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6 novembre 2011 7 06 /11 /novembre /2011 08:39

     Ce livre du rédacteur en chef adjoint du mensuel Alternatives économiques effectue un survol très clair et précis d'une grande partie de l'histoire financière de l'Occident, à travers ses crises, et précisément de cinq crises représentatives du fonctionnement du capitalisme financier.

A travers la description de la spéculation sur les tulipes dans les années 1635 en Hollande, de l'entreprise aventureuse de John LAW sous le règne de Louis XV en France, de la panique de 1907 aux États-Unis et enfin de la crise de 1929, l'auteur dégage les caractéristiques d'une crise financière, qui se retrouvent dans la crise des subprimes des années 2000. Il détaille les tenants et aboutissants de la crise financière que nous vivons aujourd'hui jusqu'aux plans de désendettement engagés sous l'égide de l'Union Européenne et de l'administration OBAMA. Sans concession aucune, Christian CHAVAGNEUX expose, aux meilleures sources, les différents conflits qui opposent aujourd'hui les marchés aux États, après que ceux-ci se soient rendus compte du caractère évanescent d'un auto-contrôle de la finance mondiale.

 

    On se rend compte à quel point la destruction dans les années 1980-2000 des différentes barrières  à l'instabilité financière établies après la crise de 1929 aux États-Unis et en Europe mène la planète au bord du gouffre. Et aussi de la virulence des conflits entre les administrations d'État, lorsqu'au sein de celles-ci existent encore la notion d'intérêt général, et des différentes institutions privées financières. Encore actuellement, une grande partie des institutions bancaires privées refusent toute idée de réglementation, à tel point qu'il est difficile de faire la différence entre un comportement financier et un comportement de malfaiteur... tant les multiples voies illégales sont fréquentées pour échapper à tout contrôle. Tout en gardant un ton finalement mesuré - l'auteur ne dénigre pas entièrement les tentatives du G20, pointant de façon équilibrée ses forces et ses faiblesses - il déroule sous nos yeux les logiques infernales à l'oeuvre. 

Au centre de son ouvrage, travaux d'historiens économiques à l'appui - parfois issus du milieu même des banques et parfois même encore en exercice dans les institutions bancaires internationales (Charles KINDLEBERGER, Hyman P. MINSKY, Joseph STIGLITZ...) -, l'auteur s'efforce de répondre simplement à la question : Qu'est-ce qu'une crise financière?

Au départ, une simple perte d'équilibre, des innovations non contrôlées (armes de concurrence massive, systématiquement établies pour naviguer par beau temps, avec une grande capacité à offrir des services de contournement réglementaire), dont les fameux produits dérivés, puis une déréglementation subie ou voulue, la course aux profits financiers débouchant sur des bulles de crédits, une mauvaise gouvernance des risques (notamment avec des mécanismes d'assurances qui n'assurent rien), avec des fraudes organisées, qui multiplient les liens entre criminalité et finance où les paradis fiscaux, finalement en grand nombre, jouent un rôle, avant l'éclatement de la crise, alimentée par des inégalités économiques fortes, le tout avec la participation d'économistes (souvent de l'ensemble des économistes) aveugles au désastre pourtant annoncé par quelques voix marginales discordantes. Avant que plus ou moins tardivement, les autorités politiques se décident à intervenir, mettant en place quelques réglementations dont les effets (comme en 1929) peuvent être durables ou finalement de peu d'importances car ne mettant pas en cause les structures qui permettent ces crises. Si les Bourses se calment un petit moment après la crise financière, comme en 2008 (faillite de Lehman Brothers), les opérateurs reprennent ensuite leurs (mauvaises) habitudes. "Mais une bulle, écrit l'auteur, ne s'arrête pas avec la maîtrise de la panique de court terme. L'étape suivante est décisive : les autorités publiques vont-elles ouvrir les chantiers permettant d'établir et de mettre en oeuvre à moyen terme les nouvelles régulations susceptibles de réduire fortement la probabilités de nouvelles crises? Ou bien les nouvelles régulations discutées ne sont-elles que des faux-semblants qui n'empêcheront pas de relancer la fuite en avant?" 

 

     Cette question est actuellement cruciale dans la nécessaire régulation, car depuis 2008, le système financier va de crises en crises continuelles, se déplaçant de secteur à secteur et de régions à régions. Le Forum de stabilité financière, devenu Conseil de stabilité financière met depuis sur la table "un document très complet, qui n'ouvre pas moins d'une dizaine de chantiers de régulation. Un document (qui date du 10 octobre 2008) peu commenté à l'époque, mais qui contient déjà pratiquement tous les grands sujets et propositions discutés les mois suivants. Le G20 de Londres d'avril 2009 va ensuite marquer une rupture dans le discours d'acceptation de la logique d'autorégulation des marchés. En plus du communiqué général habituel de ce genre de réunion, les pays du G20 livrent en effet une "Déclaration sur le renforcement du système financier" (voir www.g20.org), très technique, détaillée, longue de six pages et qui fixe un objectif très ambitieux : "Toutes les institutions, tous les marchés et tous les instruments d'importance systémique devront faire l'objet d'un niveau adéquat de régulation et de surveillance."

