clientèle et... les capacités d'achat des charges publiques et de moins en moins les réelles capacités d'administrateurs... De plus, au fur et à mesure qu'on avance dans le temps, les administrations fiscales, si la plupart garde leur structure et leurs ramifications, sont accaparées par des préoccupations de plus en plus privées et claniques plus que par la volonté de faire fonctionner l'ensemble des services publics impériaux.

   C'est ce qui ressort de nombreuses études récentes, et particulièrement celles qui essaient d'éclairer sous un nouveau jour les conditions de la décadence de l'Empire romain et de sa "chute". Le maître mot, qui revient aussi dans la littérature de ces temps, est corruption. Mais cette corruption, à l'origine du délabrement de ces services, civils (de l'entretien de routes aux renouvellement des conduites d'eau) et militaires (de plus en plus faibles capacités des armées à assurer la défense, même face à des populations barbares maitrisant pourtant nettement moins l'art militaire) trouve son origine dans le caractère originel même de l'impôt, qui reste surtout une technique d'accaparement de ressources. Et cette technique est stratégique dans un ensemble de plus en plus grand, traversé de périodes de paix et de guerres civiles.

    Pour en revenir au Haut-Empire, Paul PETIT dresse un tableau instructif de la vie économique de l'Empire, étant entendu que dans l'esprit des contemporains, l'économie n'est pas un élément principal de leur conception de la vie (d'ailleurs beaucoup plus courte que la nôtre!).

Dans ce monde antique, pas de politique économique (et d'ailleurs peu de production d'ampleur) et l'impôt sert uniquement à payer les guerres, les voies communication, la fonction publique impériale et surtout le train de vie des véritables propriétaires de l'Empire. Du point de vue des provinces, il s'agit de régler les impôts, considérés comme un dû, des dettes à l'Empire. Ce qui n'est pas sans analogie avec la situation inquiétante actuelle des États dont le service de la dette atteint des proportions souvent insoutenables, à l'heure où les politiques économiques nationales sont exangues et celles des ensembles régionaux pour le moins rachitiques.

 "La fiscalité ne fut guère réformée par Auguste qui s'efforça d'éviter les abus sans amoindrir les revenus de l'État, et empêcha les déprédations des publicains et des gouverneurs. Les provinciaux payaient des tributs en espèces et en nature dont la perception fut enlevée aux grandes sociétés publicaines et confiée soit aux notables des cités, soit à de petits fermiers plus faciles à surveiller que les anciennes sociétés, soit enfin à des procurateur. Sauf en Egypte, on manquait de bases pour évaluer la richesse et la force contributive des particuliers. Il fallut doubler le tribut de la Gaule (...), accoutumer les habitants aux recensements (...) et les chefs de tribus à payer eux-mêmes, ce qui souleva des difficultés." A propos des recensements l'étude de Béatrice Le TEUFF sur les recensements augustéens, aux origines des assises financières solides (en tout cas lui permettant de développer infrastructures techniques et appareil militaire) de l'Empire. "Seuls les impôts indirects, vectigalia, et les douanes, portaria, restèrent entièrement confiés aux publicains. Les grands secteurs douaniers ne furent sans doute organisés que sous Tibère. Dans l'ensemble, la fiscalité n'est pas écrasante, bien qu'il soit difficile d'apprécier son poids selon les techniques d'aujourd'hui : le PNB (produit national brut) était si faible dans l'Antiquité qu'une taxe ad valorem de 2,5% (quadragesima douanière) pouvait paraitre pesante. Cependant, les progrès de l'activité commerciale au cours du Ier siècle après J-C. n'en furent pas entravé. Les citoyens romains résidant en Italie ne payaient aucun impôt foncier depuis la suppression du tributum en 167 avant J-C. (...) Pendant longtemps, Auguste acheta des terres pour ses vétérans sur des ressources personnelles, mais quand la raréfaction des espaces libres et l'élévation de leurs prix l'obligea en 5 après J-C. à verser des primes de congé (...), il fut contraint de créer, ce qui sembla exorbitant, de nouveaux impôts directs sur les citoyens : le vingtième sur les successions, le centième sur les opérations commerciales, les ventes ou affranchissements d'esclaves alimentèrent la nouvelle caisse des primes, gérée par des préfets de rang prétorien.  Cette caisse est, avec l'ancien aerarium Saturni, la seule dont l'existence soit formellement attestée à cette époque. L'aerarium de Saturne était également administrée par des préfets, puis, à partir de 23 av J-C., par des prêteurs. C'était la caisse du Sénat, alimentée par les revenus des provinces sénatoriales certainement, peut-être aussi, en partie du moins, par les revenus de l'Égypte et des provinces impériales (...). Le problème de l'existence d'une caisse impériale distincte, le fiscus Caesaris, est controversé et doit être résolu négativement : sous Auguste et ses premiers successeurs, chaque province avec son fiscus et en quelque sorte son autonomie financière, et les excédents des provinces riches étaient reversés aux provinces déficitaires. Les comptes étaient tenus par des affranchis chargés des comptes et chaque année Auguste faisait lire au Sénat le bilan sous doute générale des recettes et des dépenses, ce que Tibère supprima."

