Le mennonitisme, mouvement chrétien anabaptiste dissident de la Réforme protestante, est d'abord une appellation populaire que les Néerlandais utilisaient pour désigner les anabaptistes au XVIe siècle. Du nom d'un de leurs dirigeants célèbres, Menno SIMONS, prêtre catholique converti à l'anabaptisme. Et comment souvent, les membres de ce mouvement ont fini par adopter ce nom. Une grande partie de ses membres sont aujourd'hui rassemblés dans la Conférence mennonite mondiale.
Un protestantisme dissident
C'est précisément à partir de l'anabaptisme pacifique dans un de ses versions néerlandaise, que Menno SIMONS (1496-1561) devient l'un des chefs de ce courant religieux, en Hollande et jusqu'en Allemagne. Son influence s'étend vite en fait, excepté la branche dite houttérienne, à l'ensemble de l'anabaptisme pacifique européen.
L'anabaptisme pacifique né à Zurich au début de 1525, d'une scission entre ZWINGLI et certains de ses disciples, au moment de l'introduction de la Réforme dans la cité et dans le canton. Les disciples impatients, parmi lesquels Conrad GREBEL et Félix MANTZ, désirent la rupture du lien entre l'Église et l'État. Leur conception est celle d'une Église de convertis, opposant le Corpus Christi au Corpus christianum de la chrétienté médiévale. Elle trouve son expression symbolique dans le baptême des seuls adultes sur profession de leur foi, d'où leur nom de "rebaptiseurs"; puisque tous ses membres avaient déjà été baptisés enfants. Les intéressés refusent toute valeur à ce premier baptême, et refusent d'abord ce nom que les autres leur donne. Ils s'appellent "frères" entre eux et l'habitude a subsisté de désigner les anabaptistes suisses par le vocable de "frères suisses". Un strict refus de la mondanité, de l'usage de la violence et des fonctions politiques ainsi qu'une nette insistance sur l'indépendance des groupes locaux, ou assemblées, caractérisent ces dissidents. Partout le mouvement rencontre un succès certain, et dans toutes les classes sociales, spécialement chez les clercs et les intellectuels humanistes. Il attire également quelques personnes rescapées des mouvements révolutionnaire de Thomas MÜNTZER et du "royaume de Münster" ou, à celui, pacifique, de Melchior HOFMANN.
La persécution s'abat vite sur le mouvement zurichois et sur l'anabaptisme suisse et non suisse. Elle est particulièrement ressentie en Hollande, où les anabaptistes hofmanien et de type münstérien sont assez répandus. Les pacifiques souffrent d'être confondus avec les autres, subissant ainsi le contre-coup des violences de la révolte de Münster et de son élimination, Menno SIMONS, après avoir adhéré à l'anabaptisme pacifique, en devient peu à peu l'un des chefs principaux en Hollande et dans l'Allemagne rhénane et septentrionale. Il réorganise les communautés hésitantes et son action réformatrice se fait sentir jusqu'en Suisse. Après sa mort, tous les anabaptistes pacifiques, à l'exception de la branche communautaire dite houttérienne, se rallient plus ou moins à ses principes et reçoivent progressivement le nom de mennonites. Menno Simons marque l'ensemble des communautés par son radicalisme en matière de pureté de l'assemblée et par le rôle prééminent qu'il accorde aux ministres du culte. Fruit d'une conjoncture sociale, la réorganisation mennonite des assemblées est contestée, dès le XVIIe siècle, en Hollande même, par suite des changements sociaux et politiques propres à ce pays (tolérance religieuse, participation des mennonites à la vie sociale...). Désormais, le mennonitisme hollandais connait un sort à part, acceptant la culture globale et participant aux courants théologiques les moins conservateurs. Le reste des communautés mennonites est formé, jusqu'à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, d'une majorité de cultivateurs, dont la réputation de progressisme agricole est encore bien vivante - au point de susciter d'ailleurs des appels venant de Russie... Mais, dans ces communautés rurales physiquement isolées de la société globale, la "non-mondanité" prend des aspects de formalisme, vestimentaire o autre, tandis que l'expression des croyances et le culte se sclérosent sous la direction d'anciens sans culture théologique. A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, un réveil d'inspiration piétiste-revivaliste donne à l'anabaptisme pacifique un nouveau départ, prosélytique et même missionnaire. Cependant, les Hollandais demeurent, dans l'ensemble, en marge de ce mouvement, par leurs tendances libérales en Théologie. Un retour aux sources historiques de l'anabaptisme du XVIe siècle est également amorcé.