Le texte pose les principes d'un changement majeur du rôle des Banques centrales, appelées à développer les outils et politiques à même de contrer l'instabilité financière. Il réclame la mise en oeuvre d'un contrôle serré de la distribution de crédits par les banques, pour qu'elles arrêtent de nourrir les bulles. Il veut encadrer les marchés des produits dérivés, ces innovations financières qui mettent souvent le feu à la finance. Il exige une régulation des fonds spéculatifs. Il s'attaque aux paradis fiscaux. Les principes de régulation ainsi dessinés ont été de nouveau validés au G20 de Pittsburgh de septembre 2009. Ils ont servi de base à quasiment toutes les politiques discutées dans les mois qui ont suivi, aux États-Unis, en Europe, au Royaume-Uni, etc. Un processus qui est loin d'être terminé car on discute encore des modalités concrètes d'applications de la nouvelle loi de régulation financière Dodd-Frank, votée le 21 juillet 2010 aux États-Unis, tandis que la Commission Européenne n'a fini de mettre sur la table l'essentiel de ses propositions de régulation qu'à l'été 2011 et qu'il reste encore de très long mois avant de les mettre en oeuvre. On n'aura une vision à peu près définitive et claire du paysage de la nouvelle régulation financière mondiale post-subprimes qu'aux alentours de 2013, certaines parties ne devant être entièrement finalisées qu'en 2018-2019." L'auteur donne un avis plutôt favorable à l'esquisse, tout en pointant de nombreux faiblesses majeures, et nul doute que de nombreuses péripéties vont se jouer jusqu'aux échéances fixées, riches en sinueuses manoeuvres, car ce qui est en jeu, c'est ni plus ni moins la future géopolitique financière et notamment les nouveaux rapports de forces entre institutions publiques et institutions privées, les unes et les autres jouant soit au niveau national ou régional ou encore multinational. Entre les marchés et les EÉats, à la lecture de ce livre, c'est bel et bien une grande et vaste partie de bras de fer qui est en train de se jouer.

 

   Ajoutons qu'en fin d'ouvrage, l'auteur évoque le lancement le 30 juin 2011 de Finance Watch, "un pôle européen d'expertise, de communication et de lobbying pour faire contrepoids aux banques", créé par près de trente associations de la société civile européenne.

 

    L'éditeur présente cet ouvrage (en quatrième de couverture) de la manière suivante : "La finance a pris une place démesurée dans nos économies et ses dérapages pèsent lourdement sur l'emploi et le bien-être des populations partout dans le monde. Mais il n'est pas facile pour le simple citoyen de comprendre les ressorts de l'instabilité financière, afin d'apprécier la pertinence des politiques qui prétendent la combattre. D'où l'intérêt de revenir sur les grandes crises du passé. Tel est le propos de ce livre aussi enlevé que pédagogique, où l'auteur fait le récit des plus exemplaires d'entre elles et de leurs issues : la fameuse bulle sur les tulipes dans la Hollande du XVIIe siècle ; la façon dont l'Écossais John Law a créé la première bulle boursière de l'histoire dans la France du Régent ; la crise financière de 1907, qui a conduit à la création de la banque centrale des États-Unis. Et il revient de manière originale sur la crise de 1929, en montrant comment Roosevelt a usé de toute son habileté pour imposer les régulations qui allaient assurer plusieurs décennies de stabilité. Ainsi dessine ainsi une "économie politique des bulles" dans laquelle s'inscrit parfaitement le dérapages des subprimes. On comprend mieux alors les mécanismes économiques en jeu dans les crises financières. Mais aussi le rôle joué par les inégalités sociales, les rapports de forces politiques et les batailles idéologiques. Disposer d'un tel schéma des crises permet de juger les multiples chantiers ouverts par le G20, leurs avancées et leurs faiblesses."

  Etienne PERROT, dans sa e-revue de culture contemporaine, en janvier 2012, écrit : "Comme en écho à la Brève histoire de l'euphorie financière (Seuil, 1992) de John Kenneth Galbraith parue voici une vingtaine d'années, cette Brève histoire des crises financières innove sur deux points. D'abord là où Galbraith ne voyait qu'un effet de l'outil principal financier (le levier) combiné avec la naïveté des intervenants sur les marchés, Christian Chavagneux introduit l'analyse du système économico-politique dans son ensemble. Ensuite, là où Galbraith ne voyait que le fruit accidentel du jugement faussé des spéculateurs, Christian Chavagneux voit une seule et même logique, qui se répète et s'amplifie au rythme de la mondialisation : l'innovation financière engendre la course à un profit ciblé qui favorise une création de monnaie de crédit gonflant une bulle qui finit par éclater, freinant - parfois bloquant, comme en octobre 2008 - le système des paiements, le commerce, la production et l'emploi. Christian Chavagneux souligne la difficulté pour les régulateurs de débusquer les risques systémiques et la nécessité d'imposer un ordre dans cette boite noire qu'est la gouvernance des banques. C'est bien vu. Mais quel programme!"

Christian CHAVAGNEUX, journaliste économique français, est également l'auteur d'autres ouvrages : Ghana, une révolution de bon sens : économie politique d'un ajustement structurel (Khartala, 1997) ; L'économie politique internationale (La découverte, Collection Repères, 2010) ; Les dernières heures du libéralisme, la mort d'une idéologie (Perrin, 2001) ; avec Ronen PALAN, Les paradis fiscaux (La Découverte, collection Repères, 2012) ; avec Jacques MISTRAL, Peut-on réguler la finance internationale? (dans L'État pyromane, Delavilla, 2010)...

 

Christian CHAVAGNEUX, Une brève histoire des crises financières, Des tulipes aux subprimes, Éditions La Découverte, collection Cahiers libres, 2011, 235 pages. 

 

Relu le 9 septembre 2020

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