Paul PETIT toujours replace en perspective l'impôt dans le Haut Empire au milieu du IIe siècle : "Aucun de ces empereurs n'eut de politique économique "dirigée" comme on dirait aujourd'hui, malgré quelques interventions ponctuelles. Le libéralisme, une sorte de laissez-passer, avant la lettre, régnait en tous domaines, sauf en ce qui concerne les douanes (portoria) dont le but était du reste fiscal et non économique, l'exploitation des monopoles de l'État et l'activité des corporations utiles au ravitaillement des grandes villes. L'exemple de l'Égypte, soumise depuis les Ptolémées à un régime de mercantilisme étatique très élaboré, ne fut pas suivi. Le princeps ne se considérait pas comme un roi, propriétaire de son royaume et de ses sujets, mais comme un administrateur, respectueux de l'autonomie des cités et désireux de ne point mécontenter les classes supérieures attachées à la liberté. De toute façon, les Anciens ne se sont jamais intéressés à la science économique et l'on ne disposait pas alors des moyens d'action indispensables. (...) Les seules interventions régulières concernent la fiscalité et les travaux d'équipement. Le système des impôts directs établi par Auguste ne fut guère modifié par la suite. Claude en avait systématisé l'administration, et la création de nouvelles provinces impériales l'enrichissait, surtout depuis l'attentive gestion de Vespasien. Le régime douanier a reçu sans doute sa physionomie définitive sous Hadrien. La substitution de la perception directe par les procureurs à la ferme des compagnies publicaines des conductores n'est pas complètement accomplie. Si elle a sans doute soulagé les contribuables, une partie des obligations fiscales incombe désormais aux communautés locales, ce qui les expose à des contrôles plus fréquents. De toute façon, il subsiste des obscurités en ces domaines et le plus difficile assurément est d'apprécier exactement le poids de cette fiscalité, et par suite ses incidences possibles sur la vie économique. Les impôts n'ont pratiquement pas augmenté pendant les deux cents ans qui sépare l'époque d'Auguste de celle des Sévères et l'on se plaint plutôt, le cas échéant, des abus des gouverneurs, procurateurs et conductores, que du taux spécifique des impôts qui, à vrai dire, semble dérisoire à des yeux modernes (5% sur les successions, 2,5 à 5% sur les douanes, aucune tentative de progressivité). La capitation est plus humiliante que pensante et l'impôt foncier nous demeure pratiquement inconnu, ce qui prouve à tout le moins qu'il ne suscitait pas trop de protestations. Mais cependant, il faut tenir compte des prestations exigées en temps de guerre ou des troubles, et surtout de la médiocrité ce que nous appellerions aujourd'hui le produit national brut. Il est impossible d'attribuer à la fiscalité de cette époque un rôle décisif dans l'évolution économique de l'Empire". Il n'en est sans doute pas de même sur l'évolution politique, avec les changements de mode de collecte, les recensements plus précis (sans doute plus précis qu'ici et là...) et surtout les incertitudes sur ce que l'on appelle aujourd'hui l'assiette de l'impôt. Sans doute, les gouverneurs, par exemple, était plus attentif à remplir des obligations de rentrées auxquels Rome s'attend qu'à savoir le taux effectif des impôts... L'évolution la plus importante est sans doute l'accroissement  du rôle des "bourgeoisies municipales" à une époque de paix relative de floraison des villes. Sans que l'État ne le reconnaisse, les ville possèdent une véritable unité, avec laquelle les classes sénatoriale et équestre doivent par exemple compter. La fortune reste principalement foncière mais une certaine concentration de richesses dans des villes n'est pas négligeable, surtout car les villes sont gourmandes en constructions et entretiens de toute sorte. La plupart d'entre elles étant édifiées à partir ou sur l'emplacement de place-fortes militaires, ce sont souvent les décurions qui se chargent de trouver les ressources nécessaires, et souvent sur leur fortune personnelle (en l'absence d'impôt direct urbain). Une quantité d'obligations de dons, rattachée au statut de notable permet leur accroissement. Même si elles ne sont pas fortifiées (de par la paix civile qui règne au IIe siècle) (ce qui change au IIIe siècle et elles le paieront cher), ces villes bénéficient de constructions "d'agrément" liées à la propreté et aux jeux, et surtout d'un approvisionnement régulier venant des campagnes, souvent proches. Et cela dans un système de dons et d'évergétisme très bien décrits par VERNE. En résumé, le système fiscal permet surtout une circulation des richesses au sein de diverses classes dominantes et ne constitue pas un système très stable, très performant. Il est surtout fortement sollicité en cas de grands besoins, venant notamment d'Italie ou de Rome. 

 

Paul PETIT, Histoire générale de l'Empire romain, Seuil, 1974. Béatrice Le TEUFF, Les recensements augustéens, aux origines de l'Empire, Pallas, revue d'études antiques, n°96, 2014, numéro sur Le monde romain de 70 av J-C. à 73 après J-C. Jean Michel CARRIÉ et Mireille CORBIER, articles sur Les finances publiques, Dictionnaire de l'Antiquité, PUF, 2005.

 

ECONOMIUS

Relu le 30 décembre 2021

 

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