De grandes migrations mennonites
Pacifistes, les mennonites refusent, en théorie, de porter les armes et de prêter serment. Combinée avec d'autres traits culturels et sous l'influence d'autres facteurs, cette attitude les obligent à de nombreuses migrations. Au XVIIe siècle, certains d'entre eux vont se fixer en Russie. Mais leur déplacement le plus important a lieu, dès le XVIIe et le XVIIIe siècles, et surtout au XIXe, vers l'Amérique du Nord. Actuellement, près d'un tiers de leurs effectifs (environ 230 000 sur près de 645 000 en 1980) habitent cette partie du monde. Ils y sont groupés en un certain nombre de "conférences" plus ou moins conservatrices, en particulier en ce qui concerne des formes de la non-mondanité. On y rencontre les monnonites les plus résolument conservateurs, les amish, qui refusent toute forme de contacts, même ecclésiastiques, avec les autres mennonites. Leur habillement particulier a été popularisé par la photographie. D'autres mennonites moins conservateurs, d'origine russe, retiennent l'attention des observateurs par leurs méthodes de colonisation agricole et les formes de leur vie sociale.
En 1980, et à la suite d'efforts missionnaires en provenance d'Europe, mais surtout d'Amérique du Nord, il existe plus de 90 000 mennonites africains, et près de 95 000 en Asie. L'Europe et l'URSS en compte la même année 95 500 (environ 2 000 en France). En 2018, le mouvement mennonite dans son ensemble compterait 2 130 000 membres (selon la Conférence mondiale mennonite), croyants baptisés dans 86 pays. Toujours très éparpillés, et présents surtout au Canada et aux États-Unis. En Europe, c'est surtout en Suisse (Jura bernois) et en Allemagne qu'ils résident. En France, ils se concentrent surtout en Alsace.
Les mennonites, persécutés, puis vivant volontairement à l'écart du monde, ont surtout, dans l'Histoire, une réputation de grande honnêteté, de souci du travail bien fait, de progressisme agricole, de charité agissante et d'hospitalité généreuse. La recherche actuelle tend à leur reconnaître un rôle particulier dans l'expérimentation des formes de vie en commun qui ont abouti, par des cheminements divers, au coopératisme. (Jean SÉGUY)
Des caractéristiques culturelles multi-séculaires
Les mennonites sont très mobiles, comme les autres groupes anabaptistes avant eux. Ils doivent en effet échapper aux persécutions politiques et religieuses qui peuvent surgir un peu n'importe où. Les jeunes mennonites cherchent à se soustraire au service militaire que veulent leur imposer les différentes terres d'accueil, à l'encontre de leur foi.
Les mennonites de manière générale refusent :
- le baptême des enfants. Ils pratiquent le baptême du croyant, adolescent ou adulte, précédé d'une profession de fois personnelle, conçue comme renaissance ;
- l'usage des armes, et donc le service militaire ;
- pour une minorité d'entre eux, beaucoup de progrès techniques (automobile, outils agricoles mécanisés, téléphone, télévision...) ;
- comme les protestants, le rôle du pasteur qui serait intermédiaire entre les croyants et Dieu. Celui-ci est seulement un dirigeant élu par l'assemblée.
Ils croient pour la majorité d'entre eux à la nouvelle naissance comme porte d'entrée au salut et dans l'Église, à la séparation de l'Église et de l'État, à l'amillénariste (car Jésus règne maintenant depuis le ciel, siégeant à la droite de Dieu le père, est et restera avec l'Église jusqu'à la fin du monde). Ils se signalent enfin dans l'obligation de diffuser la Bonne Nouvelle et font oeuvre pour cela d'un prosélytisme constant.
H.S. BENDER, Conrad Grebel, The Founder of the Swiss Brethren, Goshen, 1950. C. J; DYCK, A Introduction to Mennonite History, Scottdale, Pennsylvanie, 1967. J.M. STAYER, Anabaptists and the Sword, Lawrence, Kansas, 1972. G. WILLIAMS, The Radical Reformation, Philadelphie, 1962. René EPP, Marc LIENHARD et Freddy RAPHAËL, Catholiques, protestants, juifs en Alsace, Édition Alastia, 1992. Autour de Pierre LUGBULL, Cent ans d'éditions mennonites, 1901-2001, Éditions mennonites, 2001. Confession de foi dans une perspective mennonite, Éditions mennonites, 2014. J.W WENGLER, Qui sont les mennonites? D'où viennent-ils, Cahoers de Chrit seul, n°4/1993, Éditions mennonites, Montbéliard. On trouve beaucoup d'informations sur les groupes et communautés mennonites dans le site Internet gameo.org, voir précisément leur Encyclopédie Mennonite (en anglais).
Jean SÉGUY, Mennonites, dans Encyclopedia Universalis, 2014 ; Utopie coopérative et oecuménisme, Paris-La-Haye, 1967 ; Les Assemblées anabaptistes-mennonites de France, Paris-La-Haye, 1